jeudi 25 avril 2024
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Julien Seul : « Pour amener les jeunes au cinéma, il faut créer un événement »

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Le mois de septembre 2022 s’est conclu en France par la vente de 7,38 millions de tickets, soit le plus bas niveau de fréquentation, à la même période, depuis 1980. Par rapport à 2019, sur les neuf premiers mois de 2022, les cinémas ont perdu 30 % de leur public. Dans les salles, même s’ils sont moins nombreux, les blockbusters attirent toujours le public, pendant que le cinéma d’auteur décroche. Malgré ce contexte difficile, le producteur Julien Seul reste optimiste. Interview.

Les chiffres de fréquentation de salles de cinéma sont en forte baisse : comment expliquez-vous cela ?

Cela fait deux ans et demi qu’il y a une consommation différente, et obligatoire, du cinéma, de la part du public qui a dû rester à la maison. Du coup, aujourd’hui, on se rend compte que pour aller au cinéma, il faut créer l’événement. On va voir cela avec la sortie de la suite d’Avatar (2009), Avatar : La Voie de l’eau (2022) de James Cameron, qui va sortir sur les écrans le 14 décembre 2022 (1). Soit il faut des films qui provoquent une réelle attente du public, avec une marque ou des licences fortes, comme Marvel ou Avatar, par exemple. Soit il faut des films d’auteurs sophistiqués qui sortent vraiment du lot, avec un casting fort, comme Novembre (2022) de Cédric Jimenez, Simone, le voyage du siècle (2022) d’Olivier Dahan, ou Mascarade (2022) de Nicolas Bedos.

Peut-on parler de crise du cinéma ?

Je ne pense pas. Au bout de deux ans et demi enfermé chez soi, le téléspectateur a un peu fait le tour de ce qu’il peut voir sur les plateformes de “streaming”, comme Netflix, Apple TV+, ou Amazon Prime. Comme pour aller voir un gros match de football ou de rugby, désormais, on est content de sortir de chez soi pour se rendre dans une salle de cinéma.

Julien Seul
« Le jeu vidéo fait partie de l’avenir du cinéma. Il faut donc le considérer fortement. Le cinéma doit s’emparer du jeu vidéo pour l’intégrer. La manière de le faire reste à définir. » Julien Seul. Producteur. © Photo DR

Aller au cinéma coûte trop cher ?

Le prix d’un ticket de cinéma dépend de la formule et des offres. Les exploitants de cinéma ont multiplié les bonnes idées pour que leurs offres familiales, mensuelles, annuelles ou duo, par exemple, collent aux attentes du public. Aller au cinéma, cela implique un certain budget, et chacun vit évidemment avec ses moyens. Je suis mal placé pour dire si le cinéma coûte trop cher ou pas.

Les films ne sont plus à la hauteur ?

Quand on parle de films comme Novembre, Mascarade, ou de Simone, le voyage du siècle, on parle de films qui sont plus qu’à la hauteur. J’ai trois contre-exemples qui sont actuellement en salles, et qui vont respectivement attirer 2 millions, 1,5 million, et un million de spectateurs. Si autant de gens viennent au cinéma, c’est que les films sont à la hauteur. Ce n’est pas que du marketing.

« Certains films sont moins bons que d’autres et pourraient ne pas être forcément financés pour une sortie au cinéma. Mais il y a des matches de Ligue des Champions ou du championnat de France qui ne sont pas à la hauteur non plus »

Mais certains films sont moins bons ?

Effectivement, certains films sont moins bons que d’autres et pourraient ne pas être forcément financés pour une sortie au cinéma. Mais il y a des matches de Ligue des Champions ou du championnat de France qui ne sont pas à la hauteur non plus. Et puis, peut-être que le réalisateur dont le film est considéré comme « pas à la hauteur » aujourd’hui, a été adoré il y a cinq ans par le même public. En parallèle, Canal+, Maxime Saada et ses équipes, font tellement de bien au cinéma français. Sans eux, nous producteurs, on ne serait pas où on est. Donc il faut accepter que certains moments sont un peu moins bons que d’autres. Ça arrive, et ce n’est pas grave.

Certains accusent le cinéma dit « d’auteur » ou d’« art et essai » de faire baisser la fréquentation des salles de cinéma ?

Je ne produis pas nécessairement du cinéma dit « d’auteur ». Il faudrait déjà parvenir à définir précisément ce qu’est un film d’auteur, parce que cette appellation recouvre des réalités multiples. Cette appellation est-elle liée à une question de budget ? De sujet évoqué ? De casting ? Je ne sais pas. A priori, Mascarade n’est pas un film d’auteur, parce que c’est un film distribué par Pathé et qui dispose d’un fort budget. Pour autant, la proposition, le thème, et le réalisateur, Nicolas Bedos, c’est du cinéma d’auteur exigeant.

Il faut défendre le cinéma d’auteur ?

Il ne faut pas être trop dur avec le cinéma d’auteur. Parce qu’on est bien content d’avoir des films qui sont vendus au festival de Cannes, et dans beaucoup de pays, même s’ils réunissent peu de spectateurs en France. Et puis, il ne faut pas oublier que, généralement, ces films ne coûtent pas très cher. Ils sont aidés par des mécanismes financiers, comme le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) ou le fonds de soutien, les aides sélectives à la distribution, qui sont des aides auto-financées par le cinéma français et mondial. Tous les cinémas doivent pouvoir s’exprimer.

« Faut-il transformer la salle de cinéma en un lieu d’exception, dans lequel on se retrouve pour du grand spectacle ? La réponse est « oui ». Même si, bien sûr, cela vient contredire l’idée d’avoir une offre diversifiée »

Faut-il produire « moins et mieux », avec des films produits vraiment pour la salle de cinéma, comme l’a dit le coprésident du groupe Pathé, Jérôme Seydoux, à nos confrères du Monde le 2 novembre 2022  (2) ?

Faut-il transformer la salle de cinéma en un lieu d’exception, dans lequel on se retrouve pour du grand spectacle ? La réponse est « oui ». Même si, bien sûr, cela vient contredire l’idée d’avoir une offre diversifiée.

À l’avenir, seuls les films à gros budget sortiront en salle, et les autres auront une vie sur les plateformes ou les télévisions ?

Sans trahir son propos, je pense que c’est ce que le coprésident du groupe Pathé, Jérôme Seydoux, veut dire en filigrane. Bénéficier d’un gros budget ne signifie pas que le film aura moins de qualités. On peut avoir des offres très diverses, avec des sujets très particuliers, qui s’appuient sur de gros budgets. « Gros budget », ne signifie pas nécessairement « cinéma pop-corn ». Cela peut aussi être du cinéma intelligent.

La pandémie de Covid-19 a profondément changé les habitudes de consommation de cinéma ?

Le marché du cinéma a perdu entre 20 et 30 %, et il a du mal à reprendre. Les exploitants de salles de cinéma sont mieux placés que moi pour en parler. Avant, en France, un succès en salles, c’était quand un film attirait un million de spectateurs. Aujourd’hui, quand on fait 400 000 entrées, on est content.

Cela signifie donc que les plateformes de “streaming” ont capté en leur faveur les audiences du cinéma ?

Les plateformes de “streaming” ont capté une partie du public du cinéma. Je ne sais pas si c’est grâce à leurs propositions, ou si c’est simplement par habitude. On est chez soi, donc on regarde une plateforme de “streaming”, de façon mécanique.

« Avant, en France, un succès en salles, c’était quand un film attirait un million de spectateurs. Aujourd’hui, quand on fait 400 000 entrées, on est content »

Les plus jeunes consomment désormais des films à la demande directement sur leur smartphone ou sur leur tablette, et fréquentent très peu les salles de cinéma : il est impossible de changer ce mouvement de fond ?

Que les jeunes regardent des films sur leur téléphone ou leur iPad, c’est un fait. Pour capter cette audience, qui est la plus difficile à séduire, et les amener au cinéma, il faut créer un événement. Cela rejoint ce qu’a dit le coprésident du groupe Pathé, Jérôme Seydoux. Cela ne signifie pas pour autant que les plus jeunes ne veulent plus aller au cinéma. Mais il faut leur proposer des sujets très impliquants pour eux.

Comme quoi, par exemple ?

Le 22 février 2023, je vais sortir un film qui s’appelle Gardiennes de la planète. La fondation du prince Albert II, soutient ce film, et s’est impliquée dedans. Ce long-métrage est réalisé par Jean-Albert Lièvre, avec Jean Dujardin à la narration. C’est un peu comme La marche de l’empereur (2005) de Luc Jacquet, mais cela concerne les baleines. On se rend compte que les baleines ont 50 millions d’années quand l’homme n’a même pas un million d’années d’existence [notre espèce, l’Homo sapiens, est apparue il y a 200 000 ans, environ — NDLR]. Comment les humains peuvent-ils aujourd’hui se reconnecter à la mer, aux océans, à la terre, et à la nature, à travers l’expérience de la baleine ? Pour les jeunes, qui sont très préoccupés par la santé de notre planète, et ils ont raison, Gardiennes de la planète peut leur parler. Dans ce film spectaculaire, tourné dans le monde entier, on défend, sans donner de leçons, la planète et la nature.

Ça reste difficile d’attirer les jeunes dans une salle de cinéma pendant deux heures ?

On ne peut plus se moquer du public, et encore moins des jeunes. Aujourd’hui, une affiche jaune et bleue avec un acteur connu, ça ne marche plus. Il faut un sujet sincère, une proposition forte, et ne pas se mentir. Tout en restant crédible, du début à la fin, sur ce que l’on montre.

Le piratage et le téléchargement des films, parfois même avant leur sortie au cinéma et avec une excellente qualité de son et d’image, pèsent aussi ?

Le piratage de films téléchargés sur Internet, c’est toujours agaçant. Au même titre que des cartes bleues qui sont piratées, comme un e-mail qu’il ne faut pas ouvrir parce qu’il contient un virus, c’est agaçant. Le piratage fait perdre du chiffre d’affaires, donc c’est une donnée à prendre en compte. Est-ce que le piratage peut gâcher la carrière d’un film ? Je ne pense pas. Mais c’est vrai que la lutte contre le piratage est difficile. Il y a des réseaux, avec des hackers très intelligents. Donc, pour le moment, on perd toujours cette bataille.

« Les plateformes de “streaming” ont capté une partie du public du cinéma. Je ne sais pas si c’est grâce à leurs propositions, ou si c’est simplement par habitude. On est chez soi, donc on regarde une plateforme de “streaming”, de façon mécanique »

Dépenser des dizaines de millions d’euros dans la production d’un film pour finalement le diffuser en “streaming”, est-ce que ça a du sens d’un point de vue économique, en termes de rentabilité ?

Il y a deux façons de penser. Si on estime que le film a été conçu pour une diffusion au cinéma, avec le son Dolby Atmos, de la 4D, et une immersion en IMAX, il est très décevant de le confier à une plateforme de “streaming”. Faire un million de spectateurs au cinéma, c’est énorme. Mais sur Netflix, un million de téléspectateurs, c’est peu. Est-ce que l’on souhaite qu’un film soit vu par le plus grand nombre sur une plateforme, ou qu’il soit vu par moins de monde, mais qu’il soit diffusé avec la qualité offerte par une salle de cinéma ? Tout dépend du film et de la manière dont on se positionne. Il existe des exemples récents de films très chers, achetés par des plateformes et qui ont été vus 15 ou 30 millions de fois. Ce sont deux approches différentes du métier de producteur, mais qui ne sont pas forcément incompatibles dans une même société de production. En tout cas, la rentabilité peut être au rendez-vous pour un film, qu’il soit distribué au cinéma ou sur une plateforme de “streaming”.

Pour éviter de devoir attendre 15 mois, Disney pourrait ne plus sortir ses films dans les salles françaises et monégasques, pour les diffuser directement sur sa plateforme, Disney+ : faut-il revoir la chronologie des médias ?

Ce débat complexe est sur la table depuis des années. Mais la réponse est « oui », il faut revoir la chronologie des médias. Comment, je ne sais pas. Je ne fais pas de langue de bois. Si j’avais la solution, je vous la donnerais. Des discussions importantes sont menées actuellement par des syndicats de production, notamment l’union des producteurs de cinéma et de contenus publicitaires (UPC), le syndicat des producteurs indépendants (SPI), et le CNC. Le commissaire européen Thierry Breton participe aussi. Il est chargé du marché intérieur, de la politique industrielle, du tourisme, du numérique, de l’audiovisuel, de la défense et de l’espace. L’objectif, c’est de voir comment travailler au mieux avec les plateformes, et notamment Disney et sa plateforme Disney+. 

Qu’est-ce qui bloque ?

Il y des intérêts qui sont différents. Mais aussi des idéologies et des cultures différentes. Parler avec un Américain, travailler avec un Européen ou un Chinois, ce n’est pas la même chose, que ce soit en termes de réglementation, d’idéologie, et d’envies de productions. Produire un film en Chine ou en Italie, ce n’est pas la même chose, et c’est très bien comme ça. Tout cela doit évoluer, chacun à son rythme.

Aux États-Unis, les films considérés comme « moyens » sont diffusés directement sur les plateformes, mais en France, si un film a reçu des aides publiques, c’est impossible : faut-il revoir cela ?

Si un film est agréé, il a un visa, donc il doit être diffusé au cinéma. Pour changer cela, il faudrait créer une commission qui statue si un film est « moyen » ou pas. C’est tellement subjectif… Et c’est aussi un peu méprisant pour le public. Les Américains font ce qu’ils veulent, mais agir ainsi, c’est un peu réducteur pour les exploitants de salles de cinéma, qui font très bien leur travail, et pour le public qui décide s’il aime, ou non, un film. Bien malin aujourd’hui qui peut prédire le nombre d’entrées que fera un film.

L’avenir du cinéma, c’est le jeu vidéo qui réussit à remplir les salles ?

Évidemment, le jeu vidéo fait partie de l’avenir du cinéma. Il faut donc le considérer fortement. Le cinéma doit s’emparer du jeu vidéo pour l’intégrer. La manière de le faire reste à définir.

Votre actualité ?

Le 22 février 2023, mon film Gardiennes de la planète sortira au cinéma. Ce film a été vendu dans le monde entier. Ensuite, au printemps 2023, nous allons tourner une grosse comédie sur le rap, avec Kev Adams. Une comédie d’action est également dans les cartons. J’ai aussi des séries en préparation, ainsi qu’un documentaire sur un footballeur très connu. Donc on travaille bien. Et on avance.

1) Les suites de la franchise Avatar sont déjà planifiées : Avatar 3 est prévu pour le 18 décembre 2024, Avatar 4 pour le 16 décembre 2026, et Avatar 5 pour le 20 décembre 2028.

2) Jérôme Seydoux : « Nous avons décidé de produire majoritairement des “films spectacles” en 2023 », Le Monde, le 2 novembre 2022.