mardi 16 avril 2024
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Extension en mer :
c’est Bouygues TP !

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Le 14 janvier, le prince Albert l’a annoncé : c’est Bouygues TP qui a remporté l’appel à candidatures lancé en mai 2013. Objectif : construire un éco-quartier maritime à l’Est de Monaco.

Albert II avait annoncé cet été qu’il souhaitait une décision rapide sur l’épineux dossier de l’urbanisation en mer. C’est chose faite. Après des mois de présélection, la nouvelle est tombée le 14 janvier. Le prince Albert a retenu Bouygues Travaux Publics. Et c’est avec ce groupement, qui associe nombre de constructeurs monégasques, que l’Etat monégasque entrera en négociation pour la réalisation du projet d’extension au Portier, a annoncé le palais princier.

Vinci deuxième
On savait déjà que deux groupements demeuraient en lice. Bouygues Travaux Publics et Vinci Concessions avaient en effet été « classés respectivement premier et deuxième à l’issue d’une présélection » de l’administration. Aujourd’hui, une autre phase démarre. « Une période de 18 mois au maximum s’ouvre à l’issue de laquelle l’Etat et le groupement retenu devront avoir trouvé un accord définitif sur le projet de construction complet », ajoute le bulletin.
Pour la réalisation de cet éco-quartier de 6 hectares au large du Larvotto, un appel à candidatures avait été lancé le 3 mai 2013. Les groupements intéressés avaient jusqu’au 23 juillet prochain pour déposer un dossier. Si un total de « dix candidats maximum » avait été évoqué dans un premier temps par le conseiller pour l’urbanisme et l’équipement, Marie-Pierre Gramaglia, ce sont au final 4 groupements qui ont tapé à la porte du gouvernement monégasque. Soit le groupe français Vinci — qui construit actuellement la Tour Odéon —, la société de construction navale italienne Fincantieri (soutenue par le gouvernement italien), le groupement de l’Anse du Portier (associant Bouygues TP et le Portier holding SCA, regroupant certains constructeurs monégasques) et Terraforma Monaco Gildo Pastor Pallanca. Fincantieri et Terraforma ont été écartés assez rapidement en raison de dossiers incomplets, selon le gouvernement.

Des immeubles de 6 à 10 étages
Aujourd’hui, c’est donc Bouygues qui a été choisi pour négocier les conditions de construction des 6 hectares sur la mer, géographiquement situés entre le Fairmont et le Grimaldi Forum, ses immeubles de 6 à 10 étages maximum ainsi qu’une marina de trente à quarante anneaux. Choisi pour ses garanties et compétences apportées sur le plan financier, technique, architectural et environnemental (l’extension est réalisée à côté de la réserve marine du Larvotto et du tombant à corail des Spélugues), le groupement est censé garantir aussi la pérennité du projet, tout comme l’implication des acteurs économiques monégasques dans le projet.
Rappelons que l’opérateur sera en charge du financement, de la conception et de la réalisation des travaux d’infrastructures et de superstructures ainsi que de la commercialisation des 60 000 m2 qui lui reviendront. Le coût de la dalle est estimé à un milliard d’euros…

18 mois de négociations
Cette négociation avec l’Etat monégasque durera de 12 à 18 mois. Avec une signature d’un contrat à la clé. En cas d’échec des négociations, en revanche, le gouvernement pourra rappeler le candidat arrivé second, à savoir Vinci. A quand des maquettes des projets ? Pas avant 18 mois. Sur le plan architectural, ces mois-ci, le ministre d’Etat n’a donné que quelques maigres indices. « Il n’y aura pas de tour ni de barre de béton à 20 mètres de l’avenue princesse Grace… », avait-il mentionné, en n’excluant pas l’idée « d’un projet futuriste. » Patience donc. D’autant que la finalisation des travaux ne saurait être espérée avant 2025.

Fontvieille-Larvotto
Ces m2 déjà gagnés sur la mer…

Depuis la fin des années 50, Monaco n’a cessé de s’agrandir sur la mer. Sur les 202 hectares de son territoire, plus de 30 ont été acquis en grignotant des m2 sur la Méditerranée.

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Fontvieille en 1910. © Archives SBM

Grâce à ses extensions maritimes successives, Monaco a gagné plus de 300 000 m2. Soit environ 20 % de son territoire, construit sur la mer. A partir des années 50, la logique a toujours été la même : favoriser la croissance de la place. Pour se développer économiquement, Monaco n’a pas le choix : il faut pousser les murs. « Nous avons besoin de 300 000 à 350 000 m2 supplémentaires chaque décennie pour répondre à la demande, que ce soit en logements, en bureaux ou en équipements », rappelle régulièrement le prince Albert. Et dans cette quête d’espace, l’urbanisation en mer est toujours d’actualité.
C’est après la seconde guerre mondiale que tout s’est joué. Monaco, exsangue, devait trouver une source de revenus au-delà des jeux et du tourisme. Loin de la carte postale, Rainier III a décidé de jouer la carte de l’industrie. Parfumerie, produits pharmaceutiques, matières plastiques, produits de beauté… De grands noms, comme Lancaster, se sont installés au fur et à mesure. Monaco, qui héberge 36 000 résidents, est passé de 10 000 salariés à la fin des années 50 à plus de 45 000 aujourd’hui. Il faut donc de l’espace pour accueillir tout ce monde. C’est pourquoi, entre 1958 et 1961, un premier terre-plein a été réalisé au Portier. Une plage artificielle suivra. A l’Est, ce sont 54 000 m2 qui sont créés de toutes pièces sur la Méditerranée, avec le terre-plein du Larvotto. L’agrandissement basculera ensuite à l’ouest de la Principauté. 220 000 m2 de terrains constructibles et un nouveau port sont réalisés à Fontvieille, dans les années 60.

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Le Larvotto en 1910. © Archives SBM

1. Première extension : déjà le Larvotto
C’est donc au Larvotto que Monaco commence à grignoter de l’espace. L’idée était dans l’air du temps avant les conflits mondiaux. « La première pierre a été posée du côté du Portier par Albert Ier autour de 1912. L’idée de faire quelque chose avec cette partie du rivage est déjà là. Mais comme la première guerre mondiale éclate, rien n’est fait », nous racontait ainsi l’ancien conseiller national Max Brousse, élu de 1958 à 1998 (MH 623). La zone du Larvotto, délaissée, devient prioritaire dans les années 50. A l’époque, du Portier jusqu’à la frontière, c’est juste un rivage. Il y a même un petit port de pêche au Portier. Le gouvernement décide de construire 54 000 m2 sur la mer pour créer un nouveau quartier. Gildo Pastor a racheté de nombreux terrains libérés par la voie ferrée quand Monaco obtient une ligne souterraine en 1958 afin de libérer de l’espace en bord de mer. L’enfouissement des voies ferrées durera de 1958 à 1964.
Pour financer ce chantier pharaonique, le gouvernement de l’époque hésite. L’argent manque. Finalement, l’Etat assure le financement. En 1966, Rainier III valide le plan de l’architecte français Perrin-Fayol. « Le chantier dure une grosse dizaine d’années. 500 000 m2 sont construits par Gildo Pastor dans les années 70. Ce qui représente environ 2 000 appartements en bord de mer », note Max Brousse.
A côté du terre-plein SBM (à partir du Monte-Carlo Bay), une plage artificielle voit le jour. Tout comme une série d’hôtels. Le Holiday Inn deviendra ainsi le Méridien. Sur le terre-plein du Portier, construit entre 1958 et 1961, c’est l’hôtel Loew’s qui est bâti dans les années 70 par la Sogen, ancêtre du Groupe Caroli. Tout comme les tunnels Louis II et de la voie rapide. L’auditorium Rainier III, centre culturel et de congrès, est inauguré en 1979. « Les anciens cinémas des Beaux Arts deviendront le théâtre Princesse Grace et le Centre de rencontres internationales (CRI) », nous rappelait encore Max Brousse. En juillet 2000, l’inauguration du Grimaldi Forum, et ses 35 000 m2, entièrement construits sur la mer, signe la fin des travaux de ce quartier. Jusqu’à… la nouvelle extension.

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© Photo DR

2. Fontvieille : scénario à rebondissements
Entre bluff des négociations et débats houleux sur fond de campagne électorale… Le scénario de la conquête de l’ouest de Monaco a presque des airs de western. Il marquera la construction du tout nouveau quartier de Fontvieille, à deux pas du port de Cap d’Ail. Tout a commencé en 1961 : « Un premier projet d’extension à l’ouest du territoire, où les fonds marins atteignent rapidement trente à quarante mètres de profondeur, est soumis par la SADIM (Société pour le développement immobilier de Monaco) », indique Thomas Fouilleron dans Histoire de Monaco. A ce moment, on envisage de réaliser un terre-plein de 400 000 m2. Très vite, les prétentions sont revues à la baisse, pour ne pas compromettre — trop — l’équilibre environnemental. Deux ans plus tard, un nouveau projet se base sur un remblai de 220 000 m2 et sur la création d’un port de plaisance de 55 000 m2. Un projet qui représente tout de même en surface 1/7ème de la Principauté ! Ce qui pose logiquement la question du financement des travaux. En 1964, un modus operandi est trouvé. « La SADIM dispose de 7 ans, prend tous les frais à sa charge, le terre-plein lui est concédé pour 50 ans, mais elle doit fournir à l’Etat des terrains permettant l’édification de 150 000 m2 de planchers », résume l’historien. « C’était une concession à charge d’endigage », nous précisait Bernard Fautrier, en charge des travaux publics à Monaco, pendant les discussions avec la SADIM (MH 623). En échange, le groupe financier franco-italien devient propriétaire de 2 320 000 m3 de bâtiments qu’il veut aménager avec « d’importantes dérogations aux hauteurs de plafonds qui lui avaient été imposés. » C’est alors le clash. La SADIM propose au gouvernement le rachat des terrains construits sur la mer, en octobre 1971, pour 400 millions de francs. Après un an de négociations avec la SADIM, le gouvernement accepte. L’opération est entérinée par le conseil national en 1973. Non sans mal. Pour la petite histoire, sur fond de bataille électorale, le rachat du terrain par la SADIM provoque la panique. Tracts en pagaille annonçant la ruine de Monaco et l’impôt pour les Monégasques, rumeurs sur la pseudo-intention de vendre l’or du fonds de réserve pour financer le rachat du terrain… Dans un premier temps, le Conseil national refuse de se prononcer. Avant que Jean-Louis Campora ne propose une solution : « Son idée, c’était de racheter une partie en la payant cash à la SADIM et de faire acheter l’autre par une entreprise privée. Ce sont des Canadiens qui se sont présentés. Et dans les années 70, l’Etat a racheté les parts de ces Canadiens. Plus cher, bien sûr… », nous relatait “Jean-Jo” Pastor. Finalement, l’Etat opte pour faire appel au fond de réserve, à un emprunt-relais et à la rétrocession d’une partie du terre-plein à des promoteurs pour construire des logements privés.
En 1977 sortent de terre les premières constructions. Le stade Louis II, lui, est inauguré en 1985. Un chantier qui nécessite 120 000 m3 de béton, 9 000 tonnes de fer et 2 000 tonnes de charpentes métalliques et qui coûtera au final 530 millions de francs. Combien aura coûté en tout l’opération de Fontvieille (soit les 215 000 m2 hors œuvre de surfaces publiques et les 185 000 m2 hors œuvre de surfaces privées) ? Difficile de le dire. D’aucuns évoquent le chiffre rond de 10 milliards de francs…

Fontvieille : « Une chance unique »

« Préoccupés du risque “d’étouffement” de notre cité, dont le développement était compromis par le manque d’espace, les pouvoirs publics avaient mis à l’étude, depuis plusieurs années, un projet de construction d’un terre-plein de 10 hectares à Fontvieille. Les moyens techniques et financiers de l’Etat ne lui permettaient malheureusement pas d’entreprendre un ouvrage plus important, bien que la baie de Fontvieille offrît à la Principauté une chance unique de développement. Ceci explique avec quel intérêt le gouvernement accueillît l’offre faite, en 1962, par un groupe privé de construire à ses frais […] une emprise de 22 hectares et un port de plaisance de 5,5 hectares, sur des fonds marins de 40 à 50 mètres. » Cette citation de Jean-Charles Rey, extraite d’un rapport du conseil national du 27 juin 1973, est toujours d’actualité.

Et après ?

Souvent évoquée, toujours écartée jusqu’à présent, l’hypothèse d’un Fontvieille II est loin d’être exclue.

Portier, 1. Fontvieille, zéro. Le 29 mars 2013, le prince Albert a tranché. « Après avoir étudié diverses hypothèses depuis 2008 », le chef de l’Etat a privilégié une nouvelle urbanisation en mer à l’Est de Monaco. Entre le Portier et le Grimaldi Forum. Dans les colonnes de Monaco-Matin, Albert II a justifié ce choix en indiquant qu’« une extension à Fontvieille aurait représenté un coût trop important ». « Une extension à l’ouest de la Principauté, prolongeant le terre-plein de Fontvieille, est difficile car les fonds sont très vite à 40 mètres de profondeur. Cela exige des techniques très coûteuses », avait-il précisé. Pour autant, le prince a bien ajouté que le choix du Portier n’excluait pas « d’envisager d’autres » extensions à l’avenir. Et pour cause. Même avec ses 40 mètres de fond, l’alternative Fontvieille II deviendra peut-être un jour… la dernière et unique solution. Toujours pour la même raison : l’exiguïté du territoire monégasque.

350 000 m2
Pour rappel, c’est après la suspension du projet d’extension au Portier de 15 hectares — au début de la crise financière en 2008 —, que les regards s’étaient tournés vers Fontvieille II. Lors d’une conférence de presse, le conseiller de gouvernement pour l’Equipement Marie-Pierre Gramaglia avait d’ailleurs évoqué les grandes lignes d’un tel projet : « La superficie de l’extension pourrait être comprise entre 5 et 8 hectares, conditionnée par les limites de profondeur liées aux différentes techniques envisageables et à la prise en compte de contraintes diverses (courantologie, environnement…) ». Tablant sur « une capacité de construction vraisemblablement inférieure à 350 000 m² ».