vendredi 26 avril 2024
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Travailler à Monaco : l’argent n’est plus suffisant pour les jeunes talents

Publié le

Travailler a changé. Aux États-Unis, plus de 20 millions de salariés ont volontairement quitté leur emploi en seulement sept mois, entre avril et octobre 2021, en quête d’une meilleure qualité de vie. À Monaco, le phénomène est pris au sérieux pour ne pas perdre les jeunes talents. Car, malgré un niveau de salaire supérieur aux pays voisins, Monaco doit faire plus pour continuer à être attractif.

À Monaco, les salaires sont plus alléchants. C’est un fait. Mais encore faut-il que l’argument soit payant auprès des collaborateurs de la principauté, présents ou futurs, et notamment chez les jeunes actifs et les jeunes diplômés, originaires des pays frontaliers. Car il se passe quelque chose sur la planète travail. Les lignes bougent et les aspirations sont en train de changer : aux États-Unis, plus de 20 millions de salariés ont volontairement quitté leur emploi en seulement sept mois, entre début avril et fin octobre 2021, car il ne correspondait plus à leurs envies, et ne s’adaptait plus à leurs projets de vies. Cela représente une fuite d’environ 3 % de la main-d’œuvre nationale chaque mois. Du jamais vu, si bien que la presse américaine l’a illustré comme un phénomène de société : le “big quit”, autrement dit la « grande démission » en français. Bien sûr, ce qui se passe Outre-Atlantique n’est pas forcément transposable à l’Europe occidentale, et à Monaco en particulier. Mais plusieurs signes laissent penser que les tendances ne sont pas si différentes en 2022.

Aux États-Unis, plus de 20 millions de salariés ont volontairement quitté leur emploi en sept mois, entre début avril et fin octobre 2021, car il ne correspondait plus à leurs envies

Écarts de salaire, mais relatifs

On l’a dit, le niveau de rémunération de la place monégasque est globalement supérieur à la moyenne européenne. On gagne un peu mieux sa vie à Monaco qu’en France, par exemple. Le salaire médian, dans le secteur privé, était de 2 151 euros mensuels net en 2020, en équivalent de temps plein, et il a grimpé à 2 276 euros nets en 2021, selon l’institut des statistiques et des études économiques (IMSEE). Cela signifie que la moitié des salariés ont gagné en dessous, ou autant, que cette somme. Concernant le salaire minimum, son niveau net horaire est également supérieur de 16 % à celui versé en France. Depuis le 1er janvier 2022, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) monégasque est fixé à 1 786,33 euros mensuels, à temps plein. Mais dans le secteur privé, en revanche, le salaire net médian était tout de même de 1 940 euros en France, la même année. Sans oublier que la durée légale du travail est supérieure à Monaco, avec 39 heures par semaine contre 35 heures. À niveau de comparaison égale, les écarts ne sont donc pas extravagants entre les deux pays. Reste que la principauté attire encore de nombreux salariés : ils sont presque 2 000 personnes supplémentaires à avoir rejoint les entreprises de Monaco depuis 2021, si bien que le seuil des 57 000 collaborateurs est bientôt atteint, selon le département de l’économie et des finances, sur les bases de l’IMSEE. Mais, pour autant, tout n’est pas joué, selon les partenaires sociaux de Monaco. L’ombre de la « grande démission » planerait-elle sur la principauté, malgré l’arrivée de ces nouveaux salariés ?

Selon le ministère du travail français, à la mi-2021, les démissions des salariés en CDI auraient bondi de 10,4 % et de 19,4 % par rapport à juin et juillet 2019. Quant aux ruptures conventionnelles, elles auraient progressé de 15,4 % et 6,1 % sur la même période. © DR

On gagne un peu mieux sa vie à Monaco qu’en France, par exemple. Le salaire médian, dans le secteur privé, était de 2 151 euros mensuels net en 2020, en équivalent de temps plein, et il a grimpé à 2 276 euros nets en 2021, selon l’institut des statistiques et des études économiques (IMSEE).

La qualité de vie en premier

La perception du travail a changé, et d’autant plus chez les jeunes collaborateurs, comme le confirme Jean Tonelli, président du syndicat des professionnels en ressources humaines (SYRH), organe de la FEDEM : « Le salaire fait partie des éléments qui s’avèrent moins importants chez les jeunes actifs. La qualité de vie a pris le pas. Le travail est toujours une phase importante de la vie, mais elle n’est plus la seule composante. Avant, pour les anciennes générations, le travail était perçu comme un devoir, une base autour de laquelle on vivait. Aujourd’hui, il a un sens différent auprès de ces jeunes. » Et, face à ce constat, le salaire ne suffit pas. Son niveau ne serait d’ailleurs pas assez élevé, en moyenne, pour s’adapter au coût de la vie monégasque et azuréenne dans son ensemble : « En matière de rémunération, tout est relatif. Toucher un gros salaire, là où la vie est très chère, n’a rien d’avantageux. En ce sens, les salaires ne sont pas suffisamment élevés à Monaco. » Un constat partagé par Cedrick Lanari, président de la fédération des syndicats de salariés de Monaco (F2SM) : « Il est nécessaire d’annexer les salaires sur l’inflation, mais aussi de travailler sur l’accessibilité et les transports, ainsi que sur l’attribution de logements sociaux sur les communes environnantes, en renégociant leurs critères d’attribution avec la France. Pour rester attrayante, la principauté doit combler ses retards sociaux. ». À Monaco le prix du mètre carré frôle désormais les 52 000 euros selon l’IMSEE. Et ce niveau influence les prix de l’immobilier des communes limitrophes. Difficile ainsi, pour des jeunes actifs, d’accéder à la propriété à proximité de la principauté. En se logeant en dehors du rayon monégasque, les collaborateurs allongent ainsi leur temps de trajet journalier, ce qui est susceptible d’altérer leur qualité de vie.

« Le salaire fait partie des éléments qui s’avèrent moins importants chez les jeunes actifs. La qualité de vie a pris le pas. Le travail est toujours une phase importante de la vie, mais elle n’est plus la seule composante »

Jean Tonelli. Président du SYRH

Épanouissement

Mais ce n’est pas tout. En entreprise, les jeunes actifs misent davantage désormais sur leur épanouissement professionnel. Si le nombre d’actifs continue de progresser à Monaco, encore faut-il qu’ils y restent. Or, 6 % seulement des collaborateurs font l’intégralité de leur carrière professionnelle à Monaco, selon l’Union des syndicats de Monaco (USM). Et, pour y pallier, il faut revoir les méthodes de management, selon Jean Tonelli, de la FEDEM : « Les jeunes ont besoin d’autonomie. Et dans les entreprises de Monaco, le style de management n’est pas toujours adapté. Il faut que les dirigeants prennent conscience de ce qui motive réellement leur collaborateur. Or ils se trompent encore parfois, en prenant des décisions en fonction de ce qu’ils aiment, ou pensent être bons. Pourtant, il suffit de pas grand-chose, de quelques outils de management, pour mesurer la motivation, et l’entretenir. » Mélanie Dupuy, présidente de la Jeune Chambre Économique (JCE), où se réunissent une centaine d’actifs et entrepreneurs de Monaco de moins de 40 ans, confirme ce besoin d’épanouissement chez les jeunes talents : « Nos membres ne mettent pas la rémunération en argument numéro un. Bien sûr, cela reste un facteur important. Mais ce n’est pas ça qui va décider aujourd’hui de la société dans laquelle ils vont évoluer. La flexibilité revient très souvent, je pense qu’on ne peut plus voir les choses comme on le voyait avant. Cette rigidité du 9 heures – 18 heures ne va pas être appréciée ».

Des secteurs plus menacés

Tous les pans de l’économie ne sont cependant pas la proie des vagues de démissions. Aux États-Unis, le « big quit » n’a pas frappé tout le monde : selon une note du ministère américain du travail, environ 40 % des démissionnaires travaillaient dans la grande distribution, l’hôtellerie, la restauration ou encore les services à la personne. En France, le phénomène a suffisamment inquiété l’ex ministre du travail, Myriam El Khomri, pour écrire une tribune en février 2022 dans le Journal du dimanche (JDD), quant au risque « d’épidémie de “job spleen” », équivalent à « un état de doutes et de démotivation, nourri d’un sentiment d’inadéquation profond avec son travail et d’absence de perspectives ». Et pour cause, à la mi-2021, les démissions des salariés en CDI auraient ainsi bondi de 10,4 % et de 19,4 % par rapport à juin et juillet 2019, selon le ministère du travail français. Quant aux ruptures conventionnelles, elles auraient progressé de 15,4 % et 6,1 % sur la même période, pour atteindre 85 000, contre 77 000 en 2019. À Monaco, la question se pose, alors que les secteurs de l’hôtellerie, du tourisme et de la restauration, ces secteurs touchés par la « grande démission » américaine, peinent autant à recruter qu’à retrouver leurs niveaux d’avant crise de Covid-19 : 41,6 % de taux d’occupation de chambres par exemple en 2021, contre 65,9 % en 2019. Plus que d’éventuelles démissions, cet apparent renouveau du monde du travail augmente la pénurie de main-d’œuvre des secteurs fragiles, et les pressions exercées sur les entreprises voulant revoir leur politique de l’emploi. Reste à savoir où vont les travailleurs ensuite : aux États-Unis, ce phénomène de « grande démission » a fait naître près de 9 millions de nouveaux travailleurs indépendants depuis le début de la pandémie de Covid-19, selon le département américain du travail. Il s’agit de leur niveau le plus élevé depuis la crise financière de 2008, alors que le bureau de recensement américain a enregistré 4,54 millions de créations d’entreprises entre janvier et octobre 2021, soit 56 % de plus qu’en 2019 à la même période. Si un tel tournant devait s’observer demain sur le territoire, combien choisiraient à leur tour de créer leur entreprise à Monaco ? C’est une autre question.

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