mardi 23 avril 2024
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Transmission aérienne du Covid-19 : pour Emmanuel Vanoli, « maîtriser des flux d’air, c’est très complexe »

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Alors que la cinquième vague de Covid-19 est en cours, le risque de contamination par transmission aérienne dans les lieux ouverts au public est encore un sujet trop peu pris en compte, estiment un certain nombre d’experts. Les explications d’Emmanuel Vanoli, ingénieur en aéronautique, et spécialiste de la mécanique des fluides chez Dassault Systèmes.

C’est la contamination au Covid-19 de votre grand-mère en mars 2020 qui vous a ouvert les yeux sur la dimension aéroportée de ce virus ?

Pendant dix ans, j’ai travaillé sur la simulation sur les écoulements d’air pour l’aéronautique, les trains, ou les voitures notamment. En mars 2020, lorsque la pandémie de Covid-19 a éclaté, les clients pour lesquels je travaillais ont fermé. Du coup, mon activité a été très fortement réduite. Ma grand-mère et mes parents ont été contaminés par le Covid-19. J’ai donc cherché un moyen de me rendre utile. En contactant l’hôpital où était soignée ma grand-mère, je me suis rendu compte que deux sujets ressortaient.

Lesquels ?

Le premier sujet était lié au manque de masques. J’ai donc utilisé les réseaux internes de Dassault Systèmes pour trouver des spécialistes de l’impression 3D de visières, pour en fournir à l’hôpital. Le second sujet était lié à la possibilité que les contaminations puissent passer par l’air. À l’époque, en mars 2020, ce n’était pas encore quelque chose d’admis, même si le nombre et la vitesse à laquelle les soignants étaient contaminés attiraient l’attention.

Qu’avez-vous fait ?

J’ai décidé de modéliser cet hôpital en 3D, en y intégrant tous les systèmes de ventilation, ainsi que la position des patients atteints de Covid. Pour cet hôpital, l’enjeu était de comprendre les flux d’air et les risques, mais surtout d’éviter le risque de contamination avec la zone de l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) qui était à proximité.

« J’ai décidé de modéliser cet hôpital en 3D, en y intégrant tous les systèmes de ventilation, ainsi que la position des patients atteints de Covid. Pour cet hôpital, l’enjeu était de comprendre les flux d’air et les risques, mais surtout d’éviter le risque de contamination avec la zone de l’Ehpad, qui était à proximité »

Quel est le logiciel que vous avez utilisé ?

Nous avons utilisé un outil qui s’appelle PowerFLOW. Cet outil est capable de fournir beaucoup de détails et d’apporter une grande précision. Pour la problématique du transport de particules c’est un bon choix, parce qu’on a besoin d’un niveau de détails très élevé, pour être sûr de ce que l’on va produire en termes de mouvements de particules et de mouvements d’air.

Aujourd’hui, en décembre 2021, la diffusion du Covid par aérosol est une réalité désormais largement démontrée ?

Le risque d’une transmission aérienne du Covid a été reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en juillet 2020. Il faut dire qu’il y avait pas mal de pistes qui montraient la propagation aérosol du virus. Il est extrêmement complexe d’anticiper les risques, car nous sommes face à un ennemi qui est invisible. C’est là où la simulation 3D a pris tout son sens.

Pourquoi ?

Parce que la simulation 3D permet de rendre visibles ces phénomènes de propagation du Covid-19 par aérosol. Nous sommes donc arrivés à expliquer certaines contaminations par le biais de la simulation 3D, car nous sommes parvenus à comprendre les flux d’air. Ce qui a permis d’expliquer pourquoi une personne située à cinq mètres d’une autre a pu être contaminée.

Que montrent vos simulations ?

Nos simulations montrent que dès que l’on n’a pas un bon renouvellement d’air, ou que les flux d’air ne sont pas maîtrisés, on se trouve dans une zone à risques. Parce qu’au fur et à mesure, on accumule des particules qui peuvent être contaminées. Du coup, les gens vont alors baigner dans un environnement potentiellement vicié. Comme certains flux d’air vont peut-être converger vers certaines personnes, le risque de contamination peut devenir majeur.

D’où vient la contamination d’une pièce ?

Dans nos simulations 3D, on met toujours comme source de contamination une ou plusieurs personnes atteintes de Covid-19. C’est donc l’humain qui émet la source de particules, et c’est cela que l’on va regarder au fil du temps, pour comprendre comment ces particules se propagent, où elles peuvent se déposer, où elles peuvent se faire aspirer…

Certaines pièces sont davantage contaminées que d’autres ?

Nous avons simulé différentes configurations : des hôpitaux, des salles de réanimation, des salles de spectacle… Différents facteurs peuvent aggraver les risques de contamination. Une mauvaise ventilation, ou le manque de renouvellement d’air neuf, sont des facteurs aggravants. D’autres facteurs peuvent intervenir, comme une ventilation qui serait mal maîtrisée, et qui souffle de l’air frais, mais avec un soufflage qui propage directement une grande quantité de particules vers certaines personnes.

« Le risque d’une transmission aérienne du Covid a été reconnu par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en juillet 2020 »

Quelle est la différence entre renouveler l’air d’une pièce et disperser des particules contaminées dans tous les sens ?

Renouveler l’air d’une pièce et disperser des particules contaminées dans tous les sens, c’est un peu antinomique. Avec les médecins, les services généraux des hôpitaux, on essaie de gagner sur les deux tableaux. C’est-à-dire ne pas dégrader le renouvellement en air neuf d’une pièce, et aussi limiter la propagation de particules contaminées dans tous les sens.

Pour connaître avec précision les flux d’air qui circulent dans les bâtiments, il faut mesurer le CO2 avec des dispositifs techniques, comme le capteur Aranet4, par exemple ?

Ces capteurs offrent une première information. Le taux de CO2 donné par ces capteurs montre dans quelle zone la ventilation n’est pas suffisante, et donc où de l’air vicié peut s’accumuler. Mais cela ne mesure pas exactement le risque lié aux particules, puisque le taux de CO2 mesure un gaz. Alors que les particules peuvent avoir une masse plus ou moins grande, selon leur taille. Il y a donc un phénomène de gravité et de dépôt qui n’est pas du tout pris en compte avec la mesure du CO2. Mais mesurer le CO2 est une première information assez intéressante, et qui peut ouvrir certaines pistes, en tout cas.

« La simulation 3D permet de rendre visibles ces phénomènes de propagation du Covid-19 par aérosol. Nous sommes donc arrivés à expliquer certaines contaminations par le biais de la simulation 3D, car nous sommes parvenu à comprendre les flux d’air »

Que faire pour stopper la contamination dans les bâtiments ouverts au public ?

Pour stopper la contamination dans un bâtiment ouvert au public, on préconise de reprendre la maîtrise des flux d’air, afin de contrôler la dispersion des aérosols. Par exemple, si on est dans une pièce assez grande, comme un “open space” dans une entreprise, on peut avoir un capteur de CO2 qui dit que tout va bien. Mais si on a une ventilation qui pousse les particules d’une personne contaminée vers d’autres personnes situées à un mètre, cela ne sera pas vu par le capteur de CO2.

Faut-il faire baisser la concentration de CO2 dans une pièce de 3 200 parties par million (ppm) à 600 ppm, comme le recommande le médecin, épidémiologiste, professeur de santé publique et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève, Antoine Flahault [à ce sujet, lire notre encadré, par ailleurs — NDLR] ?

Avec 600 ppm, on a un seuil bas, qui montre que l’on a un bon renouvellement d’air, et que l’air vicié ne va pas stagner. Cela va permettre de savoir que l’on ne va pas contaminer toute une pièce, si une personne est porteuse du virus. Il y a toujours une différence entre un risque global et un risque local. Le capteur de CO2 permet de travailler sur le risque global. Sur le risque local, c’est plus compliqué, parce que cela relève vraiment de l’analyse très fine. À part la simulation ou des expériences menées par des bâtiments, il sera très difficile d’anticiper tous les risques locaux.

Pour faire baisser le risque de contamination au Covid-19, suffit-il d’ouvrir la fenêtre de son bureau dix ou quinze minutes, deux à trois fois par jour ?

L’hiver arrive et le froid avec, ce qui n’encourage pas à ouvrir les fenêtres. Mais quand on a une importante différence de température entre l’extérieur et l’intérieur d’une pièce, l’échange d’air est beaucoup plus rapide. Du coup, pour renouveler l’air d’une pièce en hiver, ce n’est pas la peine d’ouvrir la fenêtre pendant 20 minutes. S’il y a dix ou quinze degrés d’écart entre l’intérieur et l’extérieur, l’air sera potentiellement renouvelé deux fois plus vite. Pendant l’hiver, en cinq minutes, on parvient à renouveler 30 à 40 % de l’air d’une pièce normale.

Des solutions plus technologiques peuvent être mises en place ?

Lorsque nous travaillons avec des hôpitaux sur ces problématiques de contamination, on cherche à avoir une compréhension très fine, afin de pouvoir identifier des moyens de réduction des risques très pragmatiques et très simples. L’idée, c’est de s’adapter à ce qu’il est possible de faire dans un temps court, et avec des coûts maîtrisés pour limiter les risques. Nous utilisons des outils très technologiques et très complexes, pour finalement, parfois, trouver des solutions très simples.

Et dans les transports en commun ?

Porter un masque dans les transports en commun présente plusieurs avantages. Cela permet de capter une partie des particules. Le masque fait office de barrière physique : il freine l’air, ce qui limite la propagation des particules. La chaleur émise par le corps diffuse de l’air chaud qui remonte dans les parties supérieures du lieu dans lequel on se trouve. Du coup, généralement, les particules émises vont passer au-dessus des gens, plutôt que d’aller directement sur les personnes à proximité.

« Nous avons collaboré indirectement avec Alain Ducasse. Ce chef a travaillé avec un architecte, Arnaud Delloye, pour l’un de ses restaurants à Paris, le restaurant Allard. Dans ce restaurant, la ventilation a été modifiée pour limiter les risques, en créant des bulles aérodynamiques pour chaque table »

Vous avez été contacté par le chef monégasque Alain Ducasse pour ses restaurants ?

Nous avons collaboré indirectement avec Alain Ducasse. Ce chef a travaillé avec un architecte, Arnaud Delloye, pour l’un de ses restaurants à Paris, le restaurant Allard (1). Dans ce restaurant, la ventilation a été modifiée pour limiter les risques, en créant des bulles aérodynamiques pour chaque table. Nous avons été mis en contact avec les architectes d’Alain Ducasse par l’intermédiaire des hôpitaux de Paris. Suite à l’étude réalisée dans ce restaurant d’Alain Ducasse, la direction de l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) nous a mis en relation avec Arnaud Delloye.

Vous avez travaillé sur des problématiques spécifiques dans des hôpitaux ?

Nous avons travaillé pour l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Ils ont une salle de réveil qui peut accueillir jusqu’à vingt patients dans la même pièce. Au moment de la seconde vague de Covid-19, ils ont anticipé la possibilité de devoir faire cohabiter des patients Covid et des patients non-Covid. Nous avons donc réalisé des simulations. L’architecte Arnaud Delloye a apporté son expertise, et, avec l’appui des médecins, nous avons travaillé pour trouver des solutions de réaménagement de cette salle de réveil, afin de limiter, et de casser, les phénomènes de contamination.

Vous avez été approché par Monaco et le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) ?

Pas encore. Tout ça est encore très nouveau. Nous avons beaucoup travaillé en France, et cela commence désormais à prendre un peu plus d’ampleur à l’étranger également. En effet, aujourd’hui, alors qu’une cinquième vague de Covid-19 est en cours, tout le monde se pose des questions liées aux risques de contamination par aérosols, parce que c’est vraiment ce qui est le plus compliqué à anticiper. La distanciation physique, se laver les mains avec du gel hydroalcoolique, c’est assez facile à faire. Par contre, maîtriser des flux d’air, c’est très complexe.

« À Toulouse, dans un amphithéâtre, on s’est aperçu qu’il était plus sûr d’avoir une jauge de public à 100 %, plutôt qu’à 50 %, pour contenir le risque de contamination local »

Et les salles de spectacle, comme le Grimaldi Forum, par exemple ?

Nous n’avons pas travaillé pour le Grimaldi Forum, mais nous avons collaboré avec des salles de spectacle en France. Dans ces bâtiments, il y a beaucoup de disparités en termes de ventilation. Par exemple, à la Philharmonie de Paris, le système de ventilation est assez moderne, ce qui permet de pouvoir maîtriser les flux d’air. Mais ce n’est pas toujours le cas. Les situations sont très variées. Et il y a parfois des surprises.

Quelle surprise avez-vous rencontrée en travaillant sur des salles de spectacle ?

À Toulouse, dans un amphithéâtre, on s’est aperçu qu’il était plus sûr d’avoir une jauge de public à 100 %, plutôt qu’à 50 %, pour contenir le risque de contamination local. Dans cette salle, on avait un flux d’air qui arrivait dans le dos des spectateurs, et qui était un peu descendant, en suivant les gradins. En étant à jauge pleine, le nombre de personnes, et la chaleur émise par ce public, crée un air chaud qui remonte assez fortement, et qui vient un peu casser le phénomène de propagation du virus et sa dispersion dans la salle. En revanche, en remplissant cette salle avec une logique d’un fauteuil sur deux, l’air s’engouffre entre les sièges, car il y a moins de blocages et moins de chaleur pour le faire remonter.

Il faut donc faire du sur-mesure pour chaque salle de spectacle ?

Il faudrait voir si des typologies architecturales et de ventilation de salles de spectacle reviennent fréquemment. Peut-être que les salles les plus modestes sont davantage standardisées. Dans des salles plus iconiques, comme le Grimaldi Forum à Monaco, la Philharmonie de Paris, ou les opéras de Paris, c’est beaucoup plus particulier. On ne peut donc pas extrapoler une règle générale sur ce type de salles. Et il faut alors faire du sur-mesure.

 1) Situé à Paris, en plein cœur de Saint-Germain-des-Prés, le restaurant Allard est un bistrot créé en 1932 par Marthe Allard, une paysanne bourguignonne. En 1985, la famille Allard vend le restaurant à Bernard Bouchard qui le cède à son tour à l’aveyronnais Claude Layrac en 1995. Le chef monégasque Alain Ducasse a racheté ce restaurant en juillet 2013.

Qualité de l’air : Antoine Flahault milite pour des «des normes contraignantes»

Le médecin et épidémiologiste, professeur de santé publique et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève Antoine Flahault [lire son interview «Chaque pic de pollution est suivi d’une flambée de Covid-19 et d’hospitalisations», publiée dans Monaco Hebdo n°1189 – NDLR]. Dans une série de tweets publiés le 11 novembre 2021, cet expert a estimé que « la communication sur le mode de transmission du coronavirus est un échec cuisant », et même « une faillite collective ». Avant d’ajouter : «Le SARSCOV2 se transmet quasi-exclusivement par aérosols en lieux clos et mal ventilés dans lesquels nous passons plusieurs heures, souvent sans masque. Mais on continue à promouvoir la désinfection des surfaces et le lavage des mains, alors qu’on laisse le public se contaminer sans retenue dans des espaces intérieurs que l’on sait être les lieux de contaminations, sans chercher à les rendre salubres. Marche-t-on sur la tête ?». Selon Antoine Flahault, « il est possible de réduire à zéro le risque de transmission d’un agent microbien, en passant d’une concentration de CO2 de 3 200 parties par million (ppm) (1) à 600 ppm, et ainsi de casser la dynamique épidémique. Mais on ne mesure pas le CO2, on n’aère pas les pièces, et on ne filtre pas l’air intérieur ». Cet épidémiologiste estime qu’il est urgent d’instaurer des «normes contraignantes vis-à-vis de la qualité de l’air dans les espaces clos recevant du public. C’est peut-être, couplée à la vaccination et au port du masque, la mesure totalement oubliée qui peut faire la différence cet hiver.» Le directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève va plus loin, et a fait quelques propositions de politique publique : «1) Obligation d’une mesure continue du CO2 dans tout lieu clos recevant du public. 2) Norme contraignante au-dessus de laquelle ces lieux n’ont plus le droit de recevoir du public, tant que le seuil est dépassé. 3) Amendes élevées si contravention

  1. Le « partie par million » (ppm) est une unité de mesure qui permet de calculer le taux de pollution dans l’air et dans l’environnement. Le ppm permet de savoir combien de molécules de polluant sont dénombrées sur un million de molécules d’air.