samedi 20 avril 2024
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Francis Poidevin : « Le plus gros problème, ce n’est pas l’alimentaire, mais le personnel »

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Vice-président de l’association des industries hôtelières monégasques (AIHM), Francis Poidevin explique à Monaco Hebdo les conséquences des ruptures de stock pour les restaurateurs de la principauté. Il estime que les professionnels du secteur vont devoir à nouveau s’adapter, tout en gérant une autre pénurie bien plus importante selon lui : le manque de personnel (1). Interview.

Quel état des lieux dressez-vous de la restauration à Monaco ?

Il n’y a pas qu’en principauté, c’est un phénomène qui est international. Oui, il y a des pénuries, mais il y a surtout des augmentations de prix. Qu’il y ait des pénuries, on peut passer à côté. Dans son restaurant, il faut être flexible. Il ne faut pas se cantonner à vouloir faire plaisir aux clients parce qu’ils veulent leur friture. Un restaurateur digne de ce nom a une capacité de s’adapter face aux problèmes qu’il rencontre, comme il l’a déjà fait pour le Covid. Le plus gros problème aujourd’hui ce n’est pas l’alimentaire, mais le personnel. On ne trouve plus personne et ça, c’est grave. Des restaurants sont obligés de fermer certains services, voire même certains jours.

Comment les restaurateurs pallient les pénuries alimentaires ?

Personnellement, je fais des achats en Italie et à Nice [Francis Poidevin est le gérant du Quai des artistes — NDLR]. Nous avons droit à certaines quantités. Pour les fournisseurs, il y a quand même des stocks, et nous arrivons à nous approvisionner. Mais certains profitent aussi de la situation pour augmenter les prix. Il y a des malins qui ont stocké, et qui arrivent à faire de beaux bénéfices.

À qui profite la situation ?

Les distributeurs sont des gestionnaires. Ils savent provoquer la demande pour pouvoir faire payer le service. Comme on dit, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Cette situation profite certainement à quelqu’un.

Comment les restaurateurs de la principauté font-ils face à l’inflation actuelle ?

Cette augmentation des prix devrait nous obliger à augmenter nos prix aussi. Mais nous avons des menus à prix fixe le midi, pour une clientèle qui a un budget défini. Nous ne pouvons pas nous permettre d’augmenter même d’un euro ou deux euros, parce que nous avons besoin de faire du monde pour avoir une rentabilité sur sa prestation. Après, il y a une carte avec des produits et des spécialités selon certains restaurants. Il faut s’adapter. On peut réduire les portions mais selon moi, ce n’est pas intelligent. En revanche, le soir, on sort pour se faire plaisir. À Monaco nous avons une belle clientèle, donc nous pouvons nous permettre de mettre un ou deux euros de plus.

Le secteur est donc en souffrance ?

Il y a plein de choses qui font que la restauration souffre, mais elle va souffrir encore davantage selon moi avec les augmentations de salaires, les augmentations des matières premières et la clientèle, qui va aussi être punie avec un pouvoir d’achat qui va diminuer. Il faut vraiment s’adapter au jour le jour comme nous avons appris à le faire pendant le Covid.

« Certains profitent aussi de la situation pour augmenter les prix. Il y a des malins qui ont stocké, et qui arrivent à faire de beaux bénéfices »

Quelle est l’ampleur de l’inflation ?

Les prix ont augmenté entre 20 et 30 %. Pour nous, c’est énorme. Même si on peut dire que les prix n’étaient pas très élevés parce que dans les années 1980-1990, la marchandise coûtait plus cher que le personnel. Aujourd’hui, le budget du personnel est très important et [le budget de] la marchandise moins important. Nous avons aujourd’hui l’impression de revenir dans les années 1980, avec en plus les soucis des années 2022 au niveau des charges etc.

Êtes-vous inquiet pour la profession ?

Il faut travailler au jour le jour, anticiper et s’adapter à la situation. Nous sommes surtout bloqués par rapport au personnel. De la nourriture, il y en aura toujours. Si nous ne faisons pas de l’agneau, nous ferons du porc. Comme nous ne pouvons pas faire de volaille à cause de la grippe aviaire, nous ferons du veau… Il faut s’adapter. Maintenant, il est évident que certains restaurants de concept sont un peu plus bloqués. Celui qui ne fait que de la friture est un peu puni. Mais il doit s’adapter.

Quelles réponses apporter à ces difficultés de recrutement et pourquoi la restauration n’attire plus ?

L’attractivité est difficile parce qu’un restaurant se doit de travailler midi et soir. Cela implique qu’aussi bien en salle qu’en cuisine, ils travaillent un peu plus longtemps et cela n’est plus d’actualité parce que le Covid est passé par là. On a subi un certain confort, et maintenant, on demande de reprendre une activité qui est doublement pénalisante pour les transports et pour diverses raisons. Donc c’est sûr que ça devient difficile. Et prendre du personnel en leur proposant des horaires continus qui seraient bien sûr plus adaptés à aujourd’hui, ça coûte très cher. Les charges, les remplacements coûtent très cher… Je suis très inquiet pour la profession. Parce qu’il y a aussi de plus en plus de restaurants qui s’ouvrent. Et nous sommes quand même à Monaco obligés pour les embauches de faire des déclarations à la police, il faut que les personnes aient une proximité… Tout cela fait qu’il devient difficile de trouver du personnel, surtout à Monaco.

Pensez-vous que l’augmentation des salaires peut être une solution, comme certains syndicats l’ont suggéré ?

À Monaco, les salaires sont déjà plus importants qu’en France. Et il y a d’autres avantages puisque les jours fériés sont plus nombreux en principauté qu’en France [11 jours fériés en France contre 12 à Monaco — NDLR]. L’attractivité de Monaco pour les employés est donc déjà intéressante. Maintenant, s’il faut encore augmenter les salaires, n’y aurait-il pas d’autres solutions à trouver quant à avoir une aide compensatoire qu’elle soit sur les charges ou autres ? On ne peut pas faire que donner. À un moment donné, on est acculé. Ou alors on réduit les heures d’ouverture, on réduit tout. Ce que personnellement, j’ai fait pendant la crise du Covid. On peut aussi fermer une journée pour donner des congés… mais après, c’est une question de rentabilité. Si tout augmente, le métier de restaurateur ça devient du bénévolat.

Êtes-vous en discussion avec le gouvernement princier à ce sujet ?

Nous nous réunissons avec la présidente [de l’AIHM], Madame Escande, pour parler de ce problème. Pour l’instant, nous arrivons plus ou moins à nous en sortir. Mais arrivera un moment où oui, il faudra se rapprocher du gouvernement pour l’alerter, et lui demander, peut-être, d’élargir les possibilités de recrutement via l’étranger, ce que font déjà certains restaurateurs. Mais se pose alors le problème du logement. Certains restaurateurs embauchent, et logent leurs employés. Mais tout le monde n’a pas la structure, ni les moyens, de le faire. Les petits restaurants sont les plus menacés.

Pour lire la suite de notre dossier « Hausse des prix et pénuries à Monaco », cliquez ici.

1) À ce sujet, lire notre article Emploi à Monaco : des postes à pourvoir dans la restauration et la sécurité, publié dans Monaco Hebdo n° 1238.