samedi 27 avril 2024
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Gérard Bonal : « Il faut garder la mémoire de Joséphine Baker vivante »

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Joséphine Baker est symboliquement entrée au Panthéon le 30 novembre 2021. Le corps de cette artiste de music-hall, engagée dans la Résistance, et proche de la princesse Grace, est toujours à Monaco. L’écrivain Gérard Bonal vient de consacrer une biographie (1) à Joséphine Baker. Pour Monaco Hebdo, il revient sur le parcours exceptionnel de cette Américaine, naturalisée française en 1937.

Quels liens unissent Joséphine Baker (1906-1975) et Monaco ?

Il y avait une grande confiance, et une grande fidélité, entre la princesse Grace (1929-1982) et l’artiste américaine Joséphine Baker. On dit que cette amitié est née aux États-Unis, en octobre 1951, à l’occasion d’un incident qui a eu lieu dans un restaurant – club de nuit, le Stork. Joséphine Baker était là avec des amis. Elle était la seule du groupe à avoir commandé à dîner, mais elle n’a pas réussi à se faire servir. Grace Kelly, qui n’était pas encore princesse de Monaco, était présente ce soir-là. Elle était encore peu connue. Furieuse et humiliée, Joséphine Baker est allée téléphoner à son avocat, tout en se plaignant à un ami journaliste qui était là, et à qui elle a reproché de ne pas être intervenu. D’après les biographes américaines de Joséphine Baker, cet incident aurait beaucoup frappé Grace Kelly. Elle aurait alors ressenti un élan vers Joséphine Baker.

À partir de cette première rencontre, en octobre 1951, Grace Kelly et Joséphine Baker ont toujours gardé contact ?

Grace Kelly et Joséphine Baker ont toujours gardé contact à partir de cette première rencontre, en octobre 1951. Et lorsque les affaires de Joséphine Baker ont mal tourné et qu’elle a dû vendre le château des Milandes, à Castelnaud-la-Chapelle, en Dordogne, Grace Kelly a immédiatement proposé son aide.

Comment ?

En 1969, la princesse Grace a trouvé à Joséphine Baker une villa, située à Roquebrune-Cap-Martin. Il s’agit de la villa Maryvonne. Avant cela, Joséphine Baker et ses enfants ont séjourné quelque temps à l’hôtel Hermitage. La princesse, qui était présidente de la Croix-Rouge monégasque, a réussi à mettre cette villa gracieusement à disposition pour Joséphine Baker. Mais Joséphine Baker a tenu à la rembourser. Des lettres de Joséphine Baker à la princesse évoquent ses remboursements, et l’une d’elles indique d’ailleurs que le « prochain remboursement sera le dernier ». Elle a donc pu rembourser cette villa entièrement.

« Il y avait une grande confiance, et une grande fidélité, entre la princesse Grace et l’artiste américaine Joséphine Baker. On dit que cette amitié est née aux États-Unis, en octobre 1951, à l’occasion d’un incident qui a eu lieu dans un restaurant – club de nuit, le Stork »

Joséphine Baker et Monaco, ça a duré jusqu’à quand ?

Joséphine Baker a vécu à Monaco jusqu’à sa mort, en 1975. À Paris, elle louait un petit appartement qu’elle utilisait lorsqu’elle y jouait. Une multitude de photos montrent sa vie en principauté, avec la princesse Grace, avec ses enfants, au bord de la piscine, dans leur villa…

Que sait-on de cette période “monégasque” 1969-1975 ?

Les deux fils de Joséphine Baker, que je connais, m’ont dit qu’ils étaient très heureux à Monaco. Ils ne l’ont pas dit, mais je pense que c’est en reconnaissance des bienfaits de la princesse Grace qu’ils ont refusé que la dépouille mortelle de leur mère ne soit transportée au Panthéon. Du coup, c’est un cénotaphe [un monument funéraire qui ne contient pas de corps — NDLR] qui se trouve désormais au Panthéon.

Quels sont les faits les plus marquants que vous retenez du parcours de Joséphine Baker ?

Sa carrière a été marquée par la Revue Nègre. C’est ce spectacle musical, créé en 1925, qui l’a faite exploser. À 20h30, elle était inconnue. Et à 22 heures, tout Paris savait qu’elle venait de remporter un énorme triomphe au théâtre des Champs Elysées. Cette apparition a frappé les spectateurs d’une manière que l’on imagine mal aujourd’hui.

Et par la suite ?

Ensuite, la grande tournée en Europe en 1927 et 1928, a aussi été très importante. Elle a alors pu chanter et danser dans la plupart des pays européens, à commencer par l’Allemagne, qui, à l’époque, était encore fréquentable. Je pense aussi à ses prestations aux Folies Bergères qui ont toujours été surprenantes et magnifiques. D’ailleurs, Colette (1873-1954), qui adorait le music-hall, a publié un texte en 1936 sur la revue des Folies Bergères dans laquelle elle évoque Joséphine Baker (2).

Comment était vue Joséphine Baker, au milieu des années 1920 ?

Au milieu des années 1920, Joséphine Baker a le soutien de tous les intellectuels, les écrivains, et les peintres. D’ailleurs, elle a posé pour énormément de peintres. Ravis d’avoir cette femme à la silhouette plus que moderne, les couturiers lui demandaient de porter leurs modèles. Ainsi, chaque jour, elle portait une nouvelle création.

Gérard Bonal © Photo DR

« En 1940, Joséphine Baker s’est mise d’emblée à disposition des services secrets français, pour qui elle est devenue agent secret. Le capitaine Jacques Abtey, qui est l’un des patrons des services secrets français, devient son guide dans ce monde-là »

Qu’a changé la deuxième guerre mondiale ?

En 1940, Joséphine Baker s’est mise d’emblée à disposition des services secrets français, pour qui elle est devenue agent secret. Le capitaine Jacques Abtey (1908-1998), qui est l’un des patrons des services secrets français, a été son guide dans ce monde-là. Joséphine Baker souhaite rejoindre Londres et le général de Gaulle (1890-1970). Mais, depuis Londres, on leur a fait savoir qu’il faudrait créer un lien de ralliement en Afrique du Nord pour faire transiter les informations des services secrets de France vers le Portugal, qui était neutre à l’époque. L’objectif était alors de faire passer ces informations du Portugal vers Londres. Du coup, à partir de 1940, Joséphine Baker s’est installée au Maroc, à Casablanca, où elle est restée jusqu’à la fin de la guerre, en 1945.

Elle s’est facilement transformée en agent secret ?

Au début, les services secrets ne voulaient pas de Joséphine Baker. Ils avaient le souvenir de Mata Hari (1876-1917), qui était aussi une danseuse de music-hall. Elle serait devenue une agent double. Du coup, les services secrets français n’avaient plus aucune confiance dans une artiste de music hall. Finalement, ils ont accepté Joséphine Baker. Ils s’en sont félicités, car elle a été exemplaire. Elle a pris d’énormes risques.

Lesquels ?

Son guide, le capitaine Jacques Abtey, a été percé à jour. Les services secrets portugais ont découvert qu’il était un agent secret. Donc le capitaine Abtey n’a jamais pu obtenir son visa pour le Portugal. Joséphine Baker a dû aller au Portugal toute seule, pour transmettre les informations en sa possession. Ce qui était très risqué.

Comment Joséphine Baker transmettait-elle discrètement ses informations ?

Parmi les informations qu’elle transmettait, on trouvait l’implantation exacte des bateaux allemands, et les lieux d’où des attaques pouvaient partir. Ces informations émanaient du service secret français, à destination de Casablanca. Joséphine Baker écrivait, ou faisait écrire, les informations à l’encre sympathique, sur les partitions de son orchestre.

Quoi d’autre ?

Après la défaite de la France, les Espagnols, qui étaient des alliés des Allemands, ont pris position à Tanger, au Maroc. Là-bas, Joséphine Baker a participé à plusieurs dîners très arrosés. Elle ne buvait pas, elle laissait boire les autres, et elle écoutait. Puis, elle se retirait aux toilettes quelques instants après. Elle retranscrivait sur un calepin toutes les informations qu’elle venait d’apprendre. Ensuite, avec des épingles à nourrice, elle épinglait ces informations sur ses sous-vêtements. En se disant que personne n’oserait la fouiller. Voilà pourquoi elle a pris des risques énormes.

Comment se déroule l’après-guerre ?

À plusieurs reprises, Joséphine Baker est très malade. Elle a des problèmes d’infections, et presque de septicémie, dont on ignore la cause. Est-ce que c’était une sorte d’empoisonnement ? Une fausse couche ? On ne le sait pas. Après la Guerre, elle donne des spectacles dans tout le Maghreb et dans tout le Moyen-Orient, au profit de la “France libre”. Elle le fait aussi pour les alliés, notamment anglais, jusqu’en Egypte. Ensuite, Joséphine Baker est rentrée en France, en passant par la Corse.

Comment est-elle accueillie par le public à son retour en France, en 1945 ?

Comme elle avait énormément maigri, elle avait très peur que les Français ne l’aiment plus comme meneuse de revue et comme chanteuse. Mais dès 1949, elle est à nouveau sur la scène des Folies Bergères, où elle triomphe. Entre-temps, elle s’est mariée en 1947 avec le chef d’orchestre français Joseph Bouillon (1908-1984), qui repose d’ailleurs lui aussi au cimetière de Monaco. À partir de 1954, ils commencent à adopter des enfants.

Pourquoi ?

Joséphine Baker n’a pas eu d’enfants. Alors, elle en a adopté. Son projet, c’était de prouver que des enfants, de différentes races, de différentes religions, adoptés dès leur plus jeune âge, et élevés ensemble, étaient aussi attachés les uns aux autres qu’une fratrie classique. Elle est parvenue à en faire la démonstration, car les enfants de Joséphine Baker que je connais sont très proches les uns des autres. Elle a adopté douze enfants, dont deux filles. Un est décédé. Il y a un Japonais, un Nord-Africain, des Français… Elle revenait souvent de ses tournées dans le monde avec un nouvel enfant. Au grand dam de son mari, Joseph Bouillon, qui trouvait que c’était trop. Douze enfants à nourrir, à élever, à éduquer, et dont il fallait financer les études… Ça leur a coûté très cher, et ça les a d’ailleurs conduits à la ruine.

© Archives Monte-Carlo Société des Bains de Mer

« Sa carrière a été marquée par la Revue Nègre. C’est ce spectacle musical, créé en 1925, qui l’a faite exploser. À 20h30, elle était inconnue. Et à 22 heures, tout Paris savait qu’elle venait de remporter un énorme triomphe au théâtre des Champs Elysées. Cette apparition a frappé les spectateurs d’une manière que l’on imagine mal aujourd’hui »

Comment ?

À partir des années 1960, les problèmes se sont fait sentir. Joséphine Baker a rencontré des difficultés financières, car elle dépensait un peu sans compter. Elle était très confiante. Au cours de mon enquête, on m’a raconté que les artisans et les gens qui travaillaient au château des Milandes, intervenaient sans qu’elle ne leur demande un devis. Certains en ont énormément profité. Toutes ces personnes à qui elle devait de l’argent ont fini par provoquer sa ruine.

Joséphine Baker a été aidée ?

Le 4 juin 1964, Brigitte Bardot est intervenue à la télévision, au journal télévisé de 20 heures, afin de réclamer de l’aide pour Joséphine Baker. Elle a lancé cet appel, car elle trouvait insupportable que Joséphine Baker soit jetée à la rue avec ses douze enfants.

Cet appel a été entendu ?

L’appel lancé par Brigitte Bardot a été entendu, mais il n’a pas été suffisant. Du coup, le château des Milandes a été vendu en 1968. Au-dessous de sa valeur, d’ailleurs.

Cela n’a pas empêché Joséphine Baker de continuer à rencontrer le succès ?

En France, Joséphine Baker a toujours été aimée par le public, même si c’était beaucoup moins qu’à ses débuts. De temps en temps, elle faisait un retour sur scène, notamment à l’Olympia, à plusieurs reprises. Elle a tenté de gagner les faveurs des spectateurs américains, mais ça n’a pas marché. Ce n’est que plus tard qu’elle les a obtenues. Suite à un premier mariage le 30 novembre 1937, elle avait abandonné la nationalité américaine pour devenir française. Elle a alors un très mauvais rapport avec les États-Unis. Au moment de sa mort, en 1975, Joséphine Baker est en plein triomphe. Elle avait retrouvé une cote extraordinaire.

Elle est finalement parvenue à s’imposer dans son pays d’origine, les États-Unis ?

En 1973, elle est retournée aux États-Unis, car elle ne se consolait pas que, dans son pays natal, elle ne soit pas acceptée. Elle a fini par rencontrer un énorme succès. Du coup, elle s’était promise de revenir en Amérique. Mais la mort est arrivée en 1975.

Elle est montée sur scène en 1974 ?

Pendant l’été 1974, elle a été la vedette d’une revue montée par la Société des Bains de Mer (SBM), à Monaco. Cette revue, qui s’appelait Joséphine, a tellement séduit sur la Côte d’Azur, que les producteurs ont proposé à Joséphine Baker de proposer ce spectacle à Paris, l’hiver suivant. Elle a accepté. Elle voulait se produire au Casino de Paris. Mais ça n’a pas été possible, parce que les compagnies d’assurance refusaient de l’assurer.

Pourquoi ?

Les compagnies d’assurance savaient qu’elle avait eu deux incidents les deux années précédentes. Il s’agissait de deux petits AVC, qui n’avaient pas laissé de grandes traces. Mais cela laissait craindre qu’elle puisse en avoir un autre. Et c’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé. À l’époque, le chorégraphe et danseur français Roland Petit (1924-2011) et Zizi Jeanmaire (1924-2020) étaient au Casino de Paris, et ils n’ont pas voulu céder leur place, ne serait-ce que quelques mois. Toujours pour des questions d’assurance, les Folies Bergère ont aussi décliné l’offre.

Quelle solution a été trouvée, finalement ?

Du coup, Joséphine Baker a fait son retour à Paris, non pas au Casino de Paris, mais au théâtre Bobino. Ce qui lui a fait dire qu’elle revenait « par la petite porte ». Ce qui était assez vrai, car Bobino est un music-hall de la Rive Gauche très respectable, mais c’était un petit lieu qui n’avait pas le prestige du Casino de Paris ou des Folies Bergère.

© Archives Monte-Carlo Société des Bains de Mer

« Joséphine Baker n’a pas eu d’enfants. Alors, elle en a adopté. Son projet, c’était de prouver que des enfants, de différentes races, de différentes religions, adoptés dès leur plus jeune âge, et élevés ensemble, étaient aussi attachés les uns aux autres qu’une fratrie classique. Elle est parvenue à en faire la démonstration, car les enfants de Joséphine Baker que je connais sont très proches les uns des autres »

Et ça a marché ?

Dès les premières représentations, le succès a été au rendez-vous. Des réservations ont été bouclées pour plusieurs semaines. Le 8 avril 1975, les critiques ont été invitées. La presse a adoré ce spectacle. Mais, malheureusement, deux jours après Joséphine Baker a été victime d’un nouvel accident. Chaque après-midi, elle faisait une sieste pour se reposer. Le 10 avril 1975, elle ne s’est pas réveillée de sa sieste. Elle a été amenée d’urgence à l’hôpital, à la Pitié-Salpêtrière, où elle n’a pas repris connaissance. Finalement, elle est morte le samedi 12 avril 1975, au matin.

En France, après Colette, Joséphine Baker est la seconde femme à avoir été l’objet de funérailles nationales : comment se sont-elles déroulées à l’époque, en 1975 ?

Après Colette, Joséphine Baker est la seconde femme à avoir eu des funérailles nationales, en avril 1975. Elle a eu les honneurs militaires. Ça a été énorme. J’ai encore en souvenir les images de ses obsèques à la télévision. Les rues de Paris où le convoi passait étaient noires de monde. Il y avait des milliers et des milliers de personnes dans la rue. Les gens étaient en larmes, d’autres étaient très émus. Joséphine Baker a été amenée à l’église de la Madeleine, où s’est déroulé le service mortuaire.

C’était un sacré choc ?

Joséphine Baker a provoqué un choc pour sa première prestation en 1925. Elle provoquait un deuxième choc, avec cette mort subite en 1975, cinquante ans après. D’ailleurs, à Bobino, elle fêtait son jubilé, avec ces cinquante ans de carrière.

C’est le philosophe Régis Debray qui a proposé le premier de faire entrer Joséphine Baker au Panthéon en 2013, dans une tribune publiée par Le Monde ?

Le philosophe Régis Debray est le premier à avoir pensé à faire entrer Joséphine Baker au Panthéon. Cela a été suivi avec enthousiasme par beaucoup de monde. Une célèbre pétition, appelée « Osez Joséphine », a été lancée en mai 2021 (3), et je l’ai d’ailleurs signée. Cette pétition est, je pense, pour beaucoup dans la décision d’Emmanuel Macron d’ouvrir les portes du Panthéon à Joséphine Baker.

Dans cette tribune, Régis Debray disait de Joséphine Baker « plus politiquement correcte, tu meurs » : c’était vraiment quelqu’un sans aucune aspérité ?

On a dit de Joséphine Baker qu’elle cochait toutes les cases pour entrer au Panthéon. C’est une femme, elle est noire, elle a un passé de résistant, la Légion d’honneur, la médaille militaire… Il n’y a pas de zone d’ombre chez Joséphine Baker. Il n’y a rien. Dans sa vie publique, elle a été exemplaire. Elle n’a pas été une seule seconde en faveur du maréchal Pétain (1856-1951). Elle s’est portée volontaire pour devenir agent secret.

« On a fait entrer au Panthéon une femme qui est multiple. Joséphine Baker est à la fois une résistante, une vedette de music-hall, et aussi une défenseur des droits civiques aux États-Unis, puisqu’elle a d’ailleurs participé à la marche de Martin Luther King sur Washington pour l’emploi et les libertés, le 28 août 1963. » Gérard Bonal. Écrivain. © Archives Monte-Carlo Société des Bains de Mer

« On a dit de Joséphine Baker qu’elle cochait toutes les cases pour entrer au Panthéon. C’est une femme, elle est noire, elle a un passé de résistant, la légion d’honneur, la médaille militaire… Il n’y a pas de zone d’ombre chez Joséphine Baker. Il n’y a rien »

Comment s’est déroulée la cérémonie au Panthéon, en fin d’après-midi, le 30 novembre 2021 ?

J’ai été invité au Panthéon par les fils de Joséphine Baker. Nous étions près de 2 000. Ça a vraiment été un moment de communion et d’émotion formidable. Sur les écrans de télévision, on voyait le cénotaphe qui a remonté toute la rue Soufflot, du haut du boulevard Saint Michel, jusqu’au Panthéon. Tout ça au son de la Marseillaise, du chant des partisans, et de la voix de Joséphine Baker, qui chantait ou qui répondait à des interviews.

On a beaucoup parlé de « la force symbolique » de l’entrée au Panthéon de Joséphine Baker : qu’est-ce que cette panthéonisation marque, selon vous ?

L’entrée au Panthéon de Joséphine Baker rappelle qu’elle est une femme noire, résistante. On a parlé de « la force symbolique », parce que ce n’est pas un cercueil, mais un cénotaphe, qui est entré au Panthéon. Dans ce cénotaphe, il y avait de la terre du château des Milandes, de la terre de Monaco, de la terre de Paris, et de la terre de Saint-Louis, au Missouri, où elle est née le 3 juin 1906. Tout cela la symbolise. Car on a fait entrer au Panthéon une femme qui est multiple. Elle est à la fois une résistante, une vedette de music-hall, et aussi une défenseur des droits civiques aux États-Unis, puisqu’elle a d’ailleurs participé à la marche de Martin Luther King sur Washington pour l’emploi et les libertés, le 28 août 1963.

Quelles valeurs porte Joséphine Baker ?

Joséphine Baker porte des valeurs de liberté, d’anti-racisme, et de solidarité humaine.

Maintenant qu’elle est entrée au Panthéon, comment va évoluer, au fil du temps, le souvenir de Joséphine Baker ?

Je me pose la question. Car, juste avant la cérémonie du 30 novembre 2021 au Panthéon, la télévision et la radio française nous ont accablés avec des émissions sur Joséphine Baker. C’était sans doute un peu trop. Depuis, plus rien. Plus un mot. Ni dans les journaux, ni à la radio, ni à la télévision. Et c’est pareil à Monaco. Donc je crains qu’il n’y ait une sorte de purgatoire qui se prépare pour Joséphine Baker, au moins pour quelques années. On risque de ne plus parler d’elle. Mais je pense que ses enfants ne laisseront pas les choses se dérouler ainsi. Moi non plus. Je suis prêt à entrer dans un mouvement qui défendrait sa mémoire, et qui ferait que l’on parlerait d’elle.

Qu’est-ce qui pourrait être fait pour que la mémoire de Joséphine Baker perdure ?

Il faudrait parler de Joséphine Baker régulièrement. Et que l’on ne se contente pas de dire qu’elle est au Panthéon. Il faut garder sa mémoire vivante, notamment en montrant ses films, en diffusant des documentaires sur sa vie et sur sa carrière, construits à partir d’images d’archives. Mais je suis peut-être pessimiste. Et le 30 novembre 2022, pour le premier anniversaire de l’entrée de Joséphine Baker au Panthéon, on verra sans doute des films et des documentaires avec Joséphine Baker sur nos écrans.

1) Joséphine Baker. Du music-hall au Panthéon, de Gérard Bonal (Taillandier), 330 pages, 20,90 euros.

2) En octobre 1936, Colette, qui a aussi été danseuse et mime, signe un article dans Le Journal, à propos de ce spectacle des Folies Bergère et de sa meneuse de revue, Joséphine Baker : « Paris ira voir Joséphine Baker, nue, enseigner aux danseuses nues la pudeur. »

3) La pétition « Osez Joséphine », a été lancée le 8 mai 2021 par l’essayiste Laurent Kupferman, qui estime que « Joséphine Baker est la première star internationale noire française. Elle était également une femme libre et féministe, mais aussi résistante pendant la Seconde Guerre mondiale et engagée contre le racisme. Sa panthéonisation serait un puissant symbole d’unité nationale, d’émancipation et d’universalisme à la française ».