samedi 27 avril 2024
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Des polluants « éternels » retrouvés en Méditerranée, entre la Corse et Monaco

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Plusieurs mois après la traversée à la nage de l’explorateur Rémi Camus entre Calvi et Monaco en juin 2023, des PFAS ont été retrouvés par l’équipe scientifique qui l’accompagnait. Il s’agit de polluants invisibles à l’œil nu, présents dans de nombreux produits du quotidien. Ils présenteraient aussi des effets cancérigènes, et une baisse de l’immunité chez les enfants.

C’est une découverte qui fait froid dans le dos. Lorsque l’explorateur Rémi Camus s’est lancé dans la traversée Calvi-Monaco de 180 kilomètres à la nage, entre le 7 et le 20 juin 2023, son objectif était de sensibiliser à la protection des océans, tout en analysant le corps humain en situation extrême. Avec les équipes du laboratoire Wessling et de l’entreprise Capillum, des coussins de cheveux avaient été déployés pendant ce périple pour absorber et déceler des traces d’hydrocarbures, d’huiles de surface et de perfluorés dans la mer.

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Rémi Camus s’attendait donc logiquement à y retrouver des traces de pollution, qu’il avait déjà croisées lors de ses précédentes expéditions. Mais il ne s’attendait pas à découvrir que la Méditerranée était aussi en proie à une pollution invisible à l’œil nu, plus diffuse, et plus difficile encore à éradiquer que celles des détritus. Les analyses de cheveux réalisées par le laboratoire Wessling de Saint-Quentin-Fallavier ont en effet relevé une forte présence de PFAS, des substances per- et polyfluoroalkylées, plus communément qualifiées de « polluants éternels », car impossibles, ou presque, à éradiquer.

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Calvi Monaco Rémi Camus Mediterranée
« Tout comme l’amiante était autrefois une molécule magique à son époque, avant que l’on découvre ses effets dévastateurs sur la santé, la famille des PFAS est magique, car elle est quasiment indestructible une fois synthétisée. Elle va permettre de créer des molécules avec énormément de propriétés, dont celle hydrofuge, qui donnera les vêtements de type K-way. Ou bien antiadhésive, qu’on retrouvera dans les ustensiles de cuisine, comme les poêles en téflon. Des PFAS, à vrai dire, on en a mis partout. » Stéphane Fievet. Responsable recherche et développement chez Wessling France. © Photo Rémi Camus

Une mer déjà polluée

Depuis douze ans que Rémi Camus entreprend des expéditions environnementales à travers le monde, on serait tenté de croire que plus rien ne l’étonne. Et pourtant, à l’issue de ses 14 jours de nage entre Calvi et Monaco, ce n’est pas aux PFAS qu’il pensait, au sujet de la pollution en Méditerranée : « Je savais qu’on allait trouver des choses. Quand j’ai fait le tour de France à la nage en 2018, de Cerbère jusqu’aux côtes monégasques, la mer Méditerranée avait été pour moi l’un des bassins le plus surprenants en termes de pollution visuelle. J’avais franchement halluciné sur la quantité de détritus que l’on voit à l’œil nu, sur la plage et au fond de l’eau, entre les carcasses de voiture et de motos, les pneus, les armatures de bateaux ou encore des micro-ondes. Mais cette pollution invisible, je n’en avais aucune idée, raconte-t-il. Je savais qu’il y aurait une problématique, car il n’y a pas que la France, l’Italie et Monaco qui bordent la Méditerranée. Il y a d’autres pays qui évoluent dans des conditions de vie différentes des nôtres, avec des normes environnementales différentes. J’étais donc persuadé qu’il y aurait des problématiques dans l’eau, mais sans savoir à quoi m’attendre exactement. » L’ensemble des côtes françaises est touché, et il n’y a pas que la Méditerranée qui soit particulièrement polluée. C’est le cas au nord du Havre, près de l’ancienne décharge à ciel ouvert de Dollemard, ou sur la côte basque, au large de Biarritz et de Saint-Jean-de-Luz, devenue une zone victime de la marée, sorte de réceptacle des pollutions françaises, espagnoles et portugaises. Mais la Méditerranée, sous ses faux-airs tranquilles, a peut-être atteint un niveau de saleté inégalé : « Les gens imaginent toujours la pollution comme étant visuelle. Mais ce n’est pas parce que la mer paraît propre qu’elle n’est pas polluée. Collecter des déchets en amont est finalement beaucoup plus simple, car ils n’ont pas été broyés par le sel, par la houle, le vent ou le soleil. La pollution invisible est plus sournoise car, lorsqu’elle arrive en pleine mer, c’est presque déjà trop tard. C’est comme la pollution de l’air. » Les PFAS, comme les « larmes de sirène », ces minuscules billes de plastiques qui se confondent avec les grains de sable sur les côtes françaises, se sont frayé un chemin vers les Alpes-Maritimes et la Corse. Depuis où ? Leur origine serait multiple, mais la source principale de ces polluants éternels en Méditerranée pourrait bien se trouver en région Rhône-Alpes, dans la « vallée de la chimie », où se concentrent plusieurs industries, qui y déversent leurs produits. En toute légalité.

Julien Paupier Mediterranée polluants
Julien Paupier, responsable du pôle chromatographie liquide de Wessling France. © Photo Wessling

Une pollution pas si nouvelle, et pas si lointaine

À l’origine, les PFAS ont tout du produit miracle. Cette famille de 4 400 molécules est la star de plusieurs industries depuis les années 1950, à qui elle offre des propriétés inégalées : « Tout comme l’amiante était autrefois une molécule magique, avant que l’on découvre ses effets dévastateurs sur la santé, la famille des PFAS est magique, car elle est quasiment indestructible une fois synthétisée, explique Stéphane Fievet, responsable recherche et développement chez Wessling France. Elle va permettre de créer des molécules avec énormément de propriétés, dont celle hydrofuge, qui donnera les vêtements de type K-way. Ou bien antiadhésive, qu’on retrouvera dans les ustensiles de cuisine, comme les poêles en téflon. Des PFAS, à vrai dire, on en a mis partout. » Produits cosmétiques, textiles, produits de revêtements, ou encore antidérapants… À force d’être partout, ces PFAS ont fini par se retrouver dans l’air, les sols, l’eau potable et, par conséquent, dans l’organisme. En octobre 2023, ces perfluorés auraient même été décelés dans l’eau du robinet, en région Occitanie, selon l’agence régionale de santé rattachée. « C’est une pollution nouvelle dans l’esprit des gens, mais ces molécules ont déjà contaminé toute la planète. Des tests réalisés dans des zones reculées en ont décelé jusqu’à des sommets de montagne, et même en Arctique, explique Stéphane Fievet. Il y en a dans les ruisseaux, les rivières, les fleuves, et puis la mer. Avec l’évaporation, elles suivent le même chemin que les micro-plastiques et elles retombent sur les sols à partir de pluie et de neige. » Sa présence en Méditerranée en devient presque logique. Mais c’est surtout son niveau de concentration qui pose question, tant il est important : les équipes scientifiques en ont mesuré 17 microgrammes par kilo de cheveux, ce qui est gigantesque quand on ramène ce ratio au volume de la mer. D’autant que l’immersion de ces coussins de cheveux n’a duré que 48 heures : « Ce sont des molécules presque indestructibles et, surtout, biocumulables. Une fois entrées dans un corps, elles y restent, car elles aiment la graisse. Elles entrent dans la chaîne alimentaire jusqu’aux gros poissons, que nous mangeons. Et, quand elles entrent dans la chaîne, elles s’accumulent. Son niveau de concentration est donc croissant dans l’organisme. »

Rémi Camus Mediterranée Explorateur polluants
« Les gens imaginent toujours la pollution comme étant visuelle. Mais ce n’est pas parce que la mer paraît propre qu’elle n’est pas polluée. Collecter des déchets en amont est finalement beaucoup plus simple, car ils n’ont pas été broyés par le sel, par la houle, le vent ou le soleil. La pollution invisible est plus sournoise car, lorsqu’elle arrive en pleine mer, c’est presque déjà trop tard. C’est comme la pollution de l’air. » Rémi Camus. © Photo Rémi Camus

Des effets néfastes sur l’organisme

Il fallait s’en douter, ces polluants éternels présentent des risques pour la santé. Ce qui n’était encore qu’une suspicion a été démontré tout récemment par le centre international sur le cancer (CIRC), le 30 novembre 2023. Cet organisme a classé le PFOA et le PFOS — deux molécules de la famille des PFAS — comme « cancérigène pour les humains » et « cancérigène possible ». Le PFOA avait déjà été évalué comme un « cancérigène possible » en 2016 par le CIRC, mais ce n’était pas encore le cas du PFOS. Outre le cancer, d’autres types d’effets sur la santé sont suspectés, comme les maladies thyroïdiennes, les troubles de la reproduction, de la fertilité, mais avec un niveau de preuve scientifique moins élevé, sur la base des connaissances acquises pour le moment. Mais, dans l’ensemble, la littérature scientifique consacrée aux PFAS et à leurs effets potentiels sur la santé est de plus en plus abondante. Et elle fait état de maladies et de réactions de l’organisme parmi les effets. Entre autres, la diminution de la réponse immunitaire à la vaccination, notamment celle des enfants, la baisse du poids de naissance des nourrissons et une augmentation du risque de cancer du rein. En ce qui concerne leur réglementation, qu’elle soit européenne ou française, celle-ci reste ciblée sur quelques substances seulement : « Pour le moment, 28 molécules sont suivies sur les 4 400 existantes. Il s’agit des 28 les plus utilisées par les industries, et nous pouvons les utiliser comme des traceurs. Ce serait quasiment impossible d’en étudier 4 400 mais, avec ces candidats-là, on a déjà suffisamment de drapeaux rouges qui se lèvent », détaille Stéphane Fievet.

Rémi Camus Mediterranée Explorateur polluants Wessling
© Photo Rémi Camus

Limiter l’impact

Parmi les textes qui existent, à échelle européenne, et de manière globale, le règlement Reach, entré en vigueur en 2007, est sensé sécuriser la fabrication et l’utilisation de substances chimiques dans l’industrie européenne. En France, un plan d’action ministériel sur les PFAS a été élaboré en 2023 pour renforcer la protection de l’environnement et de ses populations contre les risques liés à ces produits. D’autres réglementations existent, également au niveau international, comme la convention de Stockholm de 2001, qui encadre l’utilisation de plusieurs composés de la famille des PFAS. Mais, il faut encore le rappeler, ces produits se dégradent très peu et leur présence est déjà bien en place. Tout l’intérêt consiste aujourd’hui à en limiter l’impact : « Nous voulons comprendre où sont les bassins de concentration, et leurs sources, pour pouvoir agir en conséquence. L’idée serait de développer des systèmes de concentration, sur un support comme les cheveux, pour mieux le détruire ensuite en les incinérant. Cela reste une solution émergente cependant, qui est à peine brevetée, mais c’est une idée faisable », estime Stéphane Fiévet. Pour poursuivre ce travail scientifique, Rémi Camus et Wessling France envisagent de réaliser de nouveaux prélèvements, dans le Rhône cette-fois, en partenariat avec la compagnie nationale du Rhône (CNR), pour mesurer les niveaux de PFAS et, par-là même, distinguer d’où vient la source de cette pollution en mer Méditerranée.