vendredi 19 avril 2024
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« La Principauté n’est pas une destination de tourisme sexuel »

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Alors que le débat sur la pénalisation des clients de prostituées fait rage en France, le gouvernement monégasque ne compte pas emboiter le pas et légiférer. Paul Masseron, conseiller pour l’Intérieur, mise davantage sur un renforcement de la surveillance des établissements de nuit « afin d’éviter tout afflux de prostitué(e)s ».

Monaco Hebdo : Historiquement, y avait-il des maisons closes à Monaco ?
Paul Masseron : Si les maisons closes ont pu exister en principauté dans un passé lointain, il n’en a pas été gardé trace dans la mémoire des services. Certains établissements ont bien existé à la frontière par le passé.

M.H. : Aujourd’hui, à Monaco, seuls le racolage actif et le proxénétisme sont interdits. Quelle est la logique et la philosophie de ce cadre légal ?
P.M. : La lutte contre l’exploitation sexuelle des êtres humains ainsi que contre les violences faites aux femmes réclame un combat sans faiblesse à l’encontre du proxénétisme sous toutes ses formes. Par ailleurs, le maintien d’un cadre de vie agréable et de qualité, ainsi que de l’ordre public conduisent à proscrire tout racolage actif tant sur la voie et les espaces publics qu’au sein des établissements recevant du public.
Ainsi, le code pénal monégasque prévoit et réprime les infractions constituant des attentats aux mœurs. Concernant la prostitution, lorsqu’elle ne met pas en cause des mineurs, il n’y a pas de répression propre liée à cette pratique, comme dans une majorité des pays occidentaux. Il existe à Monaco une répression du racolage actif et du proxénétisme. En principauté, la prostitution n’est sanctionnée que si l’attitude des prostituées peut contribuer à troubler l’ordre public.

M.H. : L’Etat compte-t-il modifier sa législation ? La radicaliser vers une pénalisation des clients ? Ou au contraire autoriser des maisons closes, pour instaurer un contrôle sanitaire et légal des prostituées ?
P.M. : La Principauté n’est pas et n’a jamais été une destination de tourisme sexuel et n’entend pas le devenir. La tranquillité de chacun doit être préservée et l’ordre public respecté. Cela étant, il apparaît particulièrement difficile d’imaginer contrôler efficacement une éventuelle interdiction de tout service sexuel tarifé. Comment, en effet, caractériser l’infraction si celle-ci est commise dans un lieu privé, entre personnes se déclarant consentantes ?
Aussi, les pouvoirs publics n’entendent pas modifier la législation actuellement en vigueur. Toutefois, un renforcement de la surveillance des établissements ouverts au public au sein desquels de telles transactions pourraient se conclure, sera bien évidemment effectué, afin d’éviter tout afflux de prostitué(e)s.

M.H. : Etes-vous favorable personnellement à l’ouverture de maisons closes ?
P.M. : Si la difficulté du contrôle évoqué conduit à exclure l’interdiction de la prostitution, dont le délit serait particulièrement délicat à caractériser, la réouverture des maisons closes pourrait être interprétée comme un appel à sa pratique, ce que, bien évidemment, l’Etat monégasque n’entend pas encourager. Aussi, il n’est pas favorable à cette ouverture.

M.H. : L’ancien directeur M. Muhlberger indiquait que « la prostitution n’est sanctionnée que si l’attitude des prostituées peut contribuer à troubler l’ordre public. » Pouvez-vous préciser le type de troubles à l’ordre public ? Comment sont-elles sanctionnées ? Et à quelle fréquence ?
M.H. : La prostitution n’est en effet pas interdite en Principauté. Seules les attitudes provocantes sont réprimées, ce qui constitue un trouble à l’ordre public. Ceci renvoie à l’article 421 alinéa 3 du code pénal relatif au racolage actif. Le trouble peut être tout simplement visuel (c’est-à-dire sans autres excès constatés, cris, scandales, ivresse, etc.). La Principauté de Monaco accueille chaque jour de très nombreux visiteurs étrangers (congressistes, touristes, familles…). L’attitude déplacée de prostituées qui racoleraient des clients potentiels serait totalement incompatible avec le paysage local. Enfin, les services de police mettant systématiquement en garde les prostituées sur le fait d’adopter une conduite irréprochable en principauté, aucune infraction de ce type n’a été relevée cette année.

M.H. : On parle d’une cinquantaine de prostituées enregistrées à l’année. C’est peu, surtout quand on se balade dans certains établissements la nuit ? Sont-elles toutes recensées par les services de police ?
P.M. : Toutes les prostituées fréquentant le territoire de la Principauté font l’objet d’un suivi. Elles sont systématiquement convoquées à la direction de la Sûreté publique pour faire l’objet d’un contrôle, suivi d’une vérification de leur identité. Lorsqu’elles confirment se livrer à la prostitution, elle font l’objet d’un examen de situation et un procès-verbal de « déclaration d’intention » est établi. Dans cet acte, elles reconnaissent leur activité, s’engagent à respecter la législation en vigueur et leur parcours les ayant conduit jusqu’à Monaco est retracé et minutieusement étudié.
Ce système de contrôle et de maîtrise de la prostitution est en vigueur au sein de la Sûreté publique de Monaco depuis de nombreuses années. Indépendamment du nombre total de femmes ainsi entendues par la direction de la Sûreté publique, on ne dénombre guère plus d’une cinquantaine de prostituées présentes en même temps au sein des établissements de nuit, dans les périodes riches en événements. En période creuse, moins d’une dizaine de prostituées fréquentent ces lieux.

M.H. : S’agit-il uniquement de femmes ? Majeures ?
P.M. : Effectivement, la direction de la Sûreté publique n’a recensé que des femmes majeures et est très vigilante à ce qu’aucune personne mineure ne se livre à la prostitution. Dans un tel cas, des procédures ad hoc seraient entamées sans délai, dont notamment celles relatives à la protection des mineurs.

M.H. : Y a-t-il toujours des gigolos ?
P.M. : Par le passé, quelques gigolos ont pu être repérés à la suite de plaintes de clientes. En dehors de ces quelques cas particuliers, la direction de la Sûreté publique n’a pas constaté de prostitution masculine.

M.H. : A Monaco, les prostituées sont-elles toutes indépendantes ou appartiennent-elles à des réseaux ?
P.M. : Il n’y a pas de réseau opérant à Monaco, ni de près, ni de loin. Rien dans les informations recueillies par la direction de la Sûreté Publique ne permet de dire que les prostituées ne sont pas toutes indépendantes. Elles n’ont pas de protecteur sur place. D’ailleurs, dans le cadre de la coopération policière internationale, la direction de la Sûreté Publique n’a pas été saisie par ses homologues d’affaires ayant connu un élément constitutif en principauté.

M.H. : Les hôtels, bars et boites de nuit tolèrent la présence de prostituées dans leurs halls et bars. Avez-vous noté un proxénétisme hôtelier ?
P.M. : La direction de la Sûreté publique a mis en place un dispositif traditionnel de contrôle et de surveillance de ces établissements. Il existe ainsi une relation étroite avec les directeurs de nuit des hôtels et les responsables des établissements de nuit. S’il est exact que des prostituées fréquentent les bars d’hôtels, c’est le directeur de nuit de l’hôtel, lieu privé, qui est responsable de la tenue de son établissement et les directeurs connaissent tous la législation. Cela étant, les fonctionnaires de police effectuent des passages fréquents dans ces établissements, et si un problème est observé, ils interviennent soit d’initiative, soit à la demande du responsable des lieux. De plus, il faut insister sur la sensibilisation régulière des responsables de ces établissements aux textes en vigueur et sur leurs responsabilités. Il n’y a pas de proxénétisme hôtelier à Monaco, sinon des procédures judiciaires auraient été réalisées.

M.H. : Combien de dossiers liés à la prostitution ou au proxénétisme sont actuellement étudiés par vos services de police ? Depuis 10 ans (on a entendu parler d’une affaire d’accusation de viol d’une prostituée dans un hôtel il y a quelques années) ?
P.M. : La direction de la Sûreté publique traite actuellement une affaire en commission rogatoire. Pour le reste, il s’agit de données confidentielles liées à des affaires judiciaires. En revanche, les services de police travaillent en étroite collaboration avec les polices de nombreux pays, dont la France et l’Italie, et sont régulièrement sollicités par des enquêteurs étrangers pour des affaires de proxénétisme. Ils apportent alors systématiquement leur collaboration par le biais du canal INTERPOL ou au travers de l’exécution de commissions rogatoires internationales.

M.H. : Il y a 2 ans, les conseillers nationaux avaient fustigé le fait que beaucoup d’établissements nocturnes étaient fréquentés par « une multitude de femmes de petite vertu » et que « trop était trop ». Marc Burini et Christophe Steiner ont même proposé la publication d’un petit guide rose, des endroits à fréquenter ou à éviter. Qu’en pensez-vous ?
P.M. : Il n’appartient pas à l’Etat de commenter ici de tels propos.