vendredi 26 avril 2024
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Protection du patrimoine : la grogne des élus

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Conseil National
© Photo Monaco Hebdo.

Décidément la protection du patrimoine attise toujours les crispations. Après un débat houleux et devant la colère des élus, qui craignaient l’interruption du processus législatif, le ministre d’Etat Michel Roger a finalement annoncé que le gouvernement déposera un projet de loi dans un an.

Le débat avait mal démarré. Entre d’un côté, des élus contrariés qui se demandaient si pour la première fois, le ministre d’Etat n’allait pas interrompre le processus législatif et rogner leurs prérogatives. De l’autre, un ministre d’Etat qui ne pensait pas soulever une telle levée de boucliers. En annonçant d’emblée que le gouvernement n’avait pas tranché sur la forme définitive du texte destiné à protéger le patrimoine (1) mais que de toute façon, « il différera de manière substantielle » de la proposition de loi, Michel Roger s’est attiré les foudres de conseillers nationaux lors de la séance législative du 6 décembre.

Le texte des élus UP et UNAM sur la protection du patrimoine n’a visiblement pas convaincu le gouvernement. D’ailleurs, le ministre d’Etat a d’emblée tenu à répondre à une attaque faite par la commission de la culture et du patrimoine dans son rapport. « L’idée selon laquelle la démolition du patrimoine national serait devenue monnaie courante depuis près de 50 ans, est une assertion que le gouvernement ne partage pas », explique Michel Roger. Tout en soulignant toutefois l’absolue nécessité de « protéger les éléments emblématiques matériels comme immatériels de Monaco ». Sans oublier, un autre impératif?: ficeler un texte qui ne porterait pas atteinte à outrance aux deniers de l’Etat et au développement immobilier. Bref, trouver un « équilibre entre protection du patrimoine et nécessité d’augmenter nos recettes », lance le ministre.

« Patrimoine ravagé »

Dans l’hémicycle, la déclaration du ministre d’Etat a forcément entraîné des réactions en chaîne. Jean-Charles Gardetto a ainsi fustigé l’attitude du gouvernement?: « Je suis stupéfait de voir le ministre d’Etat nous dire qu’il a le plus grand respect pour le conseil national tout en interrompant le processus législatif. On est dans un double langage, on nous jette de la poudre des yeux. » Entre agacement et opposition frontale, les élus ont collégialement défendu leur position. Car s’il est un sujet où règne un certain consensus politique au conseil national, c’est bien sur la protection du patrimoine monégasque. Et Jean-François Robillon lui-même s’est prononcé. « Nous qui vivons depuis 30, 40 ou 50 ans, on regrette qu’un respect un peu plus marqué des témoignages architecturaux des années et des siècles n’ait pas été plus important. Il y a beaucoup de vieilles villas du 19ème

Sporting d’hiver


par exemple qui ont été détruites sans aucun respect. C’est notre regret », lance au ministre le président du conseil national. Des attaques qui sont allées crescendo dans tous les camps politiques. « Nous avons totalement ravagé le patrimoine historique Belle époque. Le m2 est une source remarquable qui a fait notre prospérité. Mais l’obsession de la rentabilité du m2 me rappelle les préoccupations d’un pays africain assis sur ses ressources minières qui sait qu’à la fin, il n’y aura plus de diamants, mais qui va continuer à creuser encore au détriment de tout le reste », explique l’élu UP Guillaume Rose.

L’occasion aussi de lancer une pique au gouvernement concernant l’épineuse question du Sporting d’hiver que la SBM entend raser. « Je ne fais pas partie des élus qui admettent l’éventualité de la destruction du Sporting d’hiver. D’autant que la SBM n’a présenté aucun projet précis. Y compris au gouvernement alors qu’il est actionnaire majoritaire, lance l’élue de l’UNAM Michèle Dittlot, l’ex-présidente de la commission culture qui avait particulièrement travaillé sur la proposition de loi destinée à protéger le patrimoine. J’ai du mal à accepter cette mort annoncée, faisant fi du projet de loi. C’est encore une partie de notre passé qui finirait sous d’avides pelleteuses. Un pays qui n’a plus de patrimoine, n’a plus d’âme et n’a plus de mémoire. »

Expertise externe

L’ancienne présidente de la commission de la culture et du patrimoine a d’ailleurs voulu lancer un message aux promoteurs?: « Je voudrais rassurer le lobby immobilier de Monaco. Notre proposition de loi ne s’érige en rien contre la promotion immobilière. Il n’est pas question de transformer nos quartiers en musée. » Son collègue Philippe Clérissi à l’UNAM monte à son tour au créneau?: « On ne peut pas dire que les ordonnances souveraines nous aient protégés de l’action conjointe de l’Etat et des promoteurs. En témoigne la démolition il y a quelques années de la gare Monte-Carlo, qui était une véritable œuvre d’art. »

Dans les rangs de l’opposition, l’élu de R&E Marc Burini a rappelé le distinguo qu’il était indispensable de faire entre patrimoine affectif et patrimoine architectural. « Le Sporting d’hiver fait partie de notre patrimoine affectif. Mais est-ce un chef d’oeuvre d’architecture?? Je ne le sais pas. C’est pourquoi je souhaitais introduire dans le comité consultatif un expert externe. » Ce à quoi le ministre répond?: « Sur le principe de recourir à une expertise externe je n’ai pas d’objection. » Face aux réactions houleuses de l’hémicycle, Michel Roger a défendu la position du gouvernement en rappelant que celui-ci n’avait pas « fini son travail de mise au point du texte », et invite les élus à ne pas « faire le procès du gouvernement avant même qu’il ait déposé le projet de loi. » Avant de rassurer sur l’essentiel?: « Il y aura un projet de loi sur la protection du patrimoine. D’abord par courtoisie et respect pour le travail conseil national, d’autre part car le sujet le mérite. Le gouvernement est dans son droit constitutionnel de faire ce projet de loi dans le délai d’un an. Attendons d’avoir le projet de loi pour faire un procès au gouvernement. »

(1) Le gouvernement devait trancher entre « l’élaboration d’une loi spécifique ou l’enrichissement d’un ou plusieurs textes législatifs existants. »

Le gouvernement revoit la copie
Après 6 mois de réflexion, le gouvernement a rendu ses conclusions devant l’hémicycle sur le texte proposé par les élus. Et les divergences sont nombreuses. Le premier point de discorde concerne le comité de protection du patrimoine national. Ce dernier composé de 16 membres avait vocation dans le texte des parlementaires à être obligatoirement consulté pour avis. « Le gouvernement n’est, par principe, pas disposé à ce que la loi fixe la composition d’organes collégiaux appelés à donner des avis dans le cadre de politiques », explique le ministre d’Etat qui estime que ce point devrait relever davantage « d’un texte réglementaire plutôt que législatif. » Autre point contesté?: « Le nombre et la teneur des dispositions pénales proposées ont semblé d’une particulière sévérité au gouvernement », rajoute le ministre, pour qui certaines feraient de surcroît « double emploi avec des sanctions existantes. » Concernant le patrimoine archéologique, le ministre d’Etat a enfin annoncé qu’une ordonnance souveraine viendra mettre en œuvre les obligations prévues par la convention de la Valette (convention européenne pour la protection du patrimoine archéologique du 16 janvier 1992.)
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