vendredi 26 avril 2024
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Jean-Luc Nguyen : « Donner aux futurs habitants une compréhension de ce qu’on veut faire »

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Jean-Luc Nguyen, directeur des travaux publics de la principauté,

a reçu Monaco Hebdo pour faire un point d’étape sur le chantier d’extension en mer. Le futur écoquartier l’anse du Portier veut se doter de labels pour attester des efforts réalisés en matière de préservation de l’environnement. Jean-Luc Nguyen admet qu’il faudra ajouter une pédagogie aux bonnes pratiques pour les futurs résidents.

La phase de déversement du sable dans le lac a débuté : que pouvez-vous nous dire de l’avancement des travaux ?

Vous avez pu constater en juillet que la ceinture de caisson était terminée. A partir de ce moment-là, on est rentré dans une nouvelle phase de travaux. Ce qui est en cours, c’est du côté Larvotto, il y a un remblai sur lequel on vient mettre des blocs de béton. Là, il y a beaucoup moins de profondeur, donc on ne peut pas faire les mêmes caissons pour terminer l’extension jusqu’à la digue du Larvotto. Et c’est en septembre 2019 que le dernier caisson est arrivé devant le Fairmont : il ne fait pas partie de la ceinture et doit protéger le futur port d’animation de la houle. Dès le mois de juin, côté Fairmont, vous avez pu constater que le remblai avait commencé. Ça fait un moment qu’on peut passer à pied. On vient de mettre le sable, ça sera terminé à la mi-décembre 2019.

Il s’agit de sable qui provient de Sicile, c’est bien ça ?

Non, il y a eu un changement d’origine, car les autorités siciliennes n’ont pas laissé l’entreprise qui avait l’exploitation prendre ce sable pour le mettre à Monaco. L’entreprise s’est réorganisée pour acheminer le sable provenant de deux carrières françaises [dans le Var — N.D.L.R.] et italienne. Ça va être amené par des navires un peu plus petit d’ailleurs que ceux présentés dans le film d’animation.

Quelle est l’étape suivante ?

En juin-juillet 2019, l’entreprise a commencé à remblayer. Quand le remblai sera fini, on mettra des pieux. Tous les bâtiments vont être fondés sur des pieux. Cela va être assez long, puisque cela va durer deux ans. Après la mise en place de ces pieux, on pourra commencer à faire les planchers. Globalement, les travaux d’aménagement vont commencer en 2021.

Pour l’instant aucun couac à signaler, le calendrier est respecté ?

Oui, à part quelques petits changements de matériaux. Et aussi la pose des caissons dont le phasage a été changé. On les a fait se rejoindre, plutôt que de les aligner. Ce sont les principaux changements.

Concernant la dimension écologique du chantier, largement mise en avant, où en est-on et qu’en est-il des réserves attenantes du Larvotto et des Spélugues, notamment avec le déplacement des posidonies ?

Le travail de surveillance des deux zones se poursuit. Il y a des plongées régulières, tous les deux mois en cette saison. Il est clair que depuis quelque temps, on est sorti des phases de travaux qui créent le plus de turbidité [opacité de l’eau due aux matières en suspension — N.D.L.R.]. Depuis que la ceinture de caisson a été mise en place, il y a beaucoup moins d’épisode de turbidité.

Avez-vous observé une baisse de la turbidité ?

Oui. Lorsque les travaux sont confinés, on l’a vu cet été, cette zone à l’arrière des caissons avait de l’eau avec énormément de matière en suspension. Ça donnait une couleur de lagon, avec un vert un peu artificiel. On se serait cru dans un lac de montagne. Dès que la ceinture a été terminé, la turbidité n’est plus ressortie.

Vous avez des chiffres sur la turbidité ?

Nous avons des mesures en temps réel dans une unité qui s’appelle le Ntu pour mesurer la clarté de l’eau. Ça, c’est en instantané. Mais ce qui compte, c’est l’effet cumulatif et temporel dans la durée de la turbidité. Nous avons des indicateurs de vitalité de l’herbier de posidonie. On regarde les réserves de la plante. On fait des prélèvements de la plante tous les trois mois. Ces prélèvements sont analysés pour savoir la quantité de réserve dans la plante. En saison printanière et estivale, l’herbier reçoit de la lumière et c’est comme cela qu’elle se constitue des réserves. En automne et en hiver, elle a moins de lumière car les journées sont plus courtes et elle va puiser dans sa réserve pour se maintenir. Effectivement, lorsqu’on crée de la turbidité, des épisodes chroniques, le rayonnement servant à la photosynthèse est moindre. Et donc l’herbier fabrique moins de réserve. C’est ce qui est suivi par les experts. On a effectivement constaté, en 2019, que les épisodes de turbidité chroniques étaient plus importants. Pour l’année 2020, la tendance, c’est que les réserves de posidonies sont en train de remonter.

Et concernant les Spélugues ?

Du côté du tombant des Spélugues [paroi rocheuse et coralligène sous-marine située sous Monte-Carlo — N.D.L.R.], c’est une autre problématique. Il faut s’assurer que la matière en suspension ne se dépose pas sur certaines zones pour recouvrir des espèces patrimoniales comme les coraux. Le tombant a été complètement répertorié. On a une connaissance extrêmement précise du tombant avec toutes les zones où il y a des espèces patrimoniales. Il y a des plongées régulières pour aller vérifier le comportement de ces espèces. Pendant la phase chantier, il y a un an, la nature des travaux a beaucoup changé. Au moment du dragage [action qui consiste à déblayer un fond marin — N.D.L.R.] en 2017, l’entreprise a mis au point des méthodes de nettoyage du tombant par des courants d’eau. Il y a une vitesse de courant optimale pour dégager les sédiments. Bon, évidemment, les sédiments une fois décollés tombent au fond. Mais le tombant étant assez vertical, l’idée c’est que les zones supérieures ne soient pas trop recouvertes. Ce suivi est réalisé comme pour l’herbier avec des outils visuels comme la photogrammétrie [prise de vue photo avec une cartographie — N.D.L.R.]. Ces engagements environnementaux de suivi des impacts du chantier et de mesures correctrices ont été faits.

Il semble avoir en effet un réel effort sur la durée du chantier : mais qu’en est-il de l’impact à plus long terme avec l’activité humaine qui sera créée sur cette zone, et notamment le nouveau port ?

Il est clair que nous avons une problématique avec la principauté. La façade maritime correspond à un contact avec le milieu naturel. Malheureusement, on ne peut pas imaginer que la nature se retrouve au milieu de nulle part. Monaco est une zone urbaine dense. Nous ne sommes pas dans une réserve naturelle, sans environnement anthropique. Ce n’est pas propre à l’extension en mer, c’est partout. Nous avons un littoral urbanisé. Vous avez noté que lors de la réalisation de ce projet en mer, il y a eu des engagements pris par les entreprises pour un suivi des impacts environnementaux pendant dix ans après la fin du chantier. Donc jusqu’en 2035. Mais vous avez certainement en tête que la principauté, elle-même, via la direction de l’environnement, assure un suivi du milieu marin depuis bien avant le chantier, et elle continuera de le faire bien après. Le milieu marin de la principauté est particulièrement bien suivi. Toutes nos activités ayant un impact sur le milieu marin doivent être surveillées. On parle du chantier, mais il y a aussi des problématiques de pollution, de déchets, de mouillage. C’est une zone où il y a de l’activité humaine, de toute façon.

Concernant l’obtention des différents labels que vous pourchassez si l’on peut dire, où en est-on ?

Tous les labels annoncés sont toujours d’actualité : BREEAM, HQE Aménagement, Biodivercity, Ports propre, Espace vert écologique… Dans n’importe quel projet de construction, il y a des phases d’évaluation du projet pour s’assurer qu’on est bien sur la trajectoire qui va mener à la délivrance du label. Pour chaque label, dès le stade des études, on s’assure que ce qui est conçu est compatible avec le label. C’est à partir du moment où on va faire des aménagements de surfaces. Dans le label haute qualité environnementale (HQE), on a prévu une certaine source d’énergies renouvelables. Le solaire et la thalassothermie. On peut déjà constater que le solaire est au rendez-vous avec la toiture du Grimaldi Forum [à ce sujet, lire Monaco Hebdo n° 1122]. On l’avait imaginé pour le projet d’extension en mer, et on l’a réalisé par anticipation. Le réseau thalassothermique du quartier est le même que celui du Larvotto. Au niveau des travaux de surface, les végétaux sont déjà commandés, concernant les labels HQE et Biodivercity. A chaque stade, des décisions sont prises pour que les différentes composantes du label soient bien en place.

Comment avez-vous choisi les labels et pourquoi ne pas avoir choisi le label écoquartier délivré par le ministère français de la Transition écologique, qui est, a priori, plus contraignant ?

Je ne sais pas ce que vous entendez par plus contraignant. Il se trouve que je viens du ministère de la transition écologique. On a fait une analyse de tous les labels existants. Leed, Breeam, HQE, etc. On a regardé ce qui est le plus pertinent. Il faut avoir en tête une chose. La vraie question est de savoir quelle est la performance réelle par rapport à la performance imaginée. Il faut regarder comment la performance réelle est mesurée. On a fait une évaluation d’un certain nombre d’écoquartiers français. Il y a des écarts d’énergies entre ce qui était prévu et ce qui est mesuré. Ce qu’on essaye de faire, c’est que l’écart reste compatible avec les meilleurs écoquartiers internationaux et français. Notre raisonnement n’a pas été que français. On n’a pas cherché à faire de la labellisation pour le nom. Ce qui compte, c’est comment en termes de performances on se situe par rapport aux meilleures pratiques.

C’est-à-dire ajuster le label à votre réalité ?

Oui.

En termes de contraintes, le label écoquartier français prend en compte 20 dimensions, notamment sociale : n’est-ce pas celle qui manque dans l’Anse du portier, puisqu’il n’y aura pas de logements domaniaux réservés aux Monégasques ?

Le programme du quartier de l’extension en mer a, dès l’origine, été défini comme une opération immobilière sans logements domaniaux. La question du prérequis peut se poser. Ça m’intéresse, si vous avez des expériences d’écoquartier achevées avec un bilan d’exploitation très intéressant. On a fait ce travail. Quand vous regardez leur consommation d’énergie, entre la cible initiale et le résultat, le rapport va de 1,5 à 4. C’est ça la réalité des écoquartiers. Il faut qu’on l’accepte. L’écoquartier, c’est au-delà de la cible. La labellisation permet de valoriser une réflexion. Ce n’est pas une norme industrielle. Quand vous achetez un produit industriel avec une certaine norme, vous pouvez vous attendre à une certaine consommation d’énergie. Dans le domaine de la construction, on a encore cette zone essentiellement liée à la capacité de concilier des objectifs environnementaux et énergétiques notamment avec le comportement des usagers. Si vous avez un immeuble très performant, mais assez complexe dans l’utilisation quotidienne, les usagers peuvent ne pas se comporter de la manière qu’il faudrait. Pour dire les choses de manière moins théorique, si vous fabriquez des automatismes partout qui détectent que nous sommes trois dans la pièce, le taux de CO2, la température qu’on dégage etc., le débit d’air s’ajuste. Là, l’usager n’a rien à faire. Mais si vous dites « l’immeuble est performant, tout est prévu », mais que la personne doit aller éteindre la lumière… Ce sont des choses qu’on constate d’ailleurs dans les bureaux.

Du coup, ici, ce sera l’intelligence artificielle, via la domotique [c’est-à-dire les techniques qui permettent de contrôler, d’automatiser et de programmer une habitation] qui détectera ce qu’il convient de faire selon le contexte, ou bien ce sera les usagers dans les immeubles ?

Si on veut que les performances réelles soient les plus proches de ce qui a été conçu, il faut essayer de réduire l’impact du comportement humain. Les écoquartiers qui fonctionnent assez bien en termes de résultat final, j’en ai visité en Suède notamment, sont avec des populations assez homogènes. Ce sont presque des militants. Ils sont convaincus.

Si on va dans un écoquartier, c’est qu’a priori, on est déjà à peu près convaincu ?

Oui. J’ai visité un écoquartier en Suisse, c’est pareil. Le fait de sortir ses sacs poubelles et d’aller aux bornes de tri sélectif en bas de l’immeuble… Ce sont des démarches qui, dans certains pays, sont plus naturelles. En gros, lorsque vous avez des solutions techniques mais qui nécessitent des gros changements de comportements, on peut observer des distorsions.

Et là, à Monaco, y aura-t-il besoin d’éduquer aux bonnes pratiques les personnes qui vont investir les lieux ?

C’est un challenge. On est dans des profils d’occupants habitués à du haut-de-gamme. Il faudra leur donner aussi une compréhension de ce qu’on veut faire. C’est toute la subtilité de l’exercice. Ça se traduit aussi par des sujets un peu contraignants. Les habitants du quartier ne pourront pas rouler en surface. Sauf des taxis, livraisons ou autres. Ils arrivent dans la zone et posent leur véhicule. Le reste des déplacements se fait à pied. C’est un choix qui peut avoir une certaine répercussion sur le mode de vie des gens. Le reste, comme l’usage de source d’énergie renouvelable pour le chauffage et la climatisation, sera relativement invisible pour eux. La source d’énergie change assez peu leur appareillage. Les applications sur smartphone qui marchent le mieux sont les plus simples à utiliser. Il faudra que le système se fasse un peu oublier.

Est-ce que l’Anse du Portier sera autonome avec la centrale thermique qui a été installée ?

Non. Le solaire ne peut pas couvrir tous les besoins électriques. Pour le chauffage et la climatisation, il n’y aura pas besoin d’autres énergies. Enfin, une nuance tout de même. La thalassothermie fonctionne sur la base de pompe à chaleur. Elle a tout de même besoin d’électricité pour fonctionner. Son intérêt, c’est que pour produire 1 kWatt/heure d’énergie, chaud ou froid, l’électricité consommée c’est 0,25 kWatt/heure. Pour ce quartier, on vise 40 % de couverture par des énergies renouvelables. On n’a pas été dans une logique de quartier complètement autonome, compte tenu de cette dépendance à l’énergie électrique.

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