Le photographe Jean-Charles Vinaj a créé en 2019 l’association Live Together, qu’il préside. Consterné par l’ampleur de la pollution en Méditerranée qui met notamment en danger les cétacés, il tire la sonnette d’alarme en réalisant un film documentaire, en publiant un livre, et en organisant deux expositions.
Votre parcours ?
Je suis Français, né à Monaco, et j’ai commencé ma 33ème année ici, à Monaco, en tant que photographe. Avec Frédéric Lajoux, nous avons créé une agence, Miti Info Images. Nous avons fait beaucoup de reportages photographiques, en lien avec des institutions monégasques et le secteur de l’événementiel. Puis, nous avons décidé de traiter davantage l’actualité, en couvrant notamment les événements liés à la famille princière, pour les diffuser ensuite dans la presse internationale.
Comment en êtes-vous arrivé à défendre la cause animale ?
Si la photo est une passion pour moi, les animaux en sont une autre. Tout en continuant mon activité de photographe en principauté, j’ai travaillé, en parallèle, sur l’environnement. En 2016, j’ai monté un projet qui s’appelait « Vivre ensemble » et qui traitait de la cohabitation entre l’homme et l’animal sauvage dans le monde. Grâce au soutien de la fondation prince Albert II et d’EFG Bank à Monaco, j’ai pu parcourir 17 pays dans le monde. Cela m’a permis de mieux comprendre la problématique de la cohabitation entre l’homme et l’animal sauvage.
Cela a débouché sur quoi, concrètement ?
En novembre 2018, ce projet « Vivre ensemble » a donné naissance à un livre à caractère pédagogique, qui a été présenté au Grimaldi Forum. Ce livre a été accompagné d’une exposition de photographies. Ce que j’ai vu sur le terrain m’a convaincu que le business est en train de l’emporter au détriment de certains animaux.
« En 2019, j’ai créé une association monégasque qui s’appelle Live Together. Son objectif : soutenir des projets environnementaux portés par des scientifiques, des biologistes, et même tout simplement des passionnés, à l’international »
Jean-Charles Vinaj
C’est-à-dire ?
En Inde, des dizaines et des dizaines de Jeeps entrent dans les parcs nationaux pour pourchasser les tigres. En Indonésie, les dragons de Komodo, qui sont une espèce préhistorique, sont mis sous pression par des centaines de touristes qui viennent les voir. Tout ça est devenu un énorme business, au détriment de la préservation et de la sauvegarde de ces espèces animales.
Votre réaction ?
En 2019, j’ai créé une association monégasque qui s’appelle Live Together. Son objectif : soutenir des projets environnementaux portés par des scientifiques, des biologistes, et même tout simplement des passionnés, à l’international. Bref, on s’intéresse à des personnes qui, à longueur d’années, essaient de préserver et de conserver certains animaux dans leurs milieux naturels.
Du coup, vous soutenez qui depuis 2019 ?
Depuis 2019, Live Together soutient une association en Namibie qui essaie d’assurer la protection des lions du désert. Nous soutenons également une autre association installée au Costa Rica qui s’intéresse à la reproduction de la tortue Lora. Cette association lutte contre le braconnage des œufs. En France, nous soutenons Gorilla. Cette association travaille sur la protection des gorilles des steppes et des gorilles des montagnes au Congo. Enfin, Live Together a aussi vocation à monter ses propres projets. C’est ce que nous avons fait en 2020.
Sur quel projet vous travaillez ?
Grâce au soutien du gouvernement princier et d’EFG Bank comme partenaires principaux, ainsi que de Pelagos et de Claudia Signature Monte-Carlo qui a imaginé pour nous nos équipements, nous avons décidé de travailler sur les cétacés en Méditerranée. Il faut savoir que la mer Méditerranée est l’une des mers les plus polluées au monde, si ce n’est la mer la plus polluée. Les gens ne se rendent pas compte de ce qu’il se passe en mer.
Avec qui travaillez-vous sur ce sujet ?
Je me suis entouré de scientifiques et de plongeurs vidéastes, afin de sensibiliser les jeunes générations, les professionnels de la mer, les plaisanciers et les décideurs, à une cohabitation plus harmonieuse entre l’homme et les cétacés en Méditerranée. Car dans cette mer, nous avons par exemple la deuxième plus grande baleine au monde, qui est le rorqual commun. Ce cétacé peut faire jusqu’à 70 tonnes, mesurer 25 mètres de long et filer à 25 nœuds [1 nœud équivaut à 1,852 km/h, donc ici 46,3 km/h — NDLR]. En Méditerranée, il existe aussi plusieurs espèces de dauphins, mais aussi des globicéphales, des cachalots…
De quoi sont victimes ces espèces ?
Ces espèces sont victimes de quatre nuisances principales. Il y a d’abord les collisions avec les bateaux, notamment les tankers ou les ferries, qui peuvent percuter un rorqual ou un cachalot lorsqu’il remonte à la surface pour respirer, après avoir sondé. En effet, après avoir sondé une cinquantaine de minutes, le cachalot reste entre quatre et dix minutes en surface pour se réoxygéner et redescendre sonder. C’est là qu’il est en danger.
Quel est le deuxième danger ?
Les cétacés sont aussi menacés par les filets de pêche. De plus, ils sont aussi sensibles aux bruits : scooter des mers, hors-bords, moteurs de yachts, de ferries, de tankers, sans oublier les plateformes pétrolières. L’origine de ces nuisances sonores est multiple. Or, pour les cétacés, ces bruits sont démultipliés. Du coup, cela peut les pousser à changer de comportement.

« En Indonésie, les dragons de Komodo, qui sont une espèce préhistorique, sont mis sous pression par des centaines de touristes qui viennent les voir. Tout ça est devenu un énorme business »
Jean-Charles Vinaj
Quoi d’autre ?
La quatrième menace, ce sont les déchets plastiques. Pour moi, c’est la nuisance la plus importante. Car du plastique, il y en a partout : il y a des macro-déchets, mais aussi des nano-déchets. Nous avons fait deux missions en mer, et on a vu énormément de déchets flotter. En Corse, certains fonds en mer sont entièrement recouverts de bouteilles en plastique.
Quel est le gros problème que pose le plastique ?
Le problème avec le plastique, c’est qu’il part de chez nous, et qu’il revient chez nous. Parce que le plastique est mangé par des poissons ou par des crevettes. Et il revient donc ensuite dans nos assiettes. Même chose pour les cachalots et les rorquals : quand ils mangent du krill [de petits crustacés des eaux froides — NDLR], ils avalent aussi du plastique. Ce qui signifie qu’à travers l’allaitement, les bébés cachalots et rorquals vont sûrement ingurgiter à leur tour ce plastique.
Que faire ?
Pour éviter les collisions avec les cétacés, un ancien commandant de bord de la Société nationale maritime Corse-Méditerranée (SNCM), traumatisé après un deuxième accident, a imaginé le REPCET. Il s’agit de moniteurs qui permettent de localiser les cétacés et donc, d’éviter les collisions.
Pour diminuer le bruit, l’avenir ce sont des moteurs électriques ?
Non, car les moteurs électriques, c’est pire. En effet, depuis des années, les animaux se sont un petit peu habitués à ces moteurs à essence. Du coup, pour les cétacés, les moteurs électriques émettent davantage d’ondes.
Que faire alors ?
Il faudrait commencer par ralentir la vitesse des bateaux, en la limitant à 12 nœuds [22,22 km/h – NDLR], ce que beaucoup ne respectent pas, notamment les yachts. Cela permettrait de voir ce qu’il se passe en mer, autour du bateau, et ainsi, de pouvoir éviter une collision. En mer, le principal atout, c’est la vision. Sur un ferry, en plus du système REPCET, il faut regarder et surveiller avec des jumelles ce qui se présente devant le bateau.
« Depuis 2019, Live Together soutient une association en Namibie qui essaie d’assurer la protection des lions du désert. Nous soutenons également une autre association installée au Costa Rica qui s’intéresse à la reproduction de la tortue Lora »
Jean-Charles Vinaj
Toujours dans le cadre de ce projet, vous travaillez sur la réalisation d’un documentaire vidéo ?
Nous préparons un documentaire d’une durée de 40 à 50 minutes, mais aussi un livre. Cet ensemble a des visées pédagogiques pour essayer de sensibiliser l’opinion publique, afin qu’une cohabitation plus harmonieuse avec les cétacés puisse être trouvée. Ce film documentaire sera projeté en avant-première au festival de la télévision de Monte-Carlo 2022 devant la presse internationale, les “people” de ce festival, les invités de la principauté, et une partie des maires qui ont signé la charte Pelagos. La projection devrait avoir lieu le dimanche 19 juin 2022. Notre dernière sortie en mer se déroulera mi-septembre 2021. Nous avons déjà commencé le montage de ce film.
Ce film est tourné où ?
Ce film documentaire est entièrement réalisé par l’association Live Together. Nous passons quatre fois une semaine sur un catamaran. Le tournage s’effectue dans le sanctuaire Pelagos [un espace maritime de 87 500 km² faisant l’objet d’un accord entre l’Italie, Monaco et la France pour la protection des mammifères marins qui s’y trouvent — NDLR], c’est-à-dire dans les eaux italiennes, mais surtout du côté de la Corse, de la pointe de Giens, de l’île de Porquerolles, et de Monaco. Lors de notre première sortie, nous avons d’ailleurs vu douze rorquals, juste après les eaux territoriales monégasques.
Ce documentaire sera diffusé à la télévision ou sur une plateforme numérique, comme Netflix, Apple TV + ou Amazon, par exemple ?
Notre film documentaire ne repose pas sur un format « télé ». Il ne sera donc pas diffusé sur Apple TV +, sur Netflix ou sur une chaîne de télévision hertzienne. Parce que, pour intéresser ces diffuseurs, il faut rentrer dans leurs moules. Ce sont eux qui déterminent les images qu’il faut tourner, ce qu’ils veulent montrer, le texte… C’est donc très rigide. Or, nous voulons absolument rester libres. Il ne s’agit pas d’une opération à but lucratif. Le seul objectif de ce film documentaire est pédagogique.
Comment faire pour voir ce documentaire, alors ?
On pourra voir notre film documentaire au festival de télévision de Monte-Carlo 2022, mais aussi sur Internet, en Corse, sur l’île de Port-Cros dans le Var… La fondation prince Albert II devrait également le diffuser.

« Je me suis entouré de scientifiques et de plongeurs vidéastes, afin de sensibiliser les jeunes générations, les professionnels de la mer, les plaisanciers et les décideurs, à une cohabitation plus harmonieuse entre l’homme et les cétacés en Méditerranée »
Jean-Charles Vinaj
Vous allez aussi publier un livre sur ce même sujet ?
Un livre sera publié à 3 000 exemplaires pour traiter, là encore, de la cohabitation entre l’homme et les cétacés en Méditerranée. Le lendemain de l’avant-première de la projection de notre documentaire au festival de la télévision de Monte-Carlo 2022, nous organiserons d’autres projections avec des scolaires de la principauté et des communes limitrophes. À cette occasion, nous leur offrirons ce livre, qui sera aussi diffusé en Corse, à l’issue de la diffusion de notre film.
Quoi d’autre ?
Une exposition photographique permettra de voir 32 tirages au format 80×120. Enfin, une deuxième exposition sera organisée par l’artiste peintre Françoise Dagorn. Elle peint beaucoup sur les problématiques liées à la mer (1).
En 2021, la sensibilisation par le biais de films, d’expositions ou de livres, c’est vraiment efficace face AUX comportements des humains ?
Il y a une prise de conscience à faire, qui est simple : chacun, dans sa zone d’influence, peut changer les choses. Tout commence dans notre quotidien. Arrêtons d’acheter des bouteilles en plastique et buvons l’eau du robinet. Pour celles et ceux qui doutent de la qualité de l’eau du robinet, ils peuvent installer un filtre. Si chacun réduit sa consommation de plastique, on pourra avancer. Car les solutions existent. C’est de volonté dont nous avons besoin. Voilà pourquoi il faut constamment sensibiliser les gens et leur démontrer que la nature est merveilleuse, mais qu’il faut se donner la peine de la préserver. Ensuite, les plaisanciers à bord de bateaux qui jettent leurs bouteilles à l’eau, doivent comprendre que ce plastique reste ensuite en mer pendant une éternité.
Cela signifie que les gens doivent en partie renoncer à ce qui relève de leur plaisir ou de leur confort ?
Pour moi, il est plus facile d’ouvrir un robinet d’eau à la maison que d’aller dans une grande surface, et se faire un tour de reins en transportant des packs d’eau de 1,5 litre. Quand on est en mer, si on laisse échapper une bouteille, un ballon, ou une casquette, on peut faire demi-tour, et tenter de récupérer ce qui a été tombé avec une gaffe. Ce n’est pas compliqué. On peut tous le faire. Notre documentaire montre cette nature qui est magnifique, et aussi ce qu’il faut faire pour la protéger. Après, bien sûr, une partie des gens adhérera à notre discours, et une autre partie, non.
« Nous avons fait deux missions en mer, et on a vu énormément de déchets flotter. En Corse, certains fonds en mer sont entièrement recouverts de bouteilles en plastique »
Jean-Charles Vinaj
Quel est le public que vous visez en priorité ?
Nous visons en premier lieu les enfants, car ce sont des éponges. Lors de ma première exposition consacrée au « Vivre ensemble », j’ai expliqué aux enfants qu’en mangeant des gâteaux avec de l’huile de palme, cela conduisait à accentuer encore la déforestation. Et que, par conséquent, cela détruisait aussi certaines espèces, notamment les orangs-outans. Les enfants m’ont dit : « Ce soir en rentrant, on dira à nos parents qu’on ne veut plus manger d’huile de palme ». Dans les années à venir, ce sont ces enfants qui auront le pouvoir de faire évoluer les choses. Mais aussi certains adultes qui auront pris conscience de la gravité de la situation, et qui auront envie de laisser quelque chose à leurs enfants. Parce qu’à l’allure où tout cela se passe, il ne va pas rester grand-chose…
1) Le travail de l’artiste peintre Françoise Dagorn est à retrouver par ici : www.francoise-dagorn.com.