samedi 20 avril 2024
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Conseil national : faut-il élargir ses pouvoirs ?

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Le conseil national doit-il bénéficier d’un droit d’amendement budgétaire, et donc d’une extension de ses pouvoirs ? L’Union des Monégasques (UDM) souhaite rouvrir le débat. Les réactions dans la majorité de Jean-Charles Allavena et de Jacques Rit.

C’était à l’automne 2012. Pendant des mois, toute la sphère politico-monégasque était en émoi. Les autorités du pays — conseil national en tête — menaient une fronde collective contre le conseil de l’Europe et adressaient un message limpide aux représentants de l’institution strasbourgeoise : pas question de réviser la constitution monégasque pour élargir les pouvoirs du Parlement. Le 29 octobre 2012, les 21 élus, tous bords confondus, envoyaient même une lettre commune au tandem Anne Brasseur (chargé du post-suivi monégasque) et Jean-Claude Mignon (président de l’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe). Une lettre très explicite : « Le conseil national rappelle expressément qu’il n’a jamais sollicité, et n’a l’intention de solliciter, aucune extension de ses pouvoirs qui irait au-delà des dispositions de la réforme constitutionnelle de 2002, voulue par le prince Rainier III, en vue de l’adhésion de Monaco au Conseil de l’Europe. »

Pouvoirs limités ?
Un message devenu aujourd’hui obsolète ? En tout cas, plus d’un an après ce feuilleton, l’Union des Monégasques (UDM), a remis sur la table un serpent de mer de la vie politique. Le parti a demandé, par la voix de son président, Gérard Bertrand, une extension du droit d’amendement… aux lois de budget. Petit rappel institutionnel : en avril 2002, la constitution monégasque a été révisée. Résultat ? Les pouvoirs du conseil national ont été élargis. Depuis, le parlement peut : primo, faire des propositions de loi ; secundo, disposer du droit d’amendement, sauf pour les lois de budget et les lois de ratifications (article 67). Derrière cette demande de l’UDM, se cache donc la question des pouvoirs du conseil national. Sont-ils trop limités  ? Faut-il les élargir pour que le parlement se fasse mieux entendre de l’Exécutif  ?

Capacité d’action « réduite au néant »
« Si l’actuelle majorité au pouvoir, comme la nôtre sous la précédente mandature, sont impuissantes face au gouvernement c’est que notre capacité d’action pour réaliser les engagements que nous prenons devant les Monégasques lors des élections est réduite à néant par le système, a clairement justifié Gérard Bertrand le 14 janvier, lors d’une réunion au Novotel devant une cinquantaine d’adhérents. Le seul pouvoir dont dispose le conseil national est celui de dire non au mauvais budget du gouvernement. Voilà ce que nous devons faire évoluer. Mais comment faire évoluer la relation entre le conseil national et le gouvernement sans changer la nature même de nos institutions ? La réponse est assez simple : elle a d’ailleurs été en partie prévue dans la réforme constitutionnelle de 2002 pour les lois : le droit d’amendement. Pour être respecté, le conseil national doit être écouté et pour qu’il soit écouté, il faut créer les conditions de ce dialogue. » C’est pourquoi, le souhait de l’UDM est clair. Ouvrir le « débat » sur une extension du droit d’amendement, aux lois de budget. « Il appartient maintenant à toute la classe politique de s’en saisir. » Qu’en pense alors la majorité au conseil national ?

« Pouvoir absolu »
Interrogé par Monaco Hebdo, l’élu Jacques Rit affiche une position on ne peut plus ferme : « Doter le conseil national du droit d’amendement budgétaire total reviendrait à lui conférer le pouvoir absolu. En effet, le gouvernement est nommé par le prince, et n’est responsable que devant lui. Le droit d’amendement budgétaire transférerait une grande part du pouvoir exécutif entre les mains du conseil national, avec un effet encore plus fort que dans une République, où le gouvernement représente, en principe, une émanation de la majorité du Parlement », explique cet élu. Avant de prendre l’exemple, de la loi organique relative aux lois de finance (LOLF) en France. « Les parlementaires, professionnalisés, disposent d’un droit d’amendement budgétaire partiel, et très encadré. Le principe de la navette parlementaire avec le Sénat contribuant encore à délimiter le pouvoir de ces mêmes parlementaires en matière de vote du budget. Ma réponse est donc claire : je tiens trop à mon pays pour envisager une seconde évolution vers le droit d’amendement des projets de loi de budget. » Une évolution « qui ne manquerait pas de le précipiter dans le chaos, dit-il. Et la demande d’un droit d’amendement symbolique et « sécurisé » me paraît totalement absurde, dans la mesure où notre système institutionnel permet à un conseiller, et plus exceptionnellement bien sûr, à une majorité, de voter contre un budget si un message fort doit passer entre le conseil et le gouvernement, lorsque toutes les possibilités de négociation prévues par nos deux institutions ont été épuisées. »

« Un tabou absolu »
Le président des relations extérieures du groupe Horizon Monaco, Jean-Charles Allavena, est lui, plus nuancé. « Je comprends que quand on est à l’intérieur d’une institution, on souhaite que ses pouvoirs soient les plus étendus possibles, et qu’on cherche à les étendre chaque jour un peu plus. La nature humaine est faite ainsi, explique-t-il. Mais on doit aussi admettre qu’il y a un texte fondateur, notre Constitution, qui fixe les pouvoirs de chacune des structures, qui en donne certains aux uns, mais pas tous, un peu plus aux autres, mais pas tous. Peut-être n’est-elle pas parfaite, elle est d’ailleurs régulièrement révisée. Pour le moment, restons-en là, et essayons de travailler le mieux possible avec le gouvernement en obtenant le respect de tous les pouvoirs du conseil national. C’est déjà un exercice difficile et ambitieux. » Avant d’ajouter : « Ouvrir cette porte est une modification profonde de l’esprit et de l’équilibre de la Constitution, et cela je n’en veux pas aujourd’hui. Mes amis de la majorité non plus. Ceci dit, je suis un esprit ouvert, quoiqu’en pensent certains, et je comprends parfaitement que certains puissent vouloir déplacer l’équilibre des pouvoirs. » Suffisamment rare pour être souligné… Allavena reconnaît même un certain courage politique à Gérard Bertrand : « Pour la première fois sans doute, le Président d’un parti important de la principauté le dit publiquement, alors que c’était un tabou absolu malgré les évidences de certains propos et comportements antérieurs. Ça ne peut-être qu’une clarification du débat politique. Les Monégasques pourront juger lors des prochaines échéances la voie qu’ils préfèrent pour notre pays. » Alors, place au débat ?

Un éternel et vieux débat

Le débat n’est pas nouveau dans la vie politique monégasque. A son époque, Guy Magnan, président du RPM, ancêtre de Rassemblement & Enjeux, avait donné son avis : « Nous sommes favorable au droit d’amendement budgétaire. Comme nous l’étions déjà en 2002. Ce droit d’amendement est pratiqué dans les faits tout comme le gel des crédits. Pourquoi ne pas lui donner une assise juridique et institutionnelle ? », déclarait-il dans nos colonnes. L’ex-ministre d’Etat Jean-Paul Proust estimait lui que « le droit d’amendement budgétaire est le type même de la mauvaise idée, car elle autorise toutes les dérives financières. » De son côté, Jean-Louis Campora, ex-président du parlement monégasque aussi, rappelait un fait établi : « Les Monégasques savent génétiquement qu’à Monaco, la politique, c’est le prince. C’est un phénomène acquis. Le conseil national doit être dans les rails de son pouvoir. » Et le prince Albert lui-même, qu’en pense-t-il ? « Des ajustements ont été opérés le 2 avril 2002, en vue de l’adhésion au Conseil de l’Europe voulue par mon père. Aucune autre modification constitutionnelle n’est nécessaire. » Une déclaration qui remonte à juillet 2007, à l’occasion du deuxième anniversaire de son avènement.
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