jeudi 18 avril 2024
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« Campora a été
comme un père pour moi »

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Ancien avant-centre de l’ASM puis de Lyon, Sonny Anderson est aujourd’hui consultant pour beIn Sport. A la veille du match opposant l’AS Monaco à l’Olympique Lyonnais, le 27 octobre, il a accepté de revenir sur son passage dans les deux clubs, et livre son analyse sur le début de saison.

Le début de saison
Monaco Hebdo : Que pensez-vous du début de saison des deux clubs ?
Sonny Anderson : Je pensais que l’OL aurait mieux réussi son début de saison. Mais avec les blessures que Rémi Garde a eu à gérer dans son effectif, il n’a pas pu enchaîner les matchs avec le même groupe. Surtout à un moment crucial où se jouait la qualification en Ligue des champions. Il a perdu des joueurs, et les jeunes qui ont été appelés à les remplacer n’ont pas su gérer les difficultés. Il y a peut-être eu une forme de panique au sein de l’effectif. Je suis un peu déçu par rapport à l’état d’esprit et l’envie de gagner affichés par les Lyonnais. J’ai vu beaucoup de matchs, comme contre Evian, où il n’y avait pas l’envie de gagner et de se surpasser pour ne pas perdre.

M.H. : Et l’ASM ?
S.A. : En ce qui concerne l’AS Monaco, les débuts sont parfaits. A la différence de Lyon, Claudio Ranieri a pu disposer de tout son effectif depuis le début de la préparation, et a pu aligner son équipe type quasiment à chaque journée. Ce qui a permis de faciliter la mise en place d’automatismes entre les joueurs. On sent aussi un état d’esprit exemplaire, avec une grande solidarité.

M.H. : Les jeunes de l’OL ont du mal à assumer leur statut, tandis que ceux de l’ASM régalent. Est-ce une simple différence de niveau ?
S.A. : A Lyon aujourd’hui, les jeunes ne sont pas encadrés comme ils peuvent l’être à Monaco. Des joueurs comme Toulalan, Abidal, Moutinho, Falcao, Carvalho, qui ont joué au haut niveau, inspirent du respect par rapport à leur carrière. A l’entraînement, les jeunes progressent à leurs côtés, car ces joueurs expérimentés sont là pour les encadrer, et les remettre dans le droit chemin si besoin. A Lyon, il n’y pas ce genre de joueurs, qui vont pouvoir mettre les jeunes face aux réalités du terrain, quand les choses ne se passent pas bien. Lyon est une équipe très jeune, avec beaucoup de joueurs qui viennent de la CFA. On demande à des garçons comme Gonalons ou Grenier de prendre ce rôle parce qu’ils jouent en équipe de France, mais il ne faut pas oublier qu’ils n’ont même pas 25 ans. Monaco a les cadres pour faire progresser ses jeunes, ce que Lyon n’a pas. A Lyon, il n’y a pas les joueurs avec l’expérience nécessaire pour expliquer aux jeunes les bonnes attitudes à avoir.

M.H. : Vous pensez qu’il y a un problème d’état d’esprit ?
S.A. : Complètement. On a pu voir à Monaco l’an dernier que Rivière n’était pas au top. On pouvait presque même penser qu’il était sur le départ l’été dernier. Aujourd’hui, il joue à côté de Falcao et de grands joueurs, et son football réapparaît. Les grands joueurs font vraiment grandir les autres. Or aujourd’hui, comme je le disais, les jeunes de Lyon ne sont pas encadrés comme ceux de l’ASM. Or, quand vous arrivez en pro et que vous pensez avoir tout réussi, que tout est acquis, le problème est là. Vous jouez un ou deux matchs en pro, et vous pensez que votre carrière est lancée. Et là, vous ne faites plus les efforts, vous n’êtes plus à l’écoute. Mais c’est une erreur énorme. Il faut que quelqu’un leur explique certains principes de vie, de la vie en groupe.
Il y a cet état d’esprit aujourd’hui, et ce n’est pas forcément de leur faute, parce que c’est la société d’aujourd’hui. On donne tout sans avoir gagné quoi que ce soit. Au final, ils n’ont pas la «faim» qu’il faut pour arriver au haut niveau par la suite.

L’écart entre les deux clubs
M.H. : Qu’est-ce qui différencie ces deux clubs aujourd’hui ?
S.A. : Tout simplement ce qu’avait Lyon par rapport aux autres clubs français lorsqu’il a régné sur le championnat de France! L’OL avait des moyens financiers que les autres clubs n’avaient pas. Aujourd’hui, Monaco a des moyens que Lyon n’a pas. Ils ont recruté avec intelligence, car ils n’ont pas acheté pour acheter. Ils ont pris des joueurs confirmés, qui se connaissent, et qui ont évolué ensemble par le passé. Il y a aussi les jeunes du centre de formation, qui ont joué ensemble l’an dernier, et qui confirment cette année. A l’heure actuelle, Lyon ne peut plus monter une équipe de ce type car ils n’ont plus les moyens financiers pour le faire.

M.H. : Monaco est au début d’un cycle. Où en est Lyon selon vous ?
S.A. : Lyon a fini son cycle il y a deux ans, et essaye désormais de construire l’avenir. Le problème, c’est que construire l’avenir et être compétitif dans le même temps est pratiquement impossible. Lyon doit faire preuve d’intelligence. Si les jeunes de l’OL arrivent à comprendre qu’ils font le plus beau métier du monde, et qu’il faut être à 100% à l’entraînement et à 200% en match, alors cela veut dire qu’ils auront compris et qu’ils vont faire grandir le club. La vraie question qu’ils doivent se poser c’est : est-ce que je vais grandir moi pour partir, ou pour faire partie de l’histoire du club ? Je n’aime pas trop parler du passé et de mon époque, mais nous, on voulait faire grandir le club. Quand j’ai quitté Barcelone pour venir à Lyon, mon objectif était que le club devienne grand. Aujourd’hui, la plupart des jeunes pensent à eux, se disent qu’ils vont jouer à Barcelone, à Madrid…

M.H. : A Monaco, les jeunes font partie du projet. Que pensez-vous justement de ce projet mis en place par la direction ?
S.A. : Le projet est assez intelligent. Ils ont dépensé beaucoup d’argent pour recruter, mais ils n’ont pas oublié les jeunes, à l’image de Ferreira-Carrasco ou Kurzawa qui se sont imposés. Il y a ce mélange entre joueurs d’expérience et jeunes du centre. Les anciens vont faire en sorte de faire grandir ces jeunes. Viser le titre, pourquoi pas dès cette année, et jouer la coupe d’Europe l’an prochain, c’est une bonne chose. D’autant qu’ils ont pu mettre ce projet en place dans le calme et sans avoir la pression de devoir vendre des joueurs du fait de leur puissance financière.

Le duel PSG-Monaco
M.H. : Tout le monde parle de la lutte ASM / PSG. Quel est votre avis sur ce point ?
S.A. : Savoir si Monaco peut battre le PSG, c’est la question que tout le monde se pose. Moi je pense que le Paris-Saint-Germain n’est pas encore à 100%, que ce soit tactiquement, physiquement, et même dans son jeu. Les automatismes ne sont pas encore là, car beaucoup de joueurs sont arrivés en cours de préparation cet été. Alors que Monaco joue avec la même équipe depuis le début. Mais je pense que le titre sera pour Paris cette année encore.

L’enjeu du match ASM-OL
M.H. : Quelle importance ce match revêt-il pour chacune des deux équipes ?
S.A. : La confrontation directe ne jouera pas vraiment sur le classement vu qu’il y a beaucoup de points d’écart entre ces deux équipes. Mais si Monaco veut continuer à être en haut de tableau, il se doit de gagner ce match, surtout à la maison. S’il veut être champion, le club se doit de remporter ce genre de rencontres. Pour Lyon, l’objectif sera d’effacer sa mauvaise performance à Montpellier. Ces deux clubs doivent se prouver à eux-même qu’ils sont capables de revenir se placer parmi les grands.

M.H. : En parlant de grands, vous qui faites partie de la grande lignée d’avant-centres passés par l’ASM, que pensez-vous de Falcao ?
S.A. : J’ai toujours pensé, depuis qu’il était à Porto, que c’était un avant-centre unique en son genre. Dans la surface de réparation, il se jette sur tous les ballons. Ce fut le cas contre Paris. Il s’est adapté assez facilement au jeu en France, alors que ce n’est pas évident pour un attaquant de marquer des buts en France. Il ne devrait pas être loin du titre de meilleur buteur du championnat, parce qu’il va commencer à être à l’aise, à mieux connaître les défenses. Pour lui c’est encore nouveau. Mais Falcao s’est bien adapté au jeu et au football pratiqué en L1. En deuxième partie de saison, ce sera beaucoup plus facile pour lui.

M.H. : La situation actuelle de l’OL doit vous faire mal ?
S.A. : Oui, vraiment. On est passé par là, on a vu la difficulté qu’il y a pour faire en sorte que le club devienne grand. Et aujourd’hui ils n’arrivent pas à s’en sortir, parce que les problèmes financiers pèsent. Depuis des années, on n’avait pas vu Lyon occuper cette 14ème place (entretien réalisé avant Lyon-Bordeaux, 1-1, l’OL étant actuellement 11ème avant la 11ème journée de championnat, NDLR). Avant, la question était de savoir si le club allait être champion. Aujourd’hui, on se demande s’il sera au moins européen. Ça fait vraiment mal de voir ça.

L’Histoire
M.H. : Vous avez passé 3 ans à Monaco, et 4 ans à Lyon. Quels sont les meilleurs souvenirs que vous en avez gardé ?
S.A. : Lyon et Monaco, ce sont les deux clubs où j’ai le plus de souvenirs en L1. A mon époque (1994-1997, NDLR), l’ASM avait déjà pas mal de titres, des finales de coupe de France. Mon plus grand souvenir, c’est mon premier titre en France, en 1997, avant mon départ pour Barcelone, où j’ai été élu meilleur joueur du championnat de France. C’était une saison pleine pour moi. On avait une équipe de copains, de potes. On disait qu’il n’y avait pas de public à Monaco, mais on a tellement été forts dans le groupe, on s’entendait tous super bien, on était tout le temps ensemble à l’extérieur. L’année 1997, c’était merveilleux…

M.H. : Et à Lyon ?
S.A. : Il y en a eu plein. Quand vous êtes dans une équipe où il faut construire un palmarès, les émotions sont fortes dès qu’un titre arrive. Pour moi, je pense que c’est le tout premier titre avec Lyon, pas le championnat, mais la coupe de la Ligue remportée face à Monaco (2000/01, NDLR). On a amené toute la ville à Paris, au stade de France. On a réalisé le rêve des gens qui attendaient ça depuis 30 ans (Lyon a remporté le championnat de L2 en 1988/89, et son dernier titre avant ça remontait à 1973 et une victoire en coupe de France, NDLR). C’est vraiment mon souvenir le plus fort là-bas.

M.H. : Ce qui a différencié votre passage dans les deux clubs ?
S.A. : Monaco était un club qui avait déjà eu de grands joueurs, comme George Weah, Klinsmann, Scifo. Le club avait l’habitude de gagner et il fallait confirmer son statut d’un des meilleurs clubs de France et continuer à gagner des titres. A Lyon, en revanche, il fallait construire un palmarès et faire entrer le club dans la cour des grands.

M.H. : Le club où vous avez gardé le plus d’attaches ?
S.A. : A Lyon, parce que toute ma famille y est aujourd’hui. J’habite entre Lyon et Paris. La plupart de mes amis à l’époque qui jouaient à Monaco sont tous partis de là-bas. En revanche à Lyon, même s’ils ont arrêté le foot, ils y vivent encore. Je vis là-bas depuis 1999.

M.H. : Quelles sont les personnes qui vous ont le plus marqué à l’ASM ?
S.A. : Dans les staffs, j’ai eu de bons feelings avec Jeannot Tigana, Jean-Luc Ettori, avec qui je suis encore en contact. Chez les joueurs, il y a eu des mecs comme Thierry Henry, qui était au début de sa carrière, je l’ai pris un peu en main, David Trezeguet, Ali Benarbia. C’est surtout un groupe qui m’a marqué. Avec des gars comme Fabien Barthez, Thuram… On a eu un feeling tous ensemble. Et surtout le président Jean-Louis Campora. Je n’étais pas arrivé en Europe depuis longtemps, et Campora a été un peu comme un père pour moi. Mon départ pour Barcelone a été fait avec beaucoup de classe. J’ai vu dans ses yeux qu’il savait que c’était bien pour moi et pour le club. Le transfert était assez important. Pour moi, c’était important de partir, mais au fond de lui il ne voulait pas. Il pleurait un peu. Il y avait beaucoup de respect et d’amitié entre nous.

M.H. : Et à Lyon ?
S.A. : Sans mettre en défaut les autres clubs où je suis passé en France, Lyon, c’est un peu une partie de moi qui est là. C’est mon club de cœur en France aujourd’hui. J’y ai vécu des choses vraiment fortes, on avait un projet, on l’a mené à bien. Lyon est une vraie partie de moi aujourd’hui.

M.H. : Vous avez connu Thierry Henry à ses débuts, ainsi que Karim Benzema. Qu’est-ce qui les différencie ?
S.A. : Karim (Benzema) je l’ai connu quand j’étais dans le staff de l’OL et que j’entraînais les attaquants. Thierry, je jouais à l’ASM et il arrivait dans le groupe pro. Il était cadré, arrivait du centre de formation, et était toujours à l’écoute. Karim, lui, est devenu autonome assez rapidement. Henry était plus à l’écoute, tandis que Karim était beaucoup plus sûr de son jeu. Les choses sont arrivées rapidement pour lui, et il a très vite signé dans un grand club, où il a reçu le statut de star. Car quand on signe au Real Madrid, on est une star. Thierry lui, a commencé par Arsenal, où il s’est imposé au fur et à mesure, il a fait sa carrière petit à petit jusqu’à devenir l’un des grands attaquants de l’histoire du club.

M.H. : Vous parlez de Jean-Louis Campora, un mot sur Jean-Michel Aulas et Bernad Tapie que vous avez connu lors de votre passage à Marseille ?
S.A. : Jean-Michel Aulas, c’est un président actif et qui aime son club. Ça plaît ou ça ne plaît pas, mais c’est le genre d’homme qui ne laisse jamais indifférent. Tout ce qu’il fait, c’est pour son club. Il y a parfois des choses se passent, des maladresses, mais il est difficile de faire plaisir à tout le monde quand on gère une entreprise. Il y a des moments où l’on fait des mauvais choix, mais c’est la vie d’un président. J’ai passé des moments très difficiles dans ma vie quand j’étais à Lyon, et le président Aulas a été là pour moi. Bernard Tapie m’a laissé de bons souvenirs. On avait fait un match de préparation contre l’OM à l’époque où je jouais au Servette de Genève, et Tapie avait dit à ses joueurs qu’il allait me prendre. Ses discours m’ont impressionné lorsque je suis arrivé à l’OM. Il m’a tout de suite mis à l’aise et m’a dit «tu as 6 mois pour devenir une star». Il faisait en sorte que l’équipe joue pour moi, et a tout fait pour me mettre à l’aise. Si le club n’était pas descendu en L2 (suite à l’affaire VA/OM, NDLR), je serais resté.