vendredi 26 avril 2024
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Monaco à l’épreuve du changement climatique

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Musée océanographique
En 1999, les eaux des côtes de Provence et de Ligurie, en Italie, se sont maintenues pendant plus d'un mois à 23/24°C jusqu'à 40 m de profondeur. © Photo DR.

On voudrait croire, parfois, que le réchauffement climatique, c’est comme les accidents : ça n’arrive qu’aux autres. Mais comme l’actualité le rappelle, avec le sommet de Cancun, Monaco ne fait pas figure d’exception. Avec comme première victime, la diversité biologique marine.

Par Julie Chaudier.

Un A+. La note donnée début novembre à Monaco en matière de développement durable a de quoi réjouir la direction de l’environnement. « La politique de la principauté en matière de gestion du patrimoine naturel et de la biodiversité est apparue exemplaire », souligne Pascal Bello, directeur général délégué de l’agence de notation extrafinancière BMJ Ratings.

Optimisme à relativiser?: la biodiversité monégasque n’est pas sous cloche ni à l’abri de tous les dangers. La 10ème conférence sur la diversité biologique de Nagoya au Japon, qui s’est tenue du 18 au 28 octobre dernier, l’a rappelé?: le réchauffement climatique a des effets considérables sur les écosystèmes. Des conséquences et enchaînements complexes qu’il sera très difficile d’enrayer. Selon le rapport de synthèse du GIEC datant de 2007, la température mondiale a déjà augmenté de 0,6°C entre 1901 et 2000. Dans le même temps, le grand quart sud-est de la France enregistrait une hausse de 0,9°C sur la même période selon l’ONERC. Les différents scénarios élaborés par le GIEC permettent d’envisager, entre 2090 et 2099, des températures supérieures de 1,1 à 6,4°C aux températures de 1980 à 1999. En Méditerranée, au pied de Monaco, le long de ses 4 km de côtes, les premiers changements sont visibles. Ils révèlent ce que l’on appelle déjà la tropicalisation de la Méditerranée.

Migrations

« En moyenne, durant les trois dernières décennies, la température des petits fonds du littoral méditerranéen nord occidental s’est élevée d’au moins un degré. L’augmentation de la température de la masse d’eau profonde se mesure seulement en dixièmes de degrés, mais, pour une masse d’eau réputée constante, c’est très significatif », atteste Pierre Chevaldonne, chercheur au CNRS. Son laboratoire, à la station marine d’Endoume, collabore notamment avec la direction de l’environnement sur l’étude de la colonisation des cavités obscures de la contre-jetée du port de la Condamine.

Premier effet visible de ce réchauffement, les espèces à affinités pour des eaux froides et celles pour des eaux chaudes sont en train de changer leur répartition géographique. « Le front entre les zones où chacun de ces deux types d’espèces est majoritaire se déplace vers le nord », explique le chercheur. « Nous avons pu constater que des espèces comme la girelle paon, le mérou ou le barracuda venaient en plus grand nombre dans la réserve du Larvotto », raconte Murielle Agliardi, présidente de l’Association monégasque pour la protection de la nature.

L’élévation des températures entraîne donc, dans une certaine mesure, un enrichissement de la biodiversité marine monégasque, mais il y a des espèces dont la principauté se serait bien passée. Désormais, si les méduses et leurs caractéristiques urticantes ne monopolisent plus l’actualité des plages chaque été c’est seulement grâce aux filets de protection, car elles pullulent toujours sur le reste du littoral. Causes principales?: la surpêche a éliminé leurs concurrents dans la course à la nourriture tandis que l’élévation de la température favorise leur reproduction.

Intoxication mortelle

L’Ostréopsis Ovata pourrait bien, à son tour, faire parler d’elle. Cette micro-algue produit une toxine emportée par les embruns qui peut provoquer des irritations respiratoires. D’après la direction de l’environnement, qui la surveille de près, les taux n’ont encore jamais atteint le seuil de pré-alerte de 30?000 cellules par litre d’eau. Le micro-organisme tropical responsable des cas de ciguatera, intoxication alimentaire souvent bénigne mais potentiellement mortelle, est aussi présent en Méditerranée. « Si aucune intoxication n’a encore été recensée, l’augmentation des températures pourrait favoriser le développement du micro-organisme », anticipe Pierre Chevaldonne.

Les espèces à affinité froide et les espèces les moins mobiles sont, au contraire, mises en danger par l’élévation des températures. En 1999, les eaux des côtes de Provence et de Ligurie, en Italie, se sont maintenues pendant plus d’un mois à 23/24°C jusqu’à 40 m de profondeur. « Cette année là, au tombant des Spélugues, le corail rouge et les gorgones de la réserve ont connu un phénomène de mortalité massif », témoigne Denis Allemand, directeur scientifique du Centre scientifique de Monaco (CSM). Les coraux vivent en symbiose avec des algues, « or le réchauffement réduit la photosynthèse des micro-algues nécessaire aux coraux. Les algues ne remplissent plus leur office et les coraux se détériorent et blanchissent », détaille Christine Ferrier Pagès, directeur de recherche en écophysiologie au CSM.

Les conséquences du réchauffement climatique sur la biodiversité et la santé humaine sont nombreuses et extrêmement complexes, mais « il faut garder à l’esprit que le réchauffement climatique pourrait être bien pire, si un quart des 79 millions de tonnes de CO2 émis chaque jour par les activités humaines n’était absorbé par les mers et océans », rappelle Jean-Pierre Gattuso, directeur de recherche au laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer, spécialiste de l’acidification et coordinateur du réseau EPOCA. Un phénomène qui n’est pas sans conséquences. « Certains organismes marins à squelettes calcaires comme les mollusques et les coraux ont plus de mal à former leurs coquilles et leurs squelettes car l’eau manque de carbonate », explique J-P Gattuso.

Le musée océanographique de Monaco a accueilli « The 2010 Annual Ocean Acidification Reference User Group Meeting » (RUG) réunissant 30 personnalités en charge des programmes internationaux de recherche sur l’acidification des océans, du 2 au 4 novembre dernier. « Le musée océanographique a été un des premiers à mettre le doigt sur cette question, se targue Robert Calcagno, directeur du musée. Dès 2008, nous avons réuni 200 chercheurs afin de dégager un consensus scientifique. A l’issue du colloque une déclaration de Monaco a été rédigée à destination des grands décideurs politiques du monde. »

Tout le problème est là?: s’il est possible d’identifier au niveau local un certain nombre d’évènements et de changements imputables en partie au réchauffement climatique, il est beaucoup plus difficile d’envisager une action efficace depuis Monaco même. Entre information pour le grand public et diplomatie active, le musée océanographique veut participer, à son niveau, à lutter contre les effets du réchauffement climatique. « Le prince Albert II a vraiment souhaité que l’exposition Méditerranée?: splendide, fragile, vivante concorde avec la fête nationale. Le 18 novembre au soir le prince a invité tous les ambassadeurs présents à Monaco à participer à un dîner au musée océanographique », raconte Robert Calcagno.

Chauffage au fioul interdit

Inutile de rappeler que Monaco veut jouer un rôle en matière de protection de l’environnement. Lutte contre la désertification, conservation du thon rouge, protection du milieu marin… Mais l’action du gouvernement monégasque contre le réchauffement climatique ne peut être que limitée par la très petite taille de la principauté. Il y a aussi certains progrès à accomplir. « Nous avons donné une note très moyenne sur l’aspect immobilier. Monaco est encore loin des bâtiments à énergie neutre ou positive », signale Pascal Bello de l’agence de notation BMJ Ratings. « Nous savons que 30 % des émissions de gaz à effet de serre viennent du chauffage au fioul. Ce type de chauffage est aujourd’hui interdit dans l’immobilier neuf et des incitations sont mises en place pour le retirer là où il existe encore, se défend Cyril Gomez, directeur de l’environnement. Ces mesures ont d’ailleurs participé à la réduction des émissions de gaz à effet de serre à Monaco de 9 % entre 1990 et 2008, dans le cadre du protocole de Kyoto. »

Certification

De son côté, au-delà de la sensibilisation et de la réduction, à Monaco, des émissions de gaz à effet de serre, la Fondation Prince Albert II s’engage à l’international. Elle veut limiter la déforestation sauvage au profit d’une exploitation raisonnée du bois. « 20 % des émissions de CO2 s’explique par la déforestation », relève Philippe Mondielli, directeur scientifique de la fondation. Il a participé à la mise en place de deux projets de protection des forêts tropicales dont un pour les forêts du bassin du Congo. « Nous avons créé un centre d’excellence sociale pour accompagner les compagnies forestières vers le certification FSC qui respecte plusieurs critères de développement durable sans mettre la biodiversité sous cloche. A Monaco, nous entreprenons, en parallèle, de sensibiliser les quelques 150 entreprises qui utilisent du bois à cette certification pour les détourner des exploitations destructrices des forêts. »


La mer Méditerranée monte
L’élévation du niveau de la mer en Méditerranée dû au changement climatique serait en moyenne de 1,5 mm par an depuis 50 ans, soit moins que les 1,8 mm annuels du niveau global des océans. Benoît Meyssignac, chercheur au Laboratoire d’étude en géophysique et en océanographie nuance, « il est très difficile d’évaluer une tendance imputable au réchauffement climatique sur 50 ans car des phénomènes d’origines atmosphérique, météorologique, sismique et anthropique se combinent pour entraîner des variations interannuelles considérables ».
A Monaco, le marégraphe qui relève ces variations vient d’être remplacé. « Le nouveau est plus précis et diffuse en direct ses données au profit des systèmes d’alerte ou de vigilance. Il permet aussi de poursuivre l’acquisition de données au profit du suivi des variations à long terme du niveau de la mer », détaille Ronan Créach, responsable du réseau d’observation du niveau de la mer au service hydrographique et océanographique de la marine française. Le marégraphe a quitté le port Hercule pour Fontvieille.

Méditerranée : la fin d’un hot spot de biodiversité ?

Interview de Pierre Chevaldonne, chargé de recherche au CNRS à la station marine d’Endoume, spécialiste en écologie marine.

Propos recueillis par Julie Chaudier.

Monaco Hebdo?: Peut-on imaginer la façon dont les fonds marins de la Méditerranée nord occidentale vont évoluer??

Pierre Chevaldonne?: On ne peut pas faire de prédictions, mais il est possible que la pollution et le réchauffement aidant les maillons de l’enchaînement complexe de l’écosystème disparaissent petit à petit pour atteindre un point de rupture catastrophique, avant de parvenir à un nouvel état d’équilibre.

M.H.?: Concrètement, quel nouvel état d’équilibre pourrait voir le jour??

P.C.?: Le bassin nord occidental se caractérise par une diversité très forte des espèces à affinités froides et espèces à affinités chaudes. Il est même considéré comme un hot spot de la diversité de la planète. L’allure de la faune du bassin sud occidental est, au contraire, beaucoup plus monotone et moins diversifiée. Sans faire de science fiction, on peut se demander si l’ensemble de la Méditerranée ne ressemblera pas à ce que l’on voit aujourd’hui dans le bassin oriental. A ce phénomène s’ajoute l’arrivée des espèces lessepsiennes depuis la Mer Rouge, par le canal de Suez (le canal a été construit par Ferdinand de Lesseps, d’où leur nom). Certaines espèces invasives entraînent des bouleversements au sein de la biodiversité maritime qui ne touchent encore que le bassin oriental. (1)

M.H.?: N’y a-t-il plus de moyens, à l’heure actuelle de défendre cette biodiversité, sinon par la baisse des émissions de gaz à effet de serre??

P.C.?: Si, fort heureusement, d’autant plus que la réduction des émissions de gaz à effet de serre permettra seulement de ralentir un processus déjà engagé. Il s’agit de limiter les agressions de l’homme comme la pollution, les constructions en bord de mer, la pêche non durable, de ménager des espaces protéger pour la reproduction… Un écosystème fragilisé résiste moins bien aux changements au contraire d’un système qui est resté très diversifié. Par contre, des réintroductions d’espèces, sinon pour des espèces réellement emblématiques et donc pour des questions de patrimonialité propres à la société, ne sont pas envisageables car le processus qui mène à leur disparition est inexorable.

(1) « Le lagocephallus sceleratus, dit poisson coffre, se multiplie à l’heure actuelle sur les côtes de la Méditerranée orientale. Il est extrêmement toxique et a causé de nombreuses hospitalisations en Israël », selon le docteur Paula Moschella, directeur scientifique au CIESM à Monaco.

Le secteur financier à la  rescousse

Les effets du réchauffement climatique et les préoccupations pour le développement durable pénètrent toutes les sphères de la société. Le secteur financier s’en mêle aussi, entre fonds verts et titrisation des risques.

Par Julie Chaudier.

Notre premier mouvement est souvent de craindre les effets du changement climatique, mais ils peuvent aussi être positifs », interpelle Nathalie Hilmi, chargée de recherche en économie environnementale au CSM et à l’AIEA. Un discours peu répandu mais que le secteur financier du monde entier a su saisir. « Les banques proposent de plus en plus des investissements dans des produits financiers verts », explique-t-elle. Ces investissements responsables sont en partie liés avec la prise de conscience de responsabilité sociétale des entreprises. Autant d’opportunités à la portée de l’économie monégasque qui a tiré, en 2008, 15,8 % de ses richesses du secteur financier. Il est le 2ème poste de contribution au PIB après le commerce.

Le CFM Monaco dispose, depuis fin 2002, d’un fonds environnement et développement durable destiné aux clients institutionnels et privés de la banque qui souhaitent investir vert. « Ce fond, 100 % actions, est orienté vers les énergies renouvelables, l’eau, le traitement des déchets… », décrit Gilles Guesdon, gérant du fond. Les clients du CFM qui choisissent d’investir dans ce fond se caractérisent d’abord par leur sensibilité aux enjeux du réchauffement climatique. « Pour eux, il ne s’agit pas de faire du trading, mais bien d’investir sur le long terme », continue le gérant. La réaction de ces investisseurs face à la crise financière en est la preuve?: ils ne se sont pas retirés du fond. « Depuis la crise financière, le nombre de clients du fonds s’est stabilisé, sans baisser, même si son rendement de 6,5 % est légèrement inférieur à celui de l’indice… alors que son rendement est de 6,5 % seulement par rapport à l’indice mondial de 9 % du marché action général. »

Multiplication des catastrophes naturelles

Ce type de fond participe aujourd’hui d’une préoccupation pour le climat déjà vieille d’une vingtaine d’année sur les marchés financiers. Les assurances et réassurances ont dû faire face, à l’échelle mondiale, à une multiplication, dans les années 1990, des catastrophes naturelles, autant d’évènements dont l’ampleur dépassait leurs capacités financières. En titrisant (1) leurs risques sous forme d’obligations, elles ont accédé aux immenses ressources des marchés financier et ont dilué leurs risques.

Aujourd’hui, alors que l’« on prévoit une augmentation de la variabilité climatique et des phénomènes extrêmes », comme l’indique un document technique du GIEC sur les changements climatiques et la biodiversité, le marché financier de la titrisation des risques est en plein essor?: « Il y a eu un véritable boom après le passage du cyclone Katrina aux Etats Unis », atteste Nathalie Hilmi. Un rapport spécial du GIEC intitulé « Gérer les risques d’évènements extrêmes et de catastrophes pour améliorer l’adaptation au changement climatique » devrait ainsi paraître en 2011. Un souscripteur en assurance environnement d’une grande assurance française ajoute que « la société commence à prendre conscience de sa responsabilité vis-à-vis de l’environnement. Elle devrait conduire vers une monétarisation grandissante de l’environnement. »

(1) La titrisation est une technique financière qui transforme des actifs peu liquides, c’est-à-dire pour lequel il n’y a pas véritablement de marché, en valeurs mobilières facilement négociables comme des obligations.