mardi 16 avril 2024
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Flambée des prix de l’énergie et des matières premières : les boulangers de Monaco s’inquiètent

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Comme en France, à Monaco, les boulangers subissent de plein fouet les effets de l’inflation et craignent pour leur avenir. Une inquiétude d’autant plus légitime que s’ajoutent également des difficultés persistantes de recrutement.

Ils n’ont pas pour habitude de battre le pavé. Pourtant, le 23 janvier 2023, des milliers de boulangers français n’ont pas hésité à descendre dans la rue partout dans l’Hexagone pour dénoncer l’explosion de leurs factures et réclamer davantage d’aides au gouvernement. Objet de leur courroux, la flambée des coûts de l’énergie et des matières premières qui les contraint aujourd’hui à augmenter leurs prix. Voire même à fermer boutique dans certains cas. Selon le regroupement Grain de Blé, cité par le réseau de médias Euractiv (1), 80 % des boulangeries françaises ne bénéficiant pas du bouclier tarifaire pourraient d’ailleurs cesser définitivement leur activité au cours de l’année 2023. Une véritable saignée que redoutent également les professionnels monégasques.

Boulanger
© Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

« Avec les prétextes de l’Ukraine, nous avons des augmentations démesurées sur les matières premières. Le beurre a triplé, la farine et le sucre ont doublé »

Marc Costa. Boulanger – pâtissier

Les factures explosent

Car, comme leurs homologues français, les boulangers de la principauté sont aussi confrontés à l’envolée des prix des matières premières, et dans une moindre mesure de l’énergie. Farine, blé, beurre… Les coûts de fabrication augmentent de manière exponentielle et les obligent à se serrer la ceinture comme le confie Marc Costa, propriétaire de huit boulangeries à Monaco. « Avec les prétextes de l’Ukraine, nous avons des augmentations démesurées sur les matières premières. Le beurre a triplé, la farine et le sucre ont doublé. Nous rencontrons aussi des difficultés d’approvisionnement. Tout cela fait que nous perdons un peu la notion des prix de revient. À Monaco, nous sommes relativement protégés avec les augmentations de l’énergie car elles sont limitées à environ 30 %. Ce qui est énorme, mais il n’y a pas de commune mesure avec ce qui est fait en France », souligne toutefois cet artisan sans donner davantage de précisions quant à ces fameux coûts de revient. Cette inflation frappe évidemment l’ensemble des acteurs du secteur en principauté, comme La Maison Mullot, implantée depuis 1938 sur le territoire national. « L’augmentation de l’énergie est d’environ 25 %, assure la comptable de cette entreprise, Christine Monié. Pour notre boulangerie, située au cœur du centre commercial de Fontvieille [de 60 mètres carrés — NDLR], nous avons par exemple payé 686 euros d’électricité en novembre et 705 euros en décembre 2022 ». À ces factures s’ajoutent celles de la Maison Dubernet, appartenant au même groupe (2), ainsi que celles de gaz pour le laboratoire de 490 mètres carrés de l’entreprise situé rue du Gabian, elles aussi en nette augmentation par rapport aux années précédentes.

Boulanger Monaco
© Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

« Mes marges ont complètement disparu »

« Il y a une vraie flambée des prix », déplore la représentante de cette boulangerie monégasque, qui n’a pas eu d’autres choix que d’augmenter ses tarifs pour absorber cette hausse des prix de l’énergie et des matières premières. « Nous essayons aussi de faire attention à ce que nous commandons, et à ne pas avoir trop de pertes », ajoute Christine Monié. Chez l’Épi d’Or, à quelques encablures de la place d’Armes, on a aussi été contraint de répercuter les hausses des matières premières. « Mais nos clients nous soutiennent à 100 % et ils comprennent », affirme la patronne Catherine Pani. Un soutien bienvenu pour Marc Costa, qui préfère de son côté réaliser moins de marge plutôt que de faire payer la note à ses clients. « Nous ne pouvons pas tout répercuter, ce n’est pas possible. Sinon nous risquons de les perdre, explique-t-il. La symbolique du pain est malheureusement ancrée dans nos esprits. Autant il peut y avoir des choses que l’on peut acheter beaucoup plus cher, autant le pain ce n’est pas possible. Nous ne pouvons pas doubler ou tripler nos prix. Nous sommes obligés de faire comme nous pouvons. Personnellement, mes marges ont complètement disparu ». D’autres, comme La Maison Mullot, envisagent en dernier recours de se tourner vers l’État monégasque pour obtenir un coup de pouce supplémentaire : « Nous aimerions savoir à qui nous adresser pour avoir de l’aide au sujet de l’énergie. Nous aimerions qu’il y ait une petite participation ou une petite subvention », réclame ainsi Christine Monié. « Nous sortons d’une période de trois ans avec ce Covid qui a été absolument catastrophique et maintenant, nous avons ce problème de matières premières, soupire Marc Costa, fataliste. Il y a toute une série de choses qui font que ça jette la confusion sur tout. Faire des prévisions, se projeter… est aujourd’hui impossible ».

Boulanger Monaco
« À Monaco, nous sommes relativement protégés avec les augmentations de l’énergie, car elles sont limitées à environ 30 %. Ce qui est énorme, mais il n’y a pas de commune mesure avec ce qui est fait en France. » Marc Costa. Boulanger – pâtissier. © Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

« Nous ne trouvons pas de boulanger, et c’est le gros problème, avant l’électricité. Les gens ne veulent plus se lever à 4 heures du matin, ni travailler les jours de fête… »

Catherine Pani. Directrice de l’Épi d’Or
Boulanger Monaco
© Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

Un métier qui n’attire plus

Obligés de travailler sur le « très court terme », les artisans monégasques s’inquiètent pour l’avenir de leur commerce. D’autant plus que ce contexte inflationniste s’ajoute à des difficultés persistantes de recrutement. La profession n’attire plus les jeunes générations qui souhaitent avant tout évoluer dans un domaine qui les passionne tout en profitant de plus de temps libre. Les horaires, la pénibilité du travail de nuit et des rémunérations plus suffisamment attractives rebutent les éventuels postulants. « Nous ne trouvons pas de boulanger et c’est le gros problème avant l’électricité, insiste Catherine Pani directrice de l’Épi d’Or. Les gens ne veulent plus se lever à 4 heures du matin, ni travailler les jours de fête… ». Faute de boulanger disponible, son établissement va devoir dorénavant fermer un jour par semaine, ce qui représente un manque à gagner non négligeable à l’heure actuelle. Du côté de la Maison Mullot, c’est d’un pâtissier dont on manque. « Je fais des offres d’emploi pour des pâtissiers, pour des responsables épicerie fine, pour des vendeurs. Mais il n’y a personne sur le marché, soi-disant. Nous manquons clairement de candidatures. Pour moi, ils n’ont pas envie de travailler, avance la comptable de la société Christine Monié qui ne cache pas son inquiétude. Les clients, nous les avons mais ce n’est pas évident de trouver du personnel. Ou alors on nous envoie n’importe qui. Il y a une vraie inquiétude car si on ne trouve pas de personnel… ». Et Marc Costa d’ajouter : « Le métier de boulanger est un métier passion. Ce n’est pas un métier que l’on fait parce qu’on ne sait pas quoi faire. Ou on aime ce métier, ou on ne l’aime pas. Mais vous avez des inconvénients qui sont tels comme les horaires, les jours fériés… Nous sommes tous confrontés à ces problèmes [de recrutement — NDLR]. C’est une évolution sociétale contre laquelle il est très dur d’aller ».

Boulanger Monaco
© Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

« J’ai grandi dans le fournil de mes parents, j’ai pu voir les évolutions de ce métier. Il a tellement changé et évolué. Les ouvriers boulangers ne gagnent plus du tout leur vie comme auparavant »

Marc Costa. Boulanger – pâtissier

Des établissements menacés ?

Faut-il alors redouter des fermetures de commerces comme en France ? « L’artisanat est mis à mal depuis des décennies. Ce n’est pas nouveau, souligne Marc Costa. Nous avons à faire au lobbying agroalimentaire qui est puissant. Quand vous êtes en négociations sur un tarif de farine, je suis ridiculement petit par rapport à un appel d’offres que peut lancer Carrefour. Nous ne sommes pas en position de pouvoir faire des négociations. Costa face à Carrefour France, on ne fait pas le poids. Nous n’avons pas beaucoup d’arme pour pouvoir nous défendre », regrette cet artisan. Ce sentiment d’impuissance est partagé par La Maison Mullot, confrontée à une concurrence de plus en plus féroce dans le quartier de Fontvieille. « Nous avons eu une réunion avec l’administration des domaines. Car Carrefour commence un peu à faire ce que nous faisons : des salades, des hot-dogs… Et nous devons vérifier leur cahier des charges pour voir s’ils sont habilités à le faire. Leur objet social commence à grandir. Et ils ne sont pas les seuls à empiéter sur notre domaine d’activité. Nous attendons désormais la réponse du gouvernement à ce sujet. Le GIE, groupement d’intérêt économique, va poser la question au gouvernement pour voir ce qu’ils peuvent faire ». En attendant, c’est toute une profession qui s’inquiète pour son avenir comme l’explique Marc Costa qui emploie 66 salariés. « En France, il reste 33 000 boulangeries. J’ai récemment eu la visite de la direction des Grands Moulins de Paris, et elle prévoyait la fermeture de l’ordre de 15 000 établissements cette année. Les répercussions seront énormes. Les gens se battent comme ce n’est pas possible. Dans nos métiers en plus nous ne sommes pas aux 35 heures, nous ne comptons pas nos heures donc nous avons plein de soucis annexes », martèle cet artisan qui envisage, à 69 ans, de passer la main. « Mais ce n’est pas dû au fait de ces problèmes, précise-t-il. J’ai grandi dans le fournil de mes parents, j’ai pu voir les évolutions de ce métier. Il a tellement changé et évolué. Les ouvriers boulangers ne gagnent plus du tout leur vie comme auparavant. Auparavant, ils faisaient partie de la classe moyenne. Ils avaient une résidence secondaire… ce n’est plus le cas maintenant ».

Inflation : un « chèque urgence énergie » pour les boulangers de la Région Sud

Pour apporter une aide aux artisans, petites entreprises et commerçants les plus impactés par la hausse des prix du gaz et de l’électricité, la région Sud a décidé, au début du mois de janvier 2023, de leur octroyer un « chèque urgence énergie » dont la valeur est calculée « en fonction du montant de la hausse du coût de la facture ». D’un montant maximal de 8 000 euros, ce chèque urgence énergie est présenté par la région comme « une aide directe au paiement des factures, complémentaire des aides d’État ». Ce dispositif est destiné à « toutes les entreprises qui ne bénéficient pas des mécanismes de garantie mis en œuvre par l’État concernant l’énergie », à savoir celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 2 millions d’euros et dont la facture d’électricité ou de gaz a été multipliée par 2 minimum entre le premier trimestre 2021 et le premier trimestre 2023. Pour en bénéficier, les boulangers de la région doivent préalablement avoir sollicité l’amortisseur de l’État auprès de leur fournisseur d’énergie. Ils doivent ensuite se préinscrire via un formulaire disponible en ligne sur le site Internet Maregionsud.fr, ou contacter par téléphone le guichet « Allo Région » au 04 91 57 57 57. Le dépôt des dossiers se fera « après le vote de cette mesure en assemblée plénière », qui devrait avoir lieu fin mars 2023 ou début avril 2023 précise la région. À noter que cette aide sera rétroactive au 1er janvier 2023. Pour soutenir ses artisans en difficulté, la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) a ainsi débloqué 3 millions d’euros. « L’objectif est clair : que cette aide vous permette de retrouver de l’oxygène sur la durée, et pas seulement pour quelques jours. La région Sud ne vous laissera pas au bord du chemin ! », promet dans un communiqué son président, Renaud Muselier.

1) L’article 80 % des boulangeries pourraient fermer face à l’augmentation des coûts de production est à lire ici.

2) Monsieur Mullot a vendu le laboratoire et le magasin de Fontvieille au groupe Vegas, une holding parisienne appartenant à deux cousins Christophe et Arnaud Sevin. Monsieur Mullot a toutefois conservé son magasin situé avenue de la Costa. Il garde également une part dans l’entreprise.