mardi 19 mars 2024
AccueilActualitésSociétéLes pénuries guettent les supermarchés en principauté

Les pénuries guettent les supermarchés en principauté

Publié le

Huile de tournesol, boîtes de conserve, moutarde… Certaines denrées alimentaires commencent à se faire rares en principauté. Et cette situation pourrait bien durer, à en croire la grande distribution.

Lancée le 24 février 2022, l’offensive russe se poursuit en Ukraine. Elle se concentre principalement à l’Est du pays où les combats font rage entre les combattants ukrainiens et les troupes de Vladimir Poutine bien déterminées à conquérir de nouveaux territoires. Le chef du Kremlin leur a d’ailleurs témoigné tout son soutien en marge des commémorations du 9 mai 2022 à Moscou affirmant que ses hommes se battaient « pour la patrie » contre la « menace inacceptable » que représente son voisin. Le conflit semble donc parti pour durer et les impacts de cette guerre commencent à se faire sentir en principauté.

« Logistiquement, les fournisseurs n’arrivent plus à nous approvisionner, car des circuits sont coupés. La matière première existe, mais l’acheminer est beaucoup plus compliqué »

Felipe Villalobos. Directeur des supermarchés U

Tensions sur les approvisionnements

L’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’un des principaux producteurs de pétrole au monde, a en effet exacerbé la flambée des prix à la pompe. Avant de gagner peu à peu les rayons de nos supermarchés, où certains produits et denrées alimentaires se font de plus en plus rares comme l’explique Patrick Lampasona, directeur du supermarché Casino du port de Monaco : « Nous rencontrons actuellement des problèmes avec l’huile de tournesol et certaines conserves de légumes parce que les fournisseurs n’arrivent plus à trouver d’emballage en ferraille ». « Aujourd’hui, il y a un vrai problème de logistique, poursuit Felipe Villalobos, directeur des supermarchés U de la principauté. Nous avons des ruptures parce que logistiquement, les fournisseurs n’arrivent plus à nous approvisionner, car des circuits sont coupés. La matière première existe, mais l’acheminer est beaucoup plus compliqué ». Autre ingrédient du quotidien porté disparu, la moutarde est récemment venue s’ajouter à la liste des denrées touchées par la pénurie. Ou plutôt à « être contingentées » corrige Felipe Villalobos : « Ce n’est pas vraiment une pénurie. Les produits sont aujourd’hui contingentés, c’est-à-dire que la centrale d’achat qui nous livre limite le nombre de colis disponibles par magasin pour éviter justement des pénuries. Ce qui crée une rupture en magasin parce que les clients ont l’impression qu’il faut vite en acheter. Mais en réalité, le produit est contingenté pour éviter qu’on en commande 60 cartons et qu’on les passe en deux jours ».

pénurie Carrefour Monaco
© Photo Nicolas Gehin / Monaco Hebdo.

« Nous rencontrons actuellement des problèmes avec l’huile de tournesol et certaines conserves de légumes parce que les fournisseurs n’arrivent plus à trouver d’emballage en ferraille »

Patrick Lampasona, directeur du supermarché Casino du port de Monaco

Pas de rationnement en principauté

En limitant ainsi les approvisionnements, la grande distribution cherche donc aussi à s’épargner une ruée sur les précieuses marchandises comme cela a pu être le cas au moment du confinement avec certains produits de première nécessité (pâtes, farine, papier toilette…), donnant lieu à des scènes surréalistes. « Au début du conflit [russo-ukrainien — NDLR], les consommateurs ont stocké du sucre et de la farine. Et nous avons eu des ruptures pour ces produits », révèle d’ailleurs Patrick Lampasona, tout en précisant que la situation est désormais « rentrée dans l’ordre ». Il n’empêche, le directeur du Casino n’a pas attendu longtemps avant de placarder un message à l’attention des consommateurs leur demandant de se limiter à deux bouteilles d’huile par personne. À Super U, on mise également sur la prévention et le bon sens des clients : « Nous n’avons pas fait de rationnement. En revanche, quand les clients arrivent en caisse avec six bouteilles, on les sensibilise », affirme Felipe Villalobos qui tient à rassurer les consommateurs sur les risques de pénuries : « Il ne faut pas s’inquiéter, car nous trouverons toujours des solutions. Nous aurons d’autres alternatives, c’est certain ». Et le directeur de super U d’insister : « Il faut que les gens comprennent que s’ils ont une habitude de consommation normale, s’ils ne se stockent pas, on ne va pas créer de pénurie ».

« Substitution »

Ces difficultés d’approvisionnement, dont les distributeurs ignorent encore combien de temps elles dureront, les obligent aujourd’hui à se tourner vers d’autres filières, et notamment vers le voisin italien. « On trouve des approvisionnements divers et variés, explique Patrick Lampasona. Par exemple, je fais venir de l’huile de tournesol d’Italie. Et demain, j’aurai sept produits différents sur de l’approvisionnement extérieur mais je ne connais pas. […] Pour la moutarde, nous allons recevoir les premiers colis dans les prochains jours. Nous avons trouvé des fournisseurs qui nous font de la substitution donc pas de marque Maille, ni de marque Casino ». Dans ses rayons, le groupe français affiche en toute transparence une note informant ses clients d’une modification de la composition de certains produits alimentaires du fait du conflit en Ukraine. « Compte tenu des tensions sur le marché, liées à la suspension des exportations de certaines matières premières en provenance d’Ukraine, les opérateurs du secteur alimentaire sont confrontés à des difficultés d’approvisionnement les conduisant à modifier leurs recettes, sans possibilité de corriger rapidement leurs emballages », peut-on lire sur le communiqué. Par conséquent, « des décalages entre l’étiquetage des denrées alimentaires et leur composition effective peuvent ainsi apparaître », ajoute le groupe, citant, entre autres « la modification de la teneur en huile de tournesol d’un assemblage d’huiles végétale », « la substitution de l’huile de tournesol par une autre huile végétale » ou encore purement et simplement « la suppression de l’huile de tournesol » dans la fabrication de certains produits.

pénurie Carrefour Monaco
© Photo Nicolas Gehin / Monaco Hebdo.

« Le conflit en Ukraine va nous apporter une problématique, c’est certain. Mais pour moi, cela interviendra plutôt sur le deuxième semestre »

Felipe Villalobos. Directeur des supermarchés U

Inflation

La guerre en Ukraine n’est évidemment pas étrangère à ces difficultés d’approvisionnement. Notamment parce que le pays d’Europe de l’Est et son envahisseur —, soumis à un blocus des ports en mer Noire — font partie des plus gros exportateurs de céréales dans le monde. Les deux font également office de poumons dans l’export d’huile de tournesol et de graines de moutarde. Toutefois, si l’invasion russe a incontestablement compliqué les échanges commerciaux, et donc les approvisionnements, les distributeurs monégasques à l’image de Felipe Villalobos, refusent de tout imputer à cette crise diplomatique. « Il y a plusieurs facteurs, ce n’est pas seulement le conflit en Ukraine, assure le directeur des supermarchés U. Le conflit en Ukraine va nous apporter une problématique, c’est certain. Mais pour moi, cela interviendra plutôt sur le deuxième semestre. Ce que l’on vit aujourd’hui c’est le cumul Covid et un peu le début du conflit en Ukraine, qui crée des difficultés d’approvisionnement sur tout ce qui est céréales et huiles ». Son homologue des supermarchés Casino abonde : « On met tout sur la guerre en Ukraine, mais je suis sceptique. Aujourd’hui, il manque la matière première et l’emballage. Et l’emballage que ce soit carton, ferraille ou plastique, je ne sais pas si tout est produit là-bas, mais c’est ce qu’on nous dit ». Patrick Lampasona y voit lui surtout une aubaine pour faire grimper les prix : « Ils en profitent pour tout augmenter. Quand je vois qu’une boîte à pizza prend aujourd’hui 10 centimes, ça fait peur ». Le prix de l’huile de tournesol s’est lui aussi envolé ces dernières semaines chez Casino pour atteindre un prix record de 3,95 euros, soit une majoration de plus de 10 % du prix habituel. Et la tendance est la même chez tous ses concurrents. « Nous sommes dans un marché d’offres et de demandes. Si la demande est forte et que l’offre se réduit, il va forcément y avoir une inflation des prix », confirme le directeur des supermarchés U de Monaco, Felipe Villalobos.

pénurie Carrefour Monaco
© Photo Nicolas Gehin / Monaco Hebdo.

« Ils en profitent pour tout augmenter. Quand je vois qu’une boîte à pizza prend aujourd’hui 10 centimes, ça fait peur »

Patrick Lampasona, directeur du supermarché Casino du port de Monaco

« On prend sur nous »

Mais que les consommateurs se rassurent, les prix ne devraient plus augmenter… en tout cas, pas pour le moment. « Nous avons répercuté une petite hausse pour certains produits mais il y a énormément de produits pour lesquels nous n’avons fait aucune répercussion de hausse de tarifs. Nous essayons d’être le plus linéaire possible dans nos prix, promet Felipe Villalobos. En ce moment, je fais des relevés de prix toutes les semaines. Et chez nous, je ne retrouve pas les 5 % d’inflation dont on nous parle en permanence. Depuis mars 2022, si nous avons augmenté nos prix de 1,5 à 2 %, c’est le maximum ». « Oui, il y a une inflation mais elle n’est pas encore visible », insiste le distributeur qui prévoit de « changer de fournisseurs si les hausses appliquées sont trop importantes ». « Nous sommes conscients de ce que les clients peuvent payer et de ce qui devient prohibitif. Si les prix sont trop élevés, c’est sûr qu’ils n’achèteront pas. Et moi, le but ce n’est pas de vendre à n’importe quel prix, ni d’appliquer des hausses en fonction des fournisseurs ». Le discours est peu ou prou le même chez son concurrent : « Aujourd’hui, je ne peux pas aller plus bas, je suis quasiment prix coûtant, souligne Patrick Lampasona. En début d’année il y a eu des hausses de prix, tout l’emballage a pris un pourcentage et au 1er mai, on nous remet une deuxième [hausse]. Mais là on ne peut pas [augmenter les prix]. Pour le moment, on prend sur nous ». Reste à savoir désormais combien de temps le porte-monnaie des résidents monégasques sera épargné…

Pour lire la suite de notre dossier « Hausse des prix et pénuries à Monaco », cliquez ici.

1) Les interviews ont été réalisées jeudi 12 mai 2022.