mardi 23 avril 2024
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Arthur Tréhet : « Les spectateurs consomment encore plus aujourd’hui qu’avant le Covid »

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Alors que la pression liée à la pandémie de Covid-19 est moins forte que pendant l’été 2021, comment le cinéma résiste à Monaco ? Pour le savoir, Monaco Hebdo a interrogé le directeur du cinéma des Beaux-Arts, Arthur Tréhet (1), qui mise aussi beaucoup sur son cinéma d’été en plein air. Interview.

Quel bilan faites-vous de l’année 2021 et des six premiers mois de l’année 2022 ?

Notre activité a repris très fort dès que les règles sanitaires imposées par la pandémie de Covid-19 ont été supprimées. Nous sommes Forum à un niveau normal de fréquentation. Étant donné que la saison creuse est arrivée, nous n’avons pas eu le temps de cartonner en mettant cette reprise à profit. Mais on a pu ouvrir notre cinéma en plein air, le Monaco Open Air Cinema. Il n’y a plus de restrictions, nos clients n’ont plus de masques. Tout le monde est ravi. Le mois de juin 2022 a bien débuté. Donc on est très content.

En Europe, le Covid a fait perdre aux cinémas environ 19 milliards d’euros en deux ans, sur les années 2020 et 2021 (2) : et vous, à combien se monte le total des pertes ?

Sur les années 2020 et 2021, nous avons perdu plus de 200 000 euros. Bien sûr, nous n’avons pas perdu autant que les grandes chaînes de cinéma. Mais nous n’avons pas la même force financière. Du coup, cette période a été plus compliquée pour nous que pour ces géants du cinéma.

« En général, programmer un gros film américain, ça marche à tous les coups, ou 9 fois sur 10, disons. Un Top Gun ou un Spiderman, ça marche presque toujours »

Les aides du gouvernement ont été suffisantes ?

Nous avons touché les subventions habituelles que nous percevons depuis 2013, et notre déménagement du Sporting d’hiver au 12 avenue d’Ostende, à proximité du théâtre princesse Grace. Pendant l’épidémie de Covid-19, nous avons bénéficié du chômage partiel mis en place par le gouvernement monégasque.

Arthur Tréhet Cinema
« Ce cinéma, c’est ma vie à moi, et c’est aussi celle de ma famille qui a ouvert son cinéma à Monaco en 1973. L’année prochaine, cela fera donc 50 ans que ma famille s’occupe du cinéma de Monaco. » Arthur Tréhet. Directeur du cinéma de Monaco. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Depuis le Covid-19, les habitudes ont changé et les gens consomment désormais davantage de cinéma à la télévision sur les plateformes, comme Apple TV +, Amazon, ou Netflix ?

L’effet a été inverse. Lorsque toutes les restrictions sanitaires ont été levées, les gens sont encore plus retournés au cinéma qu’avant. Après être restés un moment à la maison, avec le frigo à côté du téléviseur, les spectateurs consomment encore plus aujourd’hui qu’avant le Covid.

« TikTok et les réseaux sociaux jouent aussi un rôle dans cette transformation. Les gens veulent voir un film de 2 heures, avec du pop-corn, des effets spéciaux, et du grand spectacle. Bref, ils veulent du cinéma pop-corn »

Comment séduire de nouveaux spectateurs (3) ?

Au cinéma des Beaux Arts, c’est assez compliqué d’imaginer quoi que ce soit pour attirer de nouveaux spectateurs, parce que nous n’avons pas forcément un retour sur investissement très intéressant. De plus, nos deux salles sont petites : nous avons une salle de 200 places, et une autre avec seulement 56 fauteuils. Enfin, nous ne sommes pas propriétaires des locaux, donc on ne peut pas vraiment faire ce qu’on veut. J’ai donc plutôt misé sur notre cinéma en plein air.

© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

À l’heure du « toujours plus » en matière d’image et de son dans les cinémas, comment séduire avec une salle de seulement 56 places ?

Il arrive que les spectateurs venus voir un film à spectacle, comme par exemple Top Gun : Maverick (2022), soient déçus de se retrouver dans notre salle de 56 fauteuils. Heureusement, cette salle est aussi utilisée par des événements organisés par le gouvernement ou par des écoles. Cela nous permet de générer tout de même un revenu intéressant.

« Si je suis chargé du futur multiplex de Fontvieille, je ferai un cinéma tellement attractif, que même les habitants de Nice viendront. Je miserai sur les meilleurs équipements possibles : fauteuils, décoration, pop-corn… Ce sera le top du top pour tout »

Quelle est la nouveauté pour votre cinéma en plein air ?

Pour cet été 2022, j’ai fait appel à un musicien local, DJ Pinoc un ami qui mixe au Before, notamment. Nous avons aussi lancé un jeu concours, avec l’un des services de livraison installé en principauté. Il y a des places de cinéma à gagner, ainsi qu’un repas livré à domicile. Je vais également mettre l’accent sur la communication à travers Instagram. Le reste relève des équipements que nous renouvelons souvent. Car il faut tout le temps être capable de proposer les meilleurs équipements.

Les spectateurs sont exigeants sur la qualité de l’image et du son, aussi ?

Le son de notre cinéma en plein air est au maximum de ce que l’on peut imaginer en extérieur. Pour le projecteur, il faut savoir que le projecteur laser le plus performant du marché, meilleur que le nôtre, coûte au moins 600 000 euros. Mais nous avons le plus grand écran extérieur d’Europe, avec une toile tendue de 220 m2. Un seul est plus grand, mais l’image est projetée sur un mur.

Vous pourriez baisser vos tarifs pour attirer plus de monde ?

Non, on ne peut pas baisser nos tarifs, sinon on risquerait de perdre de l’argent. Chez nous, un billet plein tarif est vendu 11,50 euros. En semaine, le tarif réduit est à 9 euros, notamment pour les scolaires. Avec ces tarifs, on reste moins cher que d’autres cinémas à Nice, où une place est vendue autour de 13 ou 14 euros.

« Pour avoir des salles parfaitement équipées, il faut compter entre 700 000 et 1 million d’euros par salle. Pour financer cela, nous proposerons un apport personnel. Le moment venu, on verra la formule retenue et ce qu’il est possible de faire »

La guerre en Ukraine a un impact sur votre activité ?

La guerre en Ukraine n’a pas eu d’impact sur la fréquentation de notre cinéma. Nos clients russes et ukrainiens sont toujours là.

Depuis fin 2021, et en 2022, quels sont les films qui ont fait le plus d’entrées chez vous ?

Top Gun : Maverick (2022), Docteur Strange in the Multiverse of Madness (2022), et Spiderman : No Way Home (2021) ont très bien marché. Spiderman : No Way Home nous a même permis de battre notre record d’entrées en une semaine, depuis que nous sommes au cinéma des Beaux Arts, en 2013. Lors de la première semaine d’exploitation, nous avons fait environ 2 000 entrées avec Spiderman : No Way Home. C’était vraiment la folie.

Programmer un blockbuster américain (4), c’est donc l’assurance de faire des entrées et de gagner de l’argent ?

En général, programmer un gros film américain, ça marche à tous les coups, ou 9 fois sur 10, disons. Un Top Gun ou un Spiderman, ça marche presque toujours.

Il y a des contre-exemples ?

Certaines comédies françaises n’ont pas marché, malgré de gros castings. Je pense notamment à Hommes au bord de la crise de nerf (2022) ou J’adore ce que vous faites (2022), qui ont été d’énormes flops.

En revanche, la plupart des films d’art et d’essai font de moins en moins d’entrées ?

C’est lié à l’air du temps. Que ce soit l’artisanat, les vieilles voitures, les films anciens, et les longs-métrages plus travaillés, tout ça marche moins bien. Aujourd’hui, nous sommes à l’ère de la consommation rapide. TikTok et les réseaux sociaux jouent aussi un rôle dans cette transformation. Les gens veulent voir un film de 2 heures, avec du pop-corn, des effets spéciaux, et du grand spectacle. Bref, ils veulent du cinéma pop-corn.

Avant le Covid, les cartes de cinéma illimitées permettaient à leurs utilisateurs d’aller aussi voir des films d’auteurs, qu’ils ne vont plus nécessairement voir aujourd’hui ?

Nous ne proposons pas de carte de cinéma illimitée. Nous vendons des cartes de 10 ou 20 entrées, avec une place offerte, et avec laquelle on ne fait pas la queue. Malgré le Covid, nous avons renouvelé la validité de ces cartes.

© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo

Où en est le projet de multiplex prévu dans le futur centre commercial de Fontvieille ?

Pour l’instant, il n’y a rien de nouveau. Nous sommes toujours à fond sur ce dossier, pour lequel nous sommes plus que jamais candidat. Ce cinéma, c’est ma vie à moi, et c’est aussi celle de ma famille qui a ouvert son cinéma à Monaco en 1973. L’année prochaine, cela fera donc 50 ans que ma famille s’occupe du cinéma de Monaco.

Si vous n’êtes pas choisi pour diriger le futur multiplex du centre commercial de Fontvieille, vous continuerez à exploiter le cinéma des Beaux Arts ?

Pour avoir les films en sortie nationale, c’est-à-dire le mercredi, c’est compliqué. D’ailleurs, en France, tous les cinémas n’ont pas les films le jour de leur sortie. Il faut savoir que les distributeurs sélectionnent les cinémas. Nous avons de bons rapports avec les distributeurs, qui savent que nous sommes des gens sérieux. Nous réussissons donc à avoir les films le jour de leur sortie.

Que demandent les distributeurs en échange ?

En échange, les distributeurs imposent parfois une durée d’exploitation, et un nombre minimum de diffusions quotidiennes. Par exemple, ils peuvent nous demander de garder un film pendant quatre semaines, et de le diffuser quatre fois par jour. Lorsque cela arrive, nous diffusons alors le film au cinéma des Beaux Arts et aussi au Monaco Open Air Cinema. Du coup, si un cinéma Pathé, par exemple, exploite le futur multiplex de Fontvieille, les distributeurs donneront leurs copies en priorité à ce nouveau cinéma. Et nous aurions alors très peu de films à diffuser. Dans un tel scénario, même notre cinéma en plein air ne survivrait pas.

En revanche, si vous obtenez la gestion du futur multiplex de Fontvieille, vous fermerez le cinéma des Beaux Arts ?

Non. Les autorités monégasques ont fait comprendre à mon père, Thierry Tréhet, qu’il fallait qu’un cinéma demeure dans le quartier de Monte-Carlo. Mon père, qui était le directeur du cinéma, est décédé le 6 janvier 2021. Mais cette idée est toujours là. Pourquoi ne pas se concentrer sur un cinéma d’auteur aux Beaux Arts et se consacrer à des blockbusters et du grand spectacle à Fontvieille ?

Combien de salles de cinéma sont envisagées dans ce futur multiplex de Fontvieille ?

Entre quatre et six salles de cinéma pourraient voir le jour dans le futur multiplex de Fontvieille.

Six salles dans le multiplex et deux autres au cinéma des Beaux Arts : huit salles pour Monaco et ses quelque 39 000 habitants, ce n’est pas trop ?

Je pense que nous avons largement la clientèle pour huit salles de cinéma à Monaco. Parce que même au cinéma en plein air, où nous pouvons accueillir environ 500 spectateurs, il nous arrive d’être à saturation. Pour Spiderman : No Way Home, toutes les séances ont affiché complet pendant deux semaines, et nous étions obligés de refuser l’entrée à 150 personnes. Quand notre cinéma se trouvait au Sporting d’hiver, nos trois salles étaient souvent pleines. Pour moi, Monaco c’est le casino, la Formule 1 (F1), et le cinéma. Et le cinéma est un pilier culturel de la principauté.

Quelles sont vos ambitions pour ce futur multiplex ?

Si je suis chargé du futur multiplex de Fontvieille, je ferai un cinéma tellement attractif, que même les habitants de Nice viendront. Je miserai sur les meilleurs équipements possibles : fauteuils, décoration, pop-corn… Ce sera le top du top pour tout.

Comment financer ces équipements coûteux ?

Pour avoir des salles parfaitement équipées, il faut compter entre 700 000 et 1 million d’euros par salle. Pour financer cela, nous proposerons un apport personnel. Le moment venu, on verra la formule retenue et ce qu’il est possible de faire. Les salles de ce futur multiplex pourraient, par exemple, être livrées clé en main, et ensuite nous pourrions payer un loyer, ou reverser une partie du chiffre d’affaires.

1) A ce sujet, lire aussi l’interview d’Arthur Tréhet : « Le cinéma en principauté, c’est une affaire de famille », publiée dans Monaco Hebdo n° 1200.

2) Selon des chiffres communiqués le 22 juin 2022 par l’Union internationale des cinémas (UNIC), une perte de 6,2 milliards d’euros a été enregistrée en 2020 et de 5,1 milliards d’euros de plus en 2021. En ajoutant les autres pertes, notamment des recettes publicitaires en baisse, la perte est d’environ 19 milliards d’euros en deux ans. Les 39 pays européens consultés, qui représentent 43 000 écrans, ont enregistré 590 millions d’entrées en 2021, soit une hausse de 36,4 % par rapport à 2020. Les recettes ont été estimées à 3,7 milliards d’euros, soit + 40,8 % par rapport à 2020.

3) D’après le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), en France la fréquentation a dégringolé de 34,2 %, à 50,7 millions de spectateurs, pendant les quatre premiers mois de 2022, par rapport à la même période de 2019. En avril 2022, la baisse a été contenue, à – 23 %.

4) Spider-Man : No Way Home (2022), de Jon Watts a engrangé 7,3 millions d’entrées en France, The Batman (2022), de Matt Reeves a fait plus de 3 millions d’entrées, et Uncharted, de Ruben Fleischer, a attiré 2,5 millions de spectateurs.