samedi 20 avril 2024
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Crise du cinéma : quel avenir pour les salles obscures ?

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Entre une fréquentation en chute libre et la concurrence accrue des plateformes de “streaming”, l’avenir du cinéma n’a jamais semblé aussi incertain. C’est pourtant dans ce contexte que la principauté s’apprête à accueillir, d’ici 2027, un tout nouveau multiplexe dans le cadre de la rénovation du centre commercial de Fontvieille. Alors, crise passagère ou mal plus profond ? Pour le savoir, Monaco Hebdo donne cette semaine la parole à plusieurs acteurs de cette industrie.

Les Français boudent-ils le cinéma ? Le 3 octobre 2022, un rapport (1) du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) révélait une chute drastique de la fréquentation des salles obscures en septembre 2022, avec 7,38 millions d’entrées. Du jamais vu depuis près de 40 ans. Et si les entrées sont reparties à la hausse en octobre 2022 (14,26 millions de spectateurs), l’avenir du grand écran n’a jamais suscité autant d’inquiétude. À tel point que le 6 octobre 2022, un parterre de professionnels, réuni à l’Institut du monde arabe à Paris, a interpellé le gouvernement français pour réclamer la tenue en urgence d’états généraux du cinéma. Une demande qui fait écho à une tribune (2) publiée quelques mois plus tôt dans le journal Le Monde du 17 mai 2022, dans laquelle des centaines de producteurs, auteurs, réalisateurs et acteurs s’inquiètent de la stratégie du CNC en matière de cinéma, au profit d’une « audiovisualisation » du secteur. Selon les signataires, la « création cinématographique n’incarnerait plus, au mieux, qu’un artisanat marginal » face à l’avènement des plateformes américaines de SVOD.

Au-delà de l’impact purement économique, la crise sanitaire a surtout modifié les modes de consommation au profit des plateformes de “streaming”, qui ont vu leur nombre d’abonnés exploser durant le confinement

En réponse, le président de ladite institution, Dominique Boutonnat, s’était voulu rassurant dans un entretien accordé au même média français expliquant que « le cinéma ne disparaîtra jamais et les films seront toujours au cinéma » : « La demande d’œuvres explose. Ma conviction essentielle, c’est qu’il nous faut travailler sur la complémentarité des écrans, qui n’est pas une menace mais une chance pour le cinéma, pour que chaque œuvre trouve son public. D’abord, il faut assurer une diversité de films. Ensuite, il faut introduire davantage de passerelles entre les différents canaux de diffusion. Accompagner la complémentarité des écrans, c’est notre rôle aujourd’hui », avait lâché le patron du CNC. Il n’empêche, l’inquiétude grandit autour du septième art et de plus en plus de voix s’élèvent pour sauver l’industrie. Lors du dernier festival de Cannes, une vingtaine de cinéastes parmi lesquels Guillermo Del Toro, Claude Lelouch, Mathieu Kassovitz, Paolo Sorrentino ou encore Agnès Jaoui ont partagé leur réflexion sur le thème « le cinéma, et maintenant ? ». Chacun y est allé de son analyse et de ses propositions pour relancer l’industrie.

Le 3 octobre 2022, un rapport (1) du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) révélait une chute drastique de la fréquentation des salles obscures en septembre 2022, avec 7,38 millions d’entrées. Du jamais vu depuis près de 40 ans

Concurrence des plateformes

Car le monde et les habitudes de consommation ont bien changé depuis deux ans. Avec la pandémie de Covid-19, qui a contraint les exploitants de salles à baisser le rideau et mis en sommeil la production et la distribution de films, le septième art a indéniablement perdu gros. Au-delà de l’impact purement économique, la crise sanitaire a surtout modifié les modes de consommation au profit des plateformes de “streaming”, qui ont vu leur nombre d’abonnés exploser durant le confinement. Le leader mondial, Netflix, a ainsi gagné 15,8 millions d’abonnés dans le monde en début d’année 2020. D’autres distributeurs, comme Disney, ont préféré mettre leurs productions directement à disposition en SVOD plutôt que les projeter sur grand écran. Et la formule séduit les consommateurs qui n’hésitent plus à privilégier leur canapé et le petit écran aux salles obscures. Une étude de l’Ifop, commandée par l’Association française des cinémas d’art et essai (Afcae) publiée en mai 2022 (3), confirme d’ailleurs cette tendance. Parmi les sondés, 41 % des abonnés à un service de vidéos par abonnement affirment aller moins souvent au cinéma. Pire, 12 % d’entre eux reconnaissent avoir totalement déserté les salles obscures. Le constat est sans appel, en particulier chez les jeunes générations adeptes du “binge watching” [consommation frénétique de séries — NDLR] et fervents consommateurs de “streaming”. Les chiffres publiés par le CNC en mai 2022 (4) ne disent pas autre chose, la fréquentation des 25-34 ans a chuté de 18,2 % par rapport à 2017-2019.

Amazon Prime Video
Amazon serait prêt à investir plus d’un milliard de dollars chaque année pour produire annuellement 12 à 15 films pour les salles de cinéma. Une production équivalente à celle des grosses sociétés que sont Universal, Paramount ou Warner Bros.

Trop cher, le cinéma ?

D’après cette même étude, le prix des billets arrive en deuxième position des raisons qui expliquent que les Français fréquentent moins les salles de cinéma. Et cela est d’autant plus vrai en période d’inflation et de vaches maigres, où les sorties et loisirs sont bien souvent sacrifiés sur l’autel de la crise. C’est la raison pour laquelle de nombreux comédiens et réalisateurs ont suggéré de revoir la tarification du cinéma. « Une place de cinéma, ce n’est pas donné. Quand on part en famille, qu’on prend deux glaces, trois bonbons, ça fait des soirées chères… », a ainsi lancé Kad Merad sur RMC, en septembre 2022. Cet acteur français estime que la survie des salles obscures « passera forcément par un effort économique. Baisser les prix ? Peut-être ! Un prix fixe comme les livres ? Peut-être ! Il faut s’adapter à la crise que l’on vit ». Et pourquoi pas moduler les tarifs en fonction des jours, des horaires voire des types de films comme l’ont proposé d’autres professionnels. Mais ces positions ne sont pas forcément partagées par les exploitants de cinéma, comme Romain Teyssier, directeur du multiplexe Megarama de Nice [à ce sujet, lire notre article À Nice, le Megarama peine à trouver son public publié dans ce dossier spécial — NDLR], qui assure que « le prix n’est pas problème. Les salles premium (Dolby, IMAX…) sont en règle générale six euros plus chers, aux alentours de 20 euros voire parfois 25 euros la place. Or, ces salles n’ont jamais autant fonctionné que ces derniers temps, avec un taux de remplissage qui avoisine les 92 %. Ce n’est donc pas le prix le problème, puisque les gens sont prêts à débourser ces sommes pour aller voir un film », explique ce professionnel qui milite davantage pour l’organisation d’événements et d’animations. « Il ne faut pas oublier l’essence de notre métier, nous sommes là pour accueillir du public et lui donner du plaisir. Au-delà du film, il faut le faire rêver par l’événementiel. Et il y a de quoi faire ». Selon le bilan annuel du CNC, en 2020, 68 % des billets ont été vendus à moins de 7 euros et 49 % des billets à moins de 6 euros. Le prix moyen d’une place de cinéma était finalement de 6,63 euros en 2020. Un prix qui a augmenté de 4,7 % au cours de la dernière décennie (2011-2020) alors que l’inflation (hors tabac) bondissait de 10,1 %.

D’après cette même étude, le prix des billets arrive en deuxième position des raisons qui expliquent que les Français fréquentent moins les salles de cinéma. Et cela est d’autant plus vrai en période d’inflation et de vaches maigres

Lueurs d’espoir pour les salles obscures

Une chose est sûre, que ce soit par une révision des tarifs ou par l’événementiel, le cinéma va devoir se réinventer, comme il l’a toujours fait, pour ramener le public dans les salles obscures. Mais il existe des motifs d’espoir. Selon une information relayée par le média américain Bloomberg, le géant Amazon serait en effet prêt à investir plus d’un milliard de dollars chaque année pour produire annuellement 12 à 15 films pour les salles de cinéma. Une production équivalente à celle des grosses sociétés que sont Universal, Paramount ou Warner Bros. Pour atteindre cet objectif, le numéro un de la vente en ligne pourrait s’appuyer sur le célèbre studio Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), dont il a fait l’acquisition en mars 2022 pour 8,5 milliards de dollars. MGM Studios compte en son sein des franchises telles que James Bond, Rocky, Stargate, ou encore La Panthère Rose. S’il venait à se confirmer, ce changement de stratégie devrait offrir de nouvelles perspectives pour les salles obscures, et ouvrir la voie à d’autres acteurs du secteur. Longtemps snobées par le septième art, les plateformes de “streaming” pourraient donc finalement contribuer à sa survie.

1) Rapport « Fréquentation cinématographique : estimations du mois de septembre 2022 » du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). À lire ici

2) Tribune « Les choix politiques de nos institutions fragilisent gravement le cinéma », Le Monde, 17 mai 2022. À lire ici

3) Enquête AFCAE/IFOP « Les films et les séries sur les plateformes de “streaming” », à lire ici

4) Étude « Pourquoi les Français vont-ils moins souvent au cinéma ? » du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). À lire ici.