samedi 27 avril 2024
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COP28 — Robert Vautard : « Les pièces du puzzle sont là, mais le puzzle n’est pas assemblé »

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Quel bilan peut-on tirer de la COP28 ? Monaco Hebdo donne la parole au météorologue et climatologue, Robert Vautard. Ce directeur de recherche au CNRS a été élu le 27 juillet 2023 à la co-présidence du groupe de travail 1 du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), en charge du rapport qui porte sur la connaissance des bases physiques du changement climatique.

La COP28 a pris fin le 12 décembre 2023 sur un accord autour d’un texte qui appelle à abandonner progressivement les combustibles fossiles, responsables à 80 % du réchauffement climatique : quelle est votre réaction ?

Ma première réaction a été un soulagement, parce qu’il y a eu un accord. Et cet accord rappelle bien que la science est très claire : il y a une nécessité d’arriver à une neutralité carbone en 2050. Ce rapport s’appuie sur beaucoup de travaux scientifiques, qui sont rappelés dans de nombreux paragraphes. Cela conforte le travail de tous nos collègues. Cet accord comporte plusieurs volets. Il y a notamment un volet sur l’atténuation, c’est-à-dire sur la baisse des émissions de gaz à effet de serre. On sait aujourd’hui qu’il faut une réduction très importante pour arriver à une neutralité en 2050. Cet accord mentionne clairement les voies pour y arriver, avec une transition des énergies fossiles vers des énergies décarbonnées, notamment les énergies renouvelables. Ce texte appelle aussi les pays à diminuer les émissions de gaz à effet de serre dans d’autres secteurs. Mais sur ce volet « atténuation » des émissions, il n’y a rien qui donne un chemin très précis. C’est un petit peu à la carte. C’est un accord qui est avant tout diplomatique.

C’est décevant ?

Malgré tout, c’est une grande avancée. C’est un accord historique. Mais les termes sont encore très vagues. Et les étapes pour atteindre les objectifs sont difficilement vérifiables. Il n’y a, par exemple, pas d’objectifs pour chaque décennie.

Dans cet accord, il est évoqué une « transition hors des énergies fossiles dans les systèmes énergétiques », mais, effectivement, aucune date n’est précisée : c’est inquiétant ?

Les dates sont précisées dans une autre partie de cet accord, mais pas avec des objectifs chiffrés. Donc les pièces du puzzle sont là, mais le puzzle n’est pas assemblé. Le chemin pour y parvenir n’est pas très clair. Ce texte laisse la possibilité aux pays de travailler un peu à leur façon. Cela ne permettra pas de vérifier les avancées de façon très significative, sauf sur les réductions d’émissions, car des bilans sont faits. Le prochain bilan sera réalisé dans cinq ans [cette interview a été réalisée le 14 décembre 2023 — NDLR]. Mais, pour le climat, cinq ans c’est dans très longtemps. Donc on peut dire que tout cela manque un peu de précision. Mais il y a quand même des avancées qui sont notables.

Selon l’Union européenne (UE), environ 130 des 195 parties étaient favorables à une position plus tranchée, avec une sortie des énergies fossiles à terme : il y a donc aussi de la déception ?

En tant que scientifique, « déception » est un mot que je comprends mal. Par contre, je peux dire qu’il n’y a pas que l’Europe sur la terre. Il y a aussi les pays du sud, il y a des pays qui ont des économies très différentes des économies européennes. Pour arriver à cet accord, il a fallu faire des compromis. Mais l’essentiel y est quand même. Il faut mesurer le progrès accompli par rapport aux discussions dans les précédentes COP, où le terme « énergie fossile » était banni. Maintenant, on appelle un chat, « un chat ».

« Ma première réaction a été un soulagement, parce qu’il y a eu un accord. Et cet accord rappelle bien que la science est très claire : il y a une nécessité d’arriver à une neutralité carbone en 2050 »

La suite s’annonce difficile ?

Pour contenir la hausse des températures à 1,5 °C, le chemin n’est pas simple, car il impose des réductions massives, notamment dans les énergies fossiles qui sont responsables de 90 % des émissions de CO2, mais aussi dans d’autres secteurs. Et ça ne suffira même pas, puisqu’on ne parviendra pas à avoir des émissions réduites à zéro. Il restera toujours des émissions de CO2 résiduelles. Il faudra donc des systèmes pour retirer les concentrations de CO2 présentes dans l’atmosphère, et cela dans quasiment tous les scénarios. Cela passe par aussi par des solutions basées sur la nature, avec la restauration des forêts. Mais cela ne permettra de capter qu’une petite partie des émissions.

Lors de la COP28, le prince Albert II a évoqué le rôle sous-estimé des océans (1) ?

Le rôle des océans est, en effet, sous estimé. Il existe des pistes, mais elles ne sont pas forcément explicites. D’une manière générale, le rôle des écosystèmes, le fait de traiter correctement les surfaces terrestres et les surfaces naturelles, est extrêmement important, car les océans et la terre sont des ressources pour les puits de carbone. Mais ces ressources ne seront pas suffisantes pour arriver à un retrait suffisant du CO2 présent dans l’atmosphère. Il faut donc mettre en œuvre toutes les solutions pour y parvenir. Il n’y aura pas le choix.

Robert Vautard climat environnement COP28
« Même si on peut reprocher aux Emirats d’investir encore dans les énergies fossiles, il faut aussi savoir qu’ils ont énormément investi dans les énergies renouvelables. La transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables va devoir être mise en œuvre dans les pays dont l’économie dépend du pétrole ou du gaz. » Robert Vautard. Climatologue. © Photo Creative Family / Shutterstock

Ce texte laisse aussi la possibilité d’exploiter des énergies fossiles, si elles sont adossées à des technologies de réduction des émissions ?

Le texte laisse en effet la possibilité d’utiliser des technologies comme la capture du CO2 ou le “carbon dioxide removal” (CDR), l’élimination du CO2 dans l’atmosphère, qui ne sont pas des technologies encore éprouvées. Le texte pourrait être plus précis, en disant que ces technologies sont encore un peu de la science-fiction. Si ces technologies sont connues, on n’a pas toute la chaîne qui va permettre de les faire fonctionner dans le monde d’aujourd’hui. Quels seront leurs effets secondaires ? Leur modèle économique n’est pas du tout identifié. Qui va payer pour ça ? Il y a aussi la stabilisation du CO2 dans les sous-sols. Bref, il existe tout un ensemble de questions qui font qu’on ne sait pas si cela va fonctionner. Tout cela reste donc très hypothétique. La source du problème, ce sont vraiment les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Si on les réduit, on est sûr que ça aura un effet.

Le gaz utilisé comme une énergie de transition, la capture et le stockage du carbone, ou encore le nucléaire sont mentionnés comme des « alternatives » : comprenez-vous l’inquiétude de certaines ONG ?

Le gaz est une énergie fossile qui est moins émettrice que le pétrole. Son utilisation est une potentialité de transition, mais il faut garder en tête que c’est carboné. Pour le nucléaire, la situation est très différente, car il s’agit d’une énergie décarbonée. Elle n’émet pas de CO2, mais d’autres questions se posent avec le nucléaire : la gestion des déchets, la gestion de la filière… Cela montre que le problème va plus loin que le CO2 et le carbone. Il y a aussi la question de la biodiversité. On voit bien que l’on est face à des choix multiples et complexes. Mais il faut rappeler que, chaque jour, chaque année, le CO2 s’accumule dans l’atmosphère. L’urgence, c’est donc de trouver la méthode pour y remédier.

« C’est un accord historique. Mais les termes sont encore très vagues. Et les étapes pour atteindre les objectifs sont difficilement vérifiables. Il n’y a, par exemple, pas d’objectifs pour chaque décennie »

Quelle pourrait être la méthode ?

La méthode, c’est la baisse de la demande, avec à la fois la sobriété et l’efficacité énergétique. Il y a aussi les solution basées sur la nature. Et puis, il y a également ces technologies de capture ou d’élimination du CO2, qui sont encore en devenir, comme on l’a dit. Il faut enclencher des changements modaux, pour passer des énergies fossiles aux énergies décarbonées et aux énergies renouvelables. Le prix des énergies renouvelables a largement chuté, il y a donc une volonté assez ambitieuse sur ce sujet.

D’un pays à un autre, par quoi passe la mise en œuvre d’un plan pour sortir des énergies fossiles ?

Cela va dépendre de chaque pays et des économies de chaque pays. En France, un plan assez complexe est mis en œuvre par le gouvernement. Ces plans existent dans différents pays. Cela va beaucoup dépendre du parc énergétique existant. En France, avec le nucléaire, on a un parc qui est largement décarboné. En revanche, sur les transports, il reste beaucoup à faire. Dans d’autres pays, comme la Suède ou le Brésil, on s’appuie beaucoup sur l’hydro. Certains pays sont déjà très décarbonés. La géographie de la Suède, le fait qu’il y ait des montagnes et des ressources en eau encore très abondantes, joue un rôle. L’enjeu va être de savoir comment gérer la croissance sans ajouter d’énergies carbonées et en décarbonant les transports. En France, on a aussi un gros problème avec l’efficacité énergétique des bâtiments, mais aussi avec la sobriété. Chaque pays a ses conditions propres.

Quoi d’autre ?

Parmi les priorités, il faut savoir que certains gaz à effet de serre, comme le méthane, ont une durée de vie relativement courte, estimée à environ une dizaine d’années. Quand on baisse les émissions de méthane, on obtient des effets rapidement et à long terme, car il ne s’accumule pas dans l’atmosphère.

Et pour les pays qui dépendent beaucoup du pétrole ou du gaz ?

Il y a aussi des pays dont l’économie dépend quasiment à 100 % des énergies fossiles. C’est en cela que l’accord de Dubaï est intéressant : il montre la voie. Même si on peut reprocher aux Emirats d’investir encore dans les énergies fossiles, il faut aussi savoir qu’ils ont énormément investi dans les énergies renouvelables. La transition des énergies fossiles vers les énergies renouvelables va devoir être mise en œuvre dans les pays dont l’économie dépend du pétrole ou du gaz. Des pays sont fortement émetteurs par leur production ou par leur consommation, comme les Etats-Unis par exemple. La Chine travaille sur un plan qui s’appuie sur les énergies renouvelables pour la décarbonation. Chaque économie a ses atouts et ses difficultés. C’est pour cela que cet accord se veut un petit peu souple pour permettre à chacun de pouvoir avancer.

Monaco est une ville-Etat et, à l’occasion de cette COP28, le prince Albert II a annoncé sa volonté d’intensifier son engagement climatique (2) : quel regard portez-vous sur la politique environnementale monégasque ?

Il ne m’appartient nullement de porter jugement sur les politiques publiques d’un Etat, particulièrement dans mon rôle de co-président du GIEC. Je n’ai pas eu le plaisir de rencontrer le prince Albert II, qui œuvre beaucoup, par ailleurs, pour la recherche. Concernant les objectifs monégasques, je note qu’ils sont conformes aux objectifs internationaux et aux objectifs spécifiques européens. Le GIEC mentionne bien que le rôle des politiques publiques est crucial.

« Il faut mesurer le progrès accompli par rapport aux discussions dans les précédentes COP, où le terme « énergie fossile » était banni. Maintenant, on appelle un chat, « un chat » »

D’après l’Agence internationale de l’énergie, il faudrait que la production d’énergies fossiles chute de 95 % d’ici 2 050 pour rester dans la trajectoire d’un réchauffement de + 1,5 °C : ça semble un objectif impossible à atteindre ?

Rien n’est impossible à atteindre. Tout dépend des politiques qui sont mises en œuvre. Le rapport du GIEC montre très clairement des chiffres assez similaires, avec des variations selon le type d’énergie. Pour le charbon, c’est une sortie intégrale qui est dans les scénarios. Sur le pétrole, c’est un peu moins, mais c’est aussi presque une sortie totale. Et pour le gaz, c’est à mi-chemin. Je rappelle que le GIEC ne fait pas de recommandations, il analyse des scénarios. Dans les scénarios analysés, et qui n’ont pas, ou peu, de dépassement par rapport à ces 1,5 °C, les énergies fossiles sont très fortement réduites entre 2023 et 2050. Nous sommes dans les chiffres mentionnés par l’Agence internationale de l’énergie.

Parmi les principales autres avancées qui ont été enregistrées pendant cette COP28, il y a un objectif de triplement de la production d’énergies renouvelables et de doublement de l’efficacité énergétique en 2030 ?

Le triplement de la production d’énergies renouvelables et de doublement de l’efficacité énergétique en 2030 sont des points positifs. Ces points font partie d’un ensemble. Mais le texte n’est pas clair : est-ce l’ensemble des mesures ou est-ce un choix à faire parmi les mesures ? Que remplacent ces énergies renouvelables ? Il faut qu’elles remplacent les énergies carbonées. Parce que si des énergies renouvelables remplaçaient du nucléaire, on n’aurait pas de gain en termes d’émission de CO2, globalement.

À l’inverse, quels sont les points de blocage qui n’ont pas trouvé de solution à l’occasion de cette COP28 ?

C’est encore insuffisant sur l’adaptation et le financement. Notamment à propos de la question du financement des dommages et des préjudices. Je suis scientifique du climat. Donc j’ai du mal à commenter les chiffres dans ce domaine. Mais il y a eu des avancées. Il y a une forme un peu opérationnelle, sur le fonds, qui concerne les dommages et les préjudices. Cependant, les financements ne sont pas encore à la hauteur des attentes, notamment des pays du sud qui subissent ces dommages. Sur l’adaptation, il y a plusieurs points sur lesquels les pays sont encouragés à avancer. Mais cela demande aussi des financements. Et, là encore, les pays qui subissent le plus les impacts du changement climatique sont des pays vulnérables et pauvres. Dire aux pays de faire des plans d’adaptation c’est très bien, mais ça ne les finance pas. Sur ce point, il y a donc encore d’importantes marges de progrès.

L’accord de Paris de 2015 prévoyait de limiter à 1,5 °C l’élévation des températures moyennes globales à long terme : où en est-on aujourd’hui par rapport à cet objectif ?

En termes de température globale moyenne sur 20 ans, aujourd’hui les estimations varient entre 1,2 °C et 1,3 °C. Donc, nous sommes encore en dessous de 1,5 °C. Dans les années qui viennent, sur une année, il est possible de dépasser ces 1,5 °C. Les températures globales progressent à toute vitesse. Il est très probable que l’on dépasse ces 1,5 °C d’ici 2035. Plus l’amplitude du dépassement est élevée, et plus on a des risques d’impacts très sévères, voire de dépassement de certains points de bascule. Tout va donc essentiellement dépendre des actions qui seront menées dans les années à venir, et pas dans 10 ou 20 ans.

« Le texte laisse la possibilité d’utiliser des technologies comme la capture du CO2 ou le “carbon dioxide removal” (CDR), l’élimination du CO2 dans l’atmosphère, qui ne sont pas des technologies encore éprouvées. Le texte pourrait être plus précis, en disant que ces technologies sont encore un peu de la science-fiction »

Les COP s’enchaînent, mais on reste loin des objectifs en ce qui concerne la réduction des émissions de CO2 : les COP et les grandes réunions internationales autour du climat et de l’écologie servent-elles vraiment à quelque chose ?

Cette année encore, les émissions de gaz à effet de serre ont atteint un niveau record. Elles ne baissent pas de façon durable. Néanmoins, on sait que les politiques publiques mises en œuvre ont permis une petite baisse de ces émissions. Si ces politiques publiques sont suivies, elles n’amèneront probablement pas aux trajectoires les plus intenses pour les températures. D’autres part, les COP sont le seul endroit de rencontre de tous les pays pour discuter ensemble de la question du climat. On peut être très insatisfait du résultat de ces négociations, mais elles reflètent l’état du monde aujourd’hui. Un monde fragmenté, mais un monde qui peut encore discuter, comme on l’a vu à Dubaï. Donc je crois que ces COP sont extrêmement utiles. Elles ont permis de mettre en place une conscience du problème général. Elles ne permettent pas encore de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela se voit par les records d’émission que l’on a aujourd’hui. Mais nous n’avons rien d’autre que cet outil-là, qui est accepté par l’ensemble des pays du monde.

Robert Vautard climat environnement COP28
« Les COP ont permis de mettre en place une conscience du problème général. Elles ne permettent pas encore de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cela se voit par les records d’émission que l’on a aujourd’hui. Mais nous n’avons rien d’autre que cet outil-là, qui est accepté par l’ensemble des pays du monde. » Robert Vautard. Climatologue. © Photo Maurice Norbert

On a le sentiment que les sécheresses, les canicules, les inondations et les autres événements climatiques extrêmes se multiplient : il y a une véritable hausse du nombre et de l’intensité de ces catastrophes ?

Ce n’est pas seulement une perception, c’est une réalité. Tout ce qui est lié à l’augmentation des températures, et à la hausse des vagues de chaleur notamment, est maintenant visible dans tous les pays du monde. C’est l’un des résultats du rapport du GIEC précédent. Cette hausse est non seulement visible dans le monde entier, mais elle est attribuable aux activités humaines. C’est de plus en plus clair pour les phénomènes de pluies intenses, qui sont aussi liés à la température.

Et pour les sécheresses ?

Pour les sécheresses, c’est un petit peu plus difficile à mettre en œuvre, mais dans de nombreuses régions, on voit aujourd’hui des éléments attribuables au changement climatique. Je pense notamment aux régions méditerranéennes, pour lesquelles on a une quasi-certitude que l’augmentation des sécheresses est lié au changement climatique. Il y a aussi l’ouest américain. Comme on sait mieux analyser les choses et que l’on collecte de plus en plus de données, on voit de plus en plus que cela peut concerner aussi d’autres régions du monde. On a des études sur l’est de l’Afrique, par exemple. Mais les impacts de ces événements extrêmes ne sont pas seulement liés au changement climatique.

« Concernant les objectifs Monégasques, je note qu’ils sont conformes aux objectifs internationaux et aux objectifs spécifiques européens. Le GIEC mentionne bien que le rôle des politiques publiques est crucial »

Ils sont dûs à quoi d’autre ?

Ils sont aussi liés à la structure économique des pays. Dans les pays plus vulnérables, les populations sont plus touchées par les extrêmes que dans les pays développés. En cas de canicule, il n’y a pas de plans de prévention dans tous les pays du monde, ce qui occasionne beaucoup de surmortalité. Dans les pays d’Europe, il existe des plans d’alerte canicule, avec un dispositif qui se met en place. Cela a notamment été déployé en France à partir de 2003. Il y a aussi le problème posé par les vagues de chaleur humides, avec de l’air saturé en humidité ou très chargé en humidité, qui sont très difficiles pour la santé. Ces vagues de chaleur sont de véritables catastrophes, puisqu’à chaque fois, elles font des centaines, voire des milliers de morts. Et on en parle encore trop peu.

Pourquoi ?

Les images d’inondations catastrophiques sont parfois extrêmement impressionnantes. En revanche, souvent, il n’y a pas beaucoup d’images impressionnantes en cas de vagues de chaleur. Pourtant énormément de personnes en souffrent, et en meurent.

Certains membres de la communauté scientifique se transforment parfois en militants : aujourd’hui, l’urgence climatique exige cela ?

Face à l’urgence climatique, chaque personne informée, scientifique ou non, a sa propre réaction, son propre engagement. Ce n’est certainement pas une exigence, mais c’est une volonté d’agir, soit, par exemple, dans ses moyens de mobilité, ou par des actions militantes. Nous sommes dans des pays démocratiques et de liberté, qui laissent à chacune et à chacun le choix de son engagement.

« Les images d’inondations catastrophiques sont parfois extrêmement impressionnantes. En revanche, souvent, il n’y a pas beaucoup d’images impressionnantes en cas de vagues de chaleur. Pourtant énormément de personnes en souffrent, et en meurent »

Vous êtes coprésident du groupe 1 du GIEC, en charge de l’évaluation des aspects physiques du changement climatique : en quoi va consister ce 7ème cycle du GIEC qui va débuter ?

Le programme de travail sera défini en janvier 2024. Néanmoins, on sait que les problèmes liés au climat sont de plus en plus intégrés entre les sciences physiques, les sciences économiques, et la biologie. Nous avons beaucoup de questions qui sont très mélangées. Par exemple sur le cycle du carbone et sur la capacité des forêts à continuer à absorber du carbone. Cela dépend de la façon dont on exploite les forêts. Il y a derrière cela des questions économiques et de développement très importantes. Ces questions viennent se mélanger avec des questions physiques. Nous allons donc devoir travailler de façon extrêmement « intégrées » entre plusieurs communautés.

Parmi les rapports spéciaux du GIEC, il y aura un rapport sur les villes : en quoi est-il important ?

Il y aura effectivement un rapport spécial sur les villes et le changement climatique. Plus de la moitié des habitants de la Terre habitent dans des villes. Cela représente beaucoup d’émissions de CO2, et donc aussi beaucoup de potentiel de réduction de ces émissions. Cela passe par des changements structurels des villes, tout en gardant à l’esprit la dimension d’égalité. Il y a tout un volet social, mais aussi tout un volet physique. Parce qu’il faut identifier des solutions pour décarboner ou pour réduire les vagues de chaleur qui sont très fortes en ville, et notamment à Monaco. Villes côtières, villes non côtières, toutes ces questions seront traitées dans ce rapport spécial du GIEC. Il sera très intéressant de voir comment on peut adapter les conditions urbaines au nouveau climat. Et comment on peut aussi transformer les villes en solutions climatiques.

Les travaux du GIEC vont durer combien de temps ?

On ne le sait pas encore, car nous n’avons pas encore le planning. Mais on imagine qu’on pourra rendre le rapport du GIEC début 2027.

« Villes côtières, villes non côtières, toutes ces questions seront traitées dans ce rapport spécial du GIEC. Il sera très intéressant de voir comment on peut adapter les conditions urbaines au nouveau climat. Et comment on peut aussi transformer les villes en solutions climatiques »

Robert Vautard : une trajectoire idéale pour le GIEC

Météorologue et climatologue, directeur de recherche au CNRS, Robert Vautard, a été élu le 27 juillet 2023 par l’assemblée plénière du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) à la co-présidence du groupe de travail 1. Ce groupe constitue le principal groupe de travail du GIEC. Il est chargé d’établir un rapport sur la connaissance des bases physiques du changement climatique. Robert Vautard succède ainsi à Valérie Masson-Delmotte, qui occupait ce poste depuis 2015. Comme elle, il pilotera ce groupe en compagnie d’un climatologue chinois, Xiaoye Zhang. Il a pris les fonctions de directeur de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL) en 2020. Cet institut regroupe et coordonne la recherche en sciences du climat en Île-de-France. Cette fédération de laboratoires réunit 1 400 chercheurs en sciences du climat. Né le 4 mars 1963 dans le Val-de-Marne, Robert Vautard a fréquenté les cours de mathématiques de l’école normale supérieure. Puis, dans les années 1980, il a rejoint l’université Pierre & Marie Curie, avant de s’envoler vers Los Angeles (Californie) et l’université de UCLA. Après son doctorat, il s’est spécialisé dans les dynamiques et la pollution atmosphérique. Le GIEC a commencé à faire appel à lui au début des années 2010. À l’occasion du 5ème cycle de travail du GIEC, il a assuré le suivi des commentaires réalisés par la communauté scientifique et les gouvernements. Pour le 6ème et dernier rapport en date, Robert Vautard a coordonné un chapitre qui traite des informations liées aux risques et aux impacts du réchauffement climatique à l’échelle locale. Entre 2017 et 2021, ce climatologue a été coordonnateur de la convention nationale sur les services climatiques pour le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministère de la transition énergétique. Il assume depuis 2021 la co-présidence du groupe régional d’expertise sur le changement climatique et la transition écologique en Île-de-France (Grec-francilien), une plateforme de discussion entre science et politiques publiques régionales.

1) À ce sujet, lire notre article COP28 : « L’océan est notre meilleur allié dans la lutte contre le changement climatique », estime le prince Albert II, publié dans Monaco Hebdo n° 1311.

2) Le 1er décembre 2023, lors de la COP28, le prince Albert II a annoncé qu’un « vaste plan de mutation de la consommation d’énergies fossiles bâtimentaires vers des énergies propres sera prochainement lancé dans tous les bâtiments émettant plus de 50 tonnes de gaz à effet de serre par an. Trois nouveaux réseaux thalassothermiques vont alimenter prochainement 50 bâtiments chauffés au fioul. Cela va permettre de réduire de plus de 10 % nos émissions de gaz à effet de serre » [à ce sujet, lire notre article COP28 : Monaco va intensifier son engagement climatique].