samedi 27 avril 2024
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Ayla Acanal : « La peur de l’avion n’est absolument pas une fatalité »

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Hôtesse de l’air, diplômée de psychologie clinique, Ayla Acanal exerce depuis plus d’un an au centre anti-stress de la compagnie aérienne Air France. Pour Monaco  Hebdo, cette professionnelle a accepté de revenir sur les mécanismes de la peur de l’avion et sur les moyens de la surmonter. Interview.

Quel est votre rôle au sein du centre anti-stress ?

Même si le stage reste finalement une formation aéronautique qui s’adresse aux personnes qui ont peur de l’avion, la dimension psychologique est quand même très importante puisqu’il s’agit d’une peur irrationnelle. C’est d’ailleurs un mot qui revient beaucoup dans la bouche des stagiaires. Ce côté irrationnel, de savoir que l’avion est un moyen de transport sûr (1), mais qu’ils en ont quand même peur, les met à mal. Au centre, je suis chargée des entretiens préalables, c’est-à-dire que je rencontre les stagiaires avant le stage. En général, entre un mois et quinze jours avant leur stage. Il m’arrive aussi d’assurer un suivi, si nécessaire, pour pouvoir affiner avec eux les outils qui leur auront été proposés, afin qu’ils soient rassurés sur l’évolution de leur peur après le stage.

Comment s’installe cette peur de l’avion ?

Classiquement, on distingue plusieurs typologies de personnes qui ont peur en avion. Il y a tout d’abord les « terriens », à l’aise seulement sur le plancher des vaches. Ensuite, on trouve les « décideurs » qui cherchent à tout contrôler. En général, ils occupent professionnellement des postes à responsabilité et n’ont pas l’habitude de se retrouver dans des situations qu’ils ne maîtrisent pas. Enfin, nous avons les « choqués », qui auraient vécu un traumatisme soit dans l’avion, soit dans leur vie personnelle et qui, du coup, ont construit cette phobie autour d’un choc.

Comment se manifeste cette phobie ?

Elle se manifeste par un comportement d’évitement ou alors de contrôle, c’est-à-dire qu’on va essayer de contrôler la compagnie, la destination… Par exemple, certaines personnes se disent : « Je vole mais pas au-dessus de la mer, pas sur un vol de nuit, ou pas sur une compagnie low-cost ». Ces stratégies d’évitement peuvent être soit intermédiaires, c’est-à-dire qu’ils vont trouver des caractéristiques qui vont rendre le vol plus tolérable ou plus supportable, soit ils vont carrément éviter l’avion. Nous rencontrons au centre anti-stress des personnes qui n’ont jamais pris l’avion de leur vie parce qu’elles avaient peur avant même de le prendre.

« Ils ont envie de voyager, ils ont cet amour des voyages, et ils vivent cette phobie comme un handicap, comme un frein qu’ils veulent dépasser. Cette grosse ambivalence, c’est-à-dire d’être à la fois très attiré et d’en avoir très peur, est quelque chose que l’on retrouve très particulièrement dans la phobie de l’avion »

La peur de l’avion est-elle une phobie comme les autres ?

Nous retrouvons les mêmes mécanismes psychiques dans toutes les phobies. Mais l’avion a certaines particularités. Si on parle de la phobie des araignées ou des chiens par exemple, on peut tout simplement les éviter, et, en général, on ne les aime pas. Pour l’avion, les stagiaires en ont à la fois peur, mais ils sont aussi attirés. Car ils ont envie de voyager, ils ont cet amour des voyages, et ils vivent cette phobie comme un handicap, comme un frein qu’ils veulent dépasser. Cette grosse ambivalence, c’est-à-dire d’être à la fois très attiré et d’en avoir très peur, est quelque chose que l’on retrouve très particulièrement dans la phobie de l’avion.

Stage peur avion
© Photo Air France

Quelles sont les craintes les plus fréquemment exprimées par les stagiaires ?

En numéro 1, c’est la peur des turbulences. En numéro 2, il y a la peur du décollage. On y associe des sensations fortes et c’est le moment où l’on quitte le sol. C’est aussi un moment autour duquel il peut y avoir de l’attente. On sait qu’on va décoller mais parfois il y a de l’attente sur les pistes, le roulage peut être long donc les gens ont le temps de monter en tension. C’est beaucoup moins le cas de l’atterrissage. À ce moment-là, on arrive plus à se représenter qu’on est arrivé à destination, on se rappelle qu’on est en vacances par exemple. À l’atterrissage, il y a moins à tenir cette tension ou cette hypervigilance, qui est super énergivore pour les phobiques de l’avion (2).

La surmédiatisation des crashs aériens peut-elle générer ou alimenter cette peur ?

Elle peut y contribuer. En général, on identifie très rapidement qu’il n’y a jamais de raison unique à développer une peur de l’avion. C’est un concours de circonstances. Parfois, l’actualité ou l’imaginaire autour de l’avion contribue au fait que les gens cristallisent une peur sur cet objet. En général, il faut qu’il y ait un événement dans l’actualité qui fasse écho aussi à quelque chose qui est arrivé dans la vie personnelle.

Cette peur est aussi alimentée par les fantasmes et croyances autour de l’aérien ?

Oui, beaucoup de fantasmes et de croyances alimentent ces peurs. Cette espèce de fantasme et d’imaginaire qui existe autour de l’aérien vient valider la peur des stagiaires et continue à la nourrir. Le fait de venir au stage, c’est accepter de renoncer à ces croyances et à ces fantasmes pour se confronter à la réalité d’un voyage en avion. C’est ce décalage qu’il faut qu’on effectue entre la croyance, qui n’est pas facile à lâcher, car elle vient valider la peur, elle lui donne raison. Le fait de se décaler de toutes ces croyances pour voir comment fonctionne un avion est très positif.

« En numéro 1, c’est la peur des turbulences. En numéro 2, il y a la peur du décollage. On y associe des sensations fortes et c’est le moment où l’on quitte le sol. C’est aussi un moment autour duquel il peut y avoir de l’attente »

Quel est le profil des stagiaires ?

Le profil se diversifie de plus en plus. Si on avait par exemple plus de femmes avant, aujourd’hui la tendance s’équilibre avec de plus en plus d’hommes. C’est vraiment varié en termes d’âge. Un peu moins, en revanche, en termes de catégorie socio-professionnelle, car ce stage représente un certain coût [690 euros pour les adultes, 500 euros pour les enfants et adolescents – NDLR].

Les enfants et les adolescents peuvent-ils participer aux stages ?

Oui, nos stages sont accessibles à partir de 8 ans. De 8 à 15 ans, nous proposons des stages jeunes et au-delà de 15 ans, des stages classiques adultes. Nous retrouvons chez eux le même mécanisme, mais les stages sont adaptés pour que le langage leur soit compréhensible et que ça leur soit profitable.

Qu’est-ce qui diffère dans le programme pour les enfants ?

Avec les enfants, nous allons davantage nous focaliser sur la partie gestion du stress et familiarisation avec l’environnement. En revanche, nous allons moins insister sur les aspects aéronautiques, car il faut que ce stage reste accessible à leur compréhension. L’aspect groupal est aussi important chez les enfants, ils en tirent plus de bénéfice s’ils sont plusieurs. Autre différence, ce stage se passe dans un simulateur cabine, pas dans un simulateur cockpit.

Peut-on prendre en charge cette phobie, autrement que par le stage, comme, par exemple, par la sophrologie ou par les thérapies comportementales ?

Pendant notre stage, nous avons aussi une partie animée par des sophrologues. Nous avons des navigants diplômés de sophrologie qui font une partie théorique sur la gestion du stress et qui initient à des exercices de sophrologie pour que les stagiaires aient aussi des outils de gestion du stress pour être plus confortables à bord. Avant de venir nous voir, les stagiaires ont généralement tenté d’autres outils comme les anxiolytiques, les somnifères, les plantes, l’homéopathie, l’hypnose ou les thérapies comportementales.

Quel est le suivi après le stage ?

Nous ne recontactons jamais les stagiaires, ce serait aller au-devant de la demande. En revanche, quand ils nous recontactent, nous répondons toujours présents. Que ce soit pour leur apporter des conseils supplémentaires ou leur donner des petites astuces. Le jour du stage, nous leur proposons un éventail d’outils dans lesquels ils peuvent piocher. Et par la suite, si nécessaire, et à leur demande, nous pouvons réajuster cet appareillage. Nous cherchons vraiment à créer du lien avec nos stagiaires. Et certains investissent cette possibilité de liens parce que cela les aide à reprendre l’avion sereinement.

« Ce stage n’est pas magique. Ce n’est pas un soin, ni un médicament… C’est une formation. Nous amenons des outils concrets à des personnes qui sont en demande d’astuces pour pouvoir reprendre l’avion. et en ça, nous sommes très efficaces »

Le stagiaire est-il mis en condition réelle à l’issue du stage ?

Non, cela ne fait plus partie du stage. En revanche, nous continuons à les accompagner à l’aide des recommandations à l’équipage. C’est-à-dire que quand ils voyagent sur un vol Air France, nous pouvons, s’ils le souhaitent, prévenir l’équipage de leur présence. D’ailleurs, lors du stage, ils découvrent aussi que nous sommes tous interchangeables. Cet accompagnement permet de maintenir une continuité entre l’accueil qu’ils ont reçu au stage, tout ce qu’ils ont pu associer de nouveau et de positif autour de leur voyage en avion, et ce relais qui est passé à nos collègues sur les vols.

Ces stages sont-ils efficaces à 100 % ?

Nous avons un excellent taux de satisfaction [dans sa brochure, la compagnie revendique un taux d’efficacité de 95 % — NDLR]. Mais ce qui m’intéresse, c’est de savoir si le stagiaire a atteint, ou pas, l’objectif qu’il s’était fixé. Je fais dans l’individuel. Ce stage n’est pas magique. Ce n’est pas un soin, ni un médicament… C’est une formation. Nous amenons des outils concrets à des personnes qui sont en demande d’astuces pour pouvoir reprendre l’avion. Et en ça, nous sommes très efficaces. Pour ce qui est des angoisses, c’est très variable. On peut continuer à être angoissé et se sentir totalement libre de prendre l’avion. Notre objectif, c’est de permettre à nos stagiaires de pouvoir prendre l’avion plus librement.

Qu’est-ce qui explique que chez certaines personnes, la peur et les angoisses persistent malgré le stage ?

On rentre là dans le psychologique. Mais cette peur n’est absolument pas une fatalité. En général, c’est une question de temps. Cela fait partie de mon travail. Quand je dis que j’assure le suivi, c’est aussi ça. C’est-à-dire de pouvoir identifier ce qui va pouvoir les aider plus, parfois identifier que ce n’est peut-être pas le moment de surmonter cette peur, car ils sont encore fragiles… C’est vraiment pour moi une question de temporalité. Je leur dis toujours que cette peur est tout à fait surmontable, et qu’il n’y a aucune raison qu’ils restent toute leur vie avec.

1) Le bilan annuel 2022 de l’Association du transport aérien international (IATA), publié en mars 2023, fait état de 39 accidents, dont cinq mortels, sur un total de plus de 32 millions de vols opérés.

2) D’après une étude réalisée en 2008 par la compagnie Air France auprès de 1 500 stagiaires du centre anti-stress, les principales peurs exprimées étaient : les turbulences (81 %), l’absence de contrôle sur la situation (80 %), le crash (78 %), l’absence de lien avec le sol (72 %), le décollage (69 %), les bruits (66 %), les pannes moteur (59 %), la peur d’avoir peur (53 %), et l’enfermement (43 %).