vendredi 29 mars 2024
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« Prendre un temps d’avance »

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L’ex-directeur du centre de presse, François Chantrait, vient d’être chargé d’une mission par le ministre d’Etat, Serge Telle : imaginer le futur pôle audiovisuel et numérique de la Principauté. Il en explique les contours à Monaco Hebdo. Interview.

Comment vous êtes-vous retrouvé à la tête de cette mission ?

Le ministre d’Etat, Serge Telle, a estimé que l’on ne pouvait pas continuer à avoir dans une seule et même structure de l’information, avec notamment la chaîne de télévision Monaco Info, et la communication du gouvernement. Il a donc décidé de créer une direction de la communication, qui vient se substituer au centre de presse. Tout en imaginant un secteur de l’information qui demeurerait un service public, mais qui serait autonome et indépendant.

 

En quoi va consister votre mission ?

Ma mission consiste à imaginer ce que sera ce nouveau pôle média et numérique. Je dois imaginer ce que seront les implications techniques, juridiques, ou budgétaires. Je dois également anticiper ce que seront les contenus traités par cette entité, dont le nom reste encore à définir.

 

Quel est l’objectif global ?

En deux mots, l’objectif, c’est de donner cohérence et résonnance à la production d’information à Monaco. Je dois remettre mon rapport au Ministre d’Etat, Serge Telle, d’ici fin 2016, début 2017. Ce sera alors au gouvernement de prendre les décisions dans le sens qu’il souhaitera.

 

Quel sera le budget dédié à ce pôle média et numérique ?

Il est trop tôt pour le déterminer. Il faut savoir que le budget de fonctionnement d’une télévision locale, notamment à Bordeaux ou à Grenoble, c’est de l’ordre de 6 ou 7 millions d’euros par an. Mais ces exemples ne sont pas transposables à Monaco puisqu’ici, on est dans le cadre d’une télévision qui vit essentiellement des deniers publics. Aujourd’hui, le financement de Monaco Info par la publicité reste marginal. En proposant des contenus attractifs et mieux diffusés, on peut espérer développer les recettes publicitaires. C’est aussi l’un des enjeux de ce dossier.

 

Monaco Info va changer de nom ?

Non, ce n’est pas nécessaire. Changer le logo de la chaîne non plus. En revanche, le cadre dans lequel évolue la chaîne est susceptible d’évoluer.

 

Vous allez embaucher à Monaco Info ?

Vous allez vite en besogne ! Rien n’est défini. Aujourd’hui, Monaco Info emploie 7 journalistes et travaille avec une vingtaine de prestataires techniques. Ils sont cadreurs, monteurs, ils s’occupent du son, ou de la diffusion… Ils ne sont donc pas des salariés de la chaîne, mais ce sont des partenaires essentiels.

 

Il n’y aura pas de licenciements ?

Non, il n’en est pas question. Les 7 journalistes en place ont fait leurs preuves, l’équipe travaille de façon remarquable. La rédactrice en chef, Patricia Navarro est une professionnelle de très grande compétence. On peut, au contraire, imaginer un enrichissement et un développement de cette équipe.

 

Si l’objectif est de créer l’équivalent d’un France Télévisions à Monaco, il faudra donc aussi changer de culture ?

Mais ce changement est déjà en cours. Le ministre d’Etat, Serge Telle, tient beaucoup à ce que l’on distingue l’information de la communication. Il incite donc Monaco Info à faire son travail en toute indépendance. Je tiens à préciser que, pour ma part, je n’ai pas connu de contraintes sur le plan de la liberté. J’ai seulement connu une culture de l’Etat un peu différente de celle d’aujourd’hui.

 

Vous proposerez des émissions de débats politiques sur Monaco Info ?

N’oubliez pas que le pluralisme politique existe déjà sur Monaco Info qui diffuse ses émissions parlementaires. On peut imaginer développer les choses, mais cela ne se fera qu’avec l’accord des élus. Tout comme on pourrait travailler davantage avec les conseillers communaux, s’ils sont demandeurs. Plus largement, on peut imaginer un développement du débat public, dans lequel Monaco Info a déjà toute sa place. Dans nos sociétés, c’est le rôle d’un grand média national.

 

Vous avez d’autres idées ?

Il y a en Principauté beaucoup de structures associatives, de clubs, d’entités culturelles, mais aussi des entreprises qui font ce pays. Chacun produit des contenus, qu’il s’agisse de contenus numériques, de vidéos, ou des captations d’événements… On doit pouvoir leur donner plus de cohérence et de visibilité. Parler plus et mieux de Monaco, mettre en valeur cette richesse… C’est encore un autre enjeu de la réflexion qui s’engage.

 

Et sur internet ?

Nous y sommes déjà très présents avec le portail Monaco Channel, mais aussi sur les réseaux sociaux, notamment Twitter et Facebook. Monaco Info est visible aussi sur internet, comme une web TV. On est donc déjà dans le mouvement. Ma mission n’est pas de réinventer les médias d’hier ou d’aujourd’hui, mais d’essayer de prendre un temps d’avance. Monaco a les moyens de le faire, la Principauté peut être un laboratoire créatif.

 

Quel sera le modèle économique de cette entité à naitre ?

Il faudra définir comment on combine un financement public qui va demeurer, avec à moyen terme, un financement complémentaire par la publicité et des parrainages. C’est un sujet complexe, mais il y a des pistes, que je ne souhaite pas évoquer pour le moment.

 

Internet et les réseaux sociaux, c’est l’immédiateté de l’information, alors qu’un gouvernement a souvent tendance à jouer la prudence et donc à prendre son temps ?

En la matière, la prudence est souvent de bon conseil… Comme aujourd’hui tout va très vite, il faut être à la fois professionnel et extrêmement réactif. Car aujourd’hui, le public aspire à des sources d’information crédibles. De ce point de vue aussi, les médias du service public doivent être un exemple.

 

Ce qui signifie que ces médias publics n’étaient pas suffisamment crédibles auparavant ?

Non ce n’est pas ce que je veux dire. Nous vivons dans un monde nouveau : tout va beaucoup plus vite.

 

Un exemple ?

Auparavant le gouvernement publiait sur son compte 10 tweets par semaine. Désormais, c’est 10 tweets par jour. Et peut-être bientôt 10 par heure ! Il faut se garder de la précipitation. Mais il faut savoir accompagner un mouvement de fond, qui est celui de l’accélération de l’information, tout en gardant sa crédibilité. Le vrai défi est là.

 

Serge Telle connait bien le monde de la télévision ?

C’est exact. C’est un monde qu’il côtoie depuis de longues années. Il possède une véritable culture de l’information et de la communication. Je crois qu’il aspire donc à porter cette vision qui est en phase avec le monde tel qu’il est actuellement. En tant qu’Etat moderne, Monaco doit rester à l’avant-garde… Mais il ne faut pas dire qu’aujourd’hui est formidable et qu’hier est critiquable. Ce n’est pas comme cela que ça se passe. Il y a simplement des évolutions, des contextes et des époques qui sont différents.

 

Vous allez aussi préconiser la création d’une radio publique ?

En Principauté, il y a déjà Radio Monaco qui est un média qui a acquis une belle audience. Ces dernières années, le centre de presse a travaillé en bonne entente avec Radio Monaco, mais aussi avec Radio Riviera qui émet en langue anglaise, et avec les stations françaises et italiennes. Il faut donc continuer à nouer des partenariats avec elles. Quoiqu’il en soit, la création d’une radio publique ne paraît pas d’actualité.

 

Vous serez candidat pour diriger ce nouveau pôle médias ?

Non. Pour l’heure, je conduis cette mission de préfiguration et cela suffit à mon bonheur. Ensuite, le gouvernement étudiera et décidera. Je suis à sa disposition, mais je ne suis candidat à rien !

 

Comment comptez-vous organiser votre travail ?

Je veux rencontrer les professionnels des médias, ici et ailleurs. De ma carrière de journaliste, j’ai conservé un bon carnet d’adresses et des amitiés fidèles ! Je pense également que je vais voyager pour voir ce qui existe à l’étranger.

 

Dans quels pays ?

Je ne vous dirai pas lesquels dès aujourd’hui. Mais il y a des modèles et des expériences qui peuvent nous inspirer en Europe, mais aussi au-delà.

 

Certaines chaînes de télévision vous inspirent particulièrement ?

Pour ne citer qu’un exemple parmi d’autres, Al Jazeera, est une création ex nihilo, qui a été lancée en 1996. Ce qui est intéressant dans ce projet, c’est qu’il a très vite basculé d’un média traditionnel vers le numérique. Aujourd’hui, cette chaîne de télévision dispose de supports numériques très intéressants. C’est donc un exemple que je regarderai. Plus près de nous, il y a aussi France Télévisions, bien sûr. Nous en reparlerons.

 

Au mieux, ce nouveau pôle médias pourra être lancé quand ?

Au mieux, et cela dépend uniquement des choix que fera le gouvernement, on peut imaginer les premières évolutions dans le courant de 2017 et en 2018.