samedi 20 avril 2024
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Cécile Guéret : « Il y a eu une urgence
à se saisir de notre existence »

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Le confinement a été une période difficile pour beaucoup de couples. Cette période a souvent agi comme un accélérateur, et a parfois conduit à la séparation, et même au divorce. Mais le confinement a aussi été un révélateur de la résilience de certains couples. La psychopraticienne, Cécile Guéret (1), analyse pour Monaco  Hebdo ce moment vraiment pas comme les autres dans la vie à deux.

Quel bilan peut-on dresser du nombre de séparations constatées en France et à Monaco (voir encadré) pendant la période de confinement imposée par le Covid-19 ?

Il y a un élément très important à prendre en compte qui est l’effet retard. Pendant la période de confinement, les gens n’ont pas divorcé et n’ont pas contacté leurs avocats. Peut-être même que ceux qui avaient décidé avant ce confinement de se séparer ont mis cela entre parenthèses, car il fallait arriver à vivre du mieux possible ensemble pendant le confinement. Il était alors impossible de déménager et de partir. Des séparations ont donc été mises en suspens pendant cette période. Il faudra donc regarder les chiffres dans quelques mois, et regarder si, sur la moyenne de l’année 2020, il y a vraiment eu un « effet confinement » par rapport aux années précédentes.

En France, l’Ifop a publié une étude le 5 mai 2020  (2) : quelles en sont les principales conclusions ?

L’Ifop indique que pour 60 % des couples, le confinement n’a pas eu d’impact sur la relation conjugale. Seulement un couple sur 10 dit que le confinement les a éloignés. Et il s’agit principalement de jeunes couples. Donc, peut-être que cette période, qui exige des bases solides, a précipité la fin de ces couples encore trop fragiles. De plus, souvent, les jeunes couples vivent dans de petits appartements. Et le confinement dans un espace très restreint, c’était évidemment beaucoup plus difficile à vivre. Au final, ce sondage révèle que seulement 4 % des Français interrogés souhaitent rompre. Alors que 88 % des personnes questionnées disent qu’en cas de reconfinement, ils repartiraient avec la même personne.

Que constatez-vous chez vos patients ?

Chez mes patients, les couples qui se séparent aujourd’hui avaient déjà décidé de se séparer avant le confinement. Ou bien il s’agit de couples pour qui la vie amoureuse était déjà très compliquée.

Quel rôle a joué le confinement dans la fin de ces couples ?

Le confinement a eu un effet d’accélérateur. Il y a eu un effet de loupe sur ce qui était difficile. Les couples qui battaient de l’aile se sont trouvés dans une situation dans laquelle ils étaient obligés de se confronter à leurs problèmes. En effet, il ne leur était plus possible de sortir avec leurs amis, ou de se plonger dans le travail pour se distraire de leurs difficultés de couple. Pendant cette période, les couples ont donc dû se confronter, et voir ce qu’ils partageaient vraiment, ce qu’ils avaient envie de faire ensemble, quels étaient leurs projets, mais aussi quelles étaient leurs éventuelles difficultés relationnelles…

Chez les femmes, ce confinement a particulièrement été révélateur ?

Chez les femmes que j’accompagne, j’ai remarqué que beaucoup n’arrivaient plus à assumer ce que l’on appelle « la charge mentale ». Alors qu’elles arrivaient à s’en accommoder plus ou moins hors confinement, cela n’a plus été possible une fois la période de confinement lancée. Avec les enfants en permanence à la maison, les devoirs et l’école à gérer à domicile, le télétravail à organiser, des queues énormes au supermarché… le quotidien est devenu encore plus compliqué que d’habitude.

Le confinement a-t-il pu, à lui seul, provoquer la fin d’un couple ?

J’ai l’impression que le confinement seul n’est jamais un facteur suffisant pour entraîner la séparation d’un couple. Dans les couples que je suis, aucun n’a vécu le confinement comme un révélateur de choses qu’ils n’auraient jamais vues avant. En lui-même, le confinement a provoqué une promiscuité relationnelle pas toujours facile à vivre, surtout dans les petits espaces. Le télétravail a créé énormément de tensions : avant, la vie professionnelle restait le plus souvent cantonnée au bureau. Alors que pendant le confinement, il a, par exemple, fallu s’accorder pour les visioconférences. Car deux visioconférences dans la même pièce, c’est impossible : on ne s’entend pas. Il a fallu aussi gérer le problème de la bande passante pour Internet : les couples ne pouvaient pas lancer deux visioconférences en même temps, avec, en plus, les enfants qui regardent Netflix. Le confinement a donc nettement compliqué la vie quotidienne, avec la nécessité de se parler beaucoup plus, et de se mettre davantage d’accord.

© Photo DR

« Ce manque de ressources extérieures a donc rendu plus difficile la possibilité de nourrir les échanges avec l’autre. On a moins de plaisir à se retrouver, parce qu’on a moins eu de vie à l’extérieur du couple »

Le confinement a induit d’autres difficultés ?

Être toujours avec l’autre est quelque chose d’extrêmement difficile. Tout comme, si on est dans un petit espace, le fait d’être constamment sous le regard de l’autre est quelque chose de délicat. Car, en temps normal, un couple est finalement peu ensemble. On est souvent au travail, avec nos amis, nos passions, nos familles d’origine… Ce sont autant d’éléments qui permettent de ressourcer le couple. Car cela permet notamment d’avoir des sujets de conversation. Ce manque de ressources extérieures a donc rendu plus difficile la possibilité de nourrir les échanges avec l’autre. On a moins de plaisir à se retrouver, parce qu’on a moins eu de vie à l’extérieur du couple.

Le confinement a-t-il permis à certains couples de mieux savoir où ils en étaient dans leur relation ?

Ce confinement a pu être révélateur des valeurs communes, ou de l’importance que l’on a l’un pour l’autre, ou encore du soutien que l’on peut avoir dans le couple. Chaque fois que j’ai entendu parler en thérapie de faits révélateurs, il s’agissait des bons côtés, et de ce qui soude le couple. Ce qui a été très fort pour tous les individus pendant cette période de coronavirus, c’est la confrontation avec la contrainte de finitude, c’est-à-dire l’idée que nous sommes mortels. Evidemment, on le savait, mais, la plupart du temps, on n’y pense pas. Ou on fait tout pour ne pas y penser. Pendant cette période, la mort était extrêmement présente, et cela en permanence. Avec la peur d’être contaminé par ce virus et, tous les jours, dans les fils d’infos en continu, le décompte des morts, et des malades hospitalisés.

La conséquence ?

L’idée que la vie c’est maintenant, et pas demain, a émergé, car on ne sait jamais ce qui peut nous arriver. Du coup, il y a eu une urgence à se saisir de notre existence. Cela pousse chacun à faire le point, et à se demander si on a la vie que l’on souhaite. Qu’est-ce que je pourrais changer pour vivre la vie qui me rendra heureuse ? Cela a pu créer des discussions dans le couple. Notamment pour savoir si on vit vraiment là où on a envie de vivre. D’ailleurs, depuis la fin du confinement, beaucoup de gens ont pour projet de quitter Paris pour avoir une vie plus agréable. Comme on ne sait pas de quoi demain sera fait, on a envie d’avoir une vie agréable, et tout de suite.

Et pour le couple ?

Pour le couple, cela a poussé à se reconnecter à des valeurs profondes, et à réfléchir aux projets que l’on aurait envie de mener ensemble. Bref, il s’agit de redéfinir notre envie et notre projet de couple.

Et pour ceux qui ont une relation extra-conjugale ?

Pour certains, cette période de confinement a été l’occasion de se dire qu’ils voulaient vivre avec la personne qu’ils ont rencontrée, et avec qui ils vivent une relation extra-conjugale. Tout cela était déjà là. Mais le confinement a eu un effet de loupe.

Le confinement a eu quel impact sur la sexualité des couples ?

Beaucoup d’études ont été menées sur cette question. Mais, finalement, on ne sait pas trop l’impact que le confinement a eu sur la sexualité des couples. En fait, ça dépend des gens, ça dépend des moments et ça dépend des attentes.

Le confinement a nécessairement entraîné le couple vers le bas ?

J’ai plutôt l’impression inverse. Au contraire, le confinement a reconnecté les couples à leurs envies profondes, à l’essentiel de ce qu’ils vivaient ensemble. Finalement, ce qui pouvait être un peu conflictuel avant, sur certaines petites choses, a paru assez anecdotique par rapport à ce que l’on vit ensemble dans des moments difficiles. Certains se sont même redécouverts.

C’est-à-dire ?

J’ai l’exemple d’une personne dont le compagnon s’est remis à dessiner depuis plusieurs années. Mais elle n’avait jamais pris, ou eu le temps, de se poser et de le regarder dessiner. Le confinement lui a permis de prendre le temps de regarder comment il dessinait, et d’être ainsi au plus près de ce que l’on peut vivre ensemble. Elle s’est aussi rendue compte que son regard était beaucoup plus doux qu’avant, qu’il était plus joyeux… Certains couples se sont donc redécouverts différemment.

Peut-on dire que sans le Covid-19, beaucoup de couples, aujourd’hui disparus, existeraient toujours ?

Pour les couples déjà installés, je ne pense pas. Pendant le confinement, les jeunes couples se sont retrouvés soumis à une pression qu’ils n’auraient pas eu normalement. Du coup, ils n’ont pas eu la tranquillité nécessaire pour développer leurs affinités et leur relation.

Quelles sont les principales qualités des couples qui ont survécu à cette période de confinement ?

Il faut avoir de profondes valeurs en commun. Il y a aussi la nécessité de dialoguer plus, de se dire ce qui est invivable ou difficile, et de voir comment vivre les choses au mieux les uns pour les autres. Les petites rancunes qui sont habituellement mises sous le tapis, ont été immédiatement discutées, car sinon, c’était trop difficile à vivre. Enfin, l’autre qualité importante, c’est la capacité à se redécouvrir.

Comment parvenir à redécouvrir l’autre ?

Pour cela, il ne faut pas figer l’autre dans ce que l’on croit savoir de lui. Il faut avoir un regard qui se renouvelle, qui est en curiosité sur l’autre. C’est une donnée essentielle pour un couple qui dure. Parce que ça donne à chacun la possibilité d’évoluer, de changer. Ça nous donne la liberté d’être autrement, de ne pas être figé dans ce qu’on était il y a 20 ans, quand on s’est rencontré. Enfin, ça donne au couple de la vie, du mouvement, et une évolution possible.

Comment se reconstruire efficacement après une rupture ?

Sauf en cas de violences familiales ou conjugales, il ne faut pas prendre de décision trop hâtive. Il faut se laisser le temps de prendre un peu de distance, ne serait-ce que physiquement, en allant chez des copains, par exemple. Il faut se séparer physiquement de l’autre pour faire le point et avoir le temps d’assimiler tout ce qui a été vécu, même ce qui a été difficile. Car, avec le temps, une autre manière de voir les choses peut émerger. Ce qui est difficile dans une séparation, ce sont les reproches en effet « ping-pong ». On n’arrive pas à se dire ce qui a été difficile à vivre, et à entendre, pour l’autre. Pour y parvenir, on peut alors s’appuyer sur un conseiller conjugal ou sur un thérapeute.

Mais pourquoi faire une thérapie de couple, alors qu’on est pleine séparation ?

Faire une thérapie de couple dans ce moment-là peut être essentiel pour pouvoir vivre au mieux la séparation ensemble. Surtout quand il y a des enfants en commun, et qu’il faudra continuer à être un couple parental, et à rester en relation pour les enfants. En tant qu’individu, c’est aussi parce qu’on pourra parler, mettre les choses à plat et démêler ensemble ce qui a été si difficile à vivre, que chacun pourra reconstruire sa vie. Parce qu’ainsi, cette expérience aura été assimilée, et vécue le mieux possible.

Une période de deuil est absolument nécessaire ?

Ça dépend. Au moment où des couples se séparent, certains sont déjà séparés affectivement depuis longtemps. Donc le travail de deuil a parfois été fait des années avant. Après une rupture, il arrive aussi que des gens se remettent immédiatement en couple, parce que ça les aide. Ce qui n’empêche pas le travail de deuil : il faut tout de même regarder ce qui a été difficile, et ainsi clore l’histoire précédente.

En cas de nouveau confinement, que faire pour ne pas mettre son couple en danger ?

Il faut tirer les leçons et regarder ce qui s’est bien passé pendant le confinement précédent. Je suis épatée des ressources et de la créativité qu’ont eu les couples pendant cette période. Alors que la situation pouvait paraître insupportable et insurmontable, les gens ont trouvé des idées pour que tout se passe au mieux. Parmi les solutions qui ont très bien marché, il y a eu des choses assez simples : certains ont affiché sur la porte de la cuisine un emploi du temps, avec des périodes en commun ou en solo très cadrées. Des couples ont aussi découvert combien il pouvait être bon de s’excuser après avoir eu une parole un peu vive. En période normale, on part travailler, on oublie, on passe à autre chose. Et, finalement, on ne s’excuse pas. Il faut aussi regarder ce qui a été difficile pendant le confinement, et trouver d’autres manières de faire pour que ça se passe mieux.

1) Aimer, c’est prendre le risque de la surprise. Eloge de l’inattendu dans la rencontre amoureuse, Cécile Guéret (Albin Michel), 208 pages, 17,90 euros.

2) Etat des lieux de la vie sexuelle et affective des Français durant le confinement, Ifop, 5 mai 2020.

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A Monaco, le confinement aura parfois « contribué à rendre le divorce inéluctable »

Pour le moment, aucun chiffre fiable ne circule à Monaco. L’avocate spécialisée en droit de la famille et clientèle privée, Me Raphaëlle Svara, estime que si « la promiscuité forcée aurait pu éprouver les couples, parfois jusqu’à la rupture », il semblerait que le confinement n’ait pas eu un effet dévastateur en principauté : « Alors que nous avons assisté à une hausse des procédures de divorce initiées en Chine pendant la période du confinement, tel n’a pas été le cas à Monaco. » Pour expliquer cela, Raphaëlle Svara avance deux raisons. Il y a d’abord le ralentissement de l’activité des tribunaux pendant la période du confinement. « Compte tenu des mesures imposées par le gouvernement, il était difficile, sinon impossible, de déposer une requête en divorce, à moins de justifier d’une urgence : violences conjugales, enlèvements d’enfants, etc. Le confinement a donc contraint la plus grande majorité des couples monégasques, possiblement désireux de divorcer, à cohabiter jusqu’au 4 mai 2020 », indique cette avocate. Comme le souligne la psychopraticienne Cécile Guéret dans l’interview qu’elle nous a accordée, il pourrait donc y avoir un « effet retard » à prendre en considération. Il faudra donc surveiller le nombre de séparations dans les semaines et les mois à venir, afin d’avoir une idée plus juste de l’effet qu’aura eu le confinement sur la vie de couple à Monaco. La deuxième raison invoquée, relève du “timing”, et de la volonté de trouver des solutions constructives. « Les conflits latents entre les époux auront certainement émergé durant la période de confinement, contraignant ces derniers à entrer dans le vif du sujet. Aussi, avons-nous pu noter que les couples entendaient, pour beaucoup, favoriser le terrain de l’entente et de la communication. Et, par conséquent, initier des procédures de divorce amiables, et non pas contentieuses. La période du confinement a donc beaucoup été une période de discussions et de négociations », ajoute Me Raphaëlle Svara. En revanche, il n’existerait pas de « profil type » du couple qui se sépare. Couple marié depuis quelques mois ou famille unie depuis des années, aucun modèle n’émergerait vraiment. « Pour autant, il serait possible de dégager une tendance « double » : les très jeunes unions, moins de 5 ans d’union, et, a contrario, les très longues unions, de l’ordre de 20 ans », glisse Me Svara. Quant aux causes des séparations, elles semblent ne pas vraiment se différencier des raisons habituellement invoquées. « Lassitude, volonté de refaire sa vie… Nous avons toutefois pu noter que le contexte de crise globale, et les remises en question subséquentes de chacun, ont permis pour beaucoup de couples d’entamer la question du divorce avec raison et sérénité. Une véritable prise de conscience a éclos, de sorte que de nombreux couples souhaitent « ne plus perdre de temps » », ajoute cette avocate. Avant de conclure : « Nous ne pourrions affirmer que le confinement est la cause majeure d’un divorce. En revanche, il aura, dans certains cas, contribué à rendre la procédure inéluctable. »

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