jeudi 28 mars 2024
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La lutte contre les abus de faiblesse, une priorité pour Monaco

Publié le

La lutte contre les abus de faiblesse fait aujourd’hui partie des priorités des services judiciaires monégasques. Et pour cause, chaque année, une quarantaine de dossiers de ce type sont traités en principauté. Monaco Hebdo vous propose une sélection de quelques affaires marquantes de ces dernières années.

L ’abus de faiblesse est un délit, certes invisible, mais bien réel à Monaco. De nombreuses affaires ont en effet défrayé la chronique judiciaire ces dernières années poussant les services judiciaires du pays à les placer en tête de leurs priorités. Parquet général, police, établissements financiers… Tous sont aujourd’hui mobilisés et engagés dans la lutte contre les abus de faiblesse, qui n’épargnent personne et représentent chaque année plus d’une quarantaine de dossiers. Et à Monaco, plus qu’ailleurs, les dommages pour les victimes peuvent être considérables, de quelques milliers à plusieurs millions d’euros. Mais avant de revenir sur quatre affaires qui ont marqué la principauté, il convient de définir ce qu’est un abus de faiblesse. D’un point de vue légal, il consiste à profiter de la vulnérabilité, physique ou psychologique, d’une personne dans le but de l’inciter à faire des actes, ou s’abstenir de faire des actes, dont les conséquences lui sont préjudiciables. Concrètement, l’abus peut se matérialiser par la signature d’un document inadapté aux besoins de la personne ou par la remise d’argent importante ayant des conséquences sur son patrimoine. Selon le code pénal monégasque, l’abus de faiblesse expose son auteur à un emprisonnement de six mois à trois ans, assorti d’une amende allant de 9 000 à 18 000 euros. Loin d’être des cas isolés, ces quelques exemples, tirés de la presse locale, illustrent les différentes formes que peuvent prendre ces abus et la complexité de leur jugement. Ils démontrent aussi que Monaco, du fait de sa population âgée et des richesses qui y circulent, attire les convoitises. Les services judiciaires du pays l’ont bien compris, et ils ont donc décidé d’agir, pour empêcher que la principauté ne devienne un nid de vipères.

Affaire n°1 : Le lègue d’une marquise à son auxiliaire de vie

C’est sans doute la plus grosse affaire de ces dernières années en principauté. En novembre 2020, le tribunal correctionnel a relaxé l’auxiliaire de vie d’une octogénaire millionnaire installée à Monaco. La prévenue était soupçonnée d’abus de faiblesse à l’encontre de son employeur, une marquise d’origine slave décédée quatre ans plus tôt, qui lui avait légué toute sa fortune par testament. Soit environ cinq millions d’euros. À l’origine de la plainte, une des banquières de la victime avait signalé des retraits d’espèces importants (295 000 euros en six mois) ainsi que l’achat comptant d’un diamant à 160 000 euros et de bagues pour un montant de 280 000 euros. « Je n’ai jamais pris la parole quand Madame accomplissait ses affaires. Pour la carte, j’avais le code, uniquement pour régler la pharmacie. Pour tous les autres paiements, comme les chèques, elle était toujours avec moi. Je les remplissais. Elle les signait. C’est vrai, j’ai eu des cadeaux : montres, fourrures. Elle m’a également prêté 10 000 euros pour acquérir une Mercedes… », s’était défendue l’auxiliaire, rappelant que l’octogénaire avait l’habitude de « tout payer en espèces afin d’éviter les ponctions du fisc italien ». Malgré les forts soupçons de la banque gérant le patrimoine de la marquise, le tribunal correctionnel a finalement relaxé l’auxiliaire de vie, arguant que les faits n’étaient pas suffisamment caractérisés pour entraîner une condamnation. « Il n’y a aucune utilisation des moyens de paiement par cette dame [la prévenue – NDLR]. Dès que l’état de santé de la marquise s’est dégradé, il n’y a plus eu de retraits. Ni modification du testament. Le médecin a diagnostiqué une dépendance physique, mais aucun trouble cognitif », avait alors justifié le premier substitut.

Affaire n°2 : Amitié cupide ?

Cette affaire date de 2017, mais, à l’époque, elle avait fait grand bruit à Monaco. Un Français, naturalisé américain, était suspecté d’avoir escroqué un retraité de la principauté à hauteur de 2,5 millions d’euros. L’histoire entre les deux hommes avait pourtant bien commencé. Puisqu’après s’être rencontrés par hasard au Jardin Exotique en 2003, Henri et Lazare se lient d’amitié et font affaires ensemble. C’est en tout cas ce que prétend Henri qui est accusé d’avoir abusé de la vulnérabilité de Lazare en l’amenant à investir massivement aux États-Unis et en Italie. Principalement dans des placements immobiliers. « Dans le détail, Lazare a acquis trois appartements pour 150 000, 180 000 et 465 000 dollars, et une maison à 190 000 dollars. Des actifs dont il consent la jouissance et la gestion à ses amis. S’y ajoutent la participation à des sociétés dont Henri est partie prenante, puis un prêt de 120 000 dollars à ce dernier. Total : 1,75 million d’euros. Cerise sur ce gros gâteau : un prêt de 750 000 euros en mai 2008 », écrit le quotidien Nice-Matin dans son édition du 13 janvier 2017. Saisie par la famille, inquiète de voir le patrimoine de leur proche fondre comme neige au soleil, la justice doit alors déterminer si la victime a agi en toute connaissance de cause, ou alors si elle a été spoliée par ses nouveaux « amis ». C’est finalement la première version qui sera retenue par le tribunal correctionnel de Monaco puisque le prévenu est relaxé le 14 mars 2017. « Il ressort clairement de l’instruction que toutes les opérations se soldent par un échec financier. Pour le prévenu, en revanche, les affaires sont florissantes, comme pour ses proches », indique le président de l’époque Florestan Bellinzona, balayant au passage le soupçon d’abus de faiblesse. « Les deux expertises médicales de 2010 mentionnent une personne en pleine possession de toutes ses facultés mentales, ne souffrant d’aucun trouble de la mémoire, ni du raisonnement ».

Palais de justice Monaco
© Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Affaire n°3 : L’amant sans scrupule

E n mars 2018, l’amant d’une femme d’affaires, résidente monégasque, a été reconnu coupable d’abus de faiblesse, à l’encontre de sa maîtresse affaiblie par la maladie. Ce Français, âgé de 79 ans au moment de sa comparution, était accusé d’avoir empoché plus de 550 000 euros en cinq ans. Une coquette somme que le prévenu a acquis par le biais de versements de chèques et de virements en son nom à hauteur de 200 000 euros, mais aussi par l’acquisition de huit véhicules, pour la majorité de marque Mercedes. Ces transactions ont fini par éveiller les soupçons de la famille de la victime, qui a alors décidé de porter plainte contre le retraité. Si l’amant s’est défendu de toute manipulation, arguant que « cette dame avait toute sa tête » tout en niant être au courant de « l’altération de ses facultés mentales », ses arguments n’ont pas convaincu la justice monégasque, qui a jugé que la dénaturation de la liaison amoureuse ne faisait aucun doute. « Il oublie ou se souvient quand ça l’arrange. Est-ce donc lui la victime à plaindre dans ce dossier ? Non ! s’était emportée la substitute du procureur Alexia Brianti. Le fautif s’est enrichi et il a profité de la dépendance et de la vulnérabilité de cette femme qui n’avait plus le sens de l’argent. Argent qui était devenu le sien ! Même aujourd’hui, cet individu n’est pas crédible. Il mérite de la prison ferme », avait-elle ainsi requis. Mais après avoir pris en compte de l’état de santé dégradé du prévenu, les juges l’ont finalement condamné à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis, et au versement de 3 001 euros à la partie civile.

Affaire n°4 : Les drôles de manigances d’une auxiliaire de vie

E n novembre 2018, c’est un contentieux entre un retraité dépendant de la principauté et une auxiliaire de vie que le tribunal correctionnel a dû trancher. Alertée par plusieurs retraits d’argent et chèques litigieux, la fille de la victime avait décidé de porter plainte contre l’employée d’une société de services à la personne de la Condamine estimant que les sommes ne correspondaient nullement à des dépenses courantes. Une version bien évidemment contestée par la prévenue qui a expliqué, au cours de l’enquête, que ces multiples transactions résultaient en fait d’un accord verbal concernant le règlement d’heures supplémentaires au noir. Point d’abus de faiblesse donc selon elle. Même si les investigations montrent que l’intéressée utilisait la carte bancaire du retraité pour régler des achats quotidiens. Pire, deux chèques d’une valeur de 3 800 euros et 4 300 euros avaient été encaissés respectivement par la nièce de la prévenue et par l’auxiliaire elle-même. Au total, le montant du préjudice s’élevait à 15 316 euros. Convaincue de la culpabilité de la prévenue, la substitute du procureur Alexia Brianti avait requis un emprisonnement d’un an ferme avec mandat d’arrêt. Une peine finalement réduite à huit mois par le tribunal correctionnel, qui a déclaré l’auxiliaire de vie coupable d’« abus frauduleux de l’état de vulnérabilité ou de dépendance ».

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