vendredi 26 avril 2024
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Christian de Perthuis : « Il y a des progrès relatifs, et il y a des insuffisances »

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Après la COP26 de Glasgow à laquelle a participé le prince Albert II, le professeur à l’université Paris-Dauphine et fondateur de la chaire Économie du climat, Christian de Perthuis (1), analyse pour Monaco Hebdo les principales conséquences de cette conférence sur les changements climatiques.

Le principal enjeu de cette 26ème Conférence internationale sur le climat, ou Conférence des parties (COP), était de décider de la feuille de route, afin de mettre en œuvre l’accord de Paris de 2015 qui a pour objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C : le contrat est-il rempli ?

La COP de Glasgow s’intègre dans le calendrier quinquennal de l’accord de Paris, adopté le 12 décembre 2015. Il faut savoir que toutes les COP n’ont pas la même importance. Depuis 2015, le premier rendez-vous important devait avoir lieu en 2020, mais il a été reporté d’un an à cause de la pandémie de Covid-19. Ce rendez-vous était important, car il s’agissait de la date butoir pour que les 195 pays déposent leurs nouvelles contributions nationales pour un cycle quinquennal, avant qu’un premier inventaire ne soit fait à partir de 2023. Le diagnostic est assez clair : aujourd’hui, les engagements pris ne nous mettent pas sur le chemin d’un réchauffement climatique à 1,5 °C. Les estimations font état d’un scénario qui conduit plutôt à une hausse de 2,5 °C ou 2,7 °C. Néanmoins, d’après le décompte des Nations unies, ces contributions marquent un progrès relatif par rapport au précédent jeu déposé en 2015.

Pourquoi ?

Parce que ces contributions permettent d’économiser en 2030 de l’ordre de 4,8 Gt d’émission (-8 %) par rapport aux contributions de 2015. Il y a donc un progrès. Mais ce progrès est tout à fait insuffisant pour nous mettre sur une trajectoire de réchauffement à 1,5 °C. Le secrétariat des Nations Unies estime que le déficit est assez considérable. D’après lui, il faudrait réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45 %, alors qu’elles augmentent actuellement d’un peu plus de 10 %.

« Le diagnostic est assez clair : aujourd’hui, les engagements pris ne nous mettent pas sur le chemin d’un réchauffement climatique à 1,5 °C. Les estimations font état d’un scénario qui conduit plutôt à une hausse de 2,5 °C ou 2,7 °C »

Comment en est-on arrivé là ?

La plupart des pays émergents n’ont pas modifié, ou modifié à la marge, leur contribution nationale déterminée. Deux grands pays ou zones géographiques ont modifié leur contribution provisoire : il s’agit de l’Europe qui est passée de -40 % à -55 %, et des États-Unis. Il y a donc un mieux relatif, mais on est sur des engagements très lointains.

D’autres avancées ont été actées ?

Les COP servent aussi à discuter des moyens, des conditions et des outils que l’on peut mettre en place pour améliorer la situation. Sur ce point, le résultat de la COP26 n’est pas négligeable. Il y a enfin un accord sur l’article 6 de l’accord de Paris, qui permet de fixer des règles sur les marchés internationaux des crédits carbone. Ce texte met en place des mécanismes de tarification carbone susceptibles d’accélérer, ou de faciliter, la réalisation de toutes les contributions conditionnelles. Car une grande partie des contributions est conditionnée à l’existence de ces mécanismes.

En 2009, les pays du Nord avaient promis de porter à partir de 2020 leur aide climat aux pays du Sud à 100 milliards par an : mais aujourd’hui, en 2021, cette promesse n’est toujours pas tenue ?

Les aides des pays du Nord vers les pays du Sud ont enregistré un progrès relatif. Mais le compte n’y est pas encore. On n’est pas certain d’arriver à 100 milliards par an, pour cette promesse qui remonte à l’accord de Copenhague, en 2009, lors de la COP15. Aujourd’hui, on est à 80 milliards par an. Mais le principal point de discorde sur le financement porte sur l’article qui concerne les pertes et les dommages. Ce sujet va rejaillir dans le futur. Les petits États insulaires et les pays les plus vulnérables considèrent que les pays riches ont une dette à leur égard.

Le 2 novembre 2021, 105 pays ont collectivement signé un Pacte mondial sur le méthane ?

Un Pacte mondial sur le méthane a été signé, mais les grands pays manquent à l’appel. Il manque notamment la Russie, l’Inde, la Chine et l’Australie. Mais la réduction des émissions de méthane est le levier qui impacte le plus rapidement l’atténuation du réchauffement climatique, parce que le méthane a une durée moyenne de séjour dans l’atmosphère de douze ans. Du coup, quand on réduit les émissions de méthane, on constate très vite un impact. Ce qui n’est pas du tout vrai pour un autre gaz à effet de serre : le protoxyde d’azote, le N2O (2). En effet, le N2O affiche une durée de vie dans l’atmosphère d’environ 130 ans. Donc, même en réduisant le N2O, il faudra beaucoup plus de temps pour que cela impacte le stock de N2O. En tout cas, l’initiative États-Unis/Union européenne a conduit plus de cent pays à s’engager à réduire d’au moins 30 % leurs émissions de méthane d’ici 2030.

« Ces contributions permettent d’économiser en 2030 de l’ordre de 4,8 Gt d’émission (-8 %) par rapport aux contributions de 2015. Il y a donc un progrès. Mais ce progrès est tout à fait insuffisant pour nous mettre sur une trajectoire de réchauffement à 1,5 °C »

Le 4 novembre 2021, plus de quarante pays ont accepté, d’ici 2030 et 2040, de mettre fin à l’utilisation du charbon ?

Il est ici question du charbon lié à l’électricité. On ne parle pas ici du haut-fourneau. Or, le charbon lié à l’électricité, c’est la partie la plus facile. Sur ce point, la messe est dite, c’est une question de temps. En revanche, il sera plus compliqué de faire de l’acier primaire brut décarboné. Mais le fait que cette problématique de sorties des énergies fossiles, c’est-à-dire des énergies produites par la combustion du charbon, du pétrole, ou du gaz naturel, soit explicitement dans l’agenda de la COP, c’est très important. On parle enfin de la sortie des énergies fossiles dans le communiqué final d’une COP. Jusqu’à présent, ce sujet était une espèce de non-dit absurde. Or, il est toujours plus commode de résoudre les problèmes une fois qu’ils sont clairement exposés.

Les énergies fossiles restent donc un problème majeur ?

Il faut s’attaquer aux énergies fossiles. Or, la coordination internationale du climat se heurte toujours au problème des pays qui ont beaucoup de fossiles sur leur territoire. Pourtant, la question de la sortie du fossile est majeure. Une bonne partie des énergies fossiles est constituée par les émissions agricoles. Or, pour l’instant, il y a très peu d’avancées sur la réduction des émissions liées à l’agriculture. C’est l’un des grands angles morts de cette COP26.

Qu’est-ce qui vous a surpris pendant cette COP26 ?

La surprise à laquelle personne ne s’attendait, c’est le communiqué commun rédigé par les États-Unis et la Chine. Ce communiqué fait explicitement allusion au méthane. Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas d’avancées significatives dans l’action multilatérale sur le climat, s’il n’y a pas un accord tacite entre la Chine et les États-Unis. En 2015, il n’y aurait pas eu d’accord de Paris, s’il n’y avait pas eu la rencontre entre le président américain Barack Obama et le président chinois Xi Jinping un an avant la COP. Nous sommes tous rentrés dans cette COP26 avec l’idée que le dialogue États-Unis – Chine n’était pas possible. Or, même s’il s’est maintenu à un niveau assez faible, il s’est quand même maintenu. C’est quelque chose de très important pour la suite. La Chine et les États-Unis représentent à eux deux plus de 40 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. De plus, d’un point de vue géostratégique, il sera impossible de faire les transferts financiers sans ces deux pays.

« Le secrétariat des Nations Unies estime que le déficit est assez considérable.  D’après lui, il faudrait réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 45 %, alors qu’elles augmentent actuellement d’un peu plus de 10 % »

En ouverture de ce sommet, le prince Albert a alerté sur la question des océans [lire notre encadré, par ailleurs — NDLR] : que peut peser un micro-État comme Monaco dans ce débat mondial, où s’affrontent des géants comme les États-Unis, la Russie ou la Chine ?

La question de l’océan est une question importante. Quand on parle de « neutralité climat », il y a deux volets. Le premier volet, c’est le carbone fossile. Il faut en sortir par le biais d’une transition énergétique. Cela concerne environ 70 % des émissions de gaz à effet de serre. Le second volet, c’est le carbone vivant. Il s’agit de l’agriculture, de la forêt, de la pêche, du traitement organique des déchets en fin de vie, c’est-à-dire de la fin du cycle de vie des produits agricoles et alimentaires, et de l’océan. Cela compte pour environ 25 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La question de la capacité future de l’océan à continuer à absorber le carbone atmosphérique est une vraie question (2).

« Une bonne partie des énergies fossiles est constituée par les émissions agricoles. Or, pour l’instant, il y a très peu d’avancées sur la réduction des émissions liées à l’agriculture. C’est l’un des grands angles morts de cette COP26 »

La question des océans est donc très préoccupante ?

Le CO2 se dissout à la surface de l’océan, ensuite il se transforme en sédiments grâce à des êtres vivants, et principalement à des phytoplanctons via la photosynthèse sous-marine. Or, il y a une crainte croissante que la perte de la biodiversité des océans affecte cette capacité à stocker du CO2. La première source de baisse de la biodiversité marine, c’est la surpêche. Donc la question des océans est très importante, et elle commence à être posée. Mais elle n’est pas intégrée dans le cadre de l’action, c’est-à-dire sur ce que l’on peut faire réellement. Donc, si le prince Albert II a un message sur ce sujet, je pense que c’est intéressant.

Vous êtes optimiste pour la suite ?

Comme le rendez-vous de Glasgow en 2020 a été supprimé, on a eu deux ans pour préparer cette COP. Si en deux ans on n’y est pas arrivé, c’est qu’il y a de vrais blocages de fond. Mais il y a des éléments qui permettront de progresser l’année prochaine, en 2022. Notamment si la question du méthane est bien intégrée, et que ce dossier avance. En tout cas, pendant cette COP26 nous n’avons pas assisté à une rupture fondamentale. Il y a des progrès relatifs, et il y a des insuffisances qu’il faut continuer à combattre.

Comment combattre ces insuffisances ?

En tant qu’économiste, je pense que la meilleure façon de les combattre c’est d’accélérer les changements de modèles économiques. Pour cela, il faudrait introduire, partout où c’est possible, la tarification du carbone, en fixant un prix élevé pour l’usage des énergies fossiles. Et avancer sur la question de la redistribution.

1) Ils voulaient refroidir la terre de Christian de Perthuis (Librinova), 239 pages, 14,90 euros.

2) Le N2O est le troisième plus important gaz à effet de serre, après le dioxyde de carbone (CO2) et le méthane (CH4). Il est réglementé par le protocole de Kyoto. On estime qu’il est 25 fois plus « réchauffant » que le méthane, et 300 fois plus que le C02. La durée de vie du N2O dans l’atmosphère est de 120 ans en moyenne, contre 100 ans pour le C02, et 12 ans pour le méthane.

3) Lors de l’ouverture de ce sommet sur le climat, dimanche 31 octobre 2021, le prince Albert II a milité en faveur de la protection des océans, rappelant qu’ils absorbent plus de 25 % des émissions de CO2 et 90 % de l’excès de chaleur provoqué par le réchauffement de la planète. « Nous devons explorer pleinement le rôle de l’océan et nous efforcer de mieux le connaître, élaborer des outils de conservation, renforcer les moyens mis en œuvre pour le promouvoir, améliorer sa gouvernance et mieux prendre en compte les enjeux de l’océan dans toutes les négociations des Nations unies », a souligné Albert II à la tribune, avant de lancer officiellement la troisième déclaration de « Because The Ocean ».

© Photo Gaetan Luci / Palais Princier

Le prince Albert dresse son bilan

À l’occasion d’une interview accordée à Monaco-Matin dans le cadre de la fête nationale le 19 novembre 2021, le prince Albert II a évoqué la COP26. Lors de son déplacement à Glasgow, il affirme avoir senti « une vraie envie d’aboutir » sur la déforestation et sur l’arrêt des subventions d’État pour les énergies fossiles. « Mais je regrette ces revirements et ces changements de posture à la dernière minute. […] Il y a encore trop de visions à court terme, et des visions d’État sur un certain modèle économique. Il faut absolument en sortir, sinon on n’avancera jamais », a estimé le prince Albert, tout en soulignant l’urgence à agir vite : « Tout le monde sait, à l’écoute des spécialistes et des scientifiques, qu’il y a une fenêtre qui est en train de se fermer. Tous les signes sont là. » Face aux timides avancées enregistrées lors de cette COP26, le prince Albert II a également insisté sur la problématique des énergies fossiles : « Je ne comprends pas ce comportement égoïste, voire irresponsable, d’avoir pour posture de toujours vouloir maintenir les énergies fossiles dans l’aspect économique. On sait qu’on doit en sortir, de manière progressive, bien sûr, pas du jour au lendemain. Mais entamons le processus maintenant, n’essayons pas de retarder les choses. » À Glasgow, le prince a pu voir que les résistances liées à un certain nombre de pays ne faiblissaient pas : « Je constate une nouvelle fois que des lobbys puissants et très forts mettent un frein à tout cela, et c’est tout à fait regrettable. »