jeudi 25 avril 2024
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Didier Gamerdinger : « La paix sociale, tout le monde y veille »

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Manifestations contre le passe sanitaire, protestations contre la vaccination obligatoire des soignants, prolongation des aides de l’État… Les sujets de désaccord entre le gouvernement et les partenaires sociaux ne manquent pas en principauté. Didier Gamerdinger, conseiller-ministre aux affaires sociales et à la santé, fait le point sur les dossiers chauds d’une rentrée sociale sous tension.

Comment jugez-vous l’état du climat social de cette rentrée 2021 ?

Il faut distinguer deux choses. Habituellement, quand on parle de climat social, on évoque essentiellement la relation employeurs-salariés-gouvernement. Cette année, elle est un peu différente, puisque des manifestations se sont tenues non pas sur des sujets traditionnels (relations de travail, pouvoir d’achat…), mais sur l’obligation vaccinale qui est plus sanitaire que social.

Quatre manifestations ont eu lieu en une dizaine de jours depuis la rentrée : c’est historique à Monaco ?

Le ministre a dit que chacun, dans ce beau pays, avait le droit d’avoir ses idées et de manifester paisiblement. C’est un droit constitutionnel et le gouvernement l’accompagne. On a le droit de se poser des questions, ça ne me choque pas. On a le droit de ne pas souhaiter la vaccination pour soi-même, je peux le comprendre. En revanche, pour moi, on n’a pas le droit d’énoncer des contre-vérités. Quand je lis que nous voulons vacciner les bébés, le ministre a répondu que ce n’était absolument pas le cas. Quand je lis que des gens se trouvent en réanimation en raison de l’intolérance à la vaccination, c’est inacceptable car c’est totalement faux. Et quand on commence à mettre en avant des éléments qui sont manifestement faux, quand on désinforme, ça signifie que ça ne va pas. Réfléchir, se poser des questions c’est légitime, désinformer le grand public ce n’est pas possible.

Cette désinformation n’est-elle pas due à un manque de communication du gouvernement ?

Nous avons largement communiqué. Nous avons été attentifs à ne pas surcommuniquer, car quand vous communiquez trop, ça devient presque suspect aux yeux des personnes réfractaires. Nous avons donc cherché à trouver la bonne mesure dans la communication pour diffuser très largement des éléments d’information sur ce vaccin. Mais cet exercice trouve sa limite dans l’absence absolue de souhait d’entendre. La discussion a eu lieu avec les personnes qui ne souhaitent pas le passe sanitaire, ni la vaccination. Elles ont été reçues par le ministre d’État. On prête au gouvernement des intentions inavouées. On entend dire : « Le gouvernement ne nous dit pas tout, on nous cache des choses et on nous ment ». Cette démarche est typiquement complotiste. Il faut donc rester raisonnable entre nous, mais veiller à ce que les échanges soient assis sur des informations exactes, partagées et accessibles.

Entendez-vous les arguments des soignants qui ne souhaitent pas se faire vacciner ?

Je les comprends moins quand il s’agit d’un soignant. Car être un soignant n’est pas une activité comme une autre. J’ai beaucoup de respect pour les soignants, pour les personnes qui travaillent auprès des personnes âgées car il faut beaucoup de qualités humaines. On leur demande de comprendre que cette obligation vaccinale influe. Et son principe n’est pas nouveau, puisqu’il existe déjà des vaccinations obligatoires pour les soignants.

© Photo Conseil National.

« Le ministre a dit que chacun, dans ce beau pays, avait le droit d’avoir ses idées et de manifester paisiblement. C’est un droit constitutionnel et le gouvernement l’accompagne »

Didier Gamerdinger

Des soignants ont manifesté contre l’obligation vaccinale, mardi 14 septembre 2021 : comment allez-vous gérer les tensions et renouer le dialogue entre les différents acteurs ?

Je considère que nous avons affaire à des personnes intelligentes. Les syndicats ont droit de promouvoir les sujets qu’ils défendent. Nous avons des discussions avec eux, et ce n’est pas parce que nous ne sommes pas d’accord que nous ne discutons pas. À l’heure actuelle, il peut y avoir des crispations. Elles peuvent s’atténuer si la loi est votée mardi par le Conseil national [cette interview a été réalisée le lundi 13 septembre 2021 – NDLR]. Nous avons pu constater que des dispositifs assez proches étaient entrés en vigueur chez nos voisins italiens et français. Nous poursuivons les discussions avec les responsables des trois grandes structures de soins de la principauté et les personnes concernées pour leur faire comprendre que nous avons besoin d’elles. Je ne crois pas que la situation que nous vivons soit de nature à mettre gravement en cause le dialogue social à Monaco car il a toujours perduré et il faut qu’il continue.

Monaco a voulu, jusqu’à présent, ne pas suivre les exemples des autres pays : pourquoi s’est-elle alignée sur ses voisins pour la vaccination obligatoire ?

Au début de l’été 2021, nous avons constaté que même si le nombre de vaccinés augmentait progressivement dans les structures de santé, nous étions quand même assez loin de l’objectif. Celui-ci consistait à avoir une couverture vaccinale satisfaisante car nous étions aux alentours de 60 % de personnes vaccinées, et il restait donc un pourcentage assez conséquent de personnes qui ne l’étaient pas. Par ailleurs, nous avons eu une discussion avec les responsables des structures de soins, avec des médecins, des scientifiques… et nous avons eu le sentiment que ne rien faire n’était pas très responsable. Il est vrai que nous n’étions pas obligés de suivre ce que font nos voisins mais il est plutôt intelligent de regarder ce qui se passe autour de nous, notamment en termes de politiques publiques. Cela nous accompagne dans notre prise de décisions. C’est un processus de maturation qui est plus ou moins partagé entre les États en fonction de leurs habitudes, de leur sociologie, de leur système juridique. L’annonce du dépôt du projet de loi a d’ailleurs généré une augmentation du nombre de vaccinations de ces professionnels. Cela signifie qu’il y a eu une prise de conscience et que le dialogue a porté ses fruits. Le mouvement s’est amorcé, et c’est ce que nous souhaitions.

L’obligation vaccinale ne met-elle pas en péril la solidarité qui est née pendant l’épidémie ?

Nous allons voir comment les choses vont se passer. Mais je ne le pense pas, car quand les équipes de soins ont traversé ce qu’elles ont traversé depuis un an et demi maintenant, elles ont été extrêmement sollicitées avec un engagement auprès des patients, des personnes qui se sont remplacées… Elles étaient très unies. Je ne pense pas que le fait que certains des soignants se posent des questions conduit à ce qu’ils soient rejetés par les autres membres de la communauté médicale ou soignante. Je n’ai pas eu d’échos dans ce sens. J’ai pu avoir des échos d’incompréhension, mais je n’ai jamais entendu des soignants dire qu’ils rejetteraient la personne soignante qui se pose la question. Je ne crois pas qu’il y ait de phénomène de rejet ou d’ostracisme au sein des équipes soignantes.

Avez-vous consulté tous les acteurs concernés par ce projet de loi ?

Nous avons institutionnellement consulté le comité monégasque sur la vaccination. Nous avons consulté sur le principe vaccinal, l’ensemble des responsables de structures de santé du pays. Et j’ai appelé personnellement, toujours sur le principe de l’obligation vaccinale, le président de l’ordre des médecins, un membre du bureau des chirurgiens-dentistes, le président des kinésithérapeutes, le président des ostéopathes et la présidente des infirmières libérales de Monaco, ainsi que le commandant supérieur de la force publique pour les pompiers. Comme des non-professionnels sont aussi concernés, des intervenants bénévoles, j’ai téléphoné à la Croix-Rouge monégasque, les associations Jusqu’au terme accompagner la vie et Écoute, cancer et réconfort, pour leur annoncer ce qu’on envisageait, et leur demander leur avis.

«  La discussion a eu lieu avec les personnes qui ne souhaitent pas le passe sanitaire, ni la vaccination. Elles ont été reçues par le ministre d’État. On prête au gouvernement des intentions inavouées. On entend dire : « Le gouvernement ne nous dit pas tout, on nous cache des choses, et on nous ment ». Cette démarche est typiquement complotiste »

Didier Gamerdinger

Quelle a été leur réaction ?

Ils ont trouvé que c’était normal, car ces associations œuvrent auprès de personnes fragiles et elles comprennent qu’il ne faut pas prendre de risque. Donc elles l’ont acceptée.

Et par rapport aux sanctions ?

Je les ai davantage interrogés sur le principe même de l’obligation vaccinale. Après, faute de temps, je ne les ai pas consultés sur l’ensemble des dispositions législatives. Par principe, quand vous posez une obligation, il y a forcément une conséquence au non-respect de l’obligation. Elle n’est pas pénale, mais elle a forcément un lien sur l’activité professionnelle. Si c’est un salarié, c’est la suspension. Si c’est une activité libérale, c’est une suspension prononcée par la direction de l’action sanitaire.

Avez-vous estimé la part des personnes réfractaires à la vaccination ?

Nous savons que certaines personnes vaccinées sont aux côtés des non-vaccinés par principe. Ce qui apparaît chez nos voisins, où l’obligation vaccinale a été posée pour les soignants, c’est que ceux qui se disent réfractaires satisfont à l’impératif légal quand la loi entre en application. Il pourrait y avoir des irréductibles, qu’il faudra prendre en compte. Je ne stigmatise pas, mais je trouve que c’est dommage, parce que quand on est un bon professionnel, quitter le métier, quitter la principauté, quitter sa rémunération pour une question de principe, c’est dommage.

Craignez-vous une paralysie de certains services ?

Nous pensons que la progressivité du dispositif législatif devrait permettre de ne pas mettre les équipes soignantes en difficulté. Et donc, de ne pas mettre en péril l’activité de soins puisqu’il va y avoir un dialogue entre le chef de la structure de soins, le directeur de l’établissement et les salariés concernés. Cela laisse le temps au responsable de la structure de continuer à dialoguer et de prendre ses dispositions pour assurer les remplacements comme quand des personnes sont indisponibles pour différentes raisons. Nous n’anticipons pas d’impact majeur sur l’activité.

Comment expliquez-vous les difficultés de recrutement des établissements de santé monégasques ?

Toutes les structures de santé de France et de Monaco sont confrontées à ces difficultés, car ces métiers nécessitent des qualifications. Et rares sont les personnes à les avoir. Par conséquent, il faut se montrer suffisamment attractif. C’est la raison pour laquelle nous sommes attentifs aux revalorisations salariales. Le gouvernement a décidé d’appliquer les « Ségurs de la santé ». La France nous a communiqué ces éléments, et nous allons les appliquer pour garder ce différentiel favorable à nos soignants en principauté de Monaco par rapport à la France.

© Photo Manuel Vitali / Direction de la Communication

« Les syndicats ont droit de promouvoir les sujets qu’ils défendent. Nous avons des discussions avec eux, et ce n’est pas parce que nous ne sommes pas d’accord que nous ne discutons pas. À l’heure actuelle, il peut y avoir des crispations »

Didier Gamerdinger

Entre la gestion des cas contacts et la vaccination qui ne réduit pas à zéro le risque d’être malade, l’économie monégasque pourrait-elle souffrir et manquer de salariés ?

Nous avons constaté que la gestion des cas contacts a pu avoir des conséquences sur l’activité économique de tel ou tel opérateur économique. Du coup, nous avons peaufiné une réflexion en regardant ce qui se faisait ailleurs. Notre approche a légèrement évolué. Elle consiste désormais à dire que dans le monde de l’entreprise, si un cas index est déclaré, les personnes totalement vaccinées ne sont pas automatiquement à l’éviction. Une personne qui était auparavant considérée comme à risque, peut être sous-évaluée à risque modéré parce qu’elle est vaccinée. Dans ce cas, on la teste à J-1, ce que l’on ne faisait pas avant, pour déterminer si elle a été contaminée par le virus. Puis, on la reteste à J-5. De cette manière, on ne désorganise pas l’activité économique, ni le salarié et on n’impacte pas son revenu non plus.

Et pour les autres ?

Le cas particulier, c’est celui de la contamination acquise en famille. Le risque est plus élevé dans cette sphère. L’idée, c’est que les membres de la famille, même vaccinés, doivent éviter d’aller sur leur activité professionnelle durant quatre jours et on les teste à ce moment-là. En milieu scolaire, on ne change rien par rapport à l’année dernière car ça marche bien.

Pourquoi avoir prolongé le chômage total temporaire renforcé (CTTR) jusqu’en décembre 2021 ?

Le CTTR est un outil de protection de l’emploi. Il y a eu un moindre recours au CTTR en juillet. Cela signifie que ce dispositif de protection continue à fonctionner mais il est moins utile. En juin, nous avions 3 300 salariés en CTTR et 1 700 en juillet 2021. Nous avons considéré que cette démarche d’attention méritait d’être poursuivie encore un peu en faisant légèrement évoluer le cadre. Pour y avoir droit, il faut avoir un peu plus de perte de chiffre d’affaires et le reste à charge passe de 30 % à 40 %. Cependant, chacun doit tenir compte du nouveau contexte économique. La reprise est là selon des modalités différentes, avec des contraintes. Et quand on est chef d’entreprise, il faut être en mesure de faire face à son environnement économique. C’est ce que nous attendons.

Poursuivez-vous les contrôles pour éviter les abus ?

Oui, nous regardons. Nous n’avons pas réellement vu d’abus, c’est-à-dire de fausses déclarations qui sont difficiles à mettre en évidence. Nous avons vu, en revanche, des situations où il y avait recours au CTTR quand l’activité de l’entreprise était apparemment florissante. C’est aussi la raison pour laquelle nous avons été plus exigeants en termes de perte de chiffre d’affaires, et surtout nous avons augmenté le reste à charge.

« Il pourrait y avoir des irréductibles, qu’il faudra prendre en compte. Je ne stigmatise pas, mais je trouve que c’est dommage, parce que quand on est un bon professionnel, quitter  le métier, quitter la principauté, quitter sa rémunération pour une question de principe, c’est dommage »

Didier Gamerdinger

Jusqu’à quand cette mesure peut-elle être prolongée ?

Notre sentiment, c’est que cette mesure doit progressivement se tarir parce que l’accompagnement était indispensable et est aujourd’hui légitime. Mais, à un moment donné, il faut que cet accompagnement prenne fin pour que le chef d’entreprise reprenne en main son activité, la redimensionne, la recalibre en fonction des contraintes de son environnement. Par ailleurs, il existe désormais un accord majeur, qui est celui de la loi sur l’aménagement concerté du temps de travail qui permet de faire face à la saisonnalité. C’est ce que j’avais dit aux partenaires sociaux quand je les avais rencontrés en septembre 2020 : « L’État fait beaucoup avec le CTTR, vous que proposez-vous ? ». Ce qui est venu assez vite, c’est l’aménagement concerté car à Monaco, une grosse partie de l’activité est impactée par une forte saisonnalité. Et celle-ci va bien avec un aménagement concerté. Je l’avais proposé pour un temps mais finalement, le Conseil national a souhaité le pérenniser. Il faut que la discussion intervienne et je compte beaucoup sur le fait que le CTTR s’estompe progressivement pour que les employeurs recherchent avec leurs salariés la bonne façon pour aller vers cet aménagement concerté. C’est un outil que nous n’avions pas et que nous allons désormais avoir. L’aménagement concerté est fait pour que le CTTR recule progressivement et s’éteigne définitivement. C’est le souhait du gouvernement.

Ce projet de loi a suscité de la colère et l’incompréhension chez les syndicats qui estiment ne pas avoir eu connaissance du texte définitif : est-ce un passage en force du gouvernement et des élus ?

Le texte proposé par le gouvernement a été relu, article par article, par les partenaires sociaux. Nous avons eu cinq réunions à ce sujet et les partenaires ont pu s’exprimer. Sur cette base, nous avons préparé un avant-projet de texte avec un certain nombre d’articles que nous leur avons projeté article par article, du premier au dernier. Ils ont été partagés avec l’ensemble des syndicats dont l’USM, qui a décidé à un moment donné de ne plus assister aux réunions. Avant de revenir à la dernière avec une motion. Ensuite, le dispositif a été adressé au Conseil national qui l’a amendé. Les élus ont reçu les partenaires sociaux donc il y a eu poursuite de la discussion et l’Hémicycle a souhaité aller vers un texte avec une plus grande permanence. Le dispositif s’en est trouvé impacté, car à l’origine, nous étions sur une période limitée. Des mécanismes devaient être mis en place, qui sont le corollaire de ce fonctionnement dans la durée. Alors, un passage en force ? Les syndicats ont été reçus au Conseil national, il y a eu des échanges. Il est possible qu’ils n’aient pas eu accès à la dernière version mise au point par le Conseil national, mais cela relève de la responsabilité des élus d’établir le texte qui paraît le plus judicieux, et de formuler des propositions d’amendements que le gouvernement valide ou pas.

L’USM estime que ce texte est une « régression sociale » et qu’il remettra en cause les conventions collectives : est-ce le cas ?

J’en ai souvent parlé avec l’USM, et j’ai rappelé lors des débats : ce texte n’impose rien. Rien ne se fait sans l’accord des salariés car le salarié doit donner son aval à la majorité. Ce n’est pas une régression sociale si on considère que le texte nécessite une discussion entre l’employeur et le salarié, ou entre les responsables de branche et les syndicats de la branche. Il faut se mettre d’accord sur le dispositif (durée, modalités, période…). Une fois mis noir sur blanc, celui-ci est soumis aux salariés concernés. Ces derniers devront se prononcer en faveur ou contre. Si la majorité des salariés est pour, ce n’est pas une régression sociale. De surcroît, ce dispositif peut permettre d’aller vers plus de contrats à durée indéterminée (CDI). Si vous avez un CDI et que vous pouvez moduler votre temps de travail, c’est mieux par rapport à l’activité. Si vous ne modulez pas le temps de travail, vous allez prendre des extras et faire des CDD courte durée. Nous pensons donc que ce texte peut, au contraire, accompagner une certaine forme de pérennisation dans l’emploi. Enfin, il s’adapte très bien à la principauté et à son activité cyclique, estivale essentiellement.

Un salarié qui refuserait l’aménagement de son temps de travail pourrait aussi se sentir menacé ?

S’il est minoritaire, c’est le grand principe démocratique. Sachant qu’il y a quand même des dispositifs spécifiques de protection. On n’impacte pas le temps de travail de la personne qui est à temps partiel parce que c’était important pour sa vie personnelle. Nous avons sanctuarisé certaines situations comme le souhaitaient les syndicats. Si un salarié est absolument opposé à l’aménagement concerté alors que ses collègues sont majoritairement pour, à un moment donné il faut qu’il fasse entendre sa voix quand il est contre. Soit il est convaincant et le dispositif n’est pas adopté, soit la majorité des salariés considère que c’est bon pour eux et dans ce cas, la personne qui n’y est pas favorable devra s’y plier, car c’est le souhait de la majorité. Il faut être raisonnable et considérer que si une majorité de syndicats et de salariés estiment que c’est bien pour l’entreprise et pour les salariés eux-mêmes, c’est sans doute vrai.

Le 30 juin 2021, l’USM a dénoncé une « atteinte au droit syndical » et une « déclaration de guerre envers le monde des travailleurs » après avoir été interdite de manifester devant le Conseil national : qu’en pensez-vous ?

La manifestation n’était pas interdite. C’était son cheminement qui a été encadré parce qu’il a été considéré que dans notre belle principauté, mettre une pression sur des élus devant l’hémicycle, ce n’était pas respecter la démocratie. Et ce n’était pas respecter la sérénité des débats qui doit présider entre nous, qu’on soit pour ou contre. C’est la raison pour laquelle le droit de manifester oui, un rassemblement place d’Armes oui, mais accéder au Rocher pour manifester devant les portes du Conseil national, nous avons considéré que ce n’était pas l’usage à Monaco. Faire pression sur des élus pour qu’ils ne votent pas un texte alors qu’ils avaient l’intention de le voter, c’est le respect des règles de la démocratie et de nos élus.

Après le plan social mis en place par la Société des bains de mer (SBM), 58 salariés de cette entreprise ont été absents à cause du Covid-19 : fallait-il recadrer ou sanctionner ?

Il y a eu un moment d’interrogation parce que la SBM a connu, comme d’autres entreprises de Monaco, des situations de contamination sur le lieu du travail. Cela a perturbé l’organisation du travail. Pour partie, ce phénomène a été lié à une perte de vue des gestes barrières. La société a donc rappelé la nécessité de respecter ces mesures barrières pour limiter la propagation du virus. Il est normal de vouloir se parler, de vouloir être proche entre collègues de travail, mais en ce moment on ne peut pas.

© Photo Conseil National.

« Au deuxième trimestre 2021, nous avons un rebond de +12 ou 13 % du nombre d’heures travaillées. Si l’activité se poursuit telle qu’on la constate, je suis assez optimiste sur le fait qu’on pourra encore regagner de l’emploi et du nombre d’heures travaillées »

Didier Gamerdinger

Les salariés ont pointé, de leur côté, le comportement de certains clients VIP qui ne respecteraient pas ces mesures barrières : faut-il être plus sévère face à ce genre de comportement ?

Je ne suis pas sur place, donc je ne peux pas en témoigner. En revanche, je peux dire que dans le cadre des contrôles que nous effectuons, et ils sont massifs – 30 à 40 par semaine, la nuit et le jour – nous contrôlons l’ensemble des personnes concernées. Nous ne ciblons personne. Nous regardons notamment si les clients portent le masque. Si ce n’est pas le cas, on considère que c’est la responsabilité de l’exploitant de lui faire porter le masque. La notion selon laquelle le client serait quelqu’un à haut potentiel, qui justifierait de ne pas respecter les gestes barrières, je ne peux pas l’entendre parce qu’on ne peut pas imposer aux salariés de porter le masque toute la journée et accepter qu’un client ne le porte pas en face du même salarié.

L’été 2021 a encore été marqué par la pandémie de Covid-19 et les résultats financiers de la SBM risquent d’en pâtir : faut-il s’attendre à un nouveau plan social ?

Cet été, l’activité de la SBM a été bonne, voire très bonne. Et le mois de septembre, qui ne fait que commencer, se présente très bien avec une clientèle différente. À priori, la saison s’est passée plus que convenablement.

La casse sociale dans l’hôtellerie-restauration peut-elle se poursuivre ?

Je ne pense pas. Je pense que l’essentiel des plans sociaux, au plus dur de la crise, est maintenant derrière nous. Il peut y avoir effectivement certaines difficultés extrêmes, mais plus ponctuelles. Les mesures d’accompagnement ont joué leur rôle. Elles se tarissent progressivement et c’est aux chefs d’entreprise de s’adapter. Ce qui ne veut pas dire mettre en place un plan social, mais plutôt réfléchir et voir comment on peut s’adapter dans un monde concurrentiel et différent. Je préfère rester humble sur cette question car il suffirait d’un rebond épidémique majeur, qui impacterait à nouveau notre tissu économique, pour qu’il y ait éventuellement des conséquences. La situation reste fragile.

Les syndicats ont dénoncé parfois des plans sociaux relevant du pur opportunisme : y êtes-vous vigilant ?

Oui, du point de vue du droit monégasque, un plan social est qualifié comme tel à partir du moment où il concerne plus de deux salariés. Tous les plans sociaux sont soumis à l’inspection du travail et évidemment aux représentants du personnel. Ils doivent tous avoir une justification. Il peut s’agir notamment de la perte d’activité qui se mesure. Nous vérifions tous ces éléments. Il peut y avoir aussi des contentieux, et les syndicats peuvent dans ce cas saisir un avocat. Le processus est bien encadré par les textes, bien contrôlé par l’inspection du travail en relation avec les syndicats.

Où en est-on dans les plans de licenciements en cours à Monaco ?

À ma connaissance, à l’heure actuelle, il n’y en a aucun. Cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas s’en ouvrir un demain. Un plan social avait été annoncé au Méridien mais en définitive, il n’a pas été concrétisé par la direction. La discussion entre les syndicats, l’inspection du travail et la direction peut conduire parfois cette dernière à revoir ses projets.

Combien y a-t-il de demandeurs d’emploi aujourd’hui ?

Selon les dernières données disponibles, en juin 2021, nous avions au total 931 demandeurs d’emploi et 858 en juillet. Nous retrouvons des niveaux qu’on avait pu connaître par le passé. En mars 2018, nous avions par exemple 1 034 demandeurs d’emploi et en juillet 2018, nous en avions 797. Nous sommes donc encore un peu au-dessus par rapport à 2018, ce qui est compréhensible. Mais le marché du travail redémarre et est à nouveau dynamique. Nous constatons très nettement un regain du nombre d’heures travaillées. Nous avions eu une perte en 2020, la situation est restée difficile en début d’année 2021 mais désormais, nous recommençons à regagner même si nous n’avons pas encore atteint ce que nous avons perdu.

« L’USM, et c’est son droit, est pour la lutte des classes. Ce n’est pas la vision du dialogue social prôné par le gouvernement. Il y a donc une différence entre nous, mais ce n’est pas parce que nous avons une divergence qu’on ne doit pas se parler. Donc, nous nous parlons régulièrement »

Didier Gamerdinger

Vous êtes donc optimiste ?

Au deuxième trimestre 2021, nous avons un rebond de +12 ou 13 % du nombre d’heures travaillées. Si l’activité se poursuit telle qu’on la constate, je suis assez optimiste sur le fait qu’on pourra encore regagner de l’emploi et du nombre d’heures travaillées. Cela reste fragile, suivant la situation sanitaire à la fois chez nous et à l’international. Car il suffit qu’à l’international, il y ait une appréhension de se déplacer et les clients ne reviendront pas. Nous n’avons pas tous les éléments en main, ni toute la possibilité d’agir comme nous le souhaitons parce qu’il y a des facteurs de déplacements internationaux, de psychologie, d’appréhension.

Où en est le projet de création d’une caisse autonome de retraite complémentaire monégasque ?

Nous avançons. Je rencontre régulièrement les partenaires sociaux concernés. J’ai demandé à avoir une ultime étude actuariale afin de disposer des chiffres les plus pertinents. À l’issue de celle-ci, je rencontrerai à nouveau les partenaires sociaux, ce qui nous mettra en capacité d’avancer dans plusieurs directions. Un projet de loi a été élaboré, concerté avec les partenaires sociaux concernés. J’ai une dernière relecture avec ces derniers et nous serons en mesure de l’adresser au Conseil national. Dans le même temps, je dois voir avec les gestionnaires actuels du système de retraite complémentaire qui sont français de façon à pouvoir continuer à avancer.

Que prévoit le projet de loi ?

L’idée est qu’il n’y ait pas de perte de droits pour les pensionnés actuels. Autrement dit, ce sera transparent pour eux. Ils resteront assurés par le système français. La principauté se détachant cependant de ce dernier. Comme le système continuera à verser les pensions de retraite des personnes considérées, l’idée c’est que nous remboursions à notre partenaire français ce que lui coûte le versement de ces pensions. La difficulté, c’est que les reconstitutions de carrière ont été faites le plus possible par les partenaires français et les caisses sociales de la principauté, mais il y a encore des zones d’ombre. Il existe des personnes pour lesquelles nous n’arrivons pas à reconstituer la totalité de la carrière, donc nous ne savons pas combien de temps elles ont travaillé à Monaco et en France. Cette étude actuariale nous permettra de compléter. Nous pourrons alors discuter avec notre interlocuteur français afin de déterminer quel est le montant dégressif qui doit être versé légitimement par la principauté pour continuer à honorer le paiement des pensions.

Quel est votre objectif en termes d’échéance ?

Je n’ai pas la maîtrise de l’ensemble du dispositif. Il faut compter six à huit mois pour finaliser à la fois le projet de loi, et surtout les discussions avec nos interlocuteurs français, ce qui nous amène à mi-2022. Traditionnellement, les basculements se font un 1er janvier, ce qui nous amènerait à début 2023. Sauf si nous décidons de basculer en septembre, ce qui n’est pas le plus pratique.

Les syndicats ont réclamé une revalorisation des pensions de retraite : le gouvernement y est-il favorable ?

Les pensions de retraite sont établies par rapport au nombre d’années de cotisation et par les taux arrêtés chaque année par les organismes de gestion qui sont paritaires. Il y a des représentants des employeurs et des salariés en son sein et le comité de contrôle détermine quel est le montant des droits ainsi distribués. Il le fait en fonction de ses encaissements. Il est attentif à ne pas mettre le système en déséquilibre. C’est la raison pour laquelle en 2020, nous en avons appelé à des cotisations complémentaires, de façon à permettre au système d’être mieux équilibré. Il faut donc que le système soit viable, et pour qu’il soit viable, il faut que les cotisations qui rentrent paient la retraite des personnes pensionnées.

« Nous avons un projet de loi qui nous est commun et qui modernise la loi sur les syndicats. Ce sont des lois d’immédiate après-guerre, de la Libération. Les représentants des syndicats estiment que ces textes sont vieillots et qu’ils méritent d’évoluer. Nous sommes donc en train de regarder comment nous pouvons les faire évoluer ensemble »

Didier Gamerdinger

L’USM réclame également un salaire minimum de 2 250 euros brut et un meilleur remboursement des actes médicaux : jugez-vous cette demande légitime ?

J’ai échangé avec l’USM à ce sujet. Il faut rester raisonnable. Le montant du salaire minimum est fixé en principauté, il est arrimé au dispositif français avec l’adaptation liée au fait que le nombre d’heures hebdomadaires de travail n’est pas le même en France qu’à Monaco. À la différence de la France, le salarié à Monaco ne cotise pas au risque maladie donc cela lui fait un moindre prélèvement sur son salaire, et donc un pouvoir d’achat légèrement supérieur. L’USM peut effectivement le demander, mais il y a ensuite ce que nous pouvons prendre en compte. Parfois, certaines de leurs demandes méritent d’être regardées de près pour chercher des solutions. D’autres, en revanche, sont de notre point de vue un peu moins à apporter.

Selon le secrétaire de l’USM, Olivier Cardot, le maintien de la « paix sociale » est désormais compromis : comment renouer le dialogue avec cette organisation syndicale ?

Je n’ai jamais rien rompu, et j’ai de très bonnes relations personnelles avec les responsables de l’USM. Toutefois, certaines des idées portées par ces personnes ne paraissent pas pouvoir être prises en compte, et ne correspondent pas à la vision que nous avons pour la principauté. L’USM, et c’est son droit, est pour la lutte des classes. Ce n’est pas la vision du dialogue social prôné par le gouvernement. Il y a donc une différence entre nous, mais ce n’est pas parce que nous avons une divergence qu’on ne doit pas se parler. Donc, nous nous parlons régulièrement. Une fois que nous avons évoqué les grands principes, il s’agit de travailler sur les modalités. Le dialogue n’est pas interrompu, la paix sociale tout le monde y veille. Des discussions sont en cours avec l’USM et la F2SM sur la caisse de retraite complémentaire monégasque et il n’y a pas l’ombre d’une difficulté. Ce qui prouve bien qu’avec la discussion, on peut arriver à un résultat positif.

Quels sont vos rapports avec les autres syndicats que sont la F2SM et la Fedem ?

Les discussions sont constantes. Le Covid m’a empêché de continuer ce que j’avais engagé, c’est-à-dire des discussions très fréquentes avec l’ensemble des partenaires sociaux. Car j’ai été accaparé par la situation sanitaire mais pour autant, dans le cadre de celle-ci, je leur ai beaucoup téléphoné pour recueillir leur sentiment sur telle ou telle disposition. Nous continuons les discussions. Nous avons, par exemple, un projet de loi qui nous est commun et qui modernise la loi sur les syndicats. Ce sont des lois d’immédiate après-guerre, de la Libération. Les représentants des syndicats estiment que ces textes sont vieillots et qu’ils méritent d’évoluer. Nous sommes donc en train de regarder comment nous pouvons les faire évoluer ensemble, sachant qu’il faut donner aux syndicats de ce pays des outils plus modernes pour se créer, fonctionner, gérer leurs activités. Nous allons reprendre prochainement les discussions. Il peut donc y avoir des points de vue différents mais pour autant, cela ne nous empêche pas de nous parler.

Pourtant, les syndicats n’hésitent plus à attaquer l’État en justice ?

Dans un État de droit, chacun peut saisir les juridictions et c’est même plutôt salutaire. La Fedem avait contesté la loi sur l’interdiction de licenciement. Le tribunal suprême a jugé que la loi était convenable et recevable. L’USM attaque la loi sur le travail dominical, c’est son droit. Les juridictions diront ce qu’il y a à dire. Ce n’est pas critiquable en soi. Je trouve que c’est l’expression d’un État de droit et par conséquent, c’est parfaitement recevable et légitime.

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