mardi 23 avril 2024
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Rapport Sauvé : après le choc, les réactions

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Plus d’une semaine après sa publication, le rapport de la commission d’enquête Jean-Marc Sauvé sur les abus sexuels dans l’Église catholique française provoque toujours de forts remous.

« C’est un véritable choc pour nous tous. » Interrogé trois jours après la publication du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) dirigée par Jean-Marc Sauvé, l’abbé Christian Venard, en charge de la communication du diocèse de Monaco, nous a avoué sa surprise et son « effroi ». Il faut dire que les chiffres révélés par la Ciase sont édifiants. Après deux ans et demi de travail, ce document de plus de 2 000 pages estime qu’au moins 216 000 mineurs ont été victimes d’abus sexuels au sein de l’Église en France entre 1950 et 2021. Ce nombre atteint « 330 000 si l’on ajoute les agresseurs laïcs », précise la commission Sauvé, tout en indiquant que cette estimation comprend une marge d’erreur d’environ 50 000 personnes. Quant au nombre de pédocriminels, il serait entre 2 900 et 3 200, un chiffre qui est un « plancher », et qui ne fait état que des hommes, a indiqué Jean-Marc Sauvé. Les victimes sont à 80 % des garçons, essentiellement âgés entre 10 et 13 ans. Cinquante-six pour cent des faits se sont déroulés entre 1950 et 1969. Au total, 6 500 contacts ont été reçus par la commission mise sur pied par l’ancien vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé. Ce sont ensuite 250 auditions qui ont été réalisées et de minutieuses recherches dans les archives de l’Église bien sûr, mais aussi des ministères de la justice, de l’intérieur et dans la presse également. Nos confrères du journal La Croix évoquent aussi 45 propositions qui ont été livrées avec ce rapport à l’épiscopat français ainsi qu’aux ordres et congrégations religieuses.

Après deux ans et demi de travail, ce document de plus de 2 000 pages estime qu’au moins 216 000 mineurs ont été victimes d’abus sexuels au sein de l’Église en France entre 1950 et 2021. Ce nombre atteint « 330 000 si l’on ajoute les agresseurs laïcs »

« Une honte absolue »

Si ces chiffres sont plus bas que dans les cercles familiaux et amicaux, ils sont en revanche plus élevés qu’à l’école. Les 22 membres de la commission d’enquête ont pointé la figure d’autorité du prêtre et sa « sacralisation excessive » comme un début d’explication à cette situation. Selon Jean-Marc Sauvé, jusqu’au début des années 2 000, l’Église a montré une « indifférence profonde, et même cruelle, à l’égard des victimes ». Face à cela, la Ciase appelle donc l’Église catholique à tenter de réparer ce qui peut l’être encore, notamment à travers un système d’indemnisation. Un dispositif prévoyant un dédommagement financier a été évoqué par l’épiscopat au printemps 2021. Les premiers versements devraient intervenir en 2022. « Nous, Église de Monaco, nous ne voulons pas nous placer en donneurs de leçons sur cette question-là. On prend en pleine figure ce qui arrive à l’Église de France, parce que c’est une Église dont on est très proche. Donc, à notre tour, on essaie de réfléchir à ces questions si douloureuses », a réagi l’abbé Christian Venard. Le pape François s’est exprimé par l’intermédiaire du porte-parole du Vatican. Évoquant une « effroyable réalité », il a indiqué que « ses pensées se tournent en premier lieu vers les victimes, avec un immense chagrin pour leurs blessures et gratitude pour leur courage de dénoncer ».

Quant au nombre de pédocriminels, il serait entre 2 900 et 3 200, un chiffre qui est un « plancher », et qui ne fait état que des hommes, a indiqué Jean-Marc Sauvé. Les victimes sont à 80 % des garçons, essentiellement âgés entre 10 et 13 ans. Cinquante-six pour cent des faits se sont déroulés entre 1950 et 1969

Parmi les autres réactions marquantes, on peut citer Véronique Margron, la présidente de la Corref (instituts et ordres religieux) : « Que dire, sinon éprouver […] une honte charnelle, une honte absolue ». Du côté des associations de victimes, certaines ont expliqué que, désormais, elles étaient dans l’attente de « réponses claires et tangibles de la part de l’Église de France ». Dans un communiqué, elles disent attendre que « les évêques et responsables religieux de tous niveaux respectent et appliquent chacune des préconisations de la Ciase, commission d’enquête qu’ils ont eux-mêmes suscitée. Le temps n’est plus aux paroles qui n’engagent que ceux qui les écoutent et qui dispenseraient l’Église et ses représentants de les traduire en actes ! ». Sur le réseau social Twitter, et alors que Monaco Hebdo bouclait ce numéro le 12 octobre 2021, les réactions continuaient à se multiplier, notamment sous les hashtags #AussiMonEglise et #MyChurchToo, poussés par des influenceurs catholiques, comme Erwan Le Morhedec, notamment. Choqués par les révélations du rapport Sauvé, des laïcs ont utilisé ces hashtags pour exiger des réformes et des actes forts.

« Sans doute, tous les évêques français n’ont-ils pas couvert des crimes, mais la structure même de la hiérarchie catholique suppose une continuité et une solidarité entre chaque évêque et son prédécesseur. À ce titre, si tous ne sont pas coupables, tous sont responsables »

Anne Soupa, Christine Pedotti et François Devaux

« Aggiornamento »

Le 11 octobre 2021, d’autres voix se sont faites entendre. Le cofondateur de l’association de victimes La Parole libérée, François Devaux, la théologienne Anne Soupa et la directrice de la rédaction de Témoignage chrétien Christine Pedotti, ont lancé un appel à la « démission collective des évêques ». Intitulé « Face à la faillite, la démission des évêques est la seule issue honorable », ce texte estime que « bien plus que des défaillances, le rapport de la Ciase met en lumière une véritable faillite ». Face à cela, la démission représente pour ces personnalités « un premier acte de repentir concret, coûteux, à l’égard des victimes. C’est la seule attitude qui peut permettre de restaurer la maison Église ». Anne Soupa, Christine Pedotti et François Devaux mettent en avant des précédents : au Chili, en mai 2018, des évêques ont présenté leur démission suite à des révélations liées à une affaire de pédocriminalité.

Le pape François s’est exprimé par l’intermédiaire du porte-parole du Vatican. Évoquant une « effroyable réalité », il a indiqué que « ses pensées se tournent en premier lieu vers les victimes, avec un immense chagrin pour leurs blessures et gratitude pour leur courage de dénoncer »

Même chose en Allemagne, où, en juin 2021, le cardinal Marx, archevêque de Munich, a lui aussi présenté sa démission, jugeant qu’il devait assumer sa part de responsabilité dans un dossier concernant des abus sexuels. « Sans doute, tous les évêques français n’ont-ils pas couvert des crimes, mais la structure même de la hiérarchie catholique suppose une continuité et une solidarité entre chaque évêque et son prédécesseur. À ce titre, si tous ne sont pas coupables, tous sont responsables », soulignent les signataires de ce texte, tout en proposant au pape François un nouveau représentant : Véronique Margron, présidente de la Corref (instituts et congrégations religieux). Rien n’indique que ces attentes recevront une réponse positive, mais elles marquent le souhait de certains fidèles de voir l’Eglise faire réellement un ménage. Un « aggiornamento » est parfois réclamé, mettant en exergue le désir d’une profonde réforme des pratiques et des structures de l’Église. Visiblement marqué par ces deux ans et demi de travail intense, Jean-Marc Sauvé a conclu son intervention du 5 octobre 2021 devant la presse par ces mots : « La mission de la commission prend fin […], nous passons le témoin à l’Église ».

Robert Gelli © Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

Secret de la confession : La loi monégasque permet une levée du secret professionnel

À Monaco, peut-on être délié du secret si l’on est avocat, médecin ou religieux ? Suite au rapport publié le 5 octobre 2021 par la commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), c’est la question que beaucoup se posent en principauté. Interrogé par Monaco Hebdo, le secrétaire d’État à la justice, Robert Gelli, rappelle que l’article 308 du code pénal réprime la révélation de secrets faite par toutes personnes dépositaires, « par état ou par profession », du secret qu’on leur confie, en dehors des cas où la loi les oblige, ou les autorise, à se porter dénonciateurs. La violation du secret professionnel est passible d’une peine de six mois à un an de prison et/ou d’une amende. Les avocats, les notaires, et les personnes soumises au secret médical font notamment partie des personnes concernées par le secret professionnel. « Ce secret professionnel s’applique également aux ecclésiastiques, le secret de la confession étant assimilé à un secret professionnel », souligne Robert Gelli. Mais la loi monégasque permet aussi une levée de ce secret professionnel pour informer les autorités administratives et judiciaires « de privation ou de sévices qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger, en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique » [article 308-1 bis du code pénal — NDLR]. Du coup, « un prêtre, un médecin ou un avocat qui voudrait révéler des infractions d’atteintes sexuelles sur mineur entendues lors d’une confession, a la possibilité de le faire, et n’encourt alors aucune poursuite », ajoute le secrétaire d’État à la justice. En cas de non-dénonciation d’un crime, le code pénal monégasque prévoit dans son article 279 un emprisonnement de six mois à trois ans et de l’amende. Cela concerne notamment « celui qui, ayant connaissance d’un crime contre les personnes, déjà tenté ou consommé, n’aura pas aussitôt averti les autorités judiciaires ou administratives, alors qu’une dénonciation était encore susceptible d’en prévenir ou limiter les effets ou lorsqu’il existait des circonstances de nature à laisser prévoir que les coupables commettraient de nouveaux crimes que cette dénonciation eût pu empêcher ». En France, la Ciase a estimé que le secret de la confession « ne peut pas être opposé à l’obligation légale de signalement de violences sexuelles » sur mineur.

Pour lire notre interview de Christian Venard, délégué épiscopal à la communication du diocèse de Monaco au sujet du rapport de la commission Sauvé, cliquez ici.