jeudi 28 mars 2024
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Illectronisme – Pascal Rouison : « Il est essentiel de pérenniser cette politique d’inclusion numérique »

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Comment le gouvernement monégasque fait-il face à l’illectronisme ? Pascal Rouison, conseiller technique et responsable de la délégation interministérielle en charge de la transition numérique, a répondu aux questions de Monaco Hebdo. Interview.

En 2021, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) estimait que 16,5 % des Français, et 13 millions selon le Défenseur des droits, étaient en difficulté avec le numérique : quelle est la situation à Monaco ?

Le dernier rapport annuel de l’Institut Monégasque de la Statistique et des Études Économiques (IMSEE) souligne que 25 % de la population monégasque et résidente a plus de 65 ans. L’inclusion numérique est un enjeu évident pour les populations les plus « seniors ». Malgré les idées reçues, c’est aussi un enjeu pour les populations plus jeunes, car la maîtrise du numérique ne se résume pas à l’usage des réseaux sociaux. Il y a également les personnes en situation de handicap, pour qui les sites Internet sont rarement accessibles. Et pourtant, le numérique prend une place exponentielle dans notre quotidien. Sans un accès maitrisé au numérique, le risque est de s’informer moins, de renoncer à certains de ses droits, voire de s’isoler.

« A Monaco, ce n’est pas une lutte, contrairement à beaucoup d’autres pays. Nous ne voulons pas un passage en force, nous laissons le choix à la population. Nous avons conscience que le contact humain est indispensable, et que le numérique doit être vu comme une opportunité, et non pas une menace »

L’âge n’étant pas toujours un facteur déterminant, même avec le renouvellement des générations, il y aura toujours des personnes touchées par l’illectronisme : la lutte doit donc être permanente ?

L’illectronisme est un phénomène transgénérationnel. Nous devons faire en sorte que tout le monde soit intégré à la dynamique d’apprentissage exigée par l’évolution rapide des technologies numériques. Depuis quatre ans, la principauté de Monaco, sous l’impulsion du prince Albert II, a lancé un vaste chantier de transformation numérique du pays appelé « Extended Monaco », qui touche tous les domaines. L’économie, la santé, le paysage urbain, les transports, nos loisirs, l’éducation… Mais à Monaco ce n’est pas une lutte, contrairement à beaucoup d’autres pays. Nous ne voulons pas un passage en force, nous laissons le choix à la population. Nous avons conscience que le contact humain est indispensable, et que le numérique doit être vu comme une opportunité, et non pas une menace. A ce titre, l’apport du numérique à l’école est fondamental pour le développement des compétences et des capacités cognitives et sociales des élèves. C’est la raison pour laquelle à Monaco, la programmation informatique commence dès la maternelle, avec des jeux ludiques, pour préparer cette jeune génération au monde de demain. Cela fait partie désormais des fondamentaux de l’éducation monégasque, au même titre que lire, écrire, ou compter. La principauté s’est notamment distinguée en remportant l’année dernière la « Europe Code Week ».

Frédéric Genta, le délégué interministériel à l’attractivité et à la transition numérique, évoque souvent l’importance des infrastructures numériques dans la modernisation d’un pays : est-ce aussi un moyen de lutter contre la fracture numérique ?

L’exclusion numérique peut prendre deux formes : il y a l’exclusion par les compétences — dont nous venons de parler — et l’exclusion par l’équipement, du fait d’un manque d’accès aux réseaux et aux outils. L’équipement et la formation sont les deux piliers fondamentaux pour réussir. Cela n’aurait pas de sens de disposer d’infrastructures et d’outils à la pointe de la technologie, et que nos usagers ne puissent pas s’en servir. C’est la raison pour laquelle Frédéric Genta a fait de l’inclusion numérique et de la formation deux de ses priorités, maintenant que la vaste majorité des services numériques sont disponibles. Pour pallier ce risque, nous avons construit à Monaco des routes numériques modernes et aux plus hauts standards de sécurité, sur lesquelles notre pays pourra s’appuyer de manière souveraine et durable. La couverture 5G de l’ensemble du territoire et la mise en place d’une fibre ultra-performante nous procurent la connectivité nécessaire. Notre identité numérique offre à nos usagers le plus fort niveau de sécurisation dans leurs échanges avec des services de l’Etat. Enfin, le cloud souverain permet à nos entreprises de disposer de services numériques avancés, à un niveau de sécurité très élevé, et à des coûts avantageux.

En France, l’ancienne ministre de la transformation et de la fonction publique, Amélie de Montchalin, a assuré en septembre 2021 que 212 des 250 formalités considérées comme « essentielles à la vie quotidienne des Français » pouvaient être effectuées en ligne : quels sont les chiffres à Monaco ?

On estime qu’à Monaco, 140 démarches administratives sont jugées « essentielles » à la vie quotidienne des Monégasques, résidents et entreprises. Aujourd’hui, environ 120 démarches sont dématérialisées dans tous les domaines (éducation, transport, emploi, logement, social, relation avec l’administration etc.), soit plus de 85 % des démarches courantes.

« 100 % des démarches administratives jugées essentielles à la vie quotidienne seront dématérialisées d’ici fin 2024 »

A Monaco, la totalité des services publics seront dématérialisées à quelle date ?

Nous considérons que 100 % des démarches administratives jugées essentielles à la vie quotidienne seront dématérialisées d’ici fin 2024.

La dématérialisation des différents services publics engendre parfois une impression de déshumanisation de l’administration, ainsi qu’une sorte de colère sociale : comprenez-vous ces sentiments ?

A Monaco, notre objectif est simple : offrir un accès numérique, plus facile, plus rapide, plus efficace et sans contrainte horaire, à l’ensemble des services de la vie courante. Mais sans sacrifier ni l’humain, ni la proximité : nous avons fait le choix de pouvoir proposer n’importe quelle démarche aussi bien physiquement qu’en ligne. Mais, je le répète, la proximité avec nos administrés n’en a pas pâti. En plus des guichets physiques ouverts toute la semaine dans les services de l’Etat, un centre de relations aux usagers est également disponible. En 2022, nos conseillers ont reçu près de 20 000 appels. Aussi, nous avons remarqué que le numérique bénéficie d’un véritable engouement à Monaco : dès qu’une démarche existante est dématérialisée, 4 usagers sur 5 recourent à sa version en ligne.

En France, les collectivités et les organismes publics et sociaux ont lancé une série d’initiatives pour lutter contre l’illectronisme : à Monaco, que fait le gouvernement pour tenter de réduire la fracture numérique ?

De nombreuses initiatives ont été mises en place en principauté pour accompagner la population sur le terrain et prévenir l’illectronisme, et ce, quel que soit l’âge. Je le répète, l’intégration de la dimension numérique dans nos pratiques pédagogiques est essentielle. Au-delà de la programmation, nous avons équipé 100 % des élèves du collège Charles III, du lycée Albert Ier et du lycée technique. L’association Action Innocence fait aussi un travail remarquable de prévention auprès des jeunes sur les risques et les dérives liés à l’usage numérique. Aussi, nous mettons à disposition une plateforme numérique qui simplifie l’accès aux ressources pédagogiques. Nous avons également ciblé la formation des dirigeants, salariés, étudiants, et jeunes diplômés, en proposant un catalogue de formations dans le cadre de notre programme Extended Monaco pour l’entreprise. En quatre ans, plus de 3 500 personnes ont été formées et accompagnées par des experts. Au sein même du gouvernement, les fonctionnaires et agents peuvent se former gratuitement aux nouveaux outils numériques. De plus, ils ont été équipés pour travailler en mobilité. Je souhaite également mettre en avant les actions de Céline Cottalorda, déléguée interministérielle pour les droits des femmes, qui a notamment misé sur le numérique pour favoriser l’égalité des genres, et offrir de nouveaux outils dans la lutte contre les violences faites aux femmes. L’accessibilité des sites Internet institutionnels est également un sujet sur lequel nous travaillons pour les personnes en situation de handicap : déficience visuelle ou auditive, mobilité réduite, et troubles cognitifs. Les efforts nécessaires sont faits pour permettre à toute la population d’y avoir accès facilement.

« En plus des guichets physiques ouverts toute la semaine dans les services de l’Etat, un centre de relations aux usagers est également disponible. En 2022, nos conseillers ont reçu près de 20 000 appels »

Une politique d’inclusion numérique doit-elle être pérennisée à Monaco ?

Il est essentiel de pérenniser cette politique d’inclusion numérique. Toutes nos infrastructures ont été créées et lancées sur le territoire : elles sont le socle fondamental qui permettra au numérique de rendre service et d’accompagner la population, et ainsi être un vecteur de développement de notre économie.

La France visait l’ouverture de 2 500 guichets physiques d’accès aux services publics essentiels d’ici fin 2022, dans le cadre du programme France services, fonctionnant avec 4 000 conseillers numériques : à son échelle, la principauté a-t-elle suivi la même logique ?

Nous travaillons avec Monaco Telecom sur l’ouverture très prochaine d’un espace en ville dédié au numérique, et accessible à tous. Ce lieu permettra d’accueillir toutes les personnes souhaitant s’informer, se documenter, échanger et se former sur le numérique, avec des conseillers présents en permanence sur place. L’ensemble de la population et des professionnels pourront tirer le meilleur du numérique. C’est la même approche que nous avons avec notre opérateur cloud, Monaco Cloud, afin d’accompagner les entreprises dans leur migration vers le cloud souverain, certifié en Europe. Au niveau du service public, les services de l’État ouverts au public ont conservé leurs guichets d’information, et les agents ont été sensibilisés et accompagnés dans l’apprentissage des nouveaux usages numériques. Cela fait partie de notre culture, maintenant.