vendredi 29 mars 2024
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The Famous Project : le nouveau défi nautique d’Alexia Barrier

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Après le Vendée Globe, Alexia Barrier s’attaque au trophée Jules Verne, avec l’ambition de boucler cette course mythique avec un équipage 100 % féminin. Un défi de taille que la navigatrice est venue présenter à Monaco, à l’occasion de la journée mondiale de l’océan, mercredi 8 juin 2022.

L es challenges ne lui font pas peur. Après avoir bouclé son premier Vendée Globe en 111 jours 17 heures et 3 minutes il y a tout juste un an [à ce sujet, lire notre encadré en fin d’article — NDLR], Alexia Barrier part à l’assaut d’un autre monument des mers : le trophée Jules Verne. Cette course légendaire, créée en 1992 par Florence Arthaud (1957-2015) et Titouan Lamazou sur une idée d’Yves Le Cornec, consiste à effectuer un tour du monde à la voile, sans escale et sans assistance, en un temps record. Et comme Alexia Barrier est une femme de défis, la navigatrice originaire de Biot (Alpes-Maritimes) a décidé de partir sur les traces de Phileas Fogg, le héros du roman de Jules Verne (1), avec un équipage composé uniquement de femmes. Un singularisme dans cette course habituellement dominée par les hommes.

Changement de cap

Ce projet hors du commun est né quelque temps après son arrivée aux Sables d’Olonne, en février 2021. D’abord encline à défier une seconde fois l’« Everest des mers » aux commandes d’un bateau plus performant, Alexia Barrier doit finalement virer de bord quelques mois plus tard face à un marché de l’Imoca sous tension. « Au départ, je m’étais plutôt orientée vers un deuxième Vendée Globe. Sauf qu’il y a eu un vrai mercato au niveau des bateaux de course, explique la navigatrice azuréenne. Je voulais avoir un bateau de course plus récent, et plus performant. Mais je ne voulais pas construire de bateau, parce que, pour moi, cela est antinomique avec les valeurs que je porte, en termes de pollution pour la planète notamment. Je n’ai pas trouvé de bateau assez rapidement. Du coup, je me suis dit que mon prochain rêve, c’était le trophée Jules Verne ». Elle lance alors The Famous Project, qu’elle ne considère pas pour autant comme une solution de repli : « En rentrant du Vendée Globe, j’avais envie de repartir autour du monde. Mais cette fois, sous une forme différente, avec un bateau qui va trois fois plus vite, et en équipe, pour avoir cette coopération et ce partage avec des athlètes de très haut niveau ». Et si possible, avec des femmes. Car l’objectif d’Alexia Barrier est de devenir le premier équipage 100 % féminin à boucler ce record autour du monde. En 1998, Tracy Edwards s’était déjà lancée à la conquête du trophée Jules Verne à la barre du catamaran Royal and Sun Alliance. Mais la tentative de la Britannique s’était finalement soldée par un démâtage au milieu du Pacifique : « Elles étaient en train de battre le record d’Olivier de Kersauson. Mais, malheureusement, elles démâtent au point Nemo, après 40 jours de mer. Et depuis, il n’y a plus eu de femme sur un équipage tout court ».

« Je l’ai appelé The Famous Project pour mettre la lumière sur des femmes qui n’osent pas, ou qui n’ont pas l’opportunité de s’exprimer »

Redonner de la place aux femmes

Réussir cet exploit inédit serait donc un joli pied de nez, dans un milieu où les femmes ne représentent que 5 % des skippers : « On se souvient très bien de Florence Arthaud ou d’Ellen MacArthur. Mais depuis, il n’y a pas eu vraiment de star féminine. Et il n’y a pas eu beaucoup d’opportunités pour les femmes de naviguer à très haut niveau, regrette la Biotoise. Nous sommes de plus en plus nombreuses, c’est super. En revanche, aucune n’a eu les moyens financiers de gagner. Et ça, c’est encore un gros problème dans notre sport. On veut bien avoir une femme skipper, mais on ne veut pas lui donner les moyens de gagner ». Le chemin vers la féminisation de la discipline reste encore long, mais Alexia Barrier espère faire bouger un peu les lignes grâce à The Famous Project : « Les problématiques que nous rencontrons en tant que femme dans la société en général, nous les retrouvons dans le sport. Avec ce projet, nous allons aussi pouvoir évoquer ces différents sujets ». Cela devrait notamment se matérialiser par des colloques organisés en collaboration avec des associations de femmes dans différents pays du monde (Afrique du Sud, Brésil, États-Unis, Japon…) « pour que les femmes aient un espace pour s’exprimer ». À travers ce challenge, la navigatrice entend enfin montrer aux filles, jeunes femmes, et aux femmes, qu’elles peuvent, elles aussi, aller au bout de leurs rêves. Et susciter, pourquoi pas, des vocations auprès de la jeune génération. La dénomination du projet reflète d’ailleurs assez bien la philosophie prônée par Alexia Barrier : « Je l’ai appelé The Famous Project pour mettre la lumière sur des femmes qui n’osent pas, ou qui n’ont pas l’opportunité de s’exprimer », souligne-t-elle.

Alexia Barrier
© Photo Alexia Sailing Team

Des navigatrices confirmées et expérimentées

À ce jour huit navigatrices (2), et pas n’importe lesquelles, ont d’ores et déjà accepté de relever le défi de l’Azuréenne. Dans la liste, on retrouve notamment Marie Riou, considérée comme la femme la plus rapide au monde en multicoques, et la Britannique Dee Caffari, sept tours du monde à son actif. Mais aussi l’Américaine Sara Hastreiter et Marie Tabarly qui n’est autre que la fille du célèbre navigateur Éric Tabarly, disparu en mer d’Irlande en 1998. En s’entourant ainsi de CV ronflants, Alexia Barrier veut mettre toutes les chances de son côté pour devenir le premier équipage exclusivement féminin à décrocher le trophée Jules Verne. Pour y parvenir, il lui faudra aussi créer une alchimie au sein de cette équipe internationale : « Il va me falloir être un capitaine qui sait manager différents caractères et différentes nationalités. L’avantage que nous avons, c’est que nous sommes tellement fières d’être là que le challenge va être plus important que nos égos, et nous n’aurons pas trop de difficulté à fonctionner ensemble », estime la navigatrice. Et d’insister : « Je suis certaine que nous allons nous donner à 200 % pour réaliser de belle manière ce challenge ». Peuvent-elles alors viser le record du monde détenu par Francis Joyon sur Idec Sport en 40 jours 23 heures 30 minutes et 30 secondes, un temps de référence établi en 2017 ? « Les bateaux et les machines évoluent, donc ce record sera battu. Mais je ne peux pas vous dire dans combien de temps », répond Alexia Barrier, qui espère avant tout franchir la ligne d’arrivée sans encombre. « Évidemment, nous souhaitons établir un temps féminin et tout mettre en œuvre pour essayer de battre le record de Francis. Mais la voile est un sport mécanique. Donc si nous n’avons pas les moyens financiers, il ne faut pas rêver, nous n’y arriverons pas. Même avec beaucoup de chance, ça me paraît très compliqué ». Au total, dix navigatrices prendront place à bord du trimaran de 32 mètres de long et 21 mètres de large pour le départ de la course prévu en fin d’année 2024. Ce qui laisse à l’équipe encore deux années pour bien se préparer, et s’entraîner, afin d’aborder ce tour du monde dans les meilleures conditions possibles. « Pour le moment, nous sommes huit, et je sais qu’au cours des deux années qui vont arriver, les choses peuvent évoluer. Les filles sont super fières de faire partie de ce projet, mais personne n’est prisonnier du projet, explique Alexia Barrier, consciente de ne pas être à l’abri d’un désistement de dernière minute. Il est important de voir comment on se sent sur un projet d’une telle envergure. C’est hyper engagé comme projet. Ça demande une grosse implication en termes de temps. Certaines filles sont mamans, d’autres ont d’autres projets en parallèle. En 2023, nous allons encore tourner pour recruter d’autres filles, plus jeunes et moins expérimentées, avec l’objectif d’avoir notre équipage final en début d’année 2024 ».

« Nous sommes de plus en plus nombreuses, c’est super. En revanche, aucune n’a eu les moyens financiers de gagner, et ça, c’est encore un gros problème dans notre sport. On veut bien avoir une femme skipper, mais on ne veut pas lui donner les moyens de gagner »

Course aux moyens

En attendant de trouver les derniers chaînons manquant encore à cette équipe de drôles de dames, la priorité reste de boucler le budget dans les plus brefs délais. Le nerf de la guerre, selon Alexia Barrier : « Trouver des partenaires est toujours une question d’opportunité, et de chance aussi. Il faut être dans le bon timing pour les entreprises, qu’elles aient des valeurs qui se rapprochent des nôtres. Mais ce projet international et 100 % féminin est très attractif pour les entreprises, et notamment celles qui travaillent à l’international. Elles voient bien la connexion qu’elles peuvent faire entre les marchés, et comment activer et fédérer les collaborateurs à l’international grâce à ce projet ». Le trophée Jules Verne serait même « plus attrayant, plus attractif et plus différenciant » que le Vendée Globe, compare-t-elle, car « sur le prochain Vendée Globe, il y aura plus de 40 skippers. Là, nous sommes seules et nous sommes 100 % avec notre partenaire. Nous occupons complètement la scène ». Un budget équivalent à trois millions d’euros par an sur quatre ans, soit 12 millions d’euros, serait nécessaire pour mener à bien The Famous Project, selon les estimations d’Alexia Barrier.  « Aujourd’hui, nous avons un premier partenaire qui souhaite s’engager à hauteur d’un tiers du budget, ce qui va nous permettre d’exister, de nous entraîner, et de pouvoir tourner nos premiers films. Nous allons faire une mini-série qui va être diffusée à l’international. Nous allons aussi tourner pour des kits pédagogiques en réalité virtuelle pour les enfants. Nous avons donc plein d’outils d’activation pour nos partenaires, plein d’idées pour partager ces challenges, amener naviguer les collaborateurs de nos partenaires… », détaille la skippeuse, qui ne s’inquiète pas outre mesure.

Un projet environnemental

D’autant plus que l’Azuréenne sait qu’elle pourra aussi compter sur le soutien de la principauté, en cas de besoin : « Avec mon équipe, nous avons mis en place un site Internet et un logo « Écris l’histoire » pour que cela soit compréhensible par les partenaires que nous démarchons. La phase numéro 2 consistera à aller voir des partenaires. Pour l’instant, ce sont les partenaires qui nous ont contactés, sans que nous soyons vraiment allés les démarcher. Mais évidemment, je vais venir voir les acteurs de la principauté, parce que ce serait magnifique d’avoir un trimaran dans le port de Monaco ». Alexia Barrier espère par ailleurs profiter de ce projet ambitieux pour mener de nouvelles collaborations avec la fondation prince Albert II et le musée océanographique. Car, au-delà de l’enjeu sportif, ce tour du monde est aussi idéal pour sensibiliser le grand public à la préservation des océans [à ce sujet, lire l’interview d’Alexia Barrier publiée dans ce numéro – NDLR]. Plusieurs actions vont ainsi être menées au cours de ce périple : « Nous allons continuer à collaborer comme nous le faisons depuis douze ans avec les chercheurs océanographes en installant des capteurs sur le bateau pour prendre les données in situ sur la première couche de l’atmosphère. Pas sur l’eau en surface cette fois-ci, parce que notre bateau ne va pas trop toucher l’eau, donc nous ne pourrons pas vraiment prendre des données de température et de salinité sur l’eau en surface, comme j’ai l’habitude de le faire depuis dix ans. Nous allons aussi déployer des profileurs, des bouées météo et océano pour les scientifiques. Enfin, nous allons continuer nos programmes pédagogiques sur l’océan pour les enfants qui sont plus de 100 000 aujourd’hui à nous suivre avec 4MyPlanet », explique Alexia Barrier. Éducatif, scientifique, social, environnemental… The Famous Project a donc de quoi séduire. À condition toutefois de ne pas rester à quai. Pour aider Alexia Barrier et son équipage, une campagne de crowdfunding, appelée « The Famous Project powered by women », a été lancée sur la plateforme HelloAsso : https://www.helloasso.com/associations/4myplanet/collectes/the-famous-project/2?i=6086741.

Course à la voile : « Homme ou femme, nous sommes tous à égalité sur le Vendée Globe »

Il y a un an, le 28 février 2021, Alexia Barrier franchissait la ligne d’arrivée du Vendée Globe aux Sables d’Olonne après 111 jours 17 heures et 3 minutes de course. Une performance exceptionnelle pour cette navigatrice originaire de Biot, qui devenait ainsi la dixième femme seulement à boucler l’« Everest des mers ». « C’est dingue, c’est une grande fierté pour moi de faire partir de cette petite famille des 92 skippers qui ont terminé le Vendée Globe. Mais aussi pour tous les gens qui ont cru en moi depuis des années, confie l’Azuréenne. Quand on mène des projets comme celui-ci, on embarque ses amis, sa famille, et je leur casse les oreilles matin, midi et soir avec mes projets et mes rêves. Et d’arriver à boucler la boucle, à passer la ligne d’arrivée en course, c’était vraiment un très grand moment ». Cette course à la voile en solitaire, sans escale, et sans assistance, n’a pourtant pas été de tout repos pour Alexia Barrier, qui a dû affronter les éléments, mais aussi une vilaine blessure qui aurait pu la contraindre à l’abandon à quelques milles nautiques des Sables d’Olonne. « Dix jours avant l’arrivée, je suis tombée dans le bateau et je me suis fracturé le dos. Je ne pouvais plus marcher, se souvient la navigatrice. C’était hyper stressant de se dire que j’aillais peut-être devoir abandonner à quelques centaines de milles de l’arrivée. Je n’ai rien lâché, mais c’était le moment le moins agréable de la course ». Heureusement, d’autres souvenirs beaucoup plus agréables resteront à jamais gravés dans sa mémoire : « Pour une fois, homme ou femme, nous sommes à égalité. Parce que nous sommes face aux éléments. Ce sont eux qui donnent le tempo. Passer 111 jours en mer au contact de la vie sauvage et vivre au rythme des éléments, c’est une chance unique. Ça n’existe nulle part ailleurs », explique-t-elle. Et de poursuivre : « Quand on redonne la place aux animaux dans leur espace naturel comme on peut le vivre dans le sud de l’(océan) Indien et le sud du Pacifique, c’est une autre manière d’envisager notre planète. On se sent (comme) des invités acceptés, pour une courte durée, dans ces contrées alors que les oiseaux s’amusent et font du toboggan avec les courants d’air qui sont produits par mes voiles ». Des images bucoliques qui doivent, selon elle, nous rappeler à quel point « il est urgent que l’on redonne plus de place à la nature et à la biodiversité, si on veut nous-mêmes être humain et ne pas se perdre sur cette planète ».

1) Le tour du monde en 80 jours, de Jules Verne (Le livre de poche), 256 pages, 5,90 euros.

2) À l’heure où Monaco Hebdo bouclait ce numéro, mardi 14 juin 2022, sept navigatrices avaient donné leur accord pour participer au projet d’Alexia Barrier. Il s’agit de : Marie Tabarly, Marie Riou, Dee Caffari, Elodie Jane Mettraux, Sara Hastreiter, Helena Darvelid, et de Joan Mulloy.

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