vendredi 26 avril 2024
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Quel avenir pour le marché
de l’art à Monaco ?

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Si le marché de l’art en principauté est au beau fixe, peut-il encore se développer dans les années à venir ? Pour le savoir, il faut plonger dans la sociologie de la principauté, autant que dans son passé économique et ses relations avec la France. 

La loi date du 10 juillet 2000 et son décret d’application du 18 juillet 2001. Ce texte a tout changé en France et, par ricochet, à Monaco. A cette date, les 458 commissaires-priseurs de l’époque ont alors perdu leur monopole. A l’origine de ce changement législatif, les protestations de Sotheby’s, dès 1992, auprès de la Commission européenne contre le refus des autorités françaises de l’autoriser à organiser des ventes aux enchères publiques en France. Mise en demeure en mars 1995 par la Commission europénne de modifier sa législation, la France a donc fini par plier, malgré la colère et les protestations des commissaires-priseurs. Inquiets de la main mise de la concurrence étrangère sur les grandes ventes, ils ont alors réclamé une indemnisation et conservé le monopole sur les ventes judiciaires. La loi prévoit alors une indemnisation, à hauteur de 50 % de la valeur de l’office, calculée sur les cinq dernières années d’exercice avant la promulgation de la loi. Insuffisant pour affronter les géants du secteur, ce qui pousse certains à se rapprocher de grands groupes. Par exemple, Tajan est alors entré dans le groupe de luxe LVMH, pendant que l’étude Piasa a rejoint la holding de François Pinault, patron de Christie’s. Une logique d’alliances que les chiffres rend quasiment inéluctable. En effet, en 2000, Christie’s réalisait un chiffre d’affaires de 15,6 milliards de francs (2,38 milliards d’euros), Sotheby’s de 12,7 milliards de francs (1,94 milliard d’euros), pendant que le premier commissaire-priseur français, Me Tajan, n’était que de 567 millions de francs (86,4 millions d’euros). Le texte de loi prévoit aussi la création d’un Conseil des ventes, chargé d’agréer les nouveaux vendeurs et de veiller à ce que les règles déontologiques soient suivies. En partie pour apaiser les esprits, cette nouvelle structure est alors présidée par Gérard Champin, qui n’est autre que l’ancien président de la chambre nationale des commissaires-priseurs.

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Roxana Azimi. Journaliste au Monde

« Je ne pense pas que l’on assistera à une ruée vers la principauté dans les années à venir. C’est impossible, car tout coûte cher à Monaco, notamment l’immobilier. Du coup, pour rentabiliser une vente, rien qu’en termes de location, il faut dépenser beaucoup » 

Italiens

Du côté de Monaco, dans les années 1980 et 1990, le marché était dynamique. Mais ce changement législatif en France a donc impacté la principauté. « Cela a provoqué le déclin de Monaco, explique Roxana Azimi, journaliste au Monde et spécialiste du marché de l’art. Pourtant, la principauté organisait alors depuis 1975 une biennale des antiquaires qui avait été lancée par les organisateurs de la biennale des antiquaires de Paris. Mais, le monde des antiquaires étant vieillissant, les collectionneurs aussi. Et plus personne ne voulait d’une commode Louis XV. » Le XVIIIème et le XIXème ne passionne plus et la principauté se retrouve quelque peu marginalisée. « Avant cela, des ventes de prestige pour des œuvres qui étaient mieux vendues sur des territoires francophones étaient organisées à Monaco. Il y a eu de très belles ventes, notamment une vente Andy Warhol (1928-1987) », rappelle Roxana Azimi. Si pas mal de collectionneurs italiens habitent à Monaco, l’amnistie fiscale décidée début 2000, a provoqué le départ de certains d’entre eux. « Les Italiens ont une tradition de la collection qui remonte au XVème siècle. Curieusement, l’Italie n’est pas un pays où le marché de l’art est très implanté, mais c’est un pays qui collectionne dans des proportions inimaginables », explique Thierry Ehrmann, PDG d’Artprice, leader mondial des bases de données sur le marché de l’art. Aux Italiens, viennent s’ajouter les Russes, ainsi que certains grands noms installés en principauté, sans oublier quelques riches Asiatiques. « Mais les Italiens sont très acheteurs et ils sont à la tête de très grosses collections », reprend Thierry Ehrmann. Début 2 000, la libéralisation du marché français fait alors de Monaco un lieu de collecte d’œuvres. Les ventes sont en berne. Les experts interrogés par Monaco Hebdo estiment qu’aujourd’hui, la clientèle italienne reste la plus importante sur le marché de l’art local. Si aucun chiffre précis ne circule sur le nombre de collectionneurs installés en principauté, ils sont a priori nombreux. D’ailleurs, le Nouveau Musée National de Monaco (NMNM) s’appuie souvent sur des collections privées pour monter ses propres expositions. Dernièrement, on a ainsi pu voir le résident italien Fabrizio Moretti jouer le jeu et proposer avec le NMNM Step by Step, une exposition à voir jusqu’au 29 septembre à la Villa Sauber. Quant au copropriétaire de l’hôtel Métropole, Majid Boustany, il a créé en 2014 une fondation centrée sur l’étude du peintre irlandais Francis Bacon (1909-1992).

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Prestige

La relance du marché monégasque n’a pas été provoquée par un seul élément déclencheur, mais par une somme de facteurs. « Il y a eu à Monaco la volonté d’avoir en Europe l’équivalent de Miami, explique la journaliste du Monde, Roxana Azimi. Il y a eu la volonté d’avoir un lieu de villégiature chic, qui attire des gens riches, plus enclins, lorsqu’ils sont en vacances, à avoir du temps pour s’intéresser au marché de l’art. Monaco a capitalisé là-dessus, ainsi que sur ses riches résidents. » Le marché de l’art est aussi à envisager sous le prisme des lieux et des destinations tendances, qui changent au fil du temps. « La nature a horreur du vide. Ce qui était à la mode, peut passer de mode, puis revenir sur le devant de la scène. Un peu comme Berlin. Il y a eu un “buzz” autour de cette ville, et puis aujourd’hui, c’est passé de mode. Est-ce que ça reviendra ? », se demande Roxana Azimi. Autre signal qui illustre la relance du marché de l’art monégasque : la création en 2016 de la foire artmonte-carlo. Lancé dans le sillage de la foire Art Genève, dont elle est un prolongement, cet événement a rencontré un joli succès pour ses premières éditions. « Ce n’est sans doute pas une foire qui fait un chiffre d’affaires faramineux. Mais c’est un signal pour l’art contemporain. Or, on sait que c’est l’art contemporain qui tient le haut du pavé du marché aujourd’hui », glisse Roxana Azimi. Autre signe qui ne trompe pas : la présence d’Artcurial à Monaco depuis 2005. Artcurial, qui a réalisé 79,9 millions de dollars de ventes avec 3 159 lots vendus en 2018, mise sur la principauté pour doper son business sur le créneau du luxe. Proche de l’Italie, grande consommatrice de produits de luxe, Monaco dispose d’un réel atout lié sa position géographique. Du coup, Artcurial continue à organiser des ventes de prestige à Monaco. « Notamment pour les bijoux, pour ce qui est art de vivre, pour Hermès… Ce qui n’est pas négligeable », poursuit la journaliste du Monde.

Statu quo

Néanmoins, la principauté doit aussi composer avec un territoire restreint qui ne lui permet pas de jouer les premiers rôles dans un marché de l’art porté par l’art contemporain. Un marché sur lequel on trouve encore parfois quelques ventes consacrées à l’art ancien. « L’art ancien se vend le moins bien, surtout quand il est pas terrible. Et il est souvent pas terrible, car les plus belles pièces sont rarement disponibles. Et quand elles le sont, elles ne sont pas vendues à Monaco. Quand les antiquaires ont de très belles œuvres, ils les destinent à Londres ou à Maastricht », indique Roxana Azimi. Le départ de Tajan en 2016 est aussi encore dans tous les esprits. Le PDG d’Artprice, Thierry Ehrmann y voit une décision liée à la stratégie interne de cette entreprise, ainsi qu’à la surface du marché monégasque : « Tajan est en pleine réorganisation avec d’autres maisons de vente françaises. Et Sotheby’s ou Christie’s ont pris le marché monégasque, car Tajan n’avait pas la taille critique pour aborder la principauté. Monaco correspond beaucoup mieux aux ventes de Sotheby’s ou Christie’s, qui savent parfaitement marketer. » De son côté, Roxana Azimi avance une autre explication : « Quand ils sont parti, l’argument de Tajan consistait à dire qu’il y avait trop d’acteurs en principauté. Je ne suis pas certaine de cet argument. A Monaco, il n’y a bien sûr pas la place pour une multitude d’acteurs. Mais au vu de l’offre actuelle, je n’ai pas l’impression qu’il y ait un engorgement. » Pas d’engorgement, mais pas d’énormes perspectives d’évolutions semble-t-il. L’avenir du marché de l’art à Monaco devrait s’inscrire dans la continuité. Le statu quo devrait prévaloir. En effet, au vu de la surface réduite du territoire et du coût de la vie sur place, difficile d’envisager une explosion de ce marché. « La principauté continuera d’occuper une place modeste sur le marché mondial, avance la journaliste du Monde, Roxana Azimi. Je ne pense pas que l’on assistera à une ruée vers la principauté dans les années à venir. C’est impossible, car tout coûte cher à Monaco, notamment l’immobilier. Du coup, pour rentabiliser une vente, rien qu’en termes de location, il faut dépenser beaucoup. Par exemple, quand Artcurial loue un palace pendant 10 jours et qu’ils emmènent 30 personnes de leurs équipes en principauté, cela nécessite plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires pour que ce soit rentable. Ce n’est donc vraiment pas à la portée de tous. »