vendredi 26 avril 2024
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Olivia Legrip-Randriambelo : « Les diocèses reçoivent une quantité de demandes d’exorcisme croissante »

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L’anthropologue Olivia Legrip-Randriambelo (1), qui vient de publier une anthologie de textes sur l’exorcisme (2), explique à Monaco Hebdo comment a évolué cette pratique au fil des siècles.

L’origine de ce livre ?

Ce livre est un projet qui a été initié dans le cadre d’un contrat post-doctoral. J’ai terminé ma thèse en doctorat en anthropologie, puis j’ai signé un contrat de deux ans dans un laboratoire d’excellence (LabEx), le LabEx COMOD de l’université Lyon. Dans le cadre de ce post-doctorat, j’ai formulé un projet autour des questions de l’exorcisme en contexte chrétien, donc catholique et protestant. Au fil des discussions avec des collègues historiens qui travaillent dans ce laboratoire, l’idée de ce livre a émergé.

Comment avez-vous travaillé sur ce livre ?

Ce livre a un peu le format d’une anthologie. La première étape a consisté à sélectionner des textes qui mentionnaient l’exorcisme. Ensuite, des commentaires ont été ajoutés, dans une perspective anthropologique.

Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce sujet ?

Ma formation initiale et mes recherches en anthropologie ont toujours tourné autour de la question des religions. En anthropologie des religions, il est beaucoup question de santé, puisque thérapeutique et religion sont intimement liées dans la plupart des contextes religieux. Donc l’exorcisme est arrivé à moi par le biais de mon terrain de recherche de thèse. J’ai rencontré des cas d’exorcisme protestant. L’intérêt des questions pour les religions est très vaste. Car cela touche à la fois à la question des convictions, aux rapports sociaux, mais aussi aux questions de soins. Ce qui m’intéresse, c’est d’avoir un éventail assez large à partir des questions de religion, sans se focaliser uniquement sur les rituels, les temps de messe, etc.

« L’exorcisme est relaté dès l’Antiquité. On le voit aussi très tôt dans la tradition chrétienne, dès les tout premiers siècles de notre ère. Dans certains textes bibliques, il apparaît que le Christ, lui-même, a fait des exorcismes »

À quand remontent les premiers exorcismes ?

Les mentions des premiers exorcismes remontent très loin. L’exorcisme est relaté dès l’Antiquité. On le voit aussi très tôt dans la tradition chrétienne, dès les tout premiers siècles de notre ère. Dans certains textes bibliques, il apparaît que le Christ, lui-même, a fait des exorcismes. Donc, dès le départ, l’exorcisme est prégnant. Ce rituel est tout à fait répandu à partir du XIIème siècle. Ensuite, on assiste à une expansion, à partir du XVème et du XVIème siècle. On est alors dans la période des chasses aux sorcières et des procès en sorcellerie qui ont beaucoup combiné avec les questions d’exorcisme. Dans d’autres contextes religieux, les exorcismes remontent à encore plus loin, dès la Haute Antiquité et la période Byzantine.

L’exorcisme existe dans toutes les religions ?

On retrouve des pratiques d’exorcisme, sous des formes très différentes, dans quasiment toutes les religions. L’idée d’avoir une entité néfaste dans le corps, dans une maison, dans un lieu, ou dans un objet est là. L’exorcisme, c’est donc la volonté de se débarrasser de cette entité néfaste en l’expulsant. Il existe des rituels comparables, qui relèvent de l’exorcisme, dans l’islam, dans le judaïsme, dans le bouddhisme, dans l’hindouisme, etc. À chaque fois qu’il y a une interprétation par le biais de la sorcellerie pour expliquer des souffrances, on retrouve des rituels d’exorcisme. Et cela, dans le monde entier, que ce soit en Afrique de l’Est ou en France.

Pourquoi avoir fait débuter votre livre au XVIème siècle ?

Il y a plusieurs raisons. D’abord, couvrir une période qui va de l’Antiquité à aujourd’hui aurait demandé un travail colossal, notamment en ce qui concerne le tri des textes. Ensuite, faire court sur certaines périodes de l’histoire en remontant encore plus loin aurait été une source de frustration. De plus, les sources imprimées sont de plus en plus nombreuses à partir du XVIème siècle, ce qui justifie le choix de démarrer ce livre à cette période. En effet, les procès en sorcellerie sont documentés et conservés, ce qui simplifie l’accès aux textes. Sinon, il y aurait eu des angles morts.

Quel rôle a joué le concile de Trente (1545-1563), vis-à-vis de l’exorcisme ?

Le concile de Trente a marqué une volonté de renouvellement du catholicisme. Finalement, l’exorcisme est assez peu présent dans le concile de Trente, même si des références y sont faites. L’exorcisme baptismal est évoqué, mais l’exorcisme en tant que combat contre le démon, avec cette idée de l’expulsion rituelle du démon, ne fait pas l’objet d’une réforme disciplinaire dans le Concile de Trente.

Pourquoi les cas d’exorcisme concernent essentiellement des femmes ?

La question du genre est centrale dans les accusations de possession, comme dans les accusations de sorcellerie. On parle d’ailleurs de chasse aux sorcières. Dans les comptes-rendus de procès, de jugements, là aussi on trouve un pourcentage très haut de femmes, par rapport à des hommes, jugées pour sorcellerie. Si on remonte aux perceptions du XVème ou du XVIème siècle, et des siècles qui ont suivi, les femmes sont considérées comme étant plus fragiles.

Pourquoi ?

Parce que les femmes auraient une propension plus forte à céder aux manifestations du diable et des démons. Ce serait cette « faiblesse », le fameux « sexe faible », qui serait derrière ces accusations en sorcellerie et ces interprétations de présence démoniaque. Enfin, il y a aussi la question de la déviance sociale des possédés. C’est aussi, par extension, la déviance sexuelle que l’on voit fortement dans les affaires de sorcellerie. Les sorcières sont déviantes dans tous les contingents de la vie sociale, la maladie, la sexualité… Bref, elles sont dans le dépassement des normes sociales.

« Si on regarde L’Exorciste (1973) à travers l’organisation des rituels, les objets utilisés, la chasuble, l’étole, et les mots prononcés, ce film est assez proche de la réalité des prêtres exorcistes. Il correspond au rituel exorciste de l’Église catholique. En revanche, ce qui est nettement moins réaliste, ce sont les réactions de la jeune fille possédée, qui sont extraordinaires et extravagantes. » Olivia Legrip-Randriambelo. Anthropologue et chercheuse.

« Le premier grand manuel d’exorcisme a été édicté par le pape Paul V (1550-1621), au XVIIème siècle. Il fixe le cadrage théorique. Les façons de pratiquer l’exorcisme sont expliquées dans des manuels à destination des prêtres »

La sorcellerie et la possession démoniaque, ce n’est pas la même chose ?

La sorcellerie est une volonté d’accueillir les démons. Ce serait donc une possession qui serait voulue et maîtrisée. Alors que la prise de possession démoniaque d’un corps n’est pas voulue. Elle est totalement subie.

Des papes ont-ils déjà pratiqué des exorcismes ?

Le pape Jean-Paul II (1920-2005) aurait pratiqué trois exorcismes pendant son pontificat, entre les années 1980 et 2000. Il aurait exorcisé trois femmes dans l’enceinte du Vatican, sur la place Saint-Pierre de Rome, ou pendant des audiences papales. La première femme, dans les années 1980, a été prise de convulsions. La seconde aurait eu une réaction physique, décrite comme de la « furie », sur la place Saint-Pierre. Enfin, la troisième femme se serait mise à hurler très fortement pendant une audience papale. Pour gérer ces manifestations de la possession qui sont des désordres sociaux, le pape a procédé à un exorcisme auprès de ces trois femmes. Ces trois exorcismes ont été furtifs, car ils ont été instantanés. Ils n’ont pas été prévus suivant la note du grand rituel, tel qu’il doit être organisé et préparé. Ces trois exorcismes ont été rapportés par le père Gabriele Amorth (1925-2016), qui est un père exorciste italien très connu, qui a beaucoup écrit et communiqué sur sa position de prêtre exorciste. Gabriele Amorth était un proche de Jean-Paul II.

D’une manière générale, quel regard ont porté les différents papes sur la question de l’exorcisme ?

Les papes ont beaucoup écrit sur l’exorcisme. Ils ont aussi beaucoup encadré l’exorcisme. Le premier grand manuel d’exorcisme a été édicté par le pape Paul V (1550-1621), au XVIIème siècle. Il fixe le cadrage théorique. Les façons de pratiquer l’exorcisme sont expliquées dans des manuels à destination des prêtres.

Comment se manifestent les cas de possession démoniaque ?

Des phénomènes sont reconnus par les différents textes. Il s’agit de descriptions de réactions physiques, ou verbales, que les prêtres exorcistes seront amenés à pouvoir identifier. Dans le cadre contemporain, il est très difficile pour les prêtres exorcistes de faire la part des choses, et de pouvoir distinguer une présence démoniaque intrusive d’un trouble psychiatrique. Les prêtres exorcistes sont donc en permanence sur cette ligne de tension. Les éléments auxquels ils doivent porter attention sont des phénomènes de réactions violentes face à de l’eau bénite, à la présentation d’un crucifix, ou à certains mots très importants dans la religion catholique.

Quoi d’autre ?

Il y a aussi la glossolalie, c’est-à-dire le fait de parler une langue inconnue. Il peut aussi s’agir d’une personne qui se met à parler d’un coup une langue, qu’elle n’a pas apprise. On retrouve cela dans des textes, à partir du XVIème siècle, avec des gens identifiés comme possédés par des démons, qui prononcent des bribes de latin ou d’allemand, alors qu’ils n’ont jamais appris ces langues. On retrouve cela dans des contextes plus récents, par exemple avec les possédées de Morzine, en Haute-Savoie, au XIXème siècle (3). Dans les cultes néo-protestants évangéliques, la glossolalie est une manifestation du Saint-Esprit qui est très importante. Dans ce cadre, c’est donc une version positive.

Comment font les prêtres exorcistes pour parvenir à différencier un cas de possession démoniaque et une maladie mentale ?

Il y a les éléments clés des phénomènes de manifestation de la possession démoniaque, notamment le parlé en langues inconnues ou les réactions violentes à certains éléments, qui interpellent les prêtres exorcistes. Ils se basent aussi sur le récit de la vie et de la souffrance de la personne qui demande à être exorcisée. À partir de là, ils essaient de déterminer s’il existe un traumatisme sous-jacent.

Qu’apporte un prêtre plutôt qu’un médecin ?

Les prêtres sont à même de comprendre l’interprétation démoniaque, quand un médecin généraliste ou un psychologue de suivi peuvent être hermétiques face à un tel discours. Alors que la personne a peut-être besoin de donner du sens à sa souffrance. Et, pourquoi pas, passer par une interprétation démoniaque, si cela peut permettre de débloquer la souffrance.

William Friedkin, le réalisateur de L’Exorciste (1973), a marqué les esprits avec son film : les scènes d’exorcismes de ce long métrage sont-elles fidèles à la réalité ?

Même si William Friedkin est un grand maître du cinéma d’épouvante, il est aussi qualifié de « réalisateur réaliste ». Il y a chez lui une volonté de s’ancrer dans le réel, et de ne pas faire uniquement du fantastique ou de l’épouvante. Si on regarde L’Exorciste à travers l’organisation des rituels, les objets utilisés, la chasuble, l’étole, et les mots prononcés, ce film est assez proche de la réalité des prêtres exorcistes. Il correspond au rituel exorciste de l’Église catholique.

En revanche, qu’est-ce qui n’est pas réaliste dans L’Exorciste ?

Ce qui est nettement moins réaliste, ce sont les réactions de la jeune fille possédée, qui sont extraordinaires et extravagantes. Même si des scènes de violences sont observables pendant des cérémonies d’exorcisme, L’Exorciste présente cette adolescente avec sa tête qui tourne à 180°, avant qu’elle ne descende un escalier à quatre pattes, et à l’envers. Tous ces éléments sont de l’ordre du spectacle. Les scènes de lévitation montrées dans le film de Friedkin font peut-être écho à des textes anciens qui parlent de lévitation. Ce qui est exacerbé dans ce film, mais qui est rapporté et que l’on peut observer dans des rituels contemporains, ce sont les roulements des yeux, des torsions de la langue…

Dans L’Exorciste, l’un des deux prêtres exorcistes meurt pendant le rituel : cela s’est déjà réellement produit ?

Dans les ethnographies contemporaines que j’ai pu observer, ou dans les textes que j’ai pu consulter, je n’ai jamais relevé de décès de prêtre pendant un exorcisme. En revanche, des supposés possédés qui décèdent, c’est arrivé. Car ces personnes ont de véritables douleurs. Elles souffrent vraiment. Mais elles ne meurent pas nécessairement pendant le rituel.

« Une fois le corps affecté, les manifestations des démons se donnent à voir : ce sont les symptômes, les maux, ou les gestes qui sont interprétés. Les clous sont cités dans les textes, dès le XVIème siècle, au même titre que d’autres objets pointus, ou de substances dures. Notamment par Jean Wier (1515 ou 1516-1588), qui était médecin, et partie prenante du débat à propos des chasses aux sorcières. » Olivia Legrip-Randriambelo. Anthropologue et chercheuse.

« Comme les rituels sont devenus moins visibles, beaucoup de gens n’imaginent pas que dans chaque diocèse catholique de France, il y a un prêtre exorciste. Le prêtre choisi n’est pas volontaire, c’est l’évêque qui le désigne »

Au cinéma, des films mettent parfois en scène des exorcismes avec des « vomissements de clous » : est-ce que ce genre de phénomène est référencé dans les textes que vous avez pu consulter ?

Les clous font partie des objets ou des matières qui sont décrits comme étant incorporés par les possédés. Les démons prennent possession des humains par le corps dans un premier temps, avant d’atteindre leur « âme », pour utiliser le vocabulaire chrétien. Une fois le corps affecté, les manifestations des démons se donnent à voir : ce sont les symptômes, les maux, ou les gestes qui sont interprétés. Les clous sont cités dans les textes, dès le XVIème siècle, au même titre que d’autres objets pointus, ou de substances dures. Notamment par Jean Wier (1515 ou 1516-1588), qui était médecin, et partie prenante du débat à propos des chasses aux sorcières. En 1569, dans son ouvrage, Cinq livres de l’imposture et tromperie des diables : des enchantements et sorcelleries (4), il mentionne des clous de fer, mais aussi des aiguilles d’airain, de la cire, ou des agglomérats de cheveux identifiés dans les corps des possédés comme signes de la présence démoniaque, et source de la souffrance.

Que symbolisent ces « vomissements de clous » ?

Les clous, ou toute autre matière, objets ou substances, sont utilisés comme une « preuve » de la possession dans un premier temps. Puis, leur extraction par le vomissement ou toute autre forme d’expulsion, est perçue comme un signe de l’efficacité du rituel d’exorcisme. Ces phénomènes ne sont pas propres au catholicisme du XVIème siècle. De nos jours, les chamans amazoniens sont amenés à extraire des fléchettes magiques, des tséntsak, placées sous la peau des malades. Ou encore, les guérisseurs malgaches retirent par succion des petits morceaux de bois, des sisika, également repérés sous la peau. Ces éléments pathogènes peuvent être interprétés comme des signes de possession, ou d’attaques sorcellaires, selon les contextes religieux. Mais, dans tous les cas, les discours sur ces objets matérialisent la présence des esprits.

Des prêtres exorcistes ont parfois été blessés pendant des rituels ?

Dans les textes que j’ai utilisés pour mon livre, mais aussi dans d’autres, du XVIème jusqu’au XVIIIème siècle, le possédé est présenté comme le danger. De son côté, le prêtre est présenté comme la puissance qui va résoudre le trouble, et qui va remettre le désordre en ordre. Les prêtres sont présentés comme des personnes qui ont vécu des combats difficiles et violents. Si le combat est trop simple, la puissance du prêtre n’est pas représentative. Dans les textes historiques sur lesquels j’ai travaillé, le type de blessures dont sont victimes les prêtres n’est pas forcément précisé. Dans les ethnographies, dans le contexte protestant particulièrement, j’ai vu des pasteurs ou des exorcistes se faire violemment arracher la Bible des mains, ou se faire briser leurs lunettes, par exemple.

Les prêtres exorcistes évoquent-ils parfois leur peur ?

La peur peut être sous entendue, mais elle est difficilement exprimée. Le prêtre exorciste sait qu’il va au combat, donc la puissance des entités à qui il fait face est connue et reconnue. La peur est atténuée par le fait que le discours des exorcistes consiste à dire qu’ils sont là pour faire passer la puissance divine. Ils combattent, en mettant en place un rituel, mais la force de l’exorcisme et l’expulsion des démons passent par les mots qui sont prononcés et par les objets ritualisés qui sont utilisés. Les prêtres exorcistes sont davantage un canal de communication par lequel va passer la force qui permettra d’expulser le démon.

Comment a évolué la pratique de l’exorcisme, au fil du temps ?

Au fil du temps, le rituel d’exorcisme a connu des changements et des adaptations qui sont liés au contexte social, car la perception de l’exorcisme a changé au cours des siècles. Donc les demandes de pratique de l’exorcisme ont aussi beaucoup évolué. Le premier gros changement sur la pratique du rituel remonte à la période de la Réforme protestante. L’Église catholique a alors préféré cadrer les choses, notamment avec des manuels diffusés dans les diocèses. Jugé trop fréquent et s’appuyant sur une mise en scène jugée un peu trop publique, le recours à l’exorcisme a aussi été réduit. À l’époque, la foule s’approchait des églises pour voir des possédés spectaculaires, et des prêtres en position extraordinaire par rapport à leur fonction habituelle de prêtre.

Et aujourd’hui ?

Les changements et les adaptations continuent encore aujourd’hui. Comme les rituels sont devenus moins visibles, beaucoup de gens n’imaginent pas que dans chaque diocèse catholique de France, il y a un prêtre exorciste. Le prêtre choisi n’est pas volontaire, c’est l’évêque qui le désigne. Les diocèses reçoivent une quantité de demandes d’exorcisme croissante. Mais cette demande importante ne fait pas augmenter le nombre de grands rituels exorcistes, qui sont très rares.

Des chiffres circulent ?

Aucun chiffre ne circule. Mais, dans certains diocèses, on sait qu’il y a peut-être un exorcisme par an. En revanche, chaque personne qui le demande est reçue, soit par un bénévole du diocèse, soit par un prêtre exorciste. Depuis le tournant du XXème siècle, ils se mobilisent avec l’appui de partenaires qui sont des professionnels du secteur médico-psychologique. Ce qui permet au prêtre exorciste de réorienter la personne vers une prise en charge psychologique ou psychiatrique. Cela s’est mis en place sous l’impulsion de Jean-Martin Charcot (1825-1893), un neurologue qui a fait de l’hystérie le cœur de son travail de recherche en médecine. L’hystérie peut être considérée comme une suite logique à la sorcellerie, car l’étymologie du mot « hystérie » vient d’utérus. C’est donc un mal féminin, par essence. Les descriptions que l’on retrouve, faites par Charcot et ses disciples, sont comparables aux descriptions faites des possédées, quelques siècles plus tôt.

Comment sont formés les prêtres exorcistes ?

Ils appliquent le contenu du manuel d’exorcisme édicté par le Vatican. La dernière mise à jour de ce manuel remonte à 1998, sous Jean-Paul II.

L’exorcisme est-il encore populaire aujourd’hui, ou est-il impacté par la baisse dans les croyances religieuses ?

Depuis des années, il y a ce marronnier qui dit que les églises se vident. Si les grands exorcismes sont rarement organisés, en revanche, le nombre de demandes d’exorcisme est très important. Cela signifie donc que la baisse dans les croyances religieuses n’est pas forcément liée aux demandes d’exorcisme. Souvent, les personnes qui sollicitent un diocèse pour avoir recours à une séance d’exorcisme, sont des personnes qui ont un parcours thérapeutique très long et très complexe. Souvent, ils sont passés par un médecin généraliste, par un psychiatre, par un neurologue, sans jamais aboutir à une guérison.

Et donc ?

Du coup, en dernier recours, ils se tournent vers l’exorcisme, sans se dire immédiatement que leur souffrance est liée à une possession par des démons. De plus, ces personnes ne sont pas nécessairement catholiques. Cette volonté d’exorcisme intervient souvent à la fin d’un parcours de soin, un peu comme un ultime recours. Enfin, les prêtres exorcistes, et les personnes qu’ils prennent en charge, disent qu’avec le recours à une thérapie religieuse, il y a une prise en charge globale du corps et de l’âme, contrairement à ce que propose la bio-médecine, par exemple.

Désormais, les « soins non conventionnels »  (5) se multiplient, ce qui correspond aussi à l’air du temps ?

Aujourd’hui, l’offre thérapeutique est très, très large. Avec des magnétiseurs, des coupeurs de feu, du New Age… Cette multiplicité de l’offre pousse des personnes qui ne sont pas catholiques du tout, en dernière solution, à décider de recourir à l’exorcisme. De plus, la question n’est pas d’y croire ou pas. La problématique de la croyance, va concerner la croyance dans les démons, et l’efficacité de cette pratique. Car l’exorcisme est un rite religieux. C’est une action.

Pour revenir au début de notre dossier sur l’exorcisme, cliquez ici

1) Olivia Legrip-Randriambelo est également chercheuse à l’université de Lyon II et corédactrice en chef de la revue de sciences sociales, Émulations.

2) Le Combat contre le diable, l’exorcisme dans les textes du XVIème siècle à aujourd’hui, d’Olivia Legrip-Randriambelo (Le Cerf), 243 pages, 22 euros.

3) De 1857 à 1870, des dizaines de femmes de Morzine (Haute-Savoie), ont été victimes de convulsions, de crises de somnambulisme et d’hallucinations. Elles ont affirmé être possédées par le diable. Au fil du temps, cet épisode a pris le nom des « possédées de Morzine ».

4) Cinq livres de l’imposture et tromperie des diables : des enchantements et sorcelleries, de Jean Wier (Jerôme Millon éditions), 1 012 pages, 40 euros.

5) À ce sujet, lire notre article Loi sur les pratiques de soins non conventionnels : élus et gouvernement tombent d’accord sur un texte commun.