vendredi 19 avril 2024
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Juliette Rapaire : « On peut enfin dire qu’on est féministe à Monaco »

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Un nouveau mouvement féministe, baptisé les Nouvelles Réformatrices, pourrait voir le jour à Monaco sous la houlette de Juliette Rapaire. Cette Monégasque de 27 ans, productrice de contenus chez Monaco Info, s’est révélée politiquement au grand public sur la liste d’opposition Nouvelles idées pour Monaco (NIM), lors de l’élection nationale de février 2023. Le 8 mars 2023, elle a organisé un “sit-in” sur la place d’Armes, pour défendre les droits des femmes (1). Interview.

Pourquoi avoir choisi de mener une action silencieuse, un “sit-in”, pour la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars 2023 ?

C’était la première action du genre. Il y a déjà eu des manifestations non féministes, comme des grèves et des manifestations en principauté, mais des actions féministes citoyennes, et non gouvernementales comme cette initiative, c’était la première fois. Il faut aussi préciser qu’il n’y a pas d’association derrière cette action. Ce sont des femmes et des hommes, des résidentes et des non résidentes, notamment des étudiantes de l’International University of Monaco (IUM), qui ont choisi de s’engager.

Juliette Rapaire Les Nouvelles réformatrices
« Monaco fait 2 km2 sur une planète Terre qui est très vaste. On est bien sûr obligé de parler des droits des femmes, dans leur ensemble. » Juliette Rapaire. © Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

Vous aviez peur de ne pas pouvoir organiser une manifestation à l’esprit féministe ?

Si nous avons choisi de mener une opération silencieuse, c’est aussi parce que nous avions abordé un sujet assez “touchy” [assez sensible — NDLR], qui est celui de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Mais sans parler. Nous l’avons fait à l’aide de pancartes qui ont été validées par les policiers.

Que disait cette pancarte ?

« Ma vie, mon corps, mon choix », suivi d’un hashtag #IVGMonaco. Nous avions peur que la manifestation ne soit pas autorisée si on parlait de ce sujet sensible, mais ça n’a pas été le cas. Nous avons également abordé d’autres thématiques à travers nos pancartes, comme la question de la liberté des femmes en Iran, et celle des femmes ukrainiennes également, en contexte de guerre.

« Si nous avons choisi de mener une opération silencieuse, c’est aussi parce que nous avions abordé un sujet assez “touchy” [assez sensible — NDLR], qui est celui de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Mais sans parler. Nous l’avons fait à l’aide de pancartes qui ont été validées par les policiers »

Juliette Rapaire

En manifestant en plein centre de Monaco, sur la place d’Armes, vous vouliez faire réagir ?

Nous avons voulu montrer que, sans crier, sans parler, on peut quand même faire réagir les gens et les faire réfléchir. Nous étions sur une place assez passante, avec des enfants, des gens qui prennent le café, le thé… Pour ces gens, c’était saisissant de voir ce groupe où personne ne bouge, où personne ne parle. Je trouve que c’est encore plus fort.

Juliette Rapaire Les Nouvelles réformatrices
© Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

Le but est d’ouvrir la parole ensuite, après cette action ?

Exactement. Les gens nous ont vus. Certains se sont arrêtés quelques minutes pour lire nos pancartes et échanger. Lorsqu’ils sont rentrés chez eux, ils y réfléchissent encore. Ils se disent peut-être que les droits des femmes ne sont pas encore acquis à Monaco, et dans le monde. C’est un sujet très important. Et, depuis plusieurs années, on peut enfin parler et dire qu’on est féministe à Monaco. On peut parler des femmes librement.

Il n’y a pas encore d’association derrière votre action, mais est-ce un projet pour poursuivre le mouvement ?

On y a réfléchi avec quelques personnes. L’idée serait, en effet, de créer une association féministe. Nous n’y sommes pas encore, mais c’est en projet. Nous en sommes aux prémices [à ce sujet, lire notre encadré, par ailleurs — NDLR].

Parmi les quinze personnes qui ont organisé ce “sit-in”, qui trouvait-on ?

Il y avait des étudiantes de l’IUM, des femmes ukrainiennes et iraniennes, des Monégasques, des résidentes, et deux hommes, dont Jean-Charles Tonelli [son colistier sur la liste Nouvelles idées pour Monaco (NIM), lors de l’élection nationale de février 2023 — NDLR]. Nous avons essayé de faire une représentation de Monaco qui soit cosmopolite et internationale, et de tous les âges.

Le moteur de votre engagement politique est né lors de la campagne électorale que vous avez menée avec les NIM et sa tête de liste, Daniel Boeri ?

Je ne pensais pas avoir autant d’impact à ce moment-là. Je me suis lancée dans la campagne politique en ayant ce sujet de l’IVG à cœur, mais je ne pensais pas recueillir autant de soutiens lors de l’élection nationale [Juliette Rapaire a recueilli 706 voix le 5 février 2023 — NDLR]. Ça a énormément marché sur les réseaux sociaux également, et je ne voulais pas que ça soit un pétard mouillé. J’avais envie de continuer dans cette démarche. Le soir de l’élection, j’ai donné rendez-vous le 8 mars 2023 sur les réseaux sociaux, avec l’idée de monter une action, qui est devenue ce “sit-in”.

Il y avait donc un réel besoin à Monaco d’aborder des sujets propres aux droits des femmes ?

C’était une nécessité d’aborder le sujet de l’IVG, et des violences faites aux femmes, car il reste encore beaucoup à faire. Et pas que pour les femmes. Il est aussi question de l’éducation sexuelle pour les enfants, de la contraception, et de tout un panel sur lequel parler, et échanger. Des choses sont faites, mais il ne faut pas s’arrêter là.

Vous pensez à la notion de « chef de famille », par exemple, qui persiste à Monaco ?

C’est un débat à engager, c’est indéniable. « Chef de famille », où sommes-nous ? Cette notion a été supprimée en France, tout comme la notion du nom de conjoint. On parle maintenant de « nom d’usage », ce n’est plus le nom de jeune fille, qui est devenu désuet. La mention « mademoiselle » a aussi été supprimée en France. Ce sont encore des notions sexistes qui rendent invisibles les femmes, et qui les ramènent toujours au fait qu’elles ne sont que des épouses en devenir.

« On est encore loin de la parité, en effet. Les femmes sont sous-représentées dans divers métiers, mais ce n’est pas nouveau. Ces chiffres de l’IMSEE ne font que dévoiler cette réalité »

Le 8 mars 2023, l’institut monégasque de la statistique et des études économiques (IMSEE) a révélé que seules 28 % de femmes siégeaient parmi les gouvernants d’entreprises en 2022  (1) : on est donc encore loin de la parité ?

On est encore loin de la parité, en effet. Les femmes sont sous-représentées dans divers métiers, mais ce n’est pas nouveau. Ces chiffres de l’IMSEE ne font que dévoiler cette réalité. Il faut donc encore continuer à en parler, et faire en sorte que les entreprises se mettent à montrer l’exemple, et qu’elles fassent preuve d’initiatives.

Juliette Rapaire Les Nouvelles réformatrices
© Photo Clément Martinet / Monaco Hebdo

Les femmes sont aussi sur-représentées dans certaines catégories socio-professionnelles ?

Oui, mais c’est à peine la moitié. Et lorsqu’elles sont « sur-représentées », ce sont généralement dans les emplois de catégorie C, donc dans les postes à faibles responsabilités, et assez précaires.

Votre “sit-in” du 8 mars 2023 était médiatique : vous souhaitez lui donner une portée internationale ?

Le 8 mars, c’est la journée internationale des droits des femmes, et je dis bien « internationale ». Monaco fait 2 km2 sur une planète Terre qui est très vaste. On est bien sûr obligé de parler des droits des femmes dans leur ensemble.

Collectif : une manifestation aux prémices d’un mouvement féministe à Monaco

Dans un pays où la discrétion règne, organiser une manifestation, qui plus est féministe, revient à marcher sur des œufs. Juliette Rapaire est peut-être novice sur la scène politique et associative, mais elle semble l’avoir bien compris. Cette Monégasque de 27 ans, productrice chez Monaco Info s’est révélée au grand-public comme colistière sur la liste Nouvelles idées pour Monaco (NIM), lors de l’élection nationale du 5 février 2023, aux côtés de l’ancien conseiller national Daniel Boeri. Elle a organisé un “sit-in” de deux heures sur la place d’Armes mercredi 8 mars 2023 après-midi, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes. Une action silencieuse, mais pas discrète, pour alerter sur un certain nombre de sujets propres à la condition des femmes, à Monaco mais aussi dans le monde. Organisée par quinze personnes, dont une poignée d’hommes, cette action fédératrice pourrait aboutir, comme l’a révélé Juliette Rapaire, à la création d’un collectif féministe. Son nom : les Nouvelles Réformatrices. Il sera destiné à « faire bouger les lignes » sur la question de l’IVG, mais aussi de combattre les discriminations faites aux femmes, à Monaco et à l’étranger. Affaire à suivre.

1) Contactée par Monaco Hebdo, la conseillère nationale de L’Union, Christine Pasquier-Ciulla, qui préside la commission des droits de la famille et de l’égalité, n’a pas été en mesure de répondre à nos questions avant le bouclage de ce numéro, le 14 mars 2023.

2) À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, l’IMSEE a publié une infographie concernant les femmes et la gouvernance d’entreprises en 2022.