vendredi 26 avril 2024
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La LFP part en croisade

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La Ligue de football professionnel a décidé de changer les règles et exige des clubs d’avoir leur siège en France. Une décision qui vise directement l’AS Monaco. Le club joue-t-il sa tête en championnat de France ? A-t-il les moyens de s’en sortir ? Pour Jean-Louis Campora et l’ASM, « cette décision met en péril la survie du club ».

Depuis maintenant une semaine, la nouvelle est officielle. Si l’AS Monaco veut se mettre en conformité avec le nouveau règlement de la Ligue de Football Professionnel (LFP), elle devra déplacer son siège social* en France. Une règle votée par le conseil d’administration de la LFP le 21 mars, à la demande, notamment, des autres présidents de club et de l’UCPF (Union des clubs professionnels français). Cette mesure implique en effet qu’à partir du 1er juin 2014, tous les clubs devront avoir leur siège de direction sur le territoire français.
Difficile de savoir ce qui a réellement motivé les représentants du football professionnel à la Ligue à passer brutalement la vitesse supérieure. Ni ce qui a poussé la LFP à annuler à la dernière minute, sans le moindre égard, la venue de Jean-Louis Campora à son conseil d’administration : l’ASM a été avertie par mail la veille de la réunion, aux alentours de 19h30, que la présence de son vice-président n’était plus souhaitée. Ambiance… Délaissant l’aspect sportif, les motivations ne semblent porter que sur un point : les avantages fiscaux. Car c’est là que le bât blesse, au moment où le président Hollande relance sa taxe sur les revenus supérieurs à un million d’euros (passant de 75 % à 66 %). « Le club est imposé sur les bénéfices au même titre que les autres. Ce qui est visé, ce sont les avantages fiscaux liés aux contrats des joueurs. En ce qui concerne la fiscalité des clubs, nous sommes à égalité », rappelle Jean-Louis Campora. L’AS Monaco dispose, de par la fiscalité monégasque, d’avantages sur les salaires. Comme tout résident monégasque, les joueurs étrangers de l’ASM ne paient pas d’impôts sur le revenu. Ce n’est pas le cas des joueurs français, assujettis à l’impôt sur le revenu et à l’ISF comme leurs compatriotes. Mais pour les présidents de club de l’Hexagone, l’ASM bénéficierait tout de même des 20 % d’écarts existant sur les charges sociales entre la France et Monaco. En clair, le salaire net des joueurs serait donc plus avantageux.

Crise, dette et jalousie
Depuis son entrée dans le championnat de France professionnel en 1933, et son retour en 1948, l’AS Monaco, créé en 1919 et affilié au n° 096, n’a plus quitté le monde pro. Si nombre des présidents se sont plaints périodiquement des avantages fiscaux du club de la Principauté, aucune action de cette envergure n’avait été intentée à son encontre. Car si la Ligue parle maintenant d’équité et d’égalité de traitement entre les clubs, c’est bien le club rouge et blanc qui est visé par cette mesure. Pourquoi aujourd’hui ? « Ça fait déjà quelques semaines qu’un certain nombre de présidents se font de la pub sur notre dos en parlant de nos avantages fiscaux par rapport aux autres, tempête Jean-Louis Campora. Il y a déjà là une mise au point nécessaire à faire. ». Certains présidents de clubs, Jean-Louis Triaud (à Bordeaux) et Michel Seydoux (à Lille) en tête, ne voient pas le retour de l’ASM en Ligue 1 d’un bon œil. Outre l’ombre de l’ASM sur les places qualificatives en Ligue des Champions, c’est la situation financière du football français qui se retrouve mise en lumière. D’après le dernier rapport publié par la DNCG, plus de la moitié des clubs engagés en L1 et L2 affichent des comptes déficitaires.

La DNCG pour les riches
Ces difficultés financières obligent donc les clubs à revoir leurs ambitions à la baisse. On voit ainsi des équipes comme l’Olympique de Marseille ou l’Olympique Lyonnais recruter à moindre coûts, et lancer de plus en plus de jeunes joueurs issus du centre de formation. Des politiques menées afin de réduire les dettes que les clubs connaissent. C’est d’ailleurs l’idée développée par Claude Michy, président de Clermont, dans les colonnes du Monde.fr. « Certains clubs en difficultés découvrent soudainement ce qui ne va pas chez les autres. On parle de Monaco, du Qatar, mais il y a aussi d’autres gens qui investissent dans leur équipe. […] Quand Lyon marchait très bien, je n’ai pas entendu qu’il fallait que la Principauté ait son siège social en France. On doit balayer devant sa porte. Le foot français est en déclin depuis 2010. […] Il y a une forme de dégradation financière qui s’est installée, ce n’est pas nouveau, mais ce n’est pas la faute de Monaco ». La dernière fronde venant du football hexagonal remonte en effet à la saison 2003-2004, à une époque où l’ASM s’était hissée en finale de la Ligue des Champions. A contrario, personne n’avait exigé un transfert de siège social lorsque lorsque Monaco était descendu en Ligue 2 en 2011. Or, avec la remontée quasi certaine du club, et la puissance financière dont dispose le président Rybolovlev, l’ASMFC est vu comme le principal concurrent du Paris-Saint-Germain. Il y a de grandes chances que le club du Rocher, à terme, brigue la deuxième place pour la Ligue Des Champions. Du moins si tout se passe comme prévu… Mais les frondistes ne semblent pas avoir jaugé ce qu’une telle position pourrait amener au foot français. La venue de stars dans le championnat français (comme on le voit pour Beckham) impliquerait mécaniquement un intérêt croissant de la part des supporters, une augmentation du nombre de licenciés et donc pour les clubs, une hausse des recettes de billetterie et de droits télé… Autre bonus potentiel : si les clubs engagés en Ligue des champions font un bon parcours, la France regagnera automatiquement des points UEFA et donc, des billets pour l’Europe. Ce qui lui permettra d’avoir plus d’équipes qui participeront à des compétitions européennes. La DNCG, par le biais de son président, a d’ailleurs indiqué, en préambule de son dernier rapport annuel, « que nous (la DNCG) sommes convaincus que l’avenir du football français passe prioritairement par des projets industriels faits d’investissements lourds en immobilisations corporelles et incorporelles, dont la rentabilité sera assurée sur le moyen/long terme. » Un bon point pour les clubs à fort potentiel économique. Un peu comme l’ASM en somme…

Contre-attaque
Après avoir fait le dos rond pendant le temps fort de l’instance du football professionnel français, le club s’apprête à lancer sa contre-attaque. Car si l’on peut continuer à s’interroger longtemps sur les réelles motivations de cette décision, qu’elles soient purement sportives ou que le politique entre en jeu, le club ne va pas rester sans rien faire et compte bien maintenir des droits acquis depuis des années. Juste après que la décision ait été prise à Paris, Jean-Louis Campora était décidé à ne pas rendre les armes : « Nous allons maintenant défendre nos droits. Sur la forme, il n’est pas normal qu’on n’ait pas pu présenter notre défense. La décision administrative a été prise, nous allons maintenant nous tourner vers nos conseils pour voir quelle est la marche à suivre et quels sont nos recours. » Après avoir encaissé la décision, l’ASM a reçu la notification officielle de la LFP ce week-end et peut désormais croiser le fer. C’est le cabinet Moyersoen, spécialiste en droit du sport, qui représentera les intérêts de l’AS Monaco. Selon Maître Patricia Moyersoen, contactée par Monaco Hebdo, plusieurs recours s’offrent au club. « C’est une décision à caractère général, même si ça ne vise que Monaco. Il va donc d’abord y avoir un recours devant le Conseil d’Etat, mais il y aura un préalable devant le Comité national olympique sportif français (CNOSF), ce qui constitue la partie procédurale. Dans le même temps, nous pouvons également faire l’objet d’une évocation de la FFF. On demande alors au Comité exécutif (CE) de la FFF de se saisir de la décision, puisqu’il a le pouvoir, lorsque l’intérêt du football français est en jeu, d’annuler une décision prise par la Ligue ».

Réussite
D’après les spécialistes, l’AS Monaco a des chances d’avoir gain de cause, même si cela ne sera pas facile. C’est l’avis du juriste Werner Hoeffner, diplômé de l’Académie de droit international de La Haye, qui enseigne le droit à l’Université de Nice et le droit du sport à l’école de journalisme de Nice. « Le jeu est assez ouvert, mais l’ASM peut s’en sortir. Plusieurs règles rentrent en considération. Difficile de savoir laquelle l’emportera sur les autres. » Mais une règle de l’UEFA pourrait bien donner raison à l’ASM. En effet, selon l’instance européenne, le siège social d’un club et le stade dans lequel il évolue ne peuvent être à deux endroits différents. C’est d’ailleurs la première raison qui avait empêché à deux reprises le club d’Evian-Thonon-Gaillard d’évoluer en Suisse pour ses matchs à domicile. Si le siège de l’ASM venait à être installé en France, ce problème viendrait alors à se poser. De plus, le président de l’OL, Jean-Michel Aulas, avait déclaré à L’Équipe du 15 mars : « On s’est juste rendu compte, après avoir demandé un deuxième avis au cabinet Clifford Chance, que la convention fiscale entre Monaco et la France pouvait s’imposer à la loi sur le sport. Et que nous pourrions être attaqués juridiquement par Monaco, ce qui nous coûterait très cher ». Une déclaration qui n’a cependant pas empêché le président des Gones de voter le texte, adopté à l’unanimité le 21 mars dernier.

Avenir en suspens
Reste que l’avenir de l’ASM est encore flou, même si côté sportif, il réalise un parcours honorable avec une actuelle première place en championnat. S’il venait à ne pas respecter la décision de la LFP, et que celle-ci n’était pas mise à mal, le club pourrait s’exposer à diverses sanctions. La plus sévère pourrait être une exclusion du championnat de France et des compétitions européennes. Selon LeFigaro.fr, une sanction financière pourrait toucher le club rouge et blanc, avec « la perte du droit à percevoir une partie des droits télés et marketing commercialisés par la Ligue. » Malgré nos sollicitations, les dirigeants de la LFP (Frédéric Thiriez), de l’UCPF (Jean-Pierre Louvel) et de l’UNFP (Sylvain Kastendeuch) n’ont pas souhaité donner suite à nos demandes d’interview.

* La LFP parlerait de direction effective.

Quelle égalité ?

« Il est important qu’il puisse y avoir une égalité de traitement entre les clubs », Valérie Fourneyron au journal L’Équipe. D’après Patricia Moyersoen, avocate du club dans cette affaire, c’est un faux problème. « Partir sur un principe d’égalité, oui, mais qu’est-ce que c’est ? On dit aux clubs d’avoir le même budget ? Il n’y a pas vraiment d’égalité. Certains clubs payent ou pas la classe sur les spectacles. Certains stades sont mis à disposition, d’autres pas. Ce principe d’égalité est un faux problème qui n’a pas été mesuré à sa juste valeur ».

Le droit communautaire

La LFP avance l’idée du droit communautaire pour obliger l’ASM à se plier à sa modification des textes. Werner Hoeffner, juriste et spécialiste en droit juridique européen, nous explique ce point. « Le sport constitue une activité économique au sens des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne et, à ce titre, doivent respecter les règles liées à l’existence du marché commun, essentiellement fondées sur l’absence de discrimination(s) entre les opérateurs considérés. Mais on pourrait objecter qu’en tant qu’Etat souverain, la Principauté n’est pas membre de l’Union européenne et qu’à ce titre elle ne saurait être soumise aux mêmes règles, notamment en matière de fiscalité sportive. Toutefois, la situation géographique (et historique) particulière de la Principauté a rendu indispensable la conclusion d’accords de partenariat avec la France et, plus largement, l’Union européenne. Ainsi, depuis 1968, la Principauté fait partie du territoire douanier communautaire, compte tenu de son union douanière avec la France. Elle est également membre de la zone Euro. »

Échos

Depuis que cette affaire a éclaté au grand jour, plusieurs personnalités de la planète football se sont exprimées. Comme l’écrivait L’Équipe du 15 mars, Jean-Pierre Louvel, président de l’UCPF, motivait cette décision comme suit. « Monaco joue avec une colonie étrangère impressionnante. Cela ne peut plus durer. Nous voulons tout simplement l’équité en matière fiscale et sociale ». Michel Seydoux, président de Lille, en a récemment remis une couche dans les colonnes du Parisien, en, déclarant que « c’est une question d’ordre éthique et moral. Il est inacceptable que la distorsion économique et fiscale en faveur de l’AS Monaco perdure, au moment même où l’on demande des efforts à tout le monde ». Eric Di Méco, ancien de la maison rouge et blanche, a vu ses récents propos rapportés par RMC. « Malheureusement, ce qui arrive aujourd’hui à Monaco est sous-jacent depuis des années. C’est normal que ça arrive aujourd’hui et je comprends les clubs français qui montent au créneau. » Habitué des phrases chocs, cette prise de position peut cependant en étonner quelques-uns. Toutefois, après que le club ait annoncé que « cette décision met ainsi en péril la survie de l’AS Monaco FC qui pourrait se trouver exclue des compétitions françaises et européennes, », c’est le gouvernement, qui, par le biais d’un communiqué, a tenu à assurer « le club et sa direction de l’attention qu’il portera à la défense de ses intérêts par l’ASM-FC ».

Supporters en colère

L’annonce de la LFP n’a pas plu aux supporters, c’est le moins que l’on puisse dire… Entre union sacrée et scandalisation, ils pointent du doigt la LFP.

«Je suis scandalisé, d’abord en tant que supporter, et en tant que Monégasque ». Jean-Paul Chaude, président du Club des supporters, ne mâche pas ses mots. Une phrase qui revient souvent dans les témoignages que nous avons recueillis. Mais s’ils sont choqués, les supporters de l’ASM ne sont pas pour autant surpris par cette décision, comme le confirme James, vice-président des Ultras 94. « Ça ne m’étonne pas venant de la LFP, mais on ne lâchera pas le club ». Un des points avancés par les supporters Rouge et Blanc est aussi la peur suscitée par la remontée du club et sa puissance financière. « On a l’impression qu’ils ne veulent pas deux grands clubs. On va remonter, on a un milliardaire aux commandes, le président Rybolovlev leur fait peur », nous explique Emmanuel. Toutefois, l’ombre d’un déménagement plane, et les aficionados de l’ASM ne resteront pas sans rien faire. « Des actions sont prévues, et s’il le faut, quitte à aller devant le siège de la Ligue, on ira », nous confie le vice-président des Ultras. Mais d’autres peurs habitent les fans asémistes. « Monaco est touché moralement dans sa course à la montée et d’ores et déjà affaibli pour la saison prochaine par un recrutement qui s’annonce plus compliqué », développe Romain Loulergue, supporter du club.

Mercato
Une idée qui trouve déjà sa réalité avec un agent de joueur qui aurait confié au vice-président Campora qu’il « attendait de voir » pour la prolongation de son joueur, d’après ce qu’a déclaré Jean-Louis Campora au Parisien. Les transferts pourraient être impactés, notamment lors des négociations de contrats, comme l’explique Eric Manasse, agent de joueurs FIFA. « Je ne pense pas que cela va se faire, mais dans le cas où cela arriverait, il y a de fortes chances que lors des négociations, cette imposition joue un rôle. A la différence de l’Italie, les charges ne sont pas payées par les clubs en France, donc ça fera une différence ».