vendredi 26 avril 2024
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Médecine : Monaco veut séduire les patients VIP

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Aujourd’hui, les établissements de la place misent sur le tourisme de santé haut de gamme. La preuve ? Le CHPG a accueilli récemment Sir Elton John pour une opération de l’appendicite.

De l’expression « tourisme médical » se dégage une image dépréciative. Celle du patient voyageant à l’autre bout de la planète en quête d’une opération à très bas coût, fut-elle médicale ou chirurgicale, et réalisée dans d’effroyables conditions sanitaires. C’est évidemment l’impression inverse que Monaco donne dès lors qu’il s’agit d’évoquer « l’attractivité médicale » de la Principauté. Le tourisme de santé, qui se dessine en terre monégasque, se veut haut de gamme, l’idée étant, à l’avenir, de structurer l’accueil de patients fortunés, qui payent plein tarif leurs séjours médicaux. Le conseiller de gouvernement pour les affaires sociales et la santé, Stéphane Valeri, résumait ainsi l’enjeu devant le conseil national, durant l’examen du budget rectificatif, le 8 octobre dernier : « Si nous faisons rentrer des clients avec des assurances privées à haut niveau, ce sera d’autant moins de déficits pour l’hôpital et d’autant moins de budget qu’on viendra vous demander pour compenser le déficit ». Il voit également en la venue de ces patients huppés un moyen de compenser l’application en principauté de la tarification à l’activité (T2A) à partir de 2014 « qui va impacter considérablement les recettes de notre hôpital ». Le message est limpide, Monaco sera bien content d’accueillir cette clientèle.
Le gouvernement, les institutions médicales (le Centre hospitalier Princesse Grace, le Centre cardio-thoracique, les Thermes Marins et IM2S) et le Conseil stratégique pour l’attractivité planchent donc sur le sujet. Monaco accueille déjà ces « personnes VIP non résidentes », selon les mots du directeur du CHPG, Patrick Bini, dans ses établissements. L’un des exemples les plus récents reste la venue de Sir Elton John, chanteur britannique dont la présentation n’est plus à faire, pour une opération de l’appendicite à l’hôpital début août.
Tabloïds et fans ont appelé en masse au standard de l’établissement pour en savoir plus mais se sont heurtés au silence de l’hôpital monégasque. Ce mutisme assure la tranquillité du patient « VIP », l’une des conditions de l’attractivité médicale. « De par la notoriété du CHPG, il y a toujours eu une patientèle à hauts revenus mais nous n’avons jamais communiqué sur le nom des personnalités qui viennent se faire soigner », note Patrick Bini.

Atouts
Voilà trois ans que l’hôpital monégasque examine la manière la mieux appropriée et la plus rémunératrice pour ses finances de recevoir ces patients qui disposent d’assurances privées. « Nous avons visité une clinique en Suisse très orientée dans ce domaine et un hôpital parisien renommé. Puis, dans le cadre de la réflexion sur l’attractivité de Monaco, le gouvernement a indiqué que l’amélioration de l’accueil en principauté était une priorité et nous souhaitons nous inscrire dans cette démarche. Nous sommes en train de formaliser notre offre. Il est indispensable que le CHPG présente une offre de qualité », explique Patrick Bini. Aux deux chambres premium de la maternité, dotées d’un système multimédia dernier cri et d’un balcon donnant sur la mer, viendront s’ajouter de nouveaux espaces dédiés aux VIP. « A court terme, nous allons utiliser les deux derniers étages du bloc C des Tamaris pour aménager trois ou quatre suites VIP pour effectuer des bilans. L’idéal serait de pouvoir disposer de cette structure courant 2014. Ce projet sera pour nous un galop d’essais avant de pouvoir mettre en place, dans le cadre du nouveau CHPG, une offre très complète en direction des VIP. Une unité de bilans et des chambres VIP vont être créés à moyen terme. A long terme, dans le futur CHPG, le dernier étage sera uniquement composé de chambres VIP. Il y en aura aussi une dans chaque service de l’hôpital », détaille le directeur de l’établissement.
Outre l’hôpital, les autres institutions médicales de la principauté disposent elles aussi d’atouts non négligeables pour l’attractivité souhaitée. « Le CCM a des attraits évidents. Il y a une extrême rapidité de réaction, un noyau de spécialistes peu nombreux, un plateau technique hyper moderne. Si quelqu’un arrive avec une douleur thoracique au CCM, nous sommes l’un des seuls centres au monde où un diagnostic pourra être établi en deux heures. Il y a ensuite une discussion autour du meilleur traitement et nous prenons une décision collégiale. Qui plus est, il y a au CHPG des médecins très compétents dont les avis peuvent être pris en compte également », liste le professeur Gilles Dreyfus, directeur médical du Centre cardio-thoracique.

« La médecine est aussi un business »
Pour défendre l’attractivité médicale, les établissements concernés jouent ensemble les VRP dans le cadre de voyages étatiques accompagnés de missions de la CDE, à l’instar du récent déplacement d’Albert II en Russie (voir p. 24), ou de salons, comme celui sur le tourisme médical lancé l’an dernier à Monaco. Une brochure destinée à présenter l’ensemble de l’offre de soins de la principauté et préparée par le département de la santé et des affaires sociales devrait bientôt être éditée. Mais la forte concurrence qui régit le marché du nomadisme médical peut également inciter les institutions médicales monégasques à élaborer leur propre stratégie pour attirer des patients. « Malheureusement, la médecine est aussi un business (nomadisme médical). Au Royaume-Uni, les cliniques et les structures publiques payent quelqu’un à temps plein pour aller démarcher des groupes de malades, soit des groupes sociaux, soit par le biais des assurances dans les pays du Golfe, par exemple », souligne le professeur Gilles Dreyfus, selon qui « la commission pour l’attractivité médicale devrait s’atteler à un démarchage structuré, à l’image de ce qui se fait dans les pays anglo-saxons ». « Il vaut mieux jouer l’équipe que l’individu, tout en sachant qu’on vend parfois un nom connu ou reconnu de façon internationale, mais qui s’appuie sur une équipe compétente. Je pense que Monaco a beaucoup de possibilités d’attractivité médicale et avec des actions cohérentes et concertées, on pourra à la fois attirer des groupes de malades aussi bien que des malades VIP », développe le directeur médical du centre cardio-thoracique.
Du côté du CHPG, des « supports d’information » en italien, russe et anglais visant la patientèle haut de gamme ont été établis. « On travaille avec des intermédiaires pour la cibler. Nous avons notamment un partenariat avec l’association France Ukraine Russie. Nous allons ainsi accueillir des cadres de la société Gazprom qui souhaitent bénéficier de bilans médicaux […] Il faut que l’on s’adapte à cette patientèle. Nous savons quelles nationalités pourraient être intéressées par notre offre. Cependant, nous savons bien aussi que nous ne sommes pas les seuls. L’Allemagne, la Grande-Bretagne, la Suisse se sont aussi positionnés sur ce créneau très concurrentiel », précise Patrick Bini. S’il veut réussir, Monaco devra aussi se montrer compétitif au niveau tarifaire, du fait de la pluralité de l’offre. « Ou l’on démarche un public très ciblé pour qui le coût n’est pas un problème mais je ne crois pas à la médecine pour quelques happy fews, ou l’on fait une médecine pour le plus grand nombre, et là, le coût rentre en jeu. Monaco est-il alors compétitif ? Je ne sais pas : à Vienne ou à Munich, par exemple, une même intervention peut coûter beaucoup moins, du fait du démarchage médical. Des structures de soins en Autriche ou en Allemagne, par exemple, ont des prix bas, parce qu’ils ont des contrats portant sur des groupes importants de malades », analyse Gilles Dreyfus.

Pas d’opposition résidents/VIP
Même si les patients à fort revenus sont ciblés, les acteurs de l’attractivité médicale veulent éviter un distinguo entre la population résidente de Monaco et les VIP. Stéphane Valeri a ainsi démonté « la critique qui voudrait opposer l’unité de bilan à la population monégasque », qu’il juge « infondée et déplacée ». « Les résidents monégasques seront très bien soignés aussi dans cette unité. Que l’on soit monégasque, résident ou non, une unité de bilan est utile pour la prévention en médecine. C’est très important. Ces recettes que nous allons, éventuellement, réussir à avoir, on profitera pour faire du social, pouvoir continuer à financer une médecine de qualité pour toute la population de Monaco. Une politique sociale avancée dont on sait qu’elle coûtera toujours plus cher avec la dépendance et le vieillissement de la population », a-t-il déclaré.
Etablir une différence entre deux catégories de patients pourrait même nuire au message que souhaite véhiculer Monaco. « Ce n’est pas parce qu’on est à Monaco qu’on peut attirer les VIP sur le plan médical. On ne peut les attirer que si on dispose d’une structure médicale de très haut niveau et qui soigne de la même façon les VIP et ceux qui ne le sont pas. Les grandes structures de soins américaines ont un volume d’activité élevé et soignent les gens de la même façon. Si on soigne les VIP différemment des autres, c’est là que les ennuis peuvent commencer », relève le professeur Dreyfus.
La dynamique de l’attractivité médicale est enclenchée. Elle s’est accompagnée d’une première en juillet dernier. KB Health Partners devenait la première société autorisée par le gouvernement monégasque à pouvoir organiser « des séjours liés au tourisme médical de luxe ainsi que toutes prestations s’y rapportant ». Sollicitée, cette entreprise, russe, n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien. Monaco commence à peine à travailler son image sur le plan médical mais il reste encore beaucoup de travail. En témoigne le constat du directeur du centre cardio-thoracique : « Je ne sais même pas si un Russe qui viendrait en vacances à Monaco avec un problème cardiaque sait qu’il peut se rendre au CCM. Il y a même des gens en principauté, qui ne savent pas que le CCM accepte tous les malades, pensant qu’il est réservé à une élite. C’est une image totalement à l’inverse de la réalité. »