vendredi 19 avril 2024
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« La pression,
je ne sais pas ce que c’est »

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À 52 ans, Didier Aniès est le nouveau chef du Fairmont. Pour Monaco Hebdo, il revient sur son parcours et explique ses projets.

Votre parcours ?

Je suis né le 3 janvier 1966 à Limoux (Aude). Mes parents étaient viticulteurs : ils étaient producteurs de vin, avec, notamment, la fameuse blanquette de Limoux. J’ai grandi en famille, à la campagne. J’avais l’habitude de voir passer beaucoup de monde à la maison. On était souvent 20 à table. Voir les femmes qui cuisinent, je trouvais ça très beau. Pour un gamin, c’était apaisant. J’ai été séduit. J’ai donc décidé de partir à l’école hôtelière de Toulouse. Et puis, j’ai rejoint l’Allemagne.

Pourquoi l’Allemagne ?

Parce que mon grand-père vendait du vin sur le lac de Constance, à la frontière de l’Allemagne, de l’Autriche et de la Suisse. J’avais appris l’anglais et l’espagnol à l’école, j’ai donc dû apprendre l’allemand sur le tas. Là-bas, j’ai apprécié l’humilité avec laquelle travaillent les gens en cuisine, mais aussi l’esprit d’équipe et le travail bien fait.

Le déclic pour la cuisine, c’était quand ?

En 1988. À l’époque, j’étais en Autriche, dans un restaurant où le chef de cuisine et le chef pâtissier faisaient beaucoup de concours. Ils m’ont amené à Mulhouse pour faire un concours, que j’ai gagné.

Comment êtes-vous arrivé sur la Côte d’Azur ?

Je suis rentré en France pour faire mon service militaire. Un chef de Carcassonne pour qui je travaillais pendant l’été au château de Montredon, connaissait bien Jean-François Issautier, qui tenait alors un deux étoiles Michelin, l’auberge de la Belle Route, sur la plaine du Var, à Saint-Blaise. Il m’a donc envoyé dans cette auberge. Je m’étais dit que je passerai une seule saison sur la Côte d’Azur. Mais la saison, ça fait 30 ans qu’elle dure.

De 1998 à 2004, vous avez été chef de cuisine à l’hôtel restaurant Le Cagnard, à Cagnes-sur-mer, avec une étoile au guide Michelin ?

Quand je suis arrivé, l’étoile Michelin était déjà là. En 2000, j’ai participé au concours de meilleur ouvrier de France, parce que je voulais voir ce que c’était. Et j’ai gagné. Ce concours, ce n’est pas un aboutissement, c’est une étape. Il ne faut pas s’arrêter là.

Vous êtes ensuite passé par Monaco, au Mirabeau, de 2004 à 2007 où vous avez obtenu une étoile Michelin au restaurant la Coupole ?

J’ai succédé à Michel de Matteis, qui, lui aussi, a été meilleur ouvrier de France. En 18 mois, on a réussi à obtenir une étoile au Michelin. Ma chance, c’est que j’ai toujours pu travailler avec à peu près la même équipe. Un noyau m’a suivi, de restaurant en restaurant. Du coup, l’étoile obtenue au Mirabeau, a permis de démontrer aux gens qui m’ont suivi que nous étions dans le vrai.

Pourquoi avoir quitté la Coupole pour le Grand Hôtel de Saint-Jean-Cap-Ferrat, avec toute votre brigade ?

Parce que c’était une expérience très différente. Le Grand Hôtel, c’est un palace et cela représentait un nouveau challenge pour moi. Le restaurant de cet hôtel n’était pas étoilé. On est arrivé en 2007 et on a obtenu une étoile en 2008. Comme toute ma brigade m’a suivi à Saint-Jean-Cap-Ferrat, les automatismes étaient déjà là. Ce qui nous a permis d’être efficaces plus vite.

Les étoiles Michelin, ça représente quoi pour vous ?

C’est une forme de reconnaissance. Même si, bien sûr, lorsqu’on travaille, on ne pense pas qu’à ça.

En 2017, pourquoi être parti proposer des formations culinaires, notamment en Chine et au Japon ?

Le Grand Hôtel a été repris par un groupe qui a une façon de voir les choses que je respecte, mais à laquelle je n’ai pas eu envie d’adhérer. Depuis une quinzaine d’années, j’ai formé des gens qui m’ont suivi. Ces gens-là ne correspondaient pas à ce qu’attendait le nouveau repreneur. Du coup, je suis parti, sans fracas. J’ai alors décidé d’aller donner des cours de cuisine à l’étranger. Je suis parti au Sénégal, au Japon…

Vous retenez quoi de ces voyages ?

Le changement de culture, de produits… Il n’y avait plus de pression au niveau du personnel, puisque je suis parti seul. Pendant plus d’un an, je me suis retrouvé avec des gens qui avaient envie de partager. Et puis, rencontrer d’autres personnes, ça fait grandir. Car avant d’être des cuisiniers, on est des hommes.

Vous avez pensé à ouvrir votre propre restaurant ?

À un moment donné, oui. J’aurais aimé avoir un petit restaurant, au bord de l’eau. Cuisiner devant les gens, comme on cuisine pour des amis, avec une plancha. Quelque chose de cool, avec des produits frais. Je garde ça dans un coin de ma tête.

Pourquoi avoir accepté de succéder à Philippe Joannès au Fairmont ?

Philippe m’a téléphoné. Ici, le travail est très différent de ce que j’ai connu. C’est tellement grand, c’est quelque chose de nouveau pour moi. Il y a une diversité d’offres qui m’intéresse et qui peut me faire évoluer. De mon côté, je peux apporter mon expérience aux gens qui travaillent ici.

Quelles sont les premières décisions que vous allez prendre ?

On va évidemment travailler avec les produits locaux. Mais avant de faire quoi que ce soit, il faut observer.

En général, il vous faut 12 à 18 mois avant d’obtenir une étoile au Michelin : combien de temps vous faudra-t-il au Fairmont pour en décrocher une ?

Pour gagner une étoile, il faudrait avoir un restaurant tourné vers cet objectif et se donner les moyens de l’atteindre. Pour l’instant, la direction du Fairmont n’a pas encore évoqué cet objectif.

Vous comprenez les chefs qui ont renoncé à leurs étoiles Michelin, comme Sébastien Bras, en février 2018 (1) ?

J’entends ce qu’il dit. Mais sa réputation a aussi été faite par son père, Michel Bras. C’est vrai qu’il existe une pression. Mais ce n’est pas la pression de l’étoile, c’est la pression de bien faire. Moi, la pression je ne sais pas ce que c’est. Simplement, je suis exigeant parce que j’aime faire plaisir et j’aime les choses bien faites. Après, c’est vrai que le métier de cuisinier est parfois aussi un métier de la déraison. Il faut être fêlé pour travailler 18 heures par jour ! Mais c’est aussi un métier passion.

Les émissions de télévision, comme Master Chef ou Top Chef, vous en pensez quoi ?

On se sert des chefs de cuisine pour faire de l’audimat. Tant mieux pour les cuisiniers qui se font connaître par cet intermédiaire. Ce qui est positif, c’est que ça fait parler de notre métier. J’ai d’ailleurs accepté de faire partie du jury de Master Chef, il y a quelques années.

1) Sébastien Bras avait 3 étoiles au Suquet, à Laguiole, un restaurant fondé par son père Michel en 1992. Sébastien Bras a déclaré aux médias être lassé par la « pression permanente » liée à cette troisième étoile. « Particulièrement heureux » de la réponse positive donnée par le Guide Michelin, Sébastien Bras a indiqué qu’il allait « continuer à travailler dans l’excellence » mais « de manière plus sereine ».