vendredi 26 avril 2024
AccueilActualitésSociétéPornographie trop accessible, trop addictive : comment protéger les mineurs ?

Pornographie trop accessible, trop addictive : comment protéger les mineurs ?

Publié le

La pornographie déborde des écrans, tellement elle est accessible. Pas toujours recherchés, mais souvent visionnés, ces contenus sensibles attirent l’attention d’un public de plus en plus jeune, jusqu’aux cours de récréation, faute de restrictions d’accès suffisamment solides pour les en détourner. Face au phénomène, le contrôle parental apparaît comme la solution privilégiée, mais il doit s’accompagner d’actions de prévention, pour limiter les dégâts par la suite. Car, dégâts, il y a, assure-t-on à Monaco, parmi les institutions et les associations.

Il est loin le temps où les vidéos coquines n’étaient accessibles que sur le câble, ou un soir par mois sur les grandes chaînes de télévision cryptées. Le temps où les corps nus se dévoilaient en catimini sur le papier glacé des magazines de charme, entreposés sur les derniers étages des marchands de journaux. L’accès à la pornographie était plus restreint avant l’explosion du numérique, c’est un fait. Mais si la jeunesse n’est pas nécessairement moins effarouchée qu’hier, encore faut-il distinguer jeune et « jeune ». Entre les adolescents, qui approchent de l’âge adulte, et les enfants, pas encore pubères, il y a en effet un monde, des années de construction psychique et émotive, qui s’efface en un mouvement de pouce, pas toujours volontaire. Depuis les écrans, tout semble passer sans filtrer. Si bien que, selon Action Innocence Monaco, une association qui prévient la jeunesse des dangers liés à Internet en principauté, un écolier sur deux à l’école primaire déclare avoir déjà visionné des images choquantes — du porno principalement — et involontairement [à ce sujet, lire notre interview de Frédérique de Chambure, secrétaire générale d’Action innocence, publiée dans ce numéro — NDLR]. C’est d’ailleurs ce mot, « involontairement », qui pose question. Dès lors qu’il est à portée d’écran, un enfant est en effet susceptible de tomber sur du contenu pornographique, sans même l’avoir nécessairement recherché. Que faire face à constat ?

Cinq sites pornographiques figurant parmi les plus consultés dans l’Hexagone — Pornhub, TuKif, xHamster, xnxx et xVideos — risquent d’être bannis de la toile, sur le territoire français, s’ils ne durcissent pas leurs accès aux mineurs

Une question de restrictions

Techniquement parlant, il est possible de restreindre l’accès au contenu pour adultes sur les smartphones, les ordinateurs, ou encore sur les tablettes des adolescents et des enfants qui en possèdent. Pour cela, plusieurs moyens existent. Le gouvernement monégasque, d’abord, peut adopter la manière forte, et décider de bloquer l’accès public à certains sites, à l’instar des réflexions qui ont été menées en France récemment. Après une plainte de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), le régulateur des médias, cinq sites pornographiques figurant parmi les plus consultés dans l’Hexagone — Pornhub, TuKif, xHamster, xnxx, et xVideos — risquent d’être bannis de la toile, sur le territoire français, s’ils ne durcissent pas leurs accès aux mineurs. Depuis le 30 juillet 2020, la loi française oblige en effet tout site pornographique à vérifier l’âge de ses utilisateurs, avant de les laisser naviguer en libre accès. Et, le 6 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Paris a imposé une médiation entre ces cinq sites et l’Arcom, afin de changer la donne, sous peine de durcir le ton si rien n’avance. À Monaco, c’est également faisable : « Il est tout à fait possible techniquement de bloquer l’accès à un site Internet, lorsqu’il existe une raison légale de le faire », rappelle Julien Dejanovic, directeur des services numériques à la délégation interministérielle chargée de la transition numérique (DITN) [à ce sujet, lire son interview dans ce dossier spécial — NDLR]. Mais il n’y a pas que les sites Internet. Les réseaux sociaux sont, eux aussi, visés par des collectifs. Ainsi, une soixantaine d’associations de défense des enfants ont également saisi l’Arcom pour qu’il intervienne auprès du réseau social Twitter. Objectif : empêcher les mineurs d’accéder à des contenus pornographiques via sa plateforme. Les contenus pornographiques sont en effet nombreux sur Twitter, même si, en théorie, les utilisateurs de moins de 13 ans ne peuvent pas y ouvrir un compte. Pour y remédier, l’école a également un rôle à jouer. Un point de vue partagé par Isabelle Bonnal, directrice de l’éducation nationale, de la jeunesse et des sports, qui estime que « l’interdiction des téléphones portables dans les établissements scolaires est une partie de la réponse institutionnelle » [à ce sujet, lire son interview publiée dans ce dossier spécial — NDLR].

Une soixantaine d’associations de défense des enfants ont également saisi l’Arcom pour qu’il intervienne auprès du réseau social Twitter

Le difficile contrôle parental

À la maison, la famille peut également décider d’appliquer un contrôle parental. Plus facile à dire qu’à faire cependant, car cette pratique n’est pas encore monnaie-courante, y compris à Monaco. Selon Action Innocence Monaco, seuls 32,6 % des enfants en école primaire se voient soumis à un contrôle parental sur leur dispositif électronique. Le chiffre passe à 43,5 % chez les collégiens. Les parents, pas toujours conscients des réalités auxquelles sont exposés leurs enfants, ou pas suffisamment à l’aise avec la technologie, n’optent pas pour ce type de restriction, même si des solutions existent pour le faire faire à leur place, notamment par l’intermédiaire des services de Monaco Telecom. Mais il pourrait être intéressant de fournir des solutions déjà « clés en main » au moment de l’achat de ces produits. C’est ce qui se fera en France : depuis le 5 septembre 2022, la loi impose aux fabricants d’installer un système de paramétrage par défaut dans les appareils connectés, smartphones et tablettes, qui seront commercialisés en France, où seulement 46 % des parents déclarent également avoir opté pour le contrôle parental. Cette mesure devrait prendre effet d’ici la fin de l’année 2022. Une solution à suivre en principauté ? « Il sera intéressant de suivre les étapes de l’entrée en vigueur du décret français, pour en mesurer les impacts », estime Isabelle Bonnal. Mais, cela, sans mettre de côté la pédagogie et le dialogue. Car, comme le révèle Action Innocence Monaco, le choix d’appliquer un contrôle parental ne repose pas uniquement sur des considérations techniques et technologiques. L’affect pèse également plus ou moins fortement dans la décision : « On n’a pas toujours envie d’entrer en conflit avec son enfant, et on ne sait pas toujours non plus comment aborder le problème. Appliquer un contrôle parental peut être pris comme une brimade par son enfant, car il va se comparer avec ses camarades qui, eux, n’y sont pas toujours contraints », explique Frédérique de Chambure, secrétaire générale d’Action Innocence. Plus que jamais, la prévention et l’éducation, semblent être des remparts qui ne faiblissent pas, face à une question qui promet d’être encore longtemps d’actualité.