vendredi 26 avril 2024
AccueilDossierCannabis thérapeutique : « Une approche prudente »

Cannabis thérapeutique :
« Une approche prudente »

Publié le

Présent à Nice à l’occasion de la journée InterClud du 13 décembre 2019, le docteur Fadel Maamar, chef de service, responsable de la médecine de la douleur à l’hôpital intercommunal de Fréjus, va participer à l’expérimentation du cannabis thérapeutique en France. Pour Monaco Hebdo, il raconte.

En France, vendredi 25 octobre 2019, l’Assemblée nationale a donné son feu vert à une expérimentation de l’usage médical du cannabis, dans le cadre de l’examen du projet de budget de la Sécurité sociale, pour 2020 : vous allez y participer ?

Sur Fréjus, oui. Pour certaines douleurs neuropathiques, on va proposer cette expérimentation aux patients. Mais on ne va pas travailler sur l’efficacité. On va surtout travailler sur la faisabilité. Mais cela concernera un nombre restreint de patients. D’ailleurs, on a déjà les patients nécessaires, on ne pourra pas en prendre davantage. Il faut 17 à 18 patients par centre concerné.

Les attentes des patients sont énormes ?

Oui, j’en ai conscience. Cela s’adresse d’abord aux douleurs neuropathiques, comme la sclérose en plaques, par exemple. Mais les douloureux chroniques n’ont pas tous des douleurs neuropathiques. Ces douleurs s’expriment lorsqu’il y a une lésion ou un dysfonctionnement du système nerveux. Ce sont des douleurs qui provoquent une perception de brûlure, de décharges électriques, de sensations de compression, d’étau… Donc, je le répète : cela ne concerne pas toutes les douleurs. C’est très réduit. D’ailleurs, à mon avis, le cannabis thérapeutique n’a pas d’intérêt pour les gens qui souffrent de spondylarthrite ankylosante ou une polyarthrite rhumatoïde.

Les avantages du cannabis pour traiter la douleur ?

Aujourd’hui, les études cliniques ne sont pas favorables. En clair, il n’y aurait pas d’effet du cannabis thérapeutique. Mais on a une intuition : on pense qu’il existe un certain type de douleurs neuropathiques, mais pas toutes, qui répondent au cannabis thérapeutique. Il faudra donc faire de la recherche pour en savoir plus.

C’est le cas ?

Il y a un projet de recherche sur ce sujet.

Le traitement pourra prendre quelles formes ?

C’est en cours d’étude par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Mais, pour cette expérimentation, il s’agira très certainement de gélules et de sprays.

Ce sont les deux formes les plus efficaces ?

On manque vraiment d’études fiables. Il y a des intuitions. Le spray semble efficace, mais en ce qui concerne les études médicales, nous sommes un peu aux prémisses de ce que peut apporter le cannabis thérapeutique.

« En quatre ans, et donc sur 3 200 patients, je n’ai que 42 patients à qui j’ai prescris du cannabis thérapeutique. Cela concerne donc moins de 1 % de ma file active de patients »

Quelle approche ont adopté la France et Monaco ?

Une approche prudente. Il a été décidé de ne pas faire comme certains Etats aux Etats-Unis ou au Canada, où ils ont fait un peu “open bar”. Et maintenant, ils s’en mordent un peu les doigts au niveau médical, parce que c’est un peu n’importe quoi. En France, on essaie de traiter ce dossier raisonnablement, en lançant de la recherche clinique, pour savoir quoi faire avec le cannabis thérapeutique.

Que s’est-il passé dans certains Etats aux Etats-Unis ou au Canada ?

Il y a eu une libéralisation du cannabis récréatif, qui est mélangé avec le cannabis thérapeutique. Les gens qui sont malades prennent du cannabis récréatif, les médecins ne savent plus ce que ça donne… Ils sont un peu perdus, et même mal à l’aise face à cette situation.

Avec le cannabis thérapeutique, il y a des inconvénients, comme l’accoutumance par exemple ?

Il existe bien sûr un risque addictif qu’il faut évaluer. Un tel traitement, c’est comme avec la morphine : il faut mesurer ce risque addictif. Il y a aussi des effets indésirables, comme la somnolence, la confusion, ou encore les troubles de la mémoire et de l’érection.

Impossible de prendre le volant si on prend du cannabis thérapeutique ?

C’est une dimension à prendre en compte. Je pense qu’il y aura une indulgence pour notre expérimentation et les gens qui seront sous cannabis thérapeutique. Mais en cas d’accident, il faudra voir si les assureurs acceptent d’assurer leurs clients.

Certains patients utilisent déjà le cannabis pour soulager leurs douleurs et se fournissent dans la rue : qu’en pensez-vous ?

Rien. Mais avant d’être médecin, je suis humain. Or, quand on est douloureux chronique, on cherche à soulager cette douleur. Mais je le répète : au niveau médical, on manque énormément de recherches pour avoir des éléments de preuves sur l’efficacité de ce traitement. Il faut donc que l’on parvienne à définir quel est le profil des patients qui répondent le mieux au cannabis thérapeutique.

Pourquoi les autres hôpitaux français ont peu recours au cannabis thérapeutique ?

Parce que du point de vue des autorisations, du point de vue du circuit du cannabis, c’est compliqué. C’est une usine à gaz. J’y arrive parce que j’ai une excellente équipe, avec une infirmière qui s’occupe de ce dossier, et un secrétariat qui est formé sur ce sujet. Enfin, depuis 2014, j’ai mis en place une organisation avec les pharmaciens de l’hôpital. Mais c’est vraiment lourd.

Depuis vos débuts en 2014, et jusqu’à fin 2019, le cannabis thérapeutique a été prescrit à combien de vos patients ?

J’ai une file active de 800 malades par an. En quatre ans, et donc sur 3 200 patients, je n’ai que 42 patients à qui j’ai prescris du cannabis thérapeutique. Cela concerne donc moins de 1 % de ma file active de patients.

En coulisses, des lobbys poussent en faveur du cannabis thérapeutique ?

C’est quelque chose qu’il faut prendre en compte. Il y a des influences qui s’exercent autour du cannabis « bien-être », avec le cannabidiol (CBD). On a aussi vu que les agriculteurs de la Creuse qui cultivent du chanvre sont intéressés par le sujet. Ce dossier est une marmite, avec beaucoup de choses dedans… Il faut le savoir et être prudent.

L’expérimentation qui a été lancée va durer jusqu’à quand ?

Elle va durer deux ans, jusqu’en 2022, donc. L’ANSM attend cette étude pour savoir si tout cela est faisable, en termes d’organisation. C’est vraiment l’objectif de l’ANSM. En parallèle, on va monter des recherches cliniques pour savoir quel est le profil de patient qui répond le mieux au cannabis thérapeutique.

Il faudra combien de temps avant de pouvoir définir le profil précis des patients qui peuvent prendre avec efficacité du cannabis thérapeutique ?

Je pense qu’il faudra au moins 3 ou 4 ans, et donc attendre 2023 ou 2024, pour savoir vraiment ce qu’on peut faire avec le cannabis thérapeutique. Je connais les attentes des patients, mais il ne faut pas faire n’importe quoi. La prudence est de mise.

Cannabis médical : un test avec 3 000 patients en France

Deux ans, c’est la durée estimée pour l’expérimentation de l’usage médical du cannabis que la France va lancer en 2020. La secrétaire d’Etat Christelle Dubos a annoncé en octobre 2019 que la mise en place devrait prendre 6 mois, le processus d’inclusion des patients 6 mois supplémentaires. Puis, il y aura 6 mois de suivi pour ces patients, et enfin 6 mois pour traiter et analyser les informations recueillies. Un rapport sera ensuite rédigé par un comité scientifique. Le rapporteur de La République en marche (LRM), Olivier Véran, a précisé que cette étude « visera à expérimenter l’impact positif des dérivés du cannabis sur certaines pathologies », tout en soulignant que « 17 pays de l’Union européenne (UE) ont déjà autorisé des traitements à base de cannabis médical ». Bien évidemment, le cannabis thérapeutique ne sera prescrit qu’aux patients qui sont dans une impasse thérapeutique et qui souffrent de certaines pathologies. Seulement cinq indications ont été retenues : les douleurs neuropathiques réfractaires, les soins de support en oncologie dans les situations palliatives, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, des pathologies du système nerveux central, et enfin la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques. Les produits prescrits seront inhalés ou ingérés.

Pour lire la suite de notre dossier sur la douleur cliquez ici

Publié le