vendredi 26 avril 2024
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La place financière, entre défis et stagnation

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Marco Piccinini
Marco Piccinini, conseiller de gouvernement pour les Finances © Photo Charly Gallo / Centre de Presse.

Après avoir progressé de 15 % en 2005 et 2006, la place financière plafonne. Au moment même où elle amorce de nouveaux virages. Dont celui de la transparence fiscale.

Avec 78 milliards d’euros de ressources enregistrées au 31 décembre, « la place résiste mais plafonne. » Etienne Franzi, le patron des patrons des banques monégasques en est conscient?: fini les croissances à deux chiffres que l’on voyait avant la crise?! « Depuis 2007, la place évolue dans un créneau entre 75 et 79 milliards d’euros. » Au point que la progression de 2,6 milliards d’euros enregistrée sur l’ensemble de 2010 est pour l’essentiel due à la combinaison des effets de marché et de change?: « le Net New Money s’est limité à 800 millions d’euros, et ce principalement au 1er semestre de 2010 », indique le président de l’Association monégasque des activités financières (Amaf).
Le marché le plus touché est, sans surprise, le marché italien?: en 2009, au moment du bouclier fiscal berlusconien, sur les 4,98 milliards d’euros déclarés au fisc italien (ce qui représente 4,4 % des ressources de la place), une grosse partie des fonds avait été rapatriée. Soit 3,44 milliards d’euros. Le reste, 1,55 milliard d’euros, bénéficiant du rimpatrio juridico, était resté à Monaco. Une situation qui a rendu les ressources plus “friables”. Ces fonds blanchis étant plus facilement rapatriables pour des entreprises ou particuliers pris à la gorge en raison de la crise financière. « Comme la situation italienne n’est pas florissante, l’argent que les Italiens avaient déclaré mais laissé à Monaco est fragilisé. C’était quasiment gravé dans le marbre », soupire ainsi le président de l’Amaf. Pour autant, impossible aujourd’hui de savoir à quelle hauteur la place a été touchée depuis le début de l’année?: « Nous n’avons aucune estimation sérieuse des montants qui auraient été éventuellement rapatriés », souligne le secrétaire général de l’Amaf, Jean Dastakian.

Gestion de fortune

Malgré la crise, les caractéristiques de la place sont en revanche toujours les mêmes. Avec une spécialisation dans la gestion de fortune?: « 76 % des ressources proviennent de clients disposant de plus de 750?000 euros dont 40 % possédant des avoirs supérieurs à 7,5 millions d’euros », analyse Etienne Franzi. Qui rappelle au passage que Monaco vient de loin?: « La professionnalisation de la place date d’une vingtaine d’années. Pendant longtemps, elle incarnait une grosse caisse d’épargne, qui se contentait de collecter les ressources. Aujourd’hui, c’est une place de banque privée solide. » Ce que confirme Sébastien Prat, consultant chez Deloitte, qui a travaillé avec les acteurs financiers monégasques?: « La place est très réputée pour sa stabilité. Il est clair qu’elle possède des atouts et des références en terme de banque privée qui font sa notoriété. Le nombre et la qualité des banques installées montrent bien qu’on a ici une vrai place bancaire ». Sachant que sur les 36 banques – de droit monégasque et succursales ou agences de banques étrangères –, 8 représentent 66 % des actifs financiers.

Deux tiers de offshore

Malgré la crise et l’évolution de l’environnement international, notamment fiscal, Monaco conserve une grosse proportion de comptes offshore. C’est bien simple?: près de 2/3 de la clientèle, en volume, est composée de non résidents. Et ce alors que dès 2007, Bain & Company préconisait, dans une étude commandée par le gouvernement, de privilégier l’onshorisation pour se fixer comme objectif à atteindre, 170 milliards d’euros en 2016. Et inverser ainsi la tendance?: « La place reste d’importance moyenne par rapport à ses concurrents. En queue de peloton par rapport au Luxembourg, aux Iles Caïmans, à la Suisse, à Hong Kong, etc. en termes d’actifs sous gestion », constatait alors le cabinet de stratégie. Ce qui n’a pas changé.
Mais pour inverser la tendance, encore faut-il surmonter certains handicaps?: « Monaco n’est pas une place financière mais une place bancaire. On ne cherche pas à créer des produits locaux, on ne cherche pas à développer les activités financières mais à regarder ce que les autres font », analyse ainsi Sébastien Prat. Qui ajoute?: « Il n’y a pas de stratégie à long terme?: est-ce qu’on veut une place en conformité avec les règles françaises et européennes (donc aller dans le sens de la marche)?; ou est-ce qu’on veut se démarquer en proposant des produits et des solutions innovantes et attirer de nouveaux types d’investisseurs, etc. », s’interroge le consultant de Deloitte.

Virage de la directive épargne

Il faut dire que Monaco est à la croisée des chemins. Pour les investisseurs, le manque de visibilité a un effet repoussoir. Or, « les inquiétudes sur l’extension, à certains de ses principaux marchés, des accords de coopération fiscale pèsent sur son environnement », insiste Etienne Franzi. « Il y a une cellule de vigilance pour voir comment les choses évoluent », rajoute le président de l’Amaf, selon qui il est trop tôt pour mesurer l’impact de la nouvelle transparence fiscale pratiquée par Monaco. Monaco en est aujourd’hui à 24 accords fiscaux. Et des négociations avec l’Italie seraient en cours (1).
Côté fiscalité, Monaco a su négocier le virage de la directive épargne. Un texte qui vise à taxer les revenus de l’épargne des ressortissants de l’Union européenne, par un système de retenue à la source, de 15 % pendant les trois premières années de la période de transition, de 20 % pendant les trois années suivantes et de 35 % par la suite. Un texte surtout qui, s’appliquant aux non résidents, faisait craindre aux banquiers de perdre une clientèle offshore. Sébastien Prat avait élaboré le guide “mode d’emploi” destiné aux banques de la place. « Initialement, les acteurs ont perçu cette directive comme une contrainte et on pouvait sentir une certaine inquiétude des banquiers, se souvient le jeune Monégasque basé au Luxembourg. Puis, tout le monde a cherché des solutions pour contourner la directive en proposant de nouvelles stratégies d’investissements plus lucratives pour les banques. On a ressenti en règle générale le manque de produits monégasques disponibles dans ce contexte. » Aujourd’hui, Monaco doit négocier un autre virage?: celui de la révision de la directive qui doit élargir le champ de cette fiscalité de l’épargne aux personnes morales et à de nouveaux produits – comme les trusts, l’assurance-vie ou les fondations. L’Union européenne pense même à abandonner la retenue à la source pour un échange automatique d’informations bancaires et fiscales. Y compris aux états tiers à l’Union. Dans ce contexte, la Belgique a pris les devants. Le ministère des finances belge a annoncé qu’il transmettrait, d’ici au 1er juillet, des renseignements sur les comptes d’épargne ouverts en Belgique par quelque 250?000 étrangers aux autorités fiscales des pays d’origine… « Il faut voir ce qui va se passer mais les craintes sont limitées, souffle Etienne Franzi. Les pays de l’Union européenne n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un élargissement de la directive. »
De son côté, Sébastien Prat perçoit plutôt un certain fatalisme de la part des banquiers, qui voient leur marge de manœuvre se réduire sur les parades à proposer à leurs clients. Plus question en effet, à terme, de privilégier des trusts ou des assurances-vie comme parades à la taxation. « Nous avons changé d’époque. Alors qu’avec la première directive les banques cherchaient plutôt à l’éviter, nous sentons qu’avec la seconde, les banques (et clients) vont devoir régulariser. Les taux de retenue à la source augmentent, les trous laissés ouverts sont bouchés, on n’a plus beaucoup de choix », analyse quant à lui le consultant de Deloitte.

FATCA

D’autant qu’un autre vent d’inquiétude se profile, soufflant des Etats-Unis cette fois-ci. Il s’appelle FATCA (Foreign Account Tax Compliance Act) et doit entrer en vigueur en 2013. « Les USA veulent imposer leur lutte contre la fraude fiscale des américains à tout le système financier mondial (chaque intermédiaire financier) selon leurs règles propres (parfois en conflit avec les règles de fiscalité internationales) », commente Sébastien Prat. Le principe?? « Chaque revenu de source US mais aussi les sommes reçues dans le cadre d’une simple vente de titre US sera soumis à 30 % de retenue. Ceux qui rentrent dans le système devront signer un accord avec le fisc US et appliquer des retenues à la source sur les revenus US versés à toute personne qui ne justifierait pas qu’elle n’a pas d’obligation fiscale US, un reporting au fisc US sur les clients qui se déclarent et enfin la fourniture aux autres intermédiaires financiers de données leur permettant d’appliquer à leur tour des retenues à la source US. » Le risque pour Monaco étant de ne pas être prêt à temps ni de pouvoir donner des garanties aux clients et aux intermédiaires. Ce qui risque de délocaliser certains clients ou activités… « Ce qui est diabolique, c’est qu’il faut prouver qu’on n’est pas fiscalement américain sinon le fisc prélève 30 % », note Jean Dastakian.
Un challenge supplémentaire pour une place bancaire monégasque qui a de nombreux défis à relever. Même si l’objectif des 170 milliards d’euros en 2016 semble définitivement abandonné…

(1) Ce qui permettrait de sortir de la black list italienne??

Pas sûr selon le fiscaliste Marc Burini?: « Monaco figure sur la black list établie par l’Italie depuis dix ans, tant en ce qui concerne les personnes physiques que les sociétés (celles non soumises à l’impôt sur les bénéfices). Je ne suis pas certain que la signature d’un accord d’échange d’informations permette à Monaco de sortir de cette liste car cette dernière est établie en fonction de notre absence d’imposition au plan interne. Si nous devions signer un accord, nous resterions évidemment souverains en matière d’imposition », rappelle l’élu Rassemblement & Enjeux.

En chiffres
•?La place compte 36 banques et 40 sociétés de gestion de portefeuille. Dont 15 sociétés de hedge funds.
•?Au 31 décembre 2010, la place comptabilisait 78 milliards d’euros de ressources (contre 75,4 en décembre 2009 et 78,4 en juin 2010). Soit 53,9 milliards de titres et 24,1 milliards de dépôts.
•?L’encours des crédits est d’environ 13 milliards d’euros avec un développement des crédits de trésorerie (notamment les crédits lombards) en hausse de 39 % (contre 0 % en 2009).
•?Les crédits immobiliers sont de 4,66 milliards d’euros.
•?La place compte 2?722 salariés.
Coffre-fort
© Photo D.R.

L’après crise

Régulation, taxe Tobin, bonus des traders… Deux ans après le sommet du G20, censé juguler la tempête financière, Monaco Hebdo a demandé aux spécialistes, politiques et banquiers, de dresser un bilan.

C’était il y a deux ans. Le 2 avril 2009, banquiers et traders étaient mis sur la sellette. Les dirigeants du G20 accusant fermement, d’un même bloc, les paradis fiscaux d’être responsables d’une crise financière et économique majeure. « Le sommet de Londres a été l’occasion pour un petit club de puissances économiques de rendre responsables des petits pays de la dérégulation des marchés financiers que les années Thatcher/Reagan avaient largement favorisées », se gausse le président de la commission des finances Alexandre Bordero. La place monégasque faisait partie des « boucs-émissaires » pointés du doigt?: « Je n’oublie pas, comme beaucoup de Monégasques, qu’un certain Nicolas Sarkozy avait annoncé, dans une interview télévisée, que la « France exigera la moralisation des paradis fiscaux ». En soulignant que « ça m’amènera à revoir nos relations avec Andorre », « à poser la question de nos relations avec Monaco (et) à poser un certain nombre de questions à nos voisins luxembourgeois » », poursuit Alexandre Bordero.

Rationalisation des process

Reste que si la crise des subprimes a occasionné des faillites en chaîne à travers le monde, on ne peut que constater qu’à Monaco, aucune banque n’a déposé le bilan. « Nous n’avons pas perçu d’impact pour Barclays Wealth Monaco, affirme ainsi son directeur général Francesco Grosoli. Malgré une situation internationale financière tendue, le groupe dont nous dépendons (Barclays PLC — Londres) s’en est sorti, lui, sans aide de l’Etat britannique. » La crise internationale a tout de même laissé des traces. « L’impact est le même à Monaco que dans le reste du monde?: incertitude et prudence dominent. Les nouvelles exigences réglementaires augmentent encore les coûts et le travail administratif. Les risques sont toujours aussi importants (solvabilité des dettes publiques, déficits publics, tension sur les changes, risques pays…) et la conjoncture est incertaine quant à la croissance eu égard surtout aux plans d’austérité décidés notamment au Royaume Uni, en Italie, en Allemagne… », liste Marc Burini. « Dans ces conditions les avoirs gérés sont à la recherche de produits nouveaux et d’opportunités, d’instruments financiers simples et transparents, de placements durables… », ajoute le fiscaliste. Mais ce n’est pas tout. « La crise a rationalisé beaucoup de process et a permis à notre métier de se reconcentrer sur sa nature et ses fonctions premières. Nous pouvons dire que nous sommes sortis plus forts de cette crise », explique de son côté le banquier Francesco Grosoli. De là à modifier la politique de gestion des établissements?? En partie du moins. « L’industrie bancaire a subi de grands changements. On a appris des erreurs commises par certains dans le passé. Aujourd’hui, dans le métier de private banker par exemple, nous sommes plus à l’écoute, plus proches et nous proposons des solutions plus transparentes à tous les niveaux. Par ailleurs, les produits et orientations que nous proposons à nos clients sont moins complexes et plus liquides qu’auparavant », souligne le directeur général de la Barclays Wealth Monaco.

Taxe Tobin

Depuis ces derniers mois, au plan international, on reparle en tout cas d’aller plus loin et d’instaurer une taxe sur les transactions financières. Une taxe Tobin qui ne fait pas l’unanimité. « On évoque ce serpent de mer depuis les années 70. Instaurer une taxe sur les transactions financières me paraît aléatoire – si elle n’est pas suivie au niveau global – quant à son efficacité », analyse Marc Burini, qui dénonce « une possible entrave aux échanges qui ne sont pas tous spéculatifs (il y a le marché), une porte ouverte à des parades vers des pays non régulés et des paradis fiscaux (les vrais?!), entraînant des dysfonctionnements concurrentiels. » A l’heure où la flambée des matières premières inquiète et révolte les populations, quid de mesures à prendre sur les marchés dérivés, pour limiter la spéculation, notamment sur les matières premières?? « La flambée des prix n’est pas exclusivement le fait de la spéculation mais plus le fait du marché et d’une demande mondiale croissante de la part de pays comme la Chine et l’Inde, des accidents climatiques, de l’absence de transparence sur les stocks de grands pays producteurs, du développement des cultures destinées à la production de biocarburants… », réplique Marc Burini. « Il faut rappeler que les marchés à terme restent un instrument de gestion du risque qui permettent aux agriculteurs de se protéger de la volatilité ambiante?; ils apportent aussi des liquidés et permettent à l’industrie de se couvrir à terme. Sans être un spécialiste de la question, il me semble que les études économétriques doivent être regardées de près avant de prendre des mesures démagogiques sous couvert de « morale » ne reflétant pas la réalité économique des marchés… », poursuit le fiscaliste.

« Eviter de retomber dans la situation de 2008 »

Tout dépend du champ d’application des mesures qui seront prises sur les produits dérivés. Ainsi, Francesco Grosoli, lui, se dit « favorable à un encadrement des activités sur les produits dérivés et pour une surveillance sur certaines expositions des établissements. Ceci serait souhaitable pour éviter de retomber dans la situation de 2008. » La France propose, elle, de distinguer les opérateurs « spéculatifs » des « commerciaux » et créer des « limites de position ». Soit un système qui empêcherait un opérateur d’acheter de grandes quantités et d’épuiser ainsi l’offre. Francesco Grosoli, lui, privilégie les vertus de la régulation. « Quand on essaie de contrôler le marché, on se retrouve devant des situations ingérables. Ce qui est important, ce sont les règles et l’action de régulateurs en direction des établissements de crédit pour évaluer correctement le risque », souligne le banquier.
Seule certitude?: deux ans et demi après la faillite de Lehman Brothers et après les multiples déclarations pour encadrer un capitalisme sauvage, le capitalisme semble en tout cas avoir de beaux jours devant lui. « L’économie de marché c’est le marché régulé, le marché mis au service du développement, au service de la société, au service de tous. Ce n’est pas la loi de la jungle. Le capitalisme c’est ce qui a permis l’essor extraordinaire de la civilisation occidentale depuis sept siècles. Pour moi la crise financière n’est pas la crise du capitalisme. C’est la crise d’un système qui a trahi l’esprit du capitalisme », conclut d’ailleurs Alexandre Bordero.

Et les bonus des traders??

Parmi les autres cibles du G20 à l’époque?: les bonus des traders et les parachutes dorés des dirigeants. Là aussi, l’impact est marginal en principauté. « Je ne vois pas à ma connaissance à Monaco de société multinationale susceptible de rentrer dans le cadre des parachutes dorés et des stocks options, ni de grande société de trading en partie responsable de la perte des 4?000 milliards de dollars laissés à la communauté internationale. Monaco n’est pas un centre financier… », insiste Marc Burini, élu Rassemblement & Enjeux. Avant d’ajouter?: « Plus sérieusement, la rémunération des traders n’est que la conséquence des profits réalisés par les sociétés financières dans lesquelles ils travaillent. Si l’on veut agir sur les « dérives », c’est en amont, c’est-à-dire au niveau des règles régissant la fourniture de services financiers. C’est ce que les Etats Unis ont commencé à faire en juillet 2010 avec le « Dodd-Frank Act », en créant notamment une nouvelle autorité de surveillance. » Selon Marc Burini, « le marché des produits dérivés entre dans le cadre de cette réforme avec notamment les transactions de gré à gré (les plus opaques), lesquelles ne seront en principe autorisées que si elles interviennent sur une plateforme de négoce centralisée et sont exécutées par l’intermédiaire d’une chambre de compensation soumise à surveillance. »

Marco Piccinini
Hôpital?: « il faudra dès maintenant provisionner chaque année 50 millions d'euros environ et les isoler sur un compte spécial qui puisse rapporter des intérêts » © Photo Charly Gallo / Centre de Presse.

«?Tout le monde doit se remettre en question?»

Pour la première fois, Marco Piccinini se livre en interview. Crise, coupes budgétaires, ASM… Le conseiller de gouvernement pour les Finances balaie les sujets d’actualité. Interview relue et amendée.

CRISE

Monaco Hebdo?: Suite au déclenchement de la crise financière, au sommet de Londres de 2009, les paradis fiscaux avaient été mis sur la sellette. Monaco est toujours dans la ligne de mire, aujourd’hui, du G20 et de l’OCDE??
Marco Piccinini?: Quand il y a une crise internationale, on s’en prend régulièrement à ce qu’on appelle les « paradis fiscaux », par opposition peut-être aux « enfers » ou aux « purgatoires fiscaux », mais je ne prétends pas être un théologien de la fiscalité internationale (sourire)… Comme à chaque fois qu’il y a une crise, il faut chercher un coupable, alors plutôt que de viser les régulateurs des grands pays qui n’ont pas été assez vigilants, on a préféré jeter la pierre aux petites places financières. Je ne comprends toujours pas pourquoi on s’est attaqué à des pays comme Monaco?: en effet, l’ensemble de la place bancaire monégasque ne doit pas représenter beaucoup plus que la moitié des dépôts d’une banque suisse moyenne?!

M.H.?: C’est-à-dire??
M.P.?: Il est facile de rejeter la faute sur les plus petits. Mais c’est l’arbre qui cache la forêt. Je constate d’ailleurs qu’aucune banque située dans les petites places bancaires ou financières n’a subi de difficultés. La vraie crise est venue des prêts dits « subprimes » destinés en grande partie aux ménages américains défavorisés à qui on a accordé des crédits pour acheter des maisons, quelquefois même à hauteur de 95 %.
Ces crédits, et d’autres produits encore plus risqués, ont par la suite été placés au sein d’instruments structurés et distribués dans le monde pour devenir ce que l’on désigne maintenant par les termes de « produits toxiques ». Qu’ont ceux que l’on appelle – d’ailleurs injustement – les « paradis fiscaux » à voir avec cela?? La crise est née, et tout le monde le sait, d’un problème de manque de surveillance au niveau des grands pays et de négligences de la part des agences de rating, pour ne pas parler des grandes institutions financières.

TRANSPARENCE FISCALE

M.H.?: Monaco a été audité lors de la phase I du Forum de transparence fiscale de l’OCDE. Comment voyez-vous le contrôle continu mis en place par cet organisme, qui s’est réuni récemment aux Bermudes??
M.P.?: Lors de ce processus d’évaluation, Monaco a passé la phase I, ce qui prouve que la Principauté joue le jeu. Notre délégation était présente à la réunion des Bermudes où désormais, même de grands pays ont été interpellés pour certaines de leurs dispositions légales.
En 2009, cette initiative avait été marquée par un côté de propagande, visant à cacher les dysfonctionnements de la régulation internationale de la part de grands pays. J’espère que désormais cet exercice sera placé sur un plan vraiment technique et objectif, notamment lors de travaux de la phase II. Si tel est le cas, les efforts accomplis par Monaco ne pourront qu’être reconnus par la communauté internationale.

M.H.?: L’OCDE reproche à Monaco de ne toujours pas avoir signé d’accord de coopération fiscale avec l’Italie. C’est en cours??
M.P.?: Nous avons déjà 9 accords signés et 1 paraphé avec des pays de l’Union européenne. Des contacts existent pour faire de même avec d’autres pays de l’Union. D’ailleurs, lors de ces réunions du Forum, la délégation monégasque entretient des échanges techniques avec celles de nombreux autres pays, y compris l’Italie. Nous y travaillons sérieusement.

M.H.?: Ces accords de transparence fiscale ont inquiété les acteurs de la place financière??
M.P.?: Monaco ne peut pas rester à l’écart d’une coopération internationale, qui se doit d’ailleurs respectueuse de nos spécificités. Mais si on devait se réduire à un microsystème fermé sur nous-mêmes, on n’arriverait certainement pas à se développer et à attirer de nouveaux flux économiques et financiers.
D’ailleurs, je ne vois pas pourquoi les banquiers seraient inquiets car Monaco n’est ni un « paradis fiscal » ni une place financière « offshore ». La notion d’offshore est plutôt liée à certaines juridictions qui ont favorisé la création des banques destinées à travailler uniquement avec une clientèle internationale ou ils ont accordé des avantages fiscaux spécifiques à des résidents étrangers. Or à Monaco, il n’y a pas de banques onshore et offshore, ou de régime fiscal différencié entre nationaux et étrangers. Il n’y a jamais eu d’impôt sur le revenu pour qui que ce soit, tout simplement parce que l’impôt sur le revenu a été dans la plupart des cas introduit pour financer les guerres coloniales ou mondiales. C’était donc un impôt pour la guerre, comme l’impôt sur les successions est un impôt sur la mort. Monaco, petit Etat pacifique, n’avait pas besoin de lever cet impôt.

M.H.?: Deux tiers de la clientèle de la place monégasque sont pourtant des non-résidents??
M.P.?: Il ne faut pas faire d’amalgame entre argent des non-résidents et argent non déclaré. Tous les non-résidents ne sont pas nécessairement en infraction avec la loi fiscale de leur pays de résidence. Par exemple, beaucoup d’Italiens ont régularisé leur situation par le biais du Scudo fiscale et ils ont en bon nombre souhaité garder leurs avoirs en principauté, en toute transparence.

M.H.?: Suite à la signature des accords de transparence fiscale, combien de demandes de renseignements avez-vous reçu et traité??
M.P.?: Une seule, elle vient d’arriver. Un pays nous a fait une demande préalable. On va d’abord vérifier si elle remplit toutes les conditions pour passer le stade préliminaire. Et dans ce cas elle sera examinée par la commission chargée d’en déterminer le bien-fondé.

PLAFONNEMENT DE LA PLACE

M.H.?: Comment analysez-vous les chiffres de la place?? Selon Etienne Franzi, la place plafonne??
M.P.?: Fatalement, entre la crise des marchés et le Scudo fiscale qui a entrainé un rapatriement d’une partie de fonds italiens, c’est normal que la place plafonne. D’autant que l’Europe est globalement en réduction nette de création de richesse. Par ailleurs, à Monaco, place cosmopolite, beaucoup d’actifs sont détenus en dollars. Plus le dollar est faible, plus la place est impactée.

M.H.?: Comment développer la place financière selon vous??
M.P.?: La qualité est essentielle dans un contexte de globalisation. A Monaco, toutes les banques sont stables mais logiquement, il y en a qui se développent mieux car elles offrent des services plus performants ainsi qu’un network international. C’est sans doute dans cette direction qu’il faut travailler.

M.H.?: Miser uniquement sur le private banking, c’est satisfaisant??
M.P.?: Certains entrepreneurs se plaignent effectivement que les banques de la place soient trop orientées sur le private banking et délaissent le corporate banking. Au risque que ces acteurs économiques, tout en résidant à Monaco, préfèrent déposer leurs fonds au Luxembourg ou en Suisse, qui offrent des services d’appui à l’exportation ou au trading. Il faudrait donc développer davantage ces autres axes puisqu’il est important de se diversifier et de ne pas s’appuyer sur une seule jambe.

FONDS DE RESERVE

M.H.?: Monaco est l’un des rares pays à ne pas être endetté, et cela, grâce à son fonds de réserve. Combien de temps cela durera-t-il?? Le fonds de réserve ne peut plus financer 4 budgets comme par le passé et le gouvernement y pioche allègrement??
M.P.?: Il y a un effet négatif de ciseau. Le fonds de réserve baisse, notamment en raison d’opérations immobilières qu’on lui a fait supporter, tandis que les déficits budgétaires augmentent. Cette situation m’inquiète et je voudrais que rapidement il y soit apportée une réponse concrète. Le gouvernement s’est clairement exprimé au mois de mai dernier pour dire qu’il fallait dépenser moins pour dépenser mieux?: le fonds de réserve n’est pas la banque du gouvernement. Il est une réserve stratégique dont les revenus doivent être capitalisés pour compenser l’inflation et non être utilisés pour financer les déficits. Monaco, dont l’économie dépend de manière prépondérante de l’étranger, a le devoir pour les générations futures de préserver et renforcer son parachute financier.

M.H.?: Le fonds de réserve finance actuellement la Tour Odéon ou encore la ZAC Saint-Antoine. Est-ce sa vocation et poursuivra-t-il de tels investissements à l’avenir??
M.P.?: Comme je viens de le dire, ce n’est clairement pas la vocation du fonds de réserve de financer de telles opérations. Je m’efforcerai, dans la mesure de mes prérogatives de conseiller de gouvernement, à ce que ce type d’investissements ne se reproduise pas à l’avenir.

ARBITRAGES BUDGETAIRES

M.H.?: Que ce soit pour le budget rectificatif 2011 ou le primitif 2012, des arbitrages vont êtres opérés. Lesquels??
M.P.?: Le niveau de recettes – pour le moment meilleures que l’an passé mais moins bonnes que celles prévues au primitif 2011 – exige effectivement de tirer sur le frein. S’agissant du budget 2011, on part d’un déficit prévisionnel de 94 millions d’euros?! C’est un des plus élevés jamais voté. Or, les rentrées de TVA ne sont pas globalement au rendez-vous?; en effet, notre économie est très largement dépendante de l’économie des pays voisins. La prudence et la discipline sont vraiment nécessaires.

M.H.?: Selon les dernières estimations, Monaco est-il en sortie de crise?? Quels sont les niveaux de recettes pour le premier trimestre 2011 (TVA, droits de mutation, etc)??
M.P.?: Il y a effectivement quelques signes de sortie de crise mais pas aussi forts et marqués qu’on avait pu l’anticiper sur la base du dernier trimestre 2010, et tel est le cas dans beaucoup d’autres pays. Côté chiffres, je préfère parler en année pleine et ne veux donc pas tirer des conclusions hâtives sur la base de données trimestrielles.

M.H.?: Les autres Etats communiquent pourtant ces résultats trimestriels, en toute transparence??
M.P.?: Oui mais beaucoup le regrettent (sourire)… Dans le cas de Monaco, nos chiffres sont communiqués régulièrement au conseil national, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont caractérisés par une forte saisonnalité liée au profil de notre économie et par la petite taille du pays?; c’est pour cette raison, je crois, qu’un simple trimestre n’est pas vraiment significatif.

IMMOBILIER

M.H.?: Comment se porte l’immobilier monégasque selon vous?? C’est toujours la crise pour les ventes et locations??
M.P.?: Il y a toujours des investisseurs, aussi hors zone euro, qui recherchent des produits immobiliers de qualité à Monaco. Il s’agit souvent de grosses fortunes qui sont intéressées par des immeubles haut de gamme. Le modèle immobilier de Monaco, basé sur la clientèle traditionnelle de la bourgeoisie française, italienne ou anglo-saxonne, doit à mon sens évoluer pour satisfaire aussi les nouvelles élites internationales, habituées à un luxe plus contemporain et à des prestations de très haut niveau. Les bons produits font le bon marché et il faut ainsi cibler la clientèle idoine pour les décennies à venir.

M.H.?: Selon certains agents immobiliers, les transactions sont pourtant bloquées tant que le texte sur les droits de mutation n’aura pas été présenté et voté le 28 juin??
M.P.?: Les ventes ne sont pas bloquées car je vois passer des transactions très importantes, de quelques dizaines de millions d’euros, venant d’investisseurs qualifiés qui achètent des immeubles de prestige. Je ne pense pas qu’il y ait eu un vrai impact négatif lié à la réflexion en cours visant à rééquilibrer et harmoniser la législation en matière de droits de mutation. Je suis pour autant conscient qu’il n’y a rien de pire pour le marché que l’incertitude et d’ailleurs le projet de loi en question vient d’être déposé officiellement auprès du conseil national.

ATTRACTIVITE

M.H.?: Vous parlez d’attractivité mais pour attirer de riches investisseurs et leurs familles, il faut leur offrir un cadre de vie attractif, avec des activités culturelles et des animations. Or, cela semble remis en cause par les restrictions budgétaires actuelles??
M.P.?: Les mesures d’économie ne seront pas plus ciblées sur la Culture que sur les autres politiques publiques. Ceci dit, mon avis est qu’il faut donner à ceux que vous appelez à juste titre les riches investisseurs étrangers ce qui les distrait et non pas uniquement ce qui nous distrait nous. Cela vaut aussi pour ceux qui sont déjà résidents à Monaco et dont la moyenne d’âge baisse et les goûts changent en conséquence.
C’est donc notre challenge?: adapter continuellement notre « menu d’attractivité » afin de rester en phase avec les penchants des nouvelles élites économiques internationales.

M.H.?: Mais qu’est-ce qui les amuse selon vous??
M.P.?: Il faut se rendre à l’évidence que, pour ne citer qu’un exemple, les passions des riches russes d’aujourd’hui ne sont sans doute plus celles des grands ducs du siècle dernier. A Monaco, ils recherchent quelque chose de trendy, comme par exemple des concerts de grandes vedettes, mais proposés dans des écrins prestigieux. Si l’on pouvait étaler la saison du Sporting sur toute l’année, notamment dans les périodes creuses, ce serait idéal.

M.H.?: En résumé, le goût des riches se porte davantage sur Beyoncé que par exemple, sur la programmation actuelle de l’Opéra selon vous??
M.P.?: Je ne dis pas cela mais idéalement, si on avait des mines d’or ou des ressources en pétrole, on pourrait offrir de tout. Malheureusement, ce n’est pas le cas et il faut faire des choix selon ce qui vraiment rapporte à Monaco en matière de clientèle fortunée. Il ne faut pas oublier que c’est à cette clientèle que nous devons, en grande partie, notre prospérité et notre système social, sans égal en Europe.

M.H.?: Monaco a pourtant fait des « gros coups culturels », médiatiques et grand public, comme l’expo Damien Hirst??
MP.?: Il faut cibler un public d’exception en faisant venir à Monaco chaque fois des évènements exceptionnels au goût du public. Un exemple très récent, c’est la venue à Monaco de l’Orchestre philharmonique de Vienne avec le Chef Zubin Mehta et le grand pianiste Daniel Barenboim. Je pense que ce type d’événements classiques exceptionnels, s’ils étaient proposés régulièrement, serait aussi de nature à faire venir à Monaco la grande clientèle internationale.

M.H.?: Les acteurs culturels locaux ont donc raison d’être inquiets??
M.P.?: On est tous inquiets. Tout le monde doit se remettre en question, en permanence. Bien entendu, ce que je viens de dire plus haut n’est que mon opinion personnelle et d’ailleurs je ne suis pas en charge de la Culture. C’est le gouvernement, collectivement et sous l’autorité du Ministre d’Etat, qui proposera au prince Albert II les économies à faire nécessairement en 2012. Ces économies devront être équitablement supportées par tous, services de l’Etat comme institutions recevant des subventions.

M.H.?: Vous êtes optimiste??
M.P.?: Je reste optimiste, car Monaco a toujours su s’adapter. Ainsi, la création de Monte-Carlo à l’époque du rattachement à la France de Roquebrune et Menton, ensuite – entre les deux guerres – la reconversion en destination d’été ou, après la crise franco-monégasque de 1962, en sachant se tourner vers une nouvelle clientèle européenne qualifiée et qui dans beaucoup de cas a par la suite établi sa résidence en principauté. Aujourd’hui, il faut savoir évoluer dans le sens de la mondialisation en devenant attractif pour de nouveaux marchés, qu’il s’agisse de la New Europe, du Moyen et de l’Extrême Orient ou bien de l’Amérique Latine.

FOOTBALL

M.H.?: Et le foot?? Monaco a-t-il encore les moyens d’avoir un grand club?? Et est-ce à l’Etat ou à la SBM de le financer??
M.P.?: La contribution de la SBM est destinée à prendre fin avec la saison 2011-2012. Par ailleurs, les dirigeants du club examinent actuellement, en concertation avec le gouvernement et de manière pragmatique, les possibilités concrètes de relancer ce club glorieux et de renforcer sa structure, dans le but d’en assurer la pérennité et l’autonomie financière.

HÔPITAL

M.H.?: Vous étiez favorable à la construction du nouvel hôpital?? C’est une charge sur le plan budgétaire au moment où des restrictions sont prévues??
M.P.?: Je ne suis pas un expert dans la matière mais je remarque que ce projet dégage un certain consensus. En ce qui concerne les problématiques budgétaires, il s’agira d’un des plus chers équipements jamais construits à Monaco et dont les travaux devront s’étaler sur plus d’une douzaine d’années. Puisqu’il est exclu de faire supporter cette nouvelle charge au fonds de réserve, il faudra dès maintenant provisionner chaque année 50 millions d’euros environ et les isoler sur un compte spécial qui puisse rapporter des intérêts et compenser ainsi l’inflation. En d’autres mots, il faudra opérer des arbitrages importants, reporter d’autres opérations et faire des économies significatives et structurelles.

M.H.?: Vous avez des pistes d’arbitrages??
M.P.?: Bien sûr. Mais c’est au gouvernement dans son ensemble de les valider. Je pense cependant que si l’on veut lancer ce projet dès maintenant, le budget 2012 devra déjà prendre en compte ces arbitrages et prévoir cette provision de 50 millions d’euros.

M.H.?: La campagne de communication coûte cette année 5 millions d’euros au budget de l’Etat. C’est un budget à couper selon vous??
M.P.?: C’est difficile à juger. Comme je l’ai dit plus haut, il faut savoir s’adapter rapidement aux temps qui changent. L’idée était excellente il y a un an, mais elle est devenue peut-être moins prioritaire maintenant.

M.H.?: Comment comptez-vous maintenir la programmation domaniale pour 2013 alors qu’il manque une centaine d’appartements??
M.P.?: Le gouvernement compte respecter les objectifs 2013, avec une marge raisonnable de quelques unités en plus ou moins, ou de quelques mois par rapport à la programmation initiale. Mais l’engagement sera tenu.