jeudi 25 avril 2024
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Marie Thibaud : « Le meilleur cancer, c’est celui que l’enfant n’aura pas »

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Et si les cancers, notamment pédiatriques, étaient, en partie, provoqués par l’environnement ? C’est la question qu’a posée Marie Thibaud, à la tête du collectif Stop aux cancers de nos enfants, lors de la biennale monégasque de cancérologie, qui s’est déroulée du 26 au 29 janvier 2022 au Grimaldi Forum. Elle a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

Pourquoi avoir créé le collectif Stop aux cancers de nos enfants ?

Je suis la maman d’un petit garçon, Alban, qui a déclaré une leucémie aiguë lymphoblastique (LAL) de type b. Heureusement, il va bien aujourd’hui. Mais, dans le secteur dans lequel on vit, à Sainte-Pazanne, en Loire Atlantique, au sud de Nantes, on a décelé un cluster de cancers pédiatriques. Quelques années après la déclaration de la maladie d’Alban, 25 enfants ont déclaré un cancer sur la même zone géographique. Et, parmi eux, 7 enfants sont déjà décédés.

Vous vous présentez donc comme une lanceuse d’alerte ?

En accompagnant Alban et de nombreux enfants au service ontologique du CHU de Nantes, on a compris qu’il y a besoin de faire de la recherche sur les causes de ces cancers. Si Alban est en vie aujourd’hui, c’est grâce au traitement alternatif qu’il a pu recevoir, grâce aux recherches, et grâce aux associations comme la fondation Flavien [à ce sujet, lire notre article 15ème Biennale de cancérologie « Nos enfants tombent, même sans aller à la guerre », publié dans ce numéro — NDRL], à qui j’adresse un immense merci. À part les 5 % d’origine génétique, le reste, ce sont des enfants qui ne devraient pas déclarer un cancer. Aujourd’hui, en 2022, on ne peut pas le mettre sur le compte du hasard et de la fatalité. Ça n’a rien à voir avec un cancer d’enfant (2).

« Quelques années après la déclaration de la maladie d’Alban, 25 enfants ont déclaré un cancer sur la même zone géographique. Et, parmi eux, 7 enfants sont déjà décédés »

Pourquoi ?

On dispose de suffisamment d’études et de données pour constater que l’exposome [la totalité des expositions à des facteurs environnementaux que subit un corps humain depuis la naissance — NDLR], nous permet de comprendre les cancers des enfants aujourd’hui. J’ai alerté encore et encore, car les autorités sanitaires françaises ont décidé de ne pas chercher, et de ne pas chercher à comprendre, ce qui vient provoquer les cancers d’enfants sur notre secteur. Et même bien au-delà, en réalité.

C’est-à-dire ?

Il y a eu une étude épidémiologique de Santé publique France, puis des levées de doutes de l’agence régionale de santé du Pays de la Loire. Et les deux ont clôturé leurs enquêtes, avant d’aller plus loin. Les seules études environnementales qu’il y a eues, dans le cadre des cancers pédiatriques, c’est zéro. Il y a eu une étude épidémiologique, à savoir des questionnaires envoyés à quelques familles. À l’issue de ce questionnaire, ça a été la fin de l’enquête de Santé publique France.

Qu’est-ce qui a posé problème ?

Il y a beaucoup de manques et de trous dans la raquette. Le cluster a d’abord été validé, puis invalidé… Mais, si on ne fait pas d’investigations et de recherche environnementale sur ce qui se passe sur notre secteur, alors qu’il y a eu 25 enfants qui déclarent un cancer, on ne le fera nulle part ailleurs. Cela veut dire qu’on a compris qu’il ne fallait pas chercher, pour ne pas trouver.

Que vous ont répondu les autorités françaises ?

On nous a dit qu’il manquait de littérature scientifique pour comprendre ce qui était en train de se passer sur ce secteur. Alors, certes, on ne pourra pas redonner la vie à ces enfants qui l’ont perdue, mais on pourra peut-être essayer de travailler ensemble pour que les autres, demain, ne tombent pas malades. Le meilleur cancer, c’est celui que l’enfant n’aura pas. Oui, aux traitements, mais, surtout, oui à la recherche des causes et à la prévention.

« Quand on met de côté les 5 % d’enfants qui développent un cancer pour des raisons génétiques, il faut faire de la recherche, et comprendre ce qui est en train de se passer. Je ne veux pas que le cancer devienne une évidence et une fatalité »

Mais que faire, alors qu’il manque de littérature scientifique ?

Créons-la, cette littérature scientifique. Créons ces bases de données. On a des chercheurs à la pointe qui sont prêts à nous aider. Créons les moyens pour comprendre ce qui est en train de se passer, avec des chiffres, et des données de chercheurs, avec des croisements de données sur l’homme, la flore, la faune, l’air, les sols, les champs électro magnétiques, les métaux, les perturbateurs endocriniens, tout ce qui va être polluant dans notre quotidien. Ça prendra des années, mais plus on retarde cela, et plus d’autres enfants tomberont malades.

Qu’est-il urgent de faire ?

On doit prendre en compte les effets « cocktails » et les toxicités chroniques. Aujourd’hui, les normes ne se basent que sur la toxicité aiguë des polluants en France, qu’ils soient chimiques ou autres. Mais il faut prendre en compte la toxicité chronique également, car, dans le corps d’un enfant, une petite dose de polluant chaque jour, de petite taille, est beaucoup plus toxique qu’une toxicité aiguë à un seul endroit, et à un moment « T ».

Plusieurs causes expliquent un cancer ?

Il faut en effet prendre en compte le cumul des facteurs d’exposition, c’est-à-dire plusieurs expositions différentes dans le corps de nos enfants. Il faut cumuler des données et, à partir de là, on saura faire des corrélations. Il faut faire de la prévention, à partir des données de ces clusters. Et de la prévention primaire, s’attaquer aux racines.

Quelles pistes pourraient expliquer le cluster de cancers que vous avez identifié ?

Si on avait eu un équivalent de Tchernobyl en France, ça aurait été plus simple. L’idée n’est pas de trouver un coupable, mais de faire de l’accompagnement. Certainement que, moi aussi, pendant ma grossesse, j’ai été soumise à des polluants. On sait qu’il y a des fenêtres d’exposition qui sont d’autant plus toxiques à certains moments de la grossesse. Je vis à la campagne, dans une zone agricole, viticole, et maraîchère. Chacun fait son job du mieux qu’il peut, et tout ce qu’ils utilisent et traitent le sont dans les normes, et il n’est pas question de les incriminer… Mais j’ai certainement respiré des « choses », et j’ai certainement pris des risques pour Alban, à ce moment-là.

Vous vivez aussi à proximité d’une usine ?

Sur notre secteur, on a une ancienne usine de traitement de charpentes de bois, avec beaucoup de lindane [un insecticide organochloré commercialisé depuis 1938, actuellement interdit dans plus de 50 pays, dont la France — NDLR], bien que ce soit un produit interdit aujourd’hui, car c’est un polluant extrêmement persistant, qui est un cancérigène reconnu. C’est un cumul avec d’autres éléments.

Quels autres éléments ?

On a aussi un champ électro magnétique « extrêmement basse fréquence », qui est considéré comme un risque de leucémie pédiatrique. On en a beaucoup, car on a connu un grand nombre d’implantations d’éoliennes à partir de 2015. Attention, je ne dis pas que l’éolien, en lui-même, crée des cancers d’enfants. Mais, l’éolien est raccordé par des câbles souterrains, et le générateur explose de tension électrique depuis qu’il est raccordé aux champs éoliens, d’où ce champ électro magnétique extrêmement basse fréquence sur notre secteur.

Comment démontrer la corrélation avec les cancers ?

Il faudrait analyser l’eau, l’air, les sols, mais l’État [français — NDLR] a refusé. On avait la possibilité, avec des chercheurs présents notamment à cette biennale de Monaco, de faire une analyse génomique des cellules cancéreuses de l’enfant, pour comprendre cette multitude de causes, afin de mieux pouvoir les diminuer chacune à l’avenir. Mais les autorités sanitaires, l’agence régionale de la santé (ARS), tout comme Santé publique France, ont considéré que leur travail n’était pas dédié à la recherche, et que ça ne relevait pas de leur mission. Ils ont donc fait une levée de doutes, par rapport aux normes officielles, mais rien de plus. L’Institut national du cancer n’a pas été en mesure de le faire, non plus. Aucune institution n’a encore permis ces recherches.

« Les cancers d’adultes, on les explique par le fait que nous sommes trop sédentaires, que nous mangeons mal, ou que nous fumons et buvons, en plus du stress. Il y a déjà tellement de facteurs, qu’on ne prend même pas en compte les facteurs environnementaux »

Il existe d’autres clusters de cancers pédiatriques en France ?

Dans le Haut Jura, dans l’Eure, et aussi à La Rochelle, des cas sont regroupés. Il en existe sûrement d’autres, mais on ne le sait pas, car il n’y a pas toujours des lanceurs d’alerte. Et il n’y a pas eu d’enregistrements de données depuis fin 2014, par les autorités françaises, donc on ne peut pas notifier d’augmentation. S’il n’y a pas de données, il n’y a pas de problèmes. Et on n’agit pas.

Que faire, alors ?

On se mobilise et on alerte, avec l’aide de chercheurs qui réalisent des analyses toxicologiques à partir des cheveux des enfants concernés. Ils ont décelé un nombre de polluants qui dépassait l’entendement, et une quantité de terres rares [des métaux très utilisés dans la haute technologie et la transition énergétique — NDLR] notamment, en plus de polluants organiques.

Qu’avez-vous fait de ces résultats ?

On a transmis ces résultats aux autorités sanitaires, car nous voulons travailler ensemble, pour faire de la prévention. Mais, là aussi, on nous a refusé ces analyses, en nous expliquant encore qu’ils ne font pas de la recherche, et qu’ils ne peuvent pas exploiter ces données.

Pouvez-vous agir à l’échelle européenne ?

En France, on parle peu des causes environnementales pouvant provoquer des cancers chez les enfants, et encore moins à l’échelle européenne. Mais, effectivement, il faudrait lancer des choses de manière plus grande. Et, peut-être, grâce aux présidentielles, car les cancers pédiatriques sont comme des sentinelles, elles révèlent sûrement d’autres pathologies à côté. Peut-être que, derrière les cancers, il y a un nombre de diabètes de type 2 important, d’asthme, de puberté précoce… Quand on croise ces données avec celle de la faune et la flore, on découvre encore d’autres choses.

Et les cancers d’adultes ?

Les cancers d’adultes, on les explique par le fait que nous sommes trop sédentaires, que nous mangeons mal, ou que nous fumons et buvons, en plus du stress. Il y a déjà tellement de facteurs qu’on ne prend même pas en compte les facteurs environnementaux, car on se dit que ce n’est pas nécessaire. C’est pour ça qu’on ne peut les prendre en compte qu’à partir du cancer de l’enfant, car c’est à partir de là qu’on peut savoir.

Les cancers pédiatriques révèlent les cancers d’adultes ?

Quand on met de côté les 5 % d’enfants qui développent un cancer pour des raisons génétiques, il faut faire de la recherche et comprendre ce qui est en train de se passer. Je ne veux pas que le cancer devienne une évidence et une fatalité. Car je ne sais pas s’il existe quelque chose de plus horrible au quotidien qu’un cancer d’enfant, et côtoyer la mort et la souffrance dans un service d’oncologie pédiatrique. L’espérance de vie d’Alban est de 60 ans maximum. Ce sont les chiffres d’aujourd’hui, et c’est une réalité qui n’est pas acceptable.

Quelles seront vos prochaines initiatives ?

Faute de pouvoir agir avec les autorités d’État, on continue d’avancer avec notre collectif. Nous allons créer un institut de recherche en santé environnementale, avec des actions de prévention. Ce sera en lien avec les chercheurs car, eux, ils sont prêts, ils y vont, et ils savent. Ils ont déjà des éléments dans leurs laboratoires qui permettent d’alerter sur les causes environnementales comme facteurs cancérogènes.

Il faudrait légiférer ?

Un jour, il faudra légiférer, et avancer tous ensemble. Des élus vont nous rejoindre dans cet institut, pour qu’il n’y ait plus d’autre choix que d’agir. Les scientifiques ne publieront pas tous les résultats qu’ils collecteront, mais l’État français a déjà des résultats en main. Malheureusement, c’est un sujet qui fait peur, c’est économique, mais on parle de santé et de la vie d’enfant. Ce serait bien de ne pas s’opposer sur un sujet comme celui-ci. On ne peut qu’être tous d’accord.

D’où la nécessité d’être soutenu par des associations ?

Grâce aux financements apportés par la fondation Flavien, par exemple, les chercheurs ont pu avancer et trouver des éléments de compréhension sur pourquoi une cellule cancéreuse mute. Grâce à cela, on peut mieux adapter les traitements pour les enfants. Il n’est pas question d’opposer la recherche des causes, à la recherche de traitement. Il faut les deux ensemble, pour avancer dans la prévention des cancers. Vivre en bonne santé dans une planète un peu saine, ce serait pas mal, quand même.

Pour lire notre article sur la 5ème biennale de cancérologie, cliquez ici.

1) Le collectif Stop aux cancers de nos enfants organisera un rassemblement, devant le ministère de la Santé à Paris, contre les cancers de l’enfant, le 15 février 2022, date de la journée internationale dédiée. + d’informations ici : https://stopauxcancersdenosenfants.fr.

2) La fondatrice du collectif Stop aux cancers de nos enfants, Marie Thibaud, un médecin, et un toxicologue ont publié une tribune dans Le Monde le 28 décembre 2021 intitulée : « L’État doit considérer l’épidémie de cancers pédiatriques comme une urgence sanitaire ».