vendredi 29 mars 2024
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Stéphane Valeri : « Personne ne veut d’un couvre-feu à Monaco »

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Alors que les élus ont voté le deuxième budget rectificatif de l’année 2020, le président du Conseil national, Stéphane Valeri, dresse un bilan pour Monaco Hebdo.

Il se tourne déjà vers la fin de l’année, et même vers 2021, pendant que la pandémie de Covid-19 continue d’impacter durablement Monaco.

Quel bilan faites-vous de ce budget rectificatif 2020 ?

Le Conseil national a une nouvelle fois donné au gouvernement tous les moyens budgétaires de déployer des politiques publiques en phase avec les attentes et les besoins de la population, dans un contexte toujours marqué par la crise sanitaire et l’indispensable besoin d’accompagner les acteurs économiques en difficulté, ainsi que les salariés. Le bilan de ces séances budgétaires, c’est que l’assemblée s’est une fois de plus comportée en institution responsable, agissant pour le bien du pays et dans l’intérêt général, encore et toujours dans l’unité des institutions, depuis que le prince a instauré le comité mixte de suivi Covid-19 fin mars 2020. Nous avons demandé la mobilisation urgente des crédits consacrés à la relance économique et le gouvernement a présenté, la veille du vote, le guide pratique des mesures d’accompagnement et de relance.

Avec l’arrivée du nouveau ministre d’Etat, Pierre Dartout, vos relations avec le gouvernement ont-elles changé ?

Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, le nouveau ministre d’Etat est quelqu’un qui a l’habitude d’échanger avec des responsables politiques issus d’un scrutin. Nous avons trouvé avec Pierre Dartout un interlocuteur direct et ouvert, à l’écoute et dans une philosophie de travail qui me correspond, celle de savoir se retrouver sur l’essentiel. Dès sa prise de fonction, il a su, par exemple, arbitrer en faveur d’un centre national de dépistage Covid-19 en un seul lieu, comme nous le demandions. Si la relation institutionnelle est écrite dans la Constitution, sa pratique dépend des hommes. Quand le Conseil national joue tout son rôle de partenaire indépendant du gouvernement et de relais des attentes de la population, c’est l’ensemble de notre système constitutionnel qui est plus fort, sous l’autorité du prince souverain.

Qu’avez-vous pensé des échanges avec Pierre Dartout à l’occasion de ce budget rectificatif 2020 ?

Les premiers échanges et le discours très constructif du ministre d’Etat en réponse au rapport de la commission des finances, devront se vérifier en pratique dans nos travaux communs, dans les actions à venir mais aussi dans la communication du gouvernement. Au moment où les indicateurs sanitaires et économiques se dégradent, il ne faut pas reproduire les erreurs du passé, au début de la crise sanitaire, quand certains membres du gouvernement ont voulu écarter volontairement les élus du Conseil national, eux-mêmes confrontés, à l’inquiétude et aux attentes des Monégasques et des résidents. L’inquiétude et les attentes sont là et se font plus fortes avec cette seconde vague. Je rappelle donc la volonté du Conseil national de travailler dans l’unité des institutions pour le bien commun.

Covid-19

Dans la soirée du 15 octobre 2020, Emmanuel Macron a annoncé de nouvelles restrictions en France pour lutter contre la pandémie de Covid-19, avec notamment la mise en place de couvre-feux dans quelques grandes agglomérations, dont Nice depuis le 22 octobre : Monaco doit-il se calquer sur ce que fera la France ?

A l’instant où je vous réponds [le 20 octobre 2020 – N.D.L.R.], la circulation du virus en principauté semble sous contrôle, et la progression dans les Alpes-Maritimes semble également mieux maîtrisée qu’ailleurs, même si elle présente des chiffres en augmentation constante. On a vu les effets désastreux du confinement sur la vie économique et sociale. Reconfiner serait une épreuve dont beaucoup d’acteurs de notre économie ne se relèveraient pas. Cela entraînerait un nouveau traumatisme collectif, sur le plan psychologique et des relations humaines. Personne n’en veut. Par sa dimension humaine de ville-Etat, par sa sociologie avec une population de manière générale très responsable, et par ses moyens budgétaires, Monaco a les moyens de se distinguer des contraintes rencontrées par les grands pays et les grandes métropoles.

Stéphane Valeri, président du Conseil national © Photo Conseil National.

« Nous avons trouvé avec Pierre Dartout un interlocuteur direct et ouvert, à l’écoute et dans une philosophie de travail qui me correspond, celle de savoir se retrouver sur l’essentiel »

Que pensez-vous de l’idée d’un couvre-feu à Monaco ?

Personne ne veut d’un couvre-feu à Monaco. Il faut, au contraire, soutenir la filière restauration, et lui permettre de continuer d’exploiter ses établissements. Tout ceci, évidemment, dans le cadre en vigueur d’un strict respect des protocoles sanitaires. Il faut trouver un juste équilibre entre les normes sanitaires et le maintien de la vie économique. Mais rappelons qu’il faut beaucoup d’humilité, et être capable de s’adapter en permanence, face au caractère toujours évolutif de cette crise inédite.

Aujourd’hui, les mesures de soutien de l’Etat en faveur des acteurs économiques sont-elles adaptées à la situation ?

Il faut distinguer les sommes mobilisées pour venir en soutien direct des salariés et des entreprises, de celles destinées à relancer l’économie monégasque. Autant nous avions souligné l’effort considérable et remarquable de l’Etat sur avril, mai et juin 2020 à travers le Revenu Minimum Extraordinaire (RME) et l’Aide aux Sociétés (AS), portant sur plus de 30 millions d’euros, autant les crédits débloqués par la Commission d’Accompagnement à la Relance Economique (Care) semblent avoir été, jusqu’à présent, très en deçà des besoins générés par le caractère durable de cette crise.

Pourquoi ?

Nous constatons que, dans sa première phase, c’est-à-dire entre juillet et septembre 2020, sur un trimestre, elle n’a mobilisé qu’environ 1,6 million d’euros, pour 159 entités et 91 taxis. Or, pour de très nombreux commerces, entreprises ou travailleurs indépendants, les effets de la crise se font ressentir de façon plus importante aujourd’hui. C’est pourquoi nous demandons d’avoir une ambition plus grande, pour éviter des faillites ou des cessations d’activité, en mobilisant bien davantage les moyens dont dispose budgétairement l’Etat pour faire face à la crise. Et donc, notamment, pour le fonctionnement actif de la Care. Rappelons que 350 millions ont été votés lors du premier budget rectificatif, et à la fin du mois d’août 2020, seuls 160 millions avaient été utilisés. Ce n’est bien évidemment pas sur les crédits votés et prévus pour traverser cette crise, qu’il faut faire des économies.

Le gouvernement reste ouvert à vos demandes ?

Je note toutefois l’ouverture dont a fait preuve le gouvernement sur ce point, en acceptant d’étudier les nouvelles demandes de requérants qui n’avaient pas sollicité d’aide pendant l’été 2020. Certaines entreprises ont pu tenir, mais n’ont pas de perspectives vu la seconde vague que nous subissons. A ce jour, près de la moitié des crédits votés en avril 2020 n’ont pas encore été utilisés. C’est maintenant, alors que nous avons une vision plus claire de l’impact de la crise et des entités touchées, qu’il faut aider ces dernières avec des moyens adaptés. N’attendons pas qu’il soit trop tard pour certains.

Le plan de relance de 75 millions d’euros sera-t-il suffisant ?

Concernant le plan de relance qui bénéficie de 75 millions d’euros, nous sommes en phase avec le gouvernement sur ses grands principes, qui portent sur les transitions numériques et énergétiques, sur le bâtiment, et sur des mesures de soutien par la commande publique aux entreprises et aux commerces installés en principauté. Combien de ces 75 millions seront-ils réellement dépensés d’ici la fin de l’année 2020, car c’est maintenant que notre vie économique en a besoin ? Je le dis avec gravité : pour certains, chaque jour compte. Plus on se rapprochera d’une utilisation rapide et totale des 75 millions prévus — car c’est maintenant qu’il faut être là pour les acteurs économiques en souffrance — plus le Conseil national sera satisfait et le dira.

Vous avez aussi évoqué le problème des loyers commerciaux et de bureaux lors des débats budgétaires ?

Oui, je pense en particulier aux commerçants et aux entreprises qui doivent faire face à des loyers importants dans le secteur privé. Notre proposition de loi préconisant un effort de solidarité de la part de tous les propriétaires privés, n’ayant pas été retenue par le gouvernement, il est indispensable que la Care soutienne les locataires avec des sommes adaptées à la situation de chacun, pour pallier ce que j’appellerai un défaut de solidarité. Chacun jugera. J’en profite pour remercier les très nombreux propriétaires qui ont naturellement fait cet effort, en allant souvent beaucoup plus loin que ce que le Conseil national avait proposé. Enfin, en ce qui concerne les loyers de locaux commerciaux et de bureaux domaniaux, pour la période de septembre à décembre 2020, je regrette que le gouvernement maintienne sa position. Alors que nous souhaitions que ceux qui sont très impactés puissent continuer de bénéficier d’une remise de 50 %, comme le trimestre précédent, et non pas de 25 %. Et pour les autres touchés dans une moindre mesure, de pouvoir compter sur une remise de 25 %, alors qu’ils n’en auront aucune. Bien sûr, nous n’avions demandé aucune remise pour les activités très peu, ou pas touchées par la crise.

Stéphane Valeri, président du Conseil national © Photo Conseil National.

« 350 millions ont été votés lors du premier budget rectificatif, et à la fin du mois d’août 2020, seuls 160 millions avaient été utilisés. Ce n’est bien évidemment pas sur les crédits votés et prévus pour traverser cette crise, qu’il faut faire des économies »

Vous avez estimé qu’il existe un besoin réel de commandes publiques : quel serait le volume idéal de commande publique et selon quel calendrier ?

Lorsqu’il y a une baisse de l’activité économique aussi brutale que lors de cette crise Covid-19, l’Etat doit plus que jamais investir dans le pays pour soutenir l’activité par la commande publique. Ce que nous demandons aussi depuis le début, c’est que la priorité nationale soit plus que jamais la règle pour que cette commande publique profite aux entreprises et aux commerces de la principauté. Au niveau du volume et du calendrier, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire en séance publique, c’est maintenant qu’il faut injecter de l’argent dans notre économie, c’est maintenant que les entreprises ont besoin de faire face et de pouvoir se projeter dans les prochains mois. Je rappelle que 75 millions ont été votés. Lorsqu’ils auront été totalement dépensés, il sera temps de refaire un point. Et, bien entendu, s’il faut voter de nouvelles sommes justifiées pour soutenir l’activité, le Conseil national le demandera.

Logement des Monégasques

Le président de la commission des finances et de l’économie nationale du Conseil national, Balthazar Seydoux, a rappelé que la livraison de 642 logements domaniaux neufs d’ici la fin du premier trimestre 2024 était toujours d’actualité : cela sera-t-il suffisant ?

Le plan national logement attendu par les Monégasques et leurs élus, voulu par le prince souverain, va permettre de résorber la pénurie que nous avons trouvée après notre élection en 2018. Lors de la prochaine commission d’attribution, nous aurons près de 450 demandes de foyers, pour seulement une centaine d’appartements à attribuer. C’est bien la preuve que cette politique de construction massive d’appartements, est la seule solution durable pour que les Monégasques dont la situation le justifie, puissent bien se loger dans leur pays. Mais, compte tenu du délai de construction, ce n’est qu’à l’horizon 2022-2023 que la pénurie commencera de manière visible à se résorber. En effet, les besoins légitimes sont estimés à environ 100 appartements supplémentaires neufs construits chaque année, en plus des récupérations, et nous aurons environ 600 nouveaux logements livrés dans les trois prochaines années. D’ici là, nous avons travaillé en concertation avec le gouvernement pour que le système de l’aide nationale au logement (ANL) permettant de manière provisoire d’accéder au secteur libre, soit amélioré : la commission d’agence est désormais prise en charge par l’Etat, les plafonds de l’ANL retenus ont été revalorisés sur la base des loyers réels, et pour les nouvelles demandes jusqu’à 80 % du loyer, et non plus 60 %, peuvent être maintenant pris en charge.

Comment s’assurer que les délais seront bien respectés ?

A chaque rendez-vous budgétaire et tout au long de l’année, le Conseil national sera vigilant pour que les délais des programmes de construction de logements domaniaux annoncés par le gouvernement, soient tenus. Et puis, pour raccourcir certains délais entre la livraison et la mise à disposition des appartements, nous allons travailler de concert pour optimiser le système d’attribution, en permettant aux attributaires d’emménager plus vite dans les appartements neufs, notamment grâce à la fourniture de cuisines équipées par l’administration des domaines.

SBM

La Société des Bains de Mer (SBM) lance un plan social d’une ampleur inédite : cette situation aurait-elle pu être évitée ?

La crise touche la SBM de plein fouet vu la nature de ses activités. La situation justifie donc de s’adapter pour sauver le plus d’emplois possibles dans le futur. Le Conseil national a demandé de préserver l’emploi des nationaux, de favoriser les départs volontaires et de limiter au strict minimum les licenciements. Il faudra aussi accompagner dans les meilleures conditions possibles les salariés touchés par ces mesures et leur donner une priorité à l’embauche lors de la reprise. Nous sommes attentifs aux négociations qui s’ouvrent entre la direction et les représentants du personnel. Chacun devra faire preuve de compréhension et de modération. Par la négociation et dans le respect mutuel, il est possible de trouver des solutions équilibrées pour surmonter cette crise. Je rappelle que cette entreprise, dont l’Etat est actionnaire majoritaire, n’est pas une entreprise comme les autres. Son rôle social est inscrit dans son ADN. Elle l’a toujours assumé, et doit rester exemplaire.

La SBM a indiqué que la vice-présidente du Conseil national, Brigitte Boccone-Pagès avait intégré le 1er octobre 2020 son conseil d’administration : ne craignez-vous pas que l’on vous taxe d’être désormais juge et partie ?

La vice-présidente Brigitte Boccone-Pages respectera un strict devoir de réserve par rapport aux sujets SBM au Conseil national. Elle a d’ailleurs été immédiatement remplacée à la commission tripartite gouvernement-Conseil national-SBM par notre collègue Nathalie Amoratti-Blanc. Il n’y a donc pas de confusion des genres. Pour autant, je pense que cette nomination sera un atout de plus pour la SBM, particulièrement dans la période que nous traversons, avec son expérience de terrain et sa connaissance du rôle social historique de ce monopole concédé, que possède Brigitte Boccone-Pages.

Brigitte Boccone Pages © Photo Conseil National.

« La nomination de Brigitte Boccone-Pagès au conseil d’administration de la SBM sera un atout de plus pour cette entreprise, particulièrement dans la période que nous traversons, avec son expérience de terrain et sa connaissance du rôle social historique de ce monopole concédé »

Annualisation du temps de travail

A priori, que pensez-vous du projet de loi sur l’annualisation du temps de travail récemment déposé par le gouvernement ?

Si ce projet de loi est équilibré, et que le texte se fonde sur le principe du « gagnant-gagnant » pour les employeurs et pour les salariés, nous sommes alors favorables à son principe, à condition qu’il recueille l’assentiment des deux parties. Le texte gouvernemental n’est, à l’heure où je parle [le 20 octobre 2020 – N.D.L.R.], pas encore totalement stabilisé, puisque j’ai été informé dès le lendemain qu’une première version qui nous est parvenue lundi 19 octobre 2020, sera remplacée dans les prochains jours par le gouvernement.

Vous avez réclamé « deux à trois semaines » pour étudier le projet de loi sur l’annualisation du temps de travail : allez-vous amender ce texte ?

Le gouvernement travaille sur ce projet de loi depuis plusieurs mois. Nous prendrons à notre tour le temps nécessaire, sans doute plusieurs semaines. Nous allons recevoir et échanger de manière approfondie avec l’ensemble des syndicats patronaux et de salariés avant de formuler des amendements. Ensuite, nous aurons avec le gouvernement une réunion de concertation sur un sujet, dont tout le monde aura compris qu’il est très sensible.

Faut-il croire le gouvernement lorsqu’il promet que ce texte ne provoquera pas de « recul social » ?

Je l’ai déjà dit, un certain patronat ne doit pas tenter de profiter de la crise pour imposer un recul social injustifié et inacceptable, qui entraînerait la fin de la paix sociale dans ce pays. De même, les syndicats de salariés ne doivent pas refuser par idéologie tout effort et toute adaptation légitime imposée par la situation. Cette paix sociale est un bien précieux et rare qu’il faut protéger. Notre objectif commun doit être de sauver des emplois, car personne ne peut nier que nous vivons une période de crise historique. Le Conseil national ne votera qu’un texte équilibré et responsable, respectueux de notre modèle social.

Budget primitif 2021

Quels sont les grands dossiers qui animeront le budget primitif 2021 en décembre prochain ?

Compte-tenu du contexte actuel, la crise sanitaire et ses conséquences économiques et sociales occuperont une nouvelle fois la majeure partie de la prochaine séquence budgétaire. En fonction de son évolution, nous serons en capacité d’évaluer les effets du plan de relance et son niveau concret de dépenses engagées pour nos entreprises et nos commerces. Nous serons aussi attentifs à l’ambition dont doit faire preuve la Care pour accompagner les acteurs économiques qui en ont besoin, notamment pour faire face aux charges fixes et incompressibles. Sur le plan social, nous serons attentifs au suivi des plans de restructuration, et au débat autour de l’annualisation du temps de travail. Enfin, je n’oublie pas non plus, parmi d’autres, les sujets liés à la qualité de vie et au droit à la tranquillité des résidents, qui ne doivent pas être sacrifiés au prétexte de la crise.

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