samedi 20 avril 2024
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Arthur Tréhet : « Je ne pense pas que le jeu vidéo soit l’avenir du cinéma »

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Alors que la fréquentation des salles de cinéma est en chute, quelle est la situation dans le seul cinéma de la principauté, le cinéma des Beaux Arts ? Son directeur, Arthur Tréhet, a répondu aux questions de Monaco Hebdo.

Quel est le bilan de fréquentation de votre cinéma ?

De début septembre 2022 à fin octobre 2022, notre cinéma a connu le même phénomène de baisse de fréquentation qu’en France. Mais, chaque année, en septembre et octobre, les cinémas enregistrent une baisse, avant de repartir à la hausse en novembre. Cette année, cette baisse de fréquentation des cinémas a été particulièrement marquée, parce que la programmation des sorties n’était pas très bonne. Donc des mois qui sont creux, associés à une programmation pas « top », ça a abouti à une baisse de fréquentation significative.

Ça va mieux depuis le mois de novembre 2022 ?

Pour le moment, on est content. Le film de Ryan Coogler, Black Panther : Wakanda Forever (2022), est sorti, et ça marche bien. On peut d’ailleurs signaler le retour de la 3D, qui fonctionne bien à nouveau chez nous. D’ailleurs, pour Black Panther : Wakanda Forever, nous avons vendu autant de places en 3D qu’en 2D. Et on ne se fait pas de souci pour la suite, puisque le 14 décembre 2022, on aura Avatar 2, qui s’intitule Avatar : la voie de l’eau (2022). C’est une suite qui va cartonner. De plus, notre cinéma en plein air, le Monaco Open Air Cinema, a bien marché pendant l’été 2022. Nous avons enregistré 9 653 entrées.

Entre l’année 2019, qui est la dernière année sans Covid-19, et 2022, quels sont les chiffres de fréquentation pour votre cinéma des Beaux Arts ?

Pour le trimestre de juin à août 2019, nous avons enregistré 13 805 entrées au cinéma des Beaux Arts, et 10 877 entrées pour le Monaco Open Air Cinema. Sur la même période, en 2020, cela a été plus compliqué. En juin 2020, nous étions fermés. Donc, en juillet et août 2020, nous avons fait 1 913 entrées aux Beaux Arts et 4 814 entrées au Monaco Open Air Cinéma. En 2022, pour le même trimestre, nous sommes passés à 9 164 entrées pour les Beaux Arts et à 9 653 entrées pour notre cinéma en plein air.

Arthur Tréhet Cinema
© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

En France, sur les neuf premiers mois de 2022, les cinémas ont perdu 30 % de leur public : peut-on parler de crise du cinéma ?

Si j’étais un cinéma indépendant en France, je dirais que oui, cette situation est problématique. À Monaco, la population dispose d’un pouvoir d’achat supérieur, et sort un peu plus qu’ailleurs. Nous avons donc traversé ce moment avec environ -2 à -5 %, par rapport aux chiffres habituels pour cette période. Ce n’est pas dramatique. Le cinéma connaît une mauvaise passe, mais il ne va pas mourir.

Qu’a changé la pandémie de Covid-19 dans les habitudes de consommation de cinéma ?

Les gens sont surtout heureux de pouvoir revenir au cinéma. Pendant deux ans et demi, ils en ont « mangé » de la plateforme de “streaming”… Nos clients consomment donc encore plus qu’avant. Du coup, je ne pense pas que la pandémie de Covid-19 a fondamentalement changé les habitudes de consommation. Quand le Covid sera oublié, les gens reviendront à leurs habitudes, et ces modes de consommation hérités de la période Covid s’estomperont peu à peu. En attendant, c’est vrai que, pour la première fois, Disney va sortir son film de Noël, Avalonia, l’étrange voyage (2022), uniquement sur sa plateforme Disney+. Du coup, nous n’aurons pas de Disney de Noël au cinéma pour les vacances. La période de Covid a certainement poussé Disney à faire ce choix.

Avalonia l'étrange voyage
« Pour la première fois, Disney va sortir son film de Noël, Avalonia, l’étrange voyage (2022), uniquement sur sa plateforme Disney+. Du coup, nous n’aurons pas de Disney de Noël au cinéma pour les va- cances. » Arthur Tréhet. Directeur du cinéma des Beaux Arts à Monaco.

Désormais, les plateformes de “streaming” sont des concurrents sérieux pour les cinémas ?

Les plateformes de “streaming” ne sont pas vraiment des concurrents des cinémas. C’est un service différent. Sauf quand Disney décide de sortir son film uniquement sur sa plateforme. Là, ça devient une concurrence directe.

« Les plateformes de “streaming” ne sont pas vraiment des concurrents des cinémas. C’est un service différent. Sauf quand Disney décide de sortir son film uniquement sur sa plateforme. Là, ça devient une concurrence directe »

Le cinéma est-il trop cher, comme le prétendent certains ?

À Monaco, le cinéma est moins cher qu’ailleurs. Cependant, nous sommes malgré tout obligés d’augmenter légèrement nos prix. La place de cinéma va passer de 11,50 euros à 12 euros pour le tarif plein. Du côté de notre boutique, les bonbons en vrac vont passer de 2,50 euros les 100 grammes, à 3 euros.

D’autres estiment que les films ne sont plus à la hauteur ?

En ce qui concerne la qualité des films, nous sommes dans une dynamique de consommation rapide, un peu comme dans un fast food. C’est dommage. Nous sommes dans une ère de la consommation rapide. Quand j’étais enfant, je regardais des vidéos de 30 minutes sur YouTube, du début à la fin. Aujourd’hui, les jeunes passent du temps sur les réseaux sociaux, comme TikTok, et ils passent d’une vidéo à une autre en seulement quelques secondes. Du coup, il est plus difficile de rester concentré devant un film de deux heures dans une salle de cinéma, sans son téléphone. Malheureusement, c’est cette direction que prend l’humain.

Faut-il produire « moins et mieux » avec des films réalisés vraiment pour la salle de cinéma, comme l’a dit le coprésident du groupe Pathé, Jérôme Seydoux, à nos confrères du Monde, le 2 novembre 2022 (1) ?

Jérôme Seydoux a raison. Aux Beaux Arts, nous n’avons que deux salles dans notre cinéma, donc nous n’avons pas ce problème. Mais c’est vrai que lorsqu’il y a trop de films, le public ne suit pas forcément.

« Il faut du grandiose, des écrans immenses, un son à tomber par terre… Pour attirer les jeunes au cinéma, il faut leur faire vivre une expérience. Il faut leur faire ressentir une émotion particulière, qui leur donnera envie de revenir »

Il est de plus en plus difficile d’attirer les plus jeunes au cinéma, car ils consomment désormais des films à la demande directement sur leur smartphone ou sur leur tablette, et ils fréquentent très peu les salles de cinéma ?

Pour amener les jeunes au cinéma, il faut créer un événement. Il faut imaginer dans nos cinémas un cadre qui fait voyager. Il faut du grandiose, des écrans immenses, un son à tomber par terre… Pour attirer les jeunes au cinéma, il faut leur faire vivre une expérience. Il faut leur faire ressentir une émotion particulière, qui leur donnera envie de revenir.

Le piratage et le téléchargement des films, parfois même avant leur sortie au cinéma et avec une excellente qualité de son et d’image, pèsent aussi ?

Le piratage des films sur Internet, c’est surtout un coup dur pour les plateformes de “streaming”, parce que cela reste davantage sur le créneau du « petit écran à la maison », ou même du home-cinéma. Mais je ne pense pas que le piratage vienne concurrencer le cinéma. C’est un peu comme si on comparait une sortie au restaurant et la livraison à domicile. Même si on possède un home-cinéma avec un vidéoprojecteur et des enceintes performantes, il manque ce que j’appelle « l’expérience cinéma ». C’est-à-dire le fait de sortir de chez soi, de se retrouver dans une salle plongée dans le noir avec des inconnus, l’odeur du pop-corn… Mais, bien évidemment, sur le fond, je suis évidemment contre le piratage des films, car cela casse la magie du cinéma.

L’avenir du cinéma, c’est le jeu vidéo qui réussit à remplir les salles ?

Je suis de la génération 2000, donc je comprends parfaitement l’engouement autour du jeu vidéo. La culture du jeu vidéo, ça me parle. Si j’étais dans un multiplexe de cinq ou six salles à Fontvieille, je tenterais de développer le jeu vidéo dans l’une des salles. Mais au cinéma des Beaux Arts, nous n’avons que deux salles, donc je ne peux pas me permettre de consacrer une salle à de la diffusion de jeux vidéo. Si le jeu vidéo m’intéresse beaucoup, je ne pense pas qu’il soit l’avenir du cinéma. Le cinéma, ce sont les films. Un cinéma, c’est fait pour venir manger du pop-corn et regarder un film. C’est pour ça que ça marche. Et c’est pour ça que ça marchera toujours.

Où en est le projet de multiplexe à Monaco, prévu dans le cadre de la rénovation du centre commercial de Fontvieille ?

Je dois rappeler la Socri, qui s’occupe de ce projet de cinéma multiplexe dans le centre commercial de Fontvieille. Je me suis entretenu avec eux, il y a un peu plus d’un an. Ce cinéma multiplexe de Fontvieille, c’est mon objectif principal. Apparemment, les travaux devraient débuter en 2024. Ce multiplexe compterait quatre salles, même si ça reste encore à préciser. Personnellement, j’aimerais avoir six salles. En tout cas, j’attends l’ouverture du futur multiplexe à Fontvieille pour pouvoir proposer un cadre et une expérience autour du film, afin de pouvoir attirer davantage de spectateurs.

À quoi ressemble le multiplexe de vos rêves à Monaco ?

Idéalement, j’aimerais une salle de 400-450 places, capable de faire le spectacle et d’attirer le public. En termes d’image et de son, cette salle doit se situer au maximum de ce que l’on sait faire aujourd’hui, que ce soit pour le projecteur ou pour le système de son et les enceintes. C’est un équipement primordial. Pour les autres salles, la capacité de chacune doit être étudiée de près, donc je ne préfère pas m’avancer davantage. Mais, peut-être que deux salles de 250-300 places, et deux salles de 150, voire une salle de 100 places et une de 150 fauteuils, ça serait bien. Pour le reste, je pense à des sièges électriques, qui bougent, massants, chauffants, avec, pourquoi pas, des haut-parleurs intégrés dans chaque fauteuil. Pour le service, un bouton dans le siège pourrait permettre de commander des boissons et des friandises, sans avoir à se déplacer. Il faudrait aussi imaginer des événements réguliers, et, pourquoi pas, des événements liés aux jeux vidéo.

« Aujourd’hui, les jeunes passent du temps sur les réseaux sociaux, comme TikTok, et ils passent d’une vidéo à une autre en seulement quelques secondes. Du coup, il est plus difficile de rester concentré devant un film de 2 heures dans une salle de cinéma, sans son téléphone »

Qui va payer quoi dans ce futur multiplexe de Fontvieille ?

Ça reste à définir avec le gouvernement monégasque. Plusieurs scénarios sont possibles. Mais on pourrait imaginer un loyer annexé sur le chiffre d’affaires du multiplexe. Car nous, les exploitants de salles de cinéma, nous sommes à la merci de l’industrie cinématographique. Donc, si une année, les films qui sortent attirent moins de public, le loyer s’adaptera. Ma famille gère le cinéma de Monaco depuis 1973. Culturellement, ce qui a fondé la principauté, c’est le casino, l’automobile, et le cinéma. Donc j’aimerais que l’on continue avec cette dynamique d’entreprise familiale, soutenue par le gouvernement.

Ça coûte cher un cinéma ?

Dans un cinéma, le moindre changement peut rapidement coûter cher. À titre d’exemple, 56 dossiers très basiques pour mes fauteuils, m’ont été facturés 15 000 euros. Après la période de Covid, c’est une somme importante à sortir.

Comment voyez-vous l’avenir des deux salles du cinéma des Beaux Arts, une fois que le multiplexe de Fontvieille sera ouvert ?

Une fois que le multiplexe de Fontvieille sera ouvert, pourquoi ne pas garder les Beaux Arts, pour que le quartier de Monte-Carlo puisse aussi avoir son cinéma ? On pourrait diffuser davantage de cinéma d’auteur. Les Beaux Arts pourraient aussi permettre de diffuser des finales de tournois de jeux vidéo en direct, comme League Of Legend, par exemple. On pourrait également imaginer des diffusions de Grands Prix de Formule 1 (F1) ou de Grands Prix historiques. Les Beaux Arts pourraient aussi devenir un lieu de diffusion pour les grandes comédies françaises. Nous pourrions inviter les acteurs. Le cinéma des Beaux Arts pourrait être orienté vers quelque chose de plus « chic », et le multiplexe de Fontvieille serait davantage tourné vers Hollywood et les films à grand spectacle.

1) Jérôme Seydoux : « Nous avons décidé de produire majoritairement des “films spectacles” en 2023 », Le Monde, le 2 novembre 2022.