vendredi 26 avril 2024
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Le juge Levrault perd une manche

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Même si son détachement en principauté a pris fin le 31 août 2019, le juge Edouard Levrault n’a paradoxalement jamais été aussi présent dans les médias et dans les conversations à Monaco. Contestant son non-renouvellement devant la justice monégasque, l’un de ses recours vient d’être rejeté par le tribunal suprême.

La semaine du 21 octobre 2019 aura incontestablement été monopolisée médiatiquement par le juge Edouard Levrault. Il y a tout d’abord eu un premier article publié le 24 octobre par nos confrères de L’Obs’. Intitulé Le juge qui accuse Monaco, cet article est présenté comme sa première « confession » : « Il dénonce les pressions et les coups bas et appelle à une réforme profonde. » Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le discours de cet ancien juge de la principauté est direct : « J’ai réalisé qu’à Monaco la justice devait être une institution qui arrange, et non qui dérange. » Assurant avoir sincèrement « cru » au départ, en 2016 donc, dans la possibilité de pouvoir « exercer pleinement des fonctions d’instruction conformément au droit de la principauté et à ses engagements internationaux », Edouard Levrault détaille ensuite comment, en trois ans passés à Monaco, de 2016 à 2019, ses espoirs ont été déçus, au fil du temps. Désaccords et tensions avec la police monégasque quant à la stratégie à suivre sur certaines enquêtes, méthodes jugées brutales et spectaculaires par certains… Peu à peu, il dit s’être retrouvé isolé. Mais il ne regrette rien, comme il l’a expliqué à L’Obs’ : « Si mes méthodes semblent avoir ému quelques-uns, aurais-je conduit mes dossiers contre les lois ? Ou bien ne s’agit-il que d’intérêts particuliers dérangés par des procédures dont j’avais la charge et pour lesquelles je m’employais activement, sans me soucier de la qualité ou du rang des personnes soupçonnées ? J’ai obéi à ma conscience et à mon devoir, ni plus, ni moins. Mais sans doute était-ce déjà trop au goût de certains. »

Tentaculaire

Pour beaucoup, il est celui que l’on appelle souvent dans les médias « le juge de l’affaire Rybolovlev », un dossier tentaculaire dans lequel il instruisait le volet qui porte sur des atteintes à la vie privée. En avril 2019, ce magistrat français apprend que son renouvellement pour trois années supplémentaires a été demandé par Monaco et accepté par la France. Mais, en juin 2019, il lit dans la presse que, finalement, son détachement en principauté prendra fin le 31 août. L’ordonnance souveraine mettant fin à son détachement est publiée le 31 juillet 2019. « La décision des autorités monégasques m’a été notifiée sans qu’aucun grief ne soit invoqué, ce qu’aucun Etat de droit ne saurait admettre », explique Edouard Levrault à L’Obs’, tout en terminant son interview par deux questions : « En devenant des magistrats monégasques, sommes-nous alors purement et simplement abandonnés dans les mains d’une puissance étrangère qui décide à sa guise de notre sort sans que la France puisse l’empêcher ? Ou bien bénéficions-nous de garanties solides et indispensables à l’exercice de nos fonctions auxquelles la France veille attentivement ? » Après avoir quitté ses fonctions en principauté le 31 août 2019, Edouard Levrault a retrouvé un poste. Il a été nommé vice-président du tribunal de grande instance de Nice.

Recours

Dès le lendemain de la publication de cet article dans L’Obs’, c’est au tour de Monaco-Matin de faire sa « une » avec le juge Levrault. Se faisant écho d’une ordonnance rendue le 22 octobre 2019 par le tribunal suprême, ce quotidien régional indique que l’une des deux requêtes présentée par l’ancien juge d’instruction de la principauté a été rejetée. Ce rejet ne peut pas être contesté en appel. Le 21 août 2019, l’avocate d’Edouard Levrault, Me Sarah Filippi, a déposé un recours en sursis à exécution de la décision du 24 juin 2019. Une décision dans laquelle le directeur des services judiciaires de l’époque, Laurent Anselmi, remplacé depuis le 18 octobre 2019 par Robert Gelli, refusait de renouveler Edouard Levrault pour trois ans au poste de juge au tribunal de première instance de la principauté. Un second recours a été déposé. Il demande l’annulation de cette décision pour excès de pouvoir. Toujours selon nos confrères de Monaco-Matin, ce second recours « ne devrait pas être examiné avant plusieurs mois ». Jugeant la décision prise à son égard « arbitraire », Edouard Levrault estime ne pas avoir été informé des reproches qu’on aurait eu à lui faire. Par conséquent, il n’a pas pu préparer sa défense. Toujours d’après Monaco-Matin, son recours est notamment étayé par l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Choix

De son côté, l’Etat monégasque rappelle pour sa part que la convention franco-monégasque du 8 novembre 2005 donne la possibilité de ne pas justifier le choix de mettre fin au détachement d’un magistrat français à Monaco. Interrogé par Monaco Hebdo en juillet 2019, c’est cet argument de droit que reprenait celui qui était alors directeur des services judiciaires et qui vient de faire son entrée au gouvernement au poste de conseiller-ministre pour les relations extérieures, Laurent Anselmi : « Cela relève de la souveraineté de la principauté, expliquait-il. C’est un non-renouvellement qui se situe à la fin de la période de détachement. Ce n’est pas un limogeage. C’est l’application normale d’un accord bilatéral entre Etats. » Avant d’ajouter, un peu plus loin : « Pendant toute la durée de leur détachement en principauté, les juges bénéficient d’une indépendance absolue. Au terme de ce détachement, ils réintègrent leurs corps d’origine en vertu de ces accords franco-monégasques. Ces accords, qui sont des instruments de droit international, ne peuvent pas être regardés comme étant attentatoires à l’indépendance des juges. » Dans un communiqué publié le 24 septembre 2019, le prince Albert II avait été ferme. Réaffirmant son « attachement à une justice indépendante et impartiale », il avait assuré qu’il tenait à ce « qu’elle retrouve la sérénité qui doit présider à son bon fonctionnement ». L’arrivée de l’expérimenté Robert Gelli à la tête de la direction des services judiciaires et la création d’un poste de troisième juge d’instruction sont des signaux clairs envoyés par Monaco à la France.