vendredi 26 avril 2024
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Aujourd’hui l’inflation, demain la récession ?

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Hier sous-évaluée par les banques centrales européennes et américaines, l’inflation s’est désormais installée durablement, avec des conséquences directes sur l’économie mondiale. Et le risque de récession se confirme à son tour, avec à l’issue, un ralentissement de l’activité économique et une croissance négative du PIB de nombreux États. Mais, comme le pense le prix Nobel d’économie Robert Shiller : trop parler de récession, c’est aussi la provoquer.

Tout augmente, sauf les salaires. Les prix montent en flèche, et ce n’était pas prévu à ce point. Ces hausses ne sont pas stables, mais elle sont généralisées, provoquant les sueurs froides que l’on connaît quand vient le moment de passer à la caisse. Jusqu’où tout cela va-t-il aller ? Une récession ? C’est possible. Les deux phénomènes n’ont, en soi, rien à voir, mais les conséquences de l’inflation sont sérieuses, et elles pourraient provoquer des réactions en chaîne. Invité en principauté par le Monaco Economic Board (MEB), Ludovic Subran, n’écarte pas ce scénario : « En Europe, la guerre en Ukraine a été le choc exogène qui crée toutes les conditions d’une récession industrielle. On le voit aujourd’hui dans les pays qui sont très dépendants du gaz russe. La vraie question, c’est de se demander s’il y aura une récession aux États-Unis, qui n’aura rien à voir avec le coût de l’énergie, mais avec le choc de confiance, de crédibilité, et l’environnement fragmenté que l’on connaît aujourd’hui, qui proposent moins d’opportunités » [à ce sujet, lire son interview, publiée dans ce dossier spécial — NDLR]. La situation semblait pourtant minimisée en 2021 par les différentes banques centrales. Tout comme le risque de récession, qui pointe aujourd’hui à l’horizon.

Jusqu’où tout cela va-t-il aller ? Une récession ? C’est possible. Les deux phénomènes n’ont, en soi, rien à voir, mais les conséquences de l’inflation sont sérieuses, et elles pourraient provoquer des réactions en chaîne

Hier sous-évaluée, l’inflation s’attarde

Le moins que l’on puisse dire, en effet, c’est que le risque inflationniste a été sous-évalué. D’abord qualifiée comme « temporaire » par la présidente de la banque centrale européenne (BCE), Christine Lagarde, en septembre 2021, l’inflation a fait ses marques et n’a jamais lâché l’économie européenne depuis ses poussées enregistrées en 2021. « La situation a changé », estime désormais Christine Lagarde, et le risque de hausse des prix durable et généralisée en zone euro est « unanimement » reconnu par les 25 membres du Conseil européen. La BCE mise ainsi sur une inflation de 6,8 %, en moyenne, pour 2022 dans la zone euro, contre 5,1 % anticipés en mars 2022. La prévision pour 2023 est portée à 3,5 %, et celle pour 2024 à 2,1 %. Aux États-Unis, le patron de la banque centrale américaine, Jérôme Powell, a également adapté son discours, et il ne voit plus l’inflation comme un épisode « passager » à son tour, alors que l’indice des prix à la consommation était en hausse de 8,6 % en mai 2022, son plus haut niveau depuis décembre 1981. Pourquoi ? Car l’endettement des États a augmenté sans contreparties, et qu’il a fallu en minimiser les effets. Sans compter les bouleversements rencontrés suite à la crise liée à la pandémie de Covid-19 et à la guerre en Ukraine.

« La situation a changé », estime désormais Christine Lagarde, et le risque de hausse des prix durable et généralisée en zone euro est « unanimement » reconnu par les 25 membres du Conseil européen

Dettes records et pauvreté accrue

Les banques centrales ont œuvré pour maintenir des taux d’intérêts faibles afin de maintenir le fonctionnement des États tel qu’on le connaît, et ainsi, stimuler la consommation des ménages, malgré les crises. Le problème ne se pose pas pour un petit État comme Monaco, qui a la particularité de ne pas afficher de dette publique, mais ce n’est pas le cas de ses voisins de la zone euro et des États-Unis, pour ne citer qu’eux. À titre d’exemple, la dette publique française a augmenté de 88 milliards d’euros entre janvier et mars 2022, franchissant la barre des 2 900 milliards d’euros. Ce qui signifie que la France est endettée à hauteur de 114,5 % de son produit intérieur brut (PIB). De son côté, la dette américaine a atteint le chiffre colossal de 30 000 milliards de dollars, soit 125 % de son PIB. Leurs banques centrales ont donc massivement acheté des titres sur le marché des obligations, et crédité les banques commerciales du montant équivalent en réserves monétaires. Tout cela pour maintenir les taux d’intérêt au plus bas car, en rachetant des titres, leur prix monte, et leur taux d’intérêt baisse, mécaniquement. Cela ne consiste pas à faire « tourner la planche à billets » à proprement parler, mais cela y ressemble. Or, comme l’avait déclaré en son temps l’économiste Milton Friedman (1912-2006), au moment de recevoir son Nobel en 1976, ce type de politique a tendance à fausser les prix sur les marchés boursiers, puisque les taux d’intérêts sont « artificiels ». Et ils ne correspondent plus, selon sa théorie monétariste, à la réalité économique du moment. Ce qui ne peut conduire, toujours selon lui, qu’à de l’inflation. Et si, à cela, s’ajoutent des pénuries de matériel, des difficultés d’approvisionnement, et une hausse fulgurante des prix de l’énergie, tel que c’est le cas aujourd’hui [Monaco Hebdo bouclait ce numéro le 19 juillet 2022 — NDLR], l’inflation s’installe durablement. Avec des conséquences parfois dramatiques, comme en Afghanistan, au Yemen, ou encore au Venezuela, où les hausses de prix alternent entre 50 et 500 %, et sont à l’origine de crises alimentaires. Au Sri Lanka, l’inflation est également à l’origine d’une crise politique, alors que le carburant est rationné et que le pays est paralysé, avec 51 milliards de dollars de dettes. Enfin, selon l’ONG Oxfam International, près de 260 millions de personnes dans le monde pourraient tomber dans « l’extrême pauvreté » en 2022, à cause de cette inflation généralisée.

Selon le prix Nobel d’économie Robert Shiller, il y a de « bonnes chances » pour que l’économie américaine entre en récession. La faute à une « prophétie auto-réalisatrice », provoquée par l’inquiétude des investisseurs, des entreprises, et des ménages, qui ne cessent d’entendre parler de récession et de crise à longueur de temps

Sérieux risque de récession

Face à ces bouleversements, le risque de récession se confirme à son tour avec, à l’issue, un ralentissement de l’activité économique et une croissance négative du PIB de nombreux États. Généralement, les économistes considèrent qu’un pays entre en récession lorsqu’il affiche deux trimestres consécutifs de croissance négative. C’était le cas au premier trimestre 2022 pour la France (-0,2 % du PIB), ainsi qu’aux États-Unis (-0,36 % du PIB). Pour savoir ce qu’il en sera au second trimestre 2022, un premier élément de réponse sera publié dès le 28 juillet 2022, via le bilan du Bureau of Economic Analysis (BEA), qui calcule le PIB prévisionnel américain. S’il est à nouveau négatif, les marchés pourraient y voir un sérieux risque d’entrée en récession du pays, probablement suivi par les pays de la zone euro, à leur tour. Ce n’est pourtant pas le scénario anticipé par les principales institutions financières et économiques, qui tablent plutôt sur une croissance positive, bien qu’inférieure à celle attendue avant le début de la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, à l’origine de la crise énergétique. La Banque de France anticipe ainsi une croissance en hausse de 0,25 % pour le deuxième trimestre 2022, écartant le risque de récession. Et le Fonds monétaire international (FMI) mise sur une augmentation de 2,3 % du PIB américain et assure que les États-Unis « éviteront la récession » cette année. Mais que valent au final toutes ces prédictions successives, qui passent du négatif au positif en si peu de temps ?

« Prophétie auto-réalisatrice »

Robert Shiller, récompensé du prix Nobel d’économie en 2013, a un avis assez tranché sur les prévisions qui annoncent, à tout va, la récession. Selon cet économiste, professeur à l’université de Yale, aux États-Unis, il y a de « bonnes chances » pour que l’économie américaine entre en récession. La faute à une « prophétie auto-réalisatrice » provoquée par l’inquiétude des investisseurs, des entreprises, et des ménages, qui ne cessent d’entendre parler de récession et de crise à longueur de temps. « La peur [de la récession — NDLR] peut mener à des effets concrets », estime-t-il, tout comme l’inflation, qui aurait plus un impact sur le moral et le ressenti des ménages que sur les marchés, selon cet expert. Interrogé sur ce point par Monaco Hebdo, Ludovic Subran partage également l’avis de Robert Shiller : « Plus on parle d’inflation et plus les entreprises ont tendance à augmenter un peu leurs prix, parce que les coûts augmentent et que, étant donné que tout le monde s’attend à un peu d’inflation, il est possible de se permettre d’augmenter les prix sur certains secteurs moins affectés par les coûts de l’énergie. Et c’est pareil pour la récession : on est dans une société très psychologique, avec de « l’infobésité ». C’est une récession au temps de Twitter, car tout le monde a plein d’informations. Et, quand tout le monde commence à en parler, on crée un choc de défiance. » Mais comme le disait aussi Robert Shiller, « l’inflation affecte tout le monde ». « Chaque fois que les gens font leurs courses, ils voient l’inflation, et cela les met en colère. » Difficile, en effet, de ne pas parler d’un fait de société aussi généralisé.