vendredi 26 avril 2024
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Les Gardiennes de la Planète, avec Jean Dujardin : « Donner de l’émotion, plutôt qu’une leçon »

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Le film Les Gardiennes de la Planète (1), réalisé par Jean-Albert Lièvre et soutenu par la fondation prince Albert II, a été présenté en avant-première à Monaco. Il sera en salles le 22 février 2023. L’acteur Jean Dujardin y prête sa voix pour un message sensible, mais pas moralisateur. Objectif : promouvoir la préservation de ces mammifères marins à l’histoire riche et fascinante, dans un grand spectacle visuel et sonore. Interview.

Les gardiennes de la planète a une dimension très esthétique : l’idée était de magnifier les baleines ?

Jean Dujardin : Au-delà de faire un film très bien documenté, apaisant, intéressant, et intelligent, je l’ai aussi trouvé très beau, et je trouve que c’est le meilleur moyen pour parler aux gens. La beauté est une émotion, et c’est toujours mieux de donner de l’émotion plutôt qu’une leçon, surtout en termes d’écologie. Personnellement, je suis un acteur, je ne m’y connais pas plus que ça. J’ai prêté ma voix, car il faut éclairer ce genre de choses, et il faut le faire très spontanément, sans se poser de questions. Le fait est que j’ai été ému par le travail de Jean-Albert Lièvre, par ses deux ans et demi de chasse à l’image et de rencontres avec un mammifère assez étonnant, un peu extraterrestre.

L’immersion que propose ce film sert à éveiller les consciences ?

Jean Dujardin : Je me sens plus concerné, parce que j’ai été ému. J’ai envie qu’on puisse rester dans le vivant, qu’on ne se prenne pas pour des surdoués, qu’on ne soit pas au-dessus, ou à côté, qu’on fasse partie et qu’on fasse corps. Et c’est ce qu’on a dans ce film, immédiatement, dès la première image. C’est ce que j’aime avec cette caméra au ras de l’eau : on est immergé. On est à la fois humain et aquatique. Cela permet de réfléchir et de se projeter là-dedans, en se disant que, finalement, on ne vit que sur des îlots, et que 70 % de la planète est faite d’eau. C’est une planète bleue. On prend un peu de hauteur, et c’est un bon rappel, car on l’a oublié.

« Au-delà de faire un film très bien documenté, apaisant, intéressant, et intelligent, je l’ai aussi trouvé très beau. Et je trouve que c’est le meilleur moyen pour parler aux gens »

Jean Dujardin. Acteur

On est donc dans l’émotion, plutôt que dans la leçon ?

Julien Seul (producteur) : Ce film ne donne pas de leçon. On est dans l’émotion qui fait prendre conscience de certaines choses. Nous avons voulu défendre trois niveaux de lecture. Ce film convient aux enfants en bas âge. C’est 1 h 20 d’images, pendant lesquelles on en prend plein les yeux. On nage avec les baleines, on est avec elles, on est heureux. Et puis, il y a un autre niveau où on apprend, grâce aux renseignements que Jean-Albert a intégrés dans le film, mais aussi avec l’aide de l’Unesco et de la fondation prince Albert II. On apprend plein de choses sur ce plus vieux mammifère au monde qui a, par exemple, fondé le premier réseau social. En effet, lorsqu’il émet un son au pôle Nord avec un courant, il est entendu au pôle Sud.

Les Gardiennes de la planète
« On a construit des petits systèmes D, par exemple avec des caméras que l’on a placées au bout d’un tube pour aller chercher les baleines qui sont dans les eaux troubles, pour les séquences du début du film. » Jean-Albert Lièvre. Réalisateur. © Photo Pan distributions

Et le troisième niveau de lecture ?

Julien Seul : Nous, les êtres humains, nous avons 200 000 ans d’existence, à peu près, selon les croyances. Et c’est 50 millions d’années pour les baleines. Comment se positionner pour prendre un peu de recul ? Sur le temps qui passe, sur ce qui nous entoure, sur la vie sur Terre… Nous ne sommes pas forcément des bons élèves, alors que les baleines ont su s’adapter. Elles ont appris à respirer sous l’eau, et elles se reproduisent en fonction des ressources disponibles. Ce sont autant de messages que l’on peut donner, sans donner de leçons, encore une fois. Ça m’a beaucoup appris, et c’était très émouvant.

« On en prend plein les yeux, mais surtout plein les oreilles. Je trouve que le son est presque plus important que l’image »

Jean Dujardin. Acteur

En tant qu’être vivant, l’homme est connecté avec la baleine ?

Jean-Albert Lièvre (réalisateur) : Je voulais que le public réalise que nous ne sommes pas la seule société intelligente sur cette Terre. Nous la partageons avec d’autres sociétés. Nous sommes un peu à l’adolescence de la nôtre, car nous sommes là depuis très peu de temps par rapport aux baleines qui sont là depuis des millions d’années. Elles ont l’expérience des océans et des grands fonds. Elles connaissent des courants qu’on ne connaît pas. Elles jouent un rôle essentiel pour la sauvegarde des océans, pour le climat, et pour nous. C’est important de rappeler que nous sommes tous interconnectés avec ces baleines, mais aussi avec tout le reste. Et que la Terre est finalement un être vivant composé de plein d’autres êtres vivants qui assurent sa survie.

« Je voulais que le public réalise que nous ne sommes pas la seule société intelligente sur cette Terre. On la partage avec d’autres sociétés »

Jean-Albert Lièvre. Réalisateur

Ce film révèle aussi une part d’émerveillement ?

Jean-Albert Lièvre : Tout comme Jean [Dujardin — NDLR], je pense qu’on éduque mieux par la beauté et l’émerveillement. C’est pour ça qu’il a accepté de faire ce film. Il y a d’autres façons d’éduquer, comme les films engagés ou les discours politiques. Mais je préfère essayer d’éduquer et d’émerveiller par la beauté, la musique, et le son. C’est pour ça qu’on a voulu le faire dès le départ par le cinéma, et pour le cinéma. Il fallait que ce soit un spectacle, car je pense que le cinéma est le meilleur médium pour faire passer une émotion.

Julien Seul : C’est d’ailleurs pour ça que nous avons fait un kit pédagogique, et notamment un livre avec l’éditeur Belin (2), car la jeune génération, des collégiens et des lycéens, sont des spectateurs que l’on aimerait toucher, en particulier. C’est un sujet qui les concerne en premier lieu d’une part, et aussi parce qu’il y a une accessibilité qui est très différente de ce qui a pu être fait sur la nature, au sens global.

Les Gardiennes de la planète Jean Dujardin Julien Seul Jean-Albert Lièvre
De gauche à droite : Julien Seul, Jean-Albert Lièvre, et Jean Dujardin. © Photo Axel Bastello / Palais Princier

« J’ai écouté Jean-Albert qui m’a suggéré de calmer ma voix, et de prendre le temps. Il n’était pas question que je prenne trop de place non plus. Il fallait trouver le doux équilibre entre les pleins, les vides, les silences, la musique, et les sons originels »

Jean Dujardin. Acteur

Jean Dujardin, c’est la première fois que vous faites la baleine ?

Jean Dujardin : Oui, c’est la première fois que j’ai un rôle intelligent [rire — NDLR]. Pour ça, j’ai fait le bon élève. J’ai écouté Jean-Albert qui m’a suggéré de calmer ma voix, et de prendre le temps. Il n’était pas question que je prenne trop de place non plus. Il fallait trouver le doux équilibre entre les pleins, les vides, les silences, la musique, et les sons originels. C’est un exercice assez intéressant. Parfois, il faut y mettre un peu de sourires, parfois un peu de gravité, sans être trop sentencieux. Vraiment, j’ai découvert tous ces petits réglages. C’est la première fois que je faisais ça. Et j’y ai vraiment pris beaucoup de plaisir.

Jean-Albert Lièvre : Sur un documentaire, c’est vraiment l’exercice le plus difficile. Parce que, généralement, on fait le montage sans la voix. Mais dès qu’on pose la « voix finale », ça peut soit tout casser, soit tout porter. Là, ça a tout porté. Mais j’ai eu d’autres expériences moins heureuses [rire — NDLR].

Les Gardiennes de la planète
« C’est ce que j’aime avec cette caméra au ras de l’eau : on est immergé. On est à la fois humain et aquatique. Cela permet de réfléchir et de se projeter là-dedans, en se disant que, finalement, on ne vit que sur des îlots, et que 70 % de la planète est faite d’eau. » Jean Dujardin. © Photo Pan distributions

La voix de Jean Dujardin a toute son importance dans ce film, tout comme les sons et les musiques ?

Julien Seul : C’est vrai que c’est rassurant. La première fois, quand on a montré le film avec la voix de Jean-Albert, on était pas mal. Tu as dit : « C’est trippant », on est comme dans un spa. On est bien pendant 1 h 20. On profite, on sort de notre quotidien.

Jean Dujardin : Quand on est spectateur, et qu’on se dit : « Bon, c’est beau, c’est bien, mais je n’ai pas ressenti d’émotion », il n’y a rien de pire. Et c’est valable pour tous les films, y compris avec des humains, d’ailleurs. Et là, ce n’est pas le cas. Il faut intéresser les gens et là, le montage est très habile, assez singulier, et même très moderne. Le choix des musiques aussi. Évoquer le chant de chaque baleine selon un type de musique, c’est tout de même formidable. Mettre à la fois du hip hop, du jazz, et du rock, essayer de nous rapprocher de ce que vous connaissez pour vous en dire un peu plus sur les baleines, c’est assez malin.

Comment ont été choisies les musiques ?

Jean-Albert Lièvre : Dans les textes des musiques, chaque titre, chaque parole, a un sens propre à la séquence. Je choisis mes musiques en amont du tournage. J’en choisis plus qu’il n’en faut et, après, au montage, j’en essaie quelques-unes. Certaines “réagissent” mieux. Par exemple, j’avais quatre ou cinq musiques pour la séquence de chasse. Et c’est celle de Leonard Cohen (1934-2016) qui est ressortie mieux que les autres, avec le titre Treaty (2016), j’espère qu’il y aura un jour un traité entre nous. Ça correspondait bien à la scène. D’ailleurs, ça me donne encore la chair de poule [rire — NDLR].

Dans quelle catégorie classeriez-vous votre film ?

Julien Seul : C’est un film de cinéma. Ça parle de baleines, de la nature, et de la planète. Ce long-métrage parle des océans, mais c’est un film qui a été conçu pour être vu au cinéma. Il aura une vie ensuite, sur Canal+ notamment, et avec nos partenaires, sur les plateformes sans doute. Mais c’est un film dont on souhaiterait qu’une famille aille le voir. C’est un spectacle, avec une musique qui nous entraîne, et avec une voix qui nous porte.

On est également dans une expérience sonore, au rythme apaisant ?

Jean Dujardin : On en prend plein les yeux, mais surtout plein les oreilles. Je trouve que le son est presque plus important que l’image. Et c’est par ça que c’est assez original, car on se laisse rarement faire par le son, étant donné que l’on est pris dans une espèce de frénésie d’images. Avec les plateformes, on a tout le temps l’impression qu’il faut remplir tous les vides. Là, en sortant du film, on a la sensation que la journée va être beaucoup plus lente, que l’on va en profiter sûrement beaucoup plus, et que ça va être très agréable. Je pense qu’on a oublié ce rythme-là. On est en 2023, on a un rythme de 2023, c’est comme ça, il faut l’accepter. Mais parfois, vous avez un film comme celui-ci qui peut vous dire : « Freine, tu vas voir ça ne fait pas mal, et c’est même très agréable. Laisse-toi faire, ne domine pas tout, ne va pas plus vite que ton époque, n’écoute pas tout le monde, laisse-toi faire. »

« Avec les plateformes, on a tout le temps l’impression qu’il faut remplir tous les vides. Là, en sortant du film, on à la sensation que la journée va être beaucoup plus lente, que l’on va en profiter sûrement beaucoup plus, et que ça va être très agréable. Je pense qu’on a oublié ce rythme-là »

Jean Dujardin. Acteur

Ce film est aussi un pari audacieux, pas facile à vendre ?

Jean-Albert Lièvre : C’est une grande chance d’avoir été produit, car ce n’était pas évident à vendre, sur le papier. Il fallait des gens qui aient une vision cinématographique, car je m’exprime mieux par les images et par le son que par la voix. Donc j’avais du mal à vendre le projet. J’avais fait 250 pages de “storyboard” [de scénarimage, la version illustrée d’un scénario — NDRL], avec des ambiances visuelles et des musiques en amont, pour que les producteurs puissent comprendre ma démarche. Quand j’ai montré à Julien Seul les images et le type de musiques que je souhaitais mettre, ainsi que la philosophie du film, il a tout de suite vu que ça pouvait être un projet cinématographique différent, dans une époque où le cinéma demande peut-être des choses différentes. Et ça s’est finalement monté assez rapidement.

Julien Seul : Ce n’est pas facile de financer des films comme ça. Quand vous allez voir un diffuseur pour lui dire que vous allez faire un film sur les baleines, sur un angle différent, c’est un peu court. A l’époque, Jean Dujardin n’avait pas encore prêté sa voix. C’est arrivé après. Donc je tiens vraiment à remercier Canal+ et son directeur général, Maxime Saada, mais aussi ses équipes, car ils ont compris. Sans Canal, cela serait plus compliqué pour le cinéma français.

Le choix du cinéma est également un choix audacieux aujourd’hui, avec la concurrence des plateformes ?

Julien Seul : Nous, nous sommes Français. On propose un film français, avec un budget adapté aux moyens que l’on a. Les plateformes ont déjà fait d’autres choses qui sont très réussies, mais qui sont des documentaires et des reportages. Nous, on fait un film de cinéma.

Jean-Albert Lièvre : C’est un spectacle immersif, en effet. Quand j’essayais de le vendre, avant qu’il ne soit réalisé, je disais que ce serait une odyssée océanique et cosmique [rire — NDLR]. Et je pense qu’aujourd’hui les gens vont au cinéma pour voir un spectacle différent. Les Gardiennes de la Planète est un vrai spectacle. On nage avec les baleines, en taille réelle. Je les ai croisées plusieurs fois, j’ai nagé avec elles, et je me suis dit qu’il fallait faire un gros truc sur les baleines. Ça aura mis du temps, mais c’est chose faite.

Vous avez du filmer différemment selon les espèces de baleines que vous approchiez ?

Jean-Albert Lièvre : Oui, les baleines sont très différentes. Certaines sont en eaux troubles, d’autres dans des eaux froides, d’autres dans des eaux claires, turbulentes… À chaque fois, on adapte une technique particulière. Avec les baleines à bosse, on essaie de plonger avec des recycleurs, c’est-à-dire des machines qui ne font pas de bulles, pour ne pas les apeurer. On a fait beaucoup de choses en apnée. On a construit des petits systèmes D, par exemple avec des caméras que l’on a placées au bout d’un tube pour aller chercher les baleines qui sont dans les eaux troubles, pour les séquences du début du film. On a fait des choses avec des appareils photo, en se jetant à l’eau à la dernière minute. J’aime bien utiliser des images ratées, qui n’auraient pas été choisies dans un documentaire classique, parce que la caméra a bougé, et que les images sont pleines de bulles et troubles. Mais je les ai trouvées intéressantes, et c’est ce qui apporte un aspect un peu différent par rapport à un documentaire classique animalier. C’était un atout d’avoir un petit budget, car cela nous a rendu plus créatifs.

Jean Dujardin : La contrainte sollicite l’imagination.

Quel était votre budget pour ce film ?

Julien Seul : Le budget des Gardiennes de la Planète est de 2,5 millions d’euros.

Jean-Albert Lièvre : Un tournage avec un budget de 2 millions, ce n’est pas grand-chose pour un film sous-marin.

Julien Seul : Et pas grand-chose non plus pour avoir la chance d’avoir Jean Dujardin au casting.

Les Gardiennes de la Planète : Le synopsis

« Une baleine à bosse s’est échouée sur un rivage isolé. Alors qu’un groupe d’hommes et de femmes organise son sauvetage, nous découvrons l’histoire extraordinaire des cétacés, des citoyens des océans du monde, qui sont essentiels à l’écosystème de notre planète depuis plus de 50 millions d’années. » Ce film s’inspire de l’œuvre littéraire Whale Nation (1988) du poète, acteur et dramaturge britannique Heathcote Williams (1941-2017), qui se veut être une ode à la majesté des cétacés.

1) Les Gardiennes de la Planète, de Jean-Albert Lièvre, avec la voix de Jean Dujardin (FRA, 1 h 20, 2023). Sortie au cinéma le 22 février 2023.

2) Baleines, les gardiennes de la planète, de François Place (Belin Education), 56 pages, 15,90 euros (version papier). Ce livre accompagne la sortie du film à partir de photographies. Il permet aussi d’écouter des extraits de la bande sonore à partir de QR codes.