mardi 19 mars 2024
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Christophe Barraud : « C’est peut-être la récession la plus anticipée de l’Histoire »

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De nouveau couronné champion du monde des prévisions économiques sur les statistiques américaines et européennes, par l’agence Bloomberg LP, Christophe Barraud, chef économiste et stratégiste chez Market Securities, livre son analyse sur l’économie mondiale à Monaco Hebdo.

Quelle prévision majeure faites-vous pour les douze prochains mois ?

Sur les douze prochains mois, il sera difficile de faire de la prévision, car il existe beaucoup d’incertitudes sur des domaines variés : en économie, en géopolitique, sur le plan sanitaire avec la politique zéro Covid en Chine, sur le plan énergétique, et même, potentiellement météorologique, car cela a des conséquences sur les stocks d’énergie. Mais la tendance est claire et nette : au niveau mondial, nous observons un ralentissement de la croissance, qui passe de 6 % en 2021, à un seuil proche de 3 % en 2022. On devrait même atteindre un niveau en dessous, inférieur à 2 % en 2023, ce qui est une prévision plus pessimiste que le consensus actuel porté à 2,3 %.

Comment expliquer ce ralentissement mondial ?

Quatre facteurs peuvent l’expliquer : le maintien de la politique « zéro Covid » en Chine, au moins jusqu’au premier trimestre 2023 probablement. L’invasion de l’Ukraine, avec des conséquences sur la partie énergie. Le changement de comportement des banques centrales, très restrictives sur certaines zones. Et un choc de richesse négatif sur les trois premiers trimestres de l’année 2022, marqué par une baisse des actions et obligations — ce qui ne va pas toujours de pair pourtant — et un début de baisse des prix de l’immobilier au Canada, aux États-Unis, et à Hong Kong, qui pourrait prendre encore de l’ampleur. On parle tout de même d’une anticipation de baisse de 10 % aux États-Unis sur les douze prochains mois. Ces quatre facteurs réunis jouent pleinement un rôle dans ce ralentissement. Par zone, ce sont plutôt les pays émergents qui résisteront le mieux, car leur potentiel est davantage exponentiel.

« La vraie question, ce n’est donc pas de savoir s’il y a bel et bien récession, mais plutôt de comprendre pendant combien de temps elle va durer, et sous quelle ampleur »

Sommes-nous déjà en pleine récession ?

La récession promet d’être synchronisée dans les pays développés, dès le quatrième trimestre 2022. La vraie question, ce n’est donc pas de savoir s’il y a bel et bien récession, mais plutôt de comprendre pendant combien de temps elle va durer, et avec quelle ampleur. Pour ce qui est de la définir, j’en reste à sa définition classique : une chute du produit intérieur brut (PIB) sur au moins deux trimestres consécutifs. Or, aux États-Unis, nous avons déjà observé deux trimestres négatifs. Après un rebond technique au troisième trimestre, une rechute semble se préciser pour le quatrième. Mais il faut aussi se concentrer sur les composantes de cette récession.

Quelles en sont les composantes ?

Aux États-Unis, les investissements freinent, avec une contraction de l’investissement résidentiel. Et la croissance de la consommation réelle des ménages tend vers le zéro. Elle pourrait même atteindre un seuil négatif dans les douze prochains mois. En Europe, les deux derniers trimestres étaient plutôt bons. L’Europe a en effet connu un « effet réouverture » après la crise Covid, qui a bénéficié au tourisme particulièrement, ce qui a permis à l’hôtellerie et à la restauration de bien tenir. Il faut aussi noter que l’euro a beaucoup baissé, ce qui est, là encore, favorable au tourisme. Des pays comme la France, l’Espagne, ou la Grèce devraient donc vraisemblablement afficher une croissance positive au troisième trimestre. Mais il reste un point noir, avec l’Allemagne.

« La quasi-totalité des pays de la zone euro pourrait se retrouver en croissance négative au quatrième trimestre »

Pourquoi l’Allemagne ?

La Chine est le deuxième partenaire commercial de l’Allemagne. Or, la Chine subit l’impact de sa politique de restrictions sanitaires et son PIB se contracte. Sa croissance a d’ailleurs diminué de 8,1 % en 2021, et sera probablement à 3,3 % cette année. À cela s’ajoute la rupture d’approvisionnement sur les semi-conducteurs depuis l’Asie, et en pièces automobiles depuis l’Europe de l’Est, alors que l’industrie automobile en Allemagne représente près de 5 % de son PIB. Enfin, la crise de l’énergie a conduit des entreprises manufacturières à réduire, voire à couper, des lignes de productions. Le troisième trimestre 2022 devrait donc afficher une baisse, et même la Bundesbank estime que ce scénario est vraisemblable. Reste à savoir si cette baisse de la croissance en Allemagne sera composée par la hausse de celle des autres pays européens au troisième trimestre. La quasi-totalité des pays de la zone euro pourrait se retrouver en croissance négative au quatrième trimestre 2022.

Christophe Barraud
© Photo Studio Loic Bisoli

Les mauvais résultats affichés par certaines grandes banques européennes ces derniers trimestres annoncent-ils un risque de faillite, comparable à celle de Lehmann Brothers en 2008 ?

Sur le secteur bancaire dans sa globalité, l’activité s’est dégradée. Les taux d’intérêt ont augmenté très fort, et très vite. Les risques de défauts des sociétés ont donc naturellement ricoché sur le secteur bancaire. Mais il faut relativiser avec 2008, car les banques ont beaucoup « recapitalisé ». Et, en ce qui concerne les marchés immobiliers, la part des prêts à taux variable a beaucoup diminué aux États-Unis et en Europe, contrairement à l’Angleterre, où cette part reste encore élevée. L’avantage d’aujourd’hui, c’est que c’est peut-être la récession la plus anticipée de l’Histoire. Les banques ont des plans de sauvetage dans leurs tiroirs, et beaucoup de « stress-tests » sont opérés depuis le mois de mars 2022, notamment depuis l’invasion de l’Ukraine. Mais nous évoluons dans un monde où les actifs financiers ont beaucoup diminué, d’où les pertes latentes pour le secteur bancaire.

Vers quelles valeurs les particuliers peuvent-ils alors se positionner pour sécuriser leur argent ?

Sans faire de conseil financier, on peut se tourner à long terme vers le secteur du luxe, qui continue de tenir. D’autant que, si la Chine revoit sa politique sanitaire, la consommation reprendra. Le luxe est l’un des secteurs les plus résilients. Sur le long terme, on peut y aller lentement, sur 15 ans. Le nombre de millionnaires devrait encore augmenter, et la France assure un véritable savoir-faire en matière de luxe. Techniquement, les déterminants sont donc bons.

Au milieu de ces soubresauts, l’embellie pourrait venir des États-Unis ?

Tout dépendra de ce qui va se jouer aux “midterms” américaines [les élections de mi-mandat du 8 novembre 2022 — NDLR]. Leur politique domestique, comme internationale, reste figée dans l’attente de ce scrutin. Or, à condition que l’inflation se soit normalisée, quelque chose pourrait se mettre en place au niveau budgétaire. Et l’issue de cette élection pourrait avoir un impact sur les décisions de la Réserve fédérale [la FED, la banque centrale américaine — NDLR], qui est encore très restrictive. La FED a été un peu influencée jusqu’ici par l’administration Biden, pour faire baisser l’inflation avant les “midterms”. L’issue de cette élection pourrait donner lieu à une politique un peu moins restrictive, et un peu plus neutre en début d’année 2023. Avec, pourquoi pas, une baisse des taux d’intérêt.

« Dans l’Histoire moderne, la FED n’a jamais relevé ses taux aussi vite et aussi fort. Il est donc difficile de mesurer l’impact d’une telle politique. Mais on observe quand même des effets sur la consommation, et sur les ménages qui ont le moins de revenus »

Les taux pourraient donc déjà diminuer en 2023 ?

Dans l’Histoire moderne, la FED n’a jamais relevé ses taux aussi vite et aussi fort. Il est donc difficile de mesurer l’impact d’une telle politique. Mais on observe quand même des effets sur la consommation et sur les ménages qui ont le moins de revenus. Ces ménages ont, pour la plupart, déjà épuisé toute leur épargne Covid aux États-Unis et vont devoir recourir à des crédits à la consommation. Mais les conditions se sont durcies pour obtenir un crédit. Et le choc de richesse négatif peut également pénaliser les dépenses de consommation réelle des ménages les plus aisés. L’impact se voit déjà sur le marché immobilier, qui évolue à la baisse, et sur le dollar, qui évolue à la hausse. La situation devient extrême et, à un moment donné, il faudra un renversement. Mais, encore une fois, il est très difficile de faire une prévision au-delà de six mois en ce moment.

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