vendredi 19 avril 2024
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Affaire Bygmalion : « Colère et abattement »

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Situation tendue à l’UMP, élections européennes et consulaires, enfants du pays, lutte contre le terrorisme… Le sénateur UMP des Français de l’Etranger et enfant du pays Christophe-André Frassa commente l’actualité politique.

AFFAIRE BYGMALION

Monaco Hebdo : Quel regard portez-vous sur l’affaire Bygmalion ?
Christophe-André Frassa : J’ai réagi comme tous les militants UMP. Je suis tombé de ma chaise quand j’ai pris connaissance de cette affaire. J’ai ressenti de la colère et de l’abattement. J’ai participé à la tombola, au Sarkothon. Le chèque me reste en travers du gosier. J’ai eu du mal à l’avaler. C’est le cas pour beaucoup de gens de bonne foi. Je comprends le désarroi des militants qui se demandent où on va. Heureusement, les partis survivent aux bêtises que font leurs dirigeants. Bygmalion n’est pas la colonne vertébrale idéologique de l’UMP.

M.H. : Vous croyez Jean-François Copé quand il dit aux militants qu’il n’était pas au courant de l’affaire et qu’il ne leur a jamais menti ?
C.-A.F. : Comme tout Français, je crois à la présomption d’innocence. La justice s’est saisie de l’affaire. Je n’en demeure pas moins troublé, comme tout un chacun. Que certains de ses collaborateurs viennent larmoyer sur les plateaux télé, j’ai eu du mal à l’avaler. Qui a mis les doigts dans le pot de confiture ? C’est à la justice de le dire.

M.H. : Votre avis sur le triumvirat Juppé-Fillon-Raffarin qui assure désormais l’intérim à la tête de l’UMP ?
C.-A.F. : Ce trio est devenu quatuor avec la nomination de Luc Chatel en tant que secrétaire général de l’UMP. Il a pour objectif de redresser la barre, de redonner de l’espérance aux militants et remettre le parti sur des bases saines en matière de gouvernance. Les fondamentaux existent. Ils ne doivent pas établir un nouveau programme car les idées sont toujours là. Ils sont là pour établir un nouveau pacte de gouvernance de l’UMP. On peut faire confiance à ce triumvirat. Ce sont quand même trois anciens premiers ministres accompagnés d’un ancien ministre. Ils doivent organiser le congrès. Il restera ensuite trois ans pour mettre le parti en ordre de marche pour la présidentielle de 2017.

M.H. : Ne craignez-vous pas que l’UMP finisse par imploser et disparaître ?
C.-A.F. : Lors du bureau politique de l’UMP, le 27 mai dernier, Jean-François Copé a tiré la seule conclusion logique de cette affaire en démissionnant de la présidence du parti. A ce moment-là, on pouvait faire imploser le parti, mettre la clé sous la porte. Maintenant, moins. Et puis si c’est pour faire comme l’ancienne UDF, ce n’est pas la peine (en 2007, l’UDF s’était divisée en plusieurs groupes politiques dont le MoDem et le Nouveau Centre, N.D.L.R.). On a vu ce que ça a donné.

RETOUR DE SARKOZY

M.H. : Certains se sont déclarés candidats à la présidence de l’UMP (Mariton, Le Maire), d’autres n’excluent pas de se présenter (NKM, Estrosi…) Il y en a un qui se détache pour vous ?
C.-A.F. : Je peux en tout cas vous dire que je ne suis pas candidat. (Rires.) Je demeure l’un des derniers bonapartistes de l’UMP. Toujours voter pour savoir qui est le chef m’agace un peu. Je n’ai d’ailleurs pas voté lors de la dernière élection qui opposait François Fillon à Jean-François Copé. C’est un peu le modèle social-démocrate où l’on choisit le candidat le plus mauvais car c’est celui qui divise le moins. Dans un parti de droite, le chef s’impose de lui-même. C’est le chef naturel. On est plus dans un esprit de conclave. Beaucoup s’agitent mais je ne vois pas un candidat qui sort du lot. Après, il se peut que je revienne dans les mois à venir sur ma position concernant le vote. En politique, il ne faut jamais dire jamais. J’aimerais qu’il y en ait un qui se détache, qui mette tout le monde d’accord. En attendant, le triumvirat rappelle un peu le Directoire.

M.H. : Ce candidat qui sortirait du lot, ça pourrait être Nicolas Sarkozy ?
C.-A.F. : Il ne s’est pas déclaré et n’a rien dit publiquement qui pourrait aller en ce sens.

M.H. : Vous parliez de l’élection présidentielle française de 2017, pensez-vous que Nicolas Sarkozy, s’il ambitionne d’être candidat, puisse passer outre les primaires du parti ?
C.-A.F. : Si le parti vote de nouveaux statuts, ils s’appliqueront à tous. On ne va pas commencer à faire de dérogation. Ceci dit, je ne crois pas que cela l’effraie beaucoup de devoir passer par des primaires. Même chose pour François Fillon. Beaucoup d’autres, en revanche, ont peur d’être balayés aux primaires s’il revient.

M.H. : Une alliance de la droite et du centre pour 2017 comme le prônent certaines voix, fantasme ou réalité ?
C.-A.F. : C’est une réalité. Dans de très nombreuses villes, lors des élections municipales, il y a eu une alliance UMP/UDI. Si je prends pour exemple les élections consulaires de l’Union des Français de l’Etranger, dans 120 des 130 circonscriptions, il y avait une liste UMP/UDI. C’est une alliance qui me paraît plus naturelle que celle entre le PS et le Front de Gauche.

EUROPEENNES ET FN

M.H. : Le FN qui arrive en tête aux élections européennes, ça vous a surpris ?
C.-A.F. : Celui qui a été surpris n’a pas allumé la télévision durant les semaines qui ont précédé le scrutin. Ce résultat, on nous l’a tellement annoncé. Ce qui m’a surpris, c’est l’ampleur du score du FN. J’essaye de comprendre pourquoi il a été aussi important. L’incidence qu’a l’Europe sur notre quotidien, je la vois quand j’observe le nombre de textes que nous étudions au Sénat, qui sont en réalité des transpositions de directives européennes. On peut dire que les gens se sont défoulés, mais c’est illusoire de dire ça. Peut-être qu’il y a un véritable malaise.

M.H. : Les électeurs n’ont pas compris le rôle de l’Europe ?
C.-A.F. : On a une Europe qui ne se remet jamais en cause. Les gens se demandent d’où la Commission européenne tire sa légitimité. Tout le monde a l’impression qu’elle ne prend pas en compte ce qu’on lui dit. Le parlement européen fait plus office de chambre d’enregistrement que de parlement. La Commission européenne décide du calibre des concombres et de la circonférence des oranges mais elle ne donne pas l’impression de défendre les spécificités européennes face aux Etats-Unis et à la Chine. Dernier exemple en date, elle a tiré à boulets rouges sur les marques de luxe françaises, sous prétexte qu’il y avait des produits interdits notamment dans le Chanel n° 5. Ce sont certes des fonctionnaires très bien formés qui ont décrété ça mais ils ne se sont pas demandés si ça pouvait nuire à un pan entier de l’industrie française. On produit de la norme sans réfléchir aux enjeux.

M.H. : Pour en revenir à la victoire du FN, les autres partis (UMP, PS, UDI) n’ont-ils pas leur part de responsabilité dans ce score ?
C.-A.F. : C’est tellement facile de pointer les autres partis politiques. Rappelons une chose : le FN n’a pas envie de gouverner. Mettons-les aux affaires pour voir. Leur programme économique est aberrant. En matière de sécurité et d’immigration, ils ont juste un discours ultra-populiste pour lequel ils utilisent un vocabulaire outrancier et borderline. C’est tellement commode d’attirer des gens avec un discours plus facile à entendre. Leur langage est mieux étudié. Le langage technocratique ne passe plus. On ne peut plus employer un discours parisianiste. Que veut Marine Le Pen sur le plan économique ? Passer la dette en francs ? C’est la faillite de l’Etat, on met la clé sous la porte. Les personnes qui ont regardé de près le programme économique du FN savent qu’il n’est pas sérieux. Mettez le FN aux affaires et il coulera la France en moins d’un an. On verra bien le bilan des municipalités qu’ils ont obtenu dans un an. Les résultats passés l’ont montré. Ce sont de très mauvais gestionnaires.

M.H. : Vous avez coordonné la campagne des élections consulaires pour l’UMP mais vous les avez critiquées. Pourquoi ?
C.-A.F. : Ces élections ont été pensées en dépit du bon sens. Pensées avec les pieds, des pieds bots sans doute. Lors des débats parlementaires sur la loi présentée par les socialistes qui a donné naissance aux élections consulaires, nous avions pointé plusieurs défauts. Eh bien, cela n’a pas manqué. Tous les défauts sont apparus lors du vote. La loi était incompréhensible pour les électeurs et c’était un parcours du combattant pour les candidats. Le découpage était tel que dans certaines circonscriptions, il n’y avait qu’une seule liste candidate. C’était le cas au Gabon, au Qatar ou encore en Nouvelle-Zélande. C’était ou la gauche ou la droite. Pis, en Ukraine, il n’y a pas eu de candidat. Et il faut se garder de mettre cela en rapport avec les événements qui s’y sont déroulés. La loi ne prévoit pas d’élections complémentaires. Par conséquent, il n’y aura pas de conseiller consulaire pour représenter les Français d’Ukraine pendant six ans.

ELECTIONS CONSULAIRES

M.H. : En quoi ces élections étaient un parcours du combattant pour les candidats ?
C.-A.F. : Vu la complexité des démarches qu’il fallait entreprendre pour les candidats, il y avait de quoi jeter l’éponge. Il fallait envoyer les originaux des déclarations des candidats dans des délais extrêmement courts. Le nom de la liste ne devait pas dépasser 100 caractères.

M.H. : Quid de la participation ?
C.-A.F. : Le vote électronique a été un fiasco. Seulement 7 % des votants l’ont utilisé. J’ai voté par Internet mais je ne vous dis pas en combien de temps… Mon vote a nécessité l’intervention de trois techniciens extérieurs. J’ai appelé au Quai d’Orsay. On m’a dit qu’il fallait que j’appelle l’ambassade de France à Monaco. J’ai éclaté de rire et j’ai raccroché. Je n’ai jamais vu un système aussi abracadabrantesque. On se plaint que les Français de l’étranger ne participent pas massivement aux élections mais on leur met des freins. Par exemple, le vote par correspondance a été supprimé. On ne met pas tout en œuvre pour les faire participer davantage. Au ministère des affaires étrangères, on pense que le monde entier est relié à Internet avec la fibre optique. Or, dans certains coins du monde, on ne dispose que de vieux modems et ça rame. Certains Français ont mis quatre heures pour se connecter et arriver à voter. En outre, beaucoup de Français de l’étranger ont reçu un mot de passe mais pas d’identifiant. Ils n’ont pas pu voter ! Pour résumer, on a fait faire aux électeurs français de l’étranger ce qu’on oserait jamais faire aux électeurs de métropole. Dans quelle ville de France métropolitaine fait-on parcourir 300 km à un électeur pour une procuration ? Pour les conseillers consulaires de Haïti, les électeurs devaient se déplacer au Brésil, à Sao Paulo pour aller voter dans un bureau de vote qui était ouvert de 10 à 12h. Or, le voyage de Haïti au Brésil nécessite de prendre deux avions. Si on voulait voter par procuration, il fallait que quelqu’un de Port-au-Prince se déplace au Brésil. Chaque suffrage émis pour ces élections consulaires a coûté 25 euros. Ce sont les élections les plus chères au monde.

M.H. : Un autre découpage, celui des régions françaises, vous a fait vivement réagir sur Twitter.
C.-A.F. : Le lendemain des élections européennes, le président de la République a dit qu’il avait entendu le message adressé par les Français. Passer les régions de 22 à 14, c’est ça la réponse ? Je ne pense pas. Les Français attendent quelque chose en matière d’emploi et d’économie, pas un redécoupage électoral. Même si sur le fond, on peut avoir un débat sur les régions. On balance une carte de France, dont on imagine qu’elle a été faite à l’Elysée par un petit groupe. Une carte qui arrange d’ailleurs plus les copains que les adversaires. Réunir les Pays de la Loire, le Centre et le Limousin est aberrant. La Bretagne, on fait plaisir à Le Drian. Je n’entends pas du bien de cette réforme territoriale, que ce soit à droite ou à gauche. J’attends avec gourmandise les débats au Sénat en commission de lois sur le sujet. Il sera difficile pour le président d’atteindre la majorité au Sénat.

TERRORISME

M.H. : Vous avez participé à l’audition du ministre de l’Intérieur français Bernard Cazeneuve, consacrée à la lutte contre le terrorisme en commission des lois, début juin. Qu’avez-vous pensé de son discours ?
C.-A.F. : Cazeneuve se voulait convaincant mais j’ai été moyennement convaincu par son discours sur l’interdiction de sortie de territoire. Le traitement de l’information fait que depuis l’affaire Nemmouche (auteur présumé de la tuerie du musée juif de Bruxelles le 24 mai, N.D.L.R.), une information chasse l’autre. On ne parle plus de la sœur de Mohamed Merah. Cela fait plusieurs semaines que ses parents la disent en vacances en Tunisie. On se fiche du monde ou alors à elle seule, elle a renfloué l’activité du tourisme en Tunisie. On sait qu’elle se trouve actuellement en Syrie. Ça montre qu’il y a un problème de suivi de ces personnes, on a trop relâché la surveillance. Certes, elle ne présente pas les mêmes caractéristiques que son frère mais il fallait la suivre de près. Il faut une surveillance de tous les instants. Un marquage à la culotte puisque nous sommes en pleine coupe du monde.

M.H. : Vous avez posé une question relative aux binationaux. En quoi la bi-nationalité pose-t-elle problème dans la lutte contre le terrorisme ?
C.-A.F. : Les binationaux ont forcément un autre passeport et ils s’en serviront pour quitter le territoire français. Le leur confisquer ne serait pas la meilleure réponse au problème. Il y aura toujours des parangons de la bien-pensance pour dire que c’est attentatoire aux libertés individuelles ou un défenseur zélé des droits de l’Homme pour parvenir à faire libérer ces personnes. Bernard Cazeneuve a cependant mis en avant une réalité. Il n’y a aucune coordination européenne dans ce domaine. On en a tous conscience. On pourrait éviter de découvrir certaines choses après coup. Il y a aussi le fait que la liberté d’expression n’est pas la même selon les pays. Ce qui peut être insupportable pour nous, en termes d’apologie du terrorisme, est toléré dans d’autres pays. (L’enquête préliminaire visant Souad Merah pour apologie du terrorisme a été classée sans suite en janvier 2013, N.D.L.R.).

ENFANTS DU PAYS

M.H. : Le 11 avril, le conseil d’Etat a reconnu que les Français nés et ayant toujours vécu à Monaco devaient être exonérés d’impôts. Votre avis sur cette victoire ?
C.-A.F. : On a mis 51 ans à ce que le Conseil d’Etat, qui est passé par tous les états, donne une interprétation de la convention conforme à celle qu’en avait faite le sénateur Georges Portmann, rapporteur de la commission des finances, lorsqu’elle a été rédigée en 1963. Il disait que la convention fiscale entre la France et Monaco ne s’appliquait pas aux Français nés et ayant toujours vécu en principauté. C’est un combat qui prouve que nous avions raison depuis 51 ans. Quelquefois, ce combat a été lourd, injuste mais le Conseil d’Etat a reconnu que nous avions raison, et c’est gratifiant.

M.H. : Un statut pour les enfants du pays, c’est l’étape suivante ?
C.-A.F. : C’est une chose complexe. Est-ce qu’un statut aurait une importance réelle dans la mesure où Monaco leur garantit des droits spécifiques ? Un statut ferait des enfants du pays, des résidents étrangers pas comme les autres. Monaco est un peu bloqué. D’autant que le Conseil de l’Europe verrait d’un mauvais œil la création d’un nouveau statut juridique qui créerait des différences entre les résidents étrangers qui vivent en principauté. Cela ferait trois qualités de résidents (nationaux, étrangers, autres étrangers). Ce débat dure depuis dix ans. Il faut le faire évoluer. J’en parle avec le ministre d’Etat. J’ignore si le gouvernement y est favorable.

M.H. : Que pensez-vous du revirement du gouvernement dans le dossier de la villa Ida ?
C.-A.F. : Cela me préoccupe. Je trouve que ce n’est pas un bon signal envoyé aux enfants du pays. J’ose espérer que ce n’est pas la conséquence de la décision rendue par le Conseil d’Etat en faveur des Français nés et ayant toujours résidé à Monaco. Cette décision ne règle pas tout. La situation des Français de Monaco demeure fragile. J’espère que la villa Ida ne sera pas réaffectée à autre chose qu’aux enfants du pays.