vendredi 26 avril 2024
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Déchets ultimes : « C’est inquiétant »

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Alors que Monaco participe à la semaine européenne de la réduction des déchets du 16 au 24 novembre (1),

le centre de tri de Cannes-la-Bocca devrait récupérer 800 tonnes de déchets triés monégasques pour 2019. Mais certains déchets ultimes, non recyclables, ne trouvent plus de solutions sur le sol français et sont envoyés à l’étranger pour y être enfouis. Les explications de Marie-Pierre Mescam, présidente de la Fédération Professionnelle des Entreprises du Recyclage (Federec) de la filière métaux ferreux.

Qu’est-ce qu’un “déchet ultime” ?

La définition est souvent un peu compliquée, car cela dépend aussi des conditions économiques du moment. Mais on peut dire qu’il s’agit du déchet qui, après toutes les recherches et toutes les solutions de valorisation, n’a plus d’utilisation possible.

Selon Federec, en 2018, il y a eu 107 millions de tonnes de déchets collectés (+ 2 % par rapport à 2017), ce qui a permis de générer 9 milliards d’euros (-0,8 %) au millier d’entreprises de ce secteur ?

Plutôt que de parler du “déchet”, qui est quelque chose que l’on abandonne, nous préférons parler des matières premières issues du recyclage. Dans ces 107 millions de tonnes, il y a énormément de matières recyclées, il n’y a donc pas que des déchets. Il y a les déchets ferreux, les déchets non ferreux, les papiers, les cartons, les plastiques, le verre, les bio-déchets, les déchets du bâtiment… Et effectivement, quelques déchets ultimes. Je pense que 2019 sera à peu près dans la même veine au niveau chiffres.

Pourquoi la région Paca, mais aussi l’est de la France et Lyon, ont commencé à envoyer leurs déchets à l’étranger ?

La saturation sur les installations de stockage de déchets non dangereux qui touche particulièrement la région Paca s’explique notamment par la fermeture de capacité pour des raisons administratives. De plus, il y a aussi les lois qui redescendent de Bruxelles, et des engagements pris par le gouvernement français pour réduire de 50 % à horizon 2025 les déchets enfouis.

L’enfouissement est impossible à éviter ?

Les entreprises du recyclage comme nous, investissons et essayons d’inventer des machines qui vont aller tirer toute la quintessence et toute la valorisation possible jusqu’à la dernière particule. Mais, à un moment, même avec toute l’ingéniosité et la technique dont on peut faire preuve, il y a toujours une petite part de déchets qui ne peuvent plus être traités. Du coup, la seule solution, c’est l’enfouissement.

La région Paca est vraiment en difficulté ?

Au niveau des capacités, la région Paca est à saturation depuis un long moment. Nous avons des centres de recyclage en Paca que nous avons dû mettre en sommeil quelques mois, en fin d’année 2018, parce que nous n’avions plus de solution pour nos déchets ultimes. L’effet pervers, c’est donc que l’on arrête le recyclage parce qu’on n’a plus de solution pour un faible pourcentage de nos entrants. Dans d’autres métiers, c’est un peu plus. Mais quand on arrête de broyer des voitures parce qu’on n’a plus d’issues pour 5 ou 10 % de déchets ultimes, c’est inquiétant.

Que peut faire le grand public ?

On demande aux gens de trier au maximum leurs déchets, de mettre dans la bonne poubelle tout ce qui peut être recyclé, et ailleurs tout ce qui ne l’est pas, afin de tendre vers la réduction des capacités de stockage.

D’après nos confrères des Echos, Cannes, qui est la ville où sont envoyés 800 tonnes de déchets triés monégasques traités ensuite par le centre géré par Paprec Trivalo Côte d’Azur, enverrait des déchets en Allemagne (2) ?

C’est possible. Je ne peux pas l’affirmer, mais c’est effectivement possible, car il y a un réel problème de capacité. Il faut savoir qu’une entreprise qui collecte des déchets va parfois hors de son département et de sa région administrative. Par contre, quand elle doit livrer à nouveau ces déchets, elle est obligée de le faire dans son périmètre autorisé.

Que faire ?

Notre fédération milite pour que, quand il y a un manque, on puisse, même si c’est le bassin de vie d’à côté, avoir un décloisonnement. A partir du moment où on a fait le maximum et qu’on ne fait pas de l’enfouissement avec des déchets qui pourraient être valorisés, ce serait bien de pouvoir utiliser une capacité disponible dans le département voisin.

En plus de l’objectif du gouvernement français de réduction de 50 % de l’enfouissement des déchets d’ici à 2025, il y a aussi une tendance de l’Etat français à diminuer chaque année les capacités d’accueil des décharges ?

En effet, il y a aussi ce phénomène là.

Mais les propriétaires des décharges françaises, qui sont pour l’essentiel Veolia et Suez, auraient monté leurs prix de 30 % en 2019, et il serait question d’une augmentation de 40 % pour 2020 ?

Il y a aussi la trajectoire de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) qui augmente aussi, ce qui n’est pas de leur ressort. Après, effectivement, il y a moins de capacité. C’est la loi du commerce. Les prix sont libres, nous sommes dans une logique de marché. On subit, on n’est pas forcément heureux. Mais ils doivent survivre aussi, et ils font donc des choix qui ne sont pas toujours en la faveur de l’entreprise d’à côté.

Estimez-vous que la qualité du tri est encore insuffisante chez certaines collectivités locales ou chez certains recycleurs et que l’on pourrait améliorer la situation, si un effort supplémentaire était mené ?

Je pense que c’est assez marginal. Ce n’est pas ça qui nous permettra d’atteindre une réduction de volume suffisante. Il faut trouver d’autres solutions. On demande au gouvernement français de nous aider sur certains points, à travers le projet de loi anti-gaspillage économie circulaire, notamment sur le combustible solide de récupération (CSR).

C’est quoi, le CSR ?

A partir de ces déchets ultimes qui ne trouvent plus preneur, car ils ne sont plus réutilisables, on peut faire un solide de combustion. Il existe en France des usines de CSR, mais il n’y pas suffisamment de consommateurs pour être à la hauteur de ce qu’on pourrait produire.

Pourquoi ?

Produire de la chaleur avec le CSR coûte plus cher que de produire de la chaleur avec l’électricité, donc le choix est vite fait… Et puis, aujourd’hui, le CSR n’est pas réellement considéré comme un produit « vert », car, à partir du moment où on dit au grand public qu’on brûle des déchets, ce n’est pas politiquement correct.

Mais à quoi peut servir le CSR ?

Le CSR peut notamment être utilisé pour le chauffage. Pour utiliser le CSR, il faut une installation capable de le consommer, avec des chaudières adaptées et un traitement des fumées.

Aujourd’hui, en France, qui utilise le CSR ?

La France produit environ 900 000 tonnes de CSR par an, mais pour le revendre à l’étranger. En effet, seulement 100 000 tonnes sont vendues en France, car il n’y a quasiment que les cimentiers qui utilisent cette ressource. Alors que dans des pays comme la Norvège, qui est pourtant très pointilleuse sur les questions environnementales, il y a de la consommation de CSR. On consomme du CSR aussi en Allemagne. Comme la Scandinavie, entre autres, est consommatrice, la France fait de l’export de CSR en direction de ces pays.

Avec un prix de revient estimé à 50-70 euros la tonne, le prix du CSR est un frein ?

Le prix peut effectivement faire peur, comme les matières premières issues du recyclage. Car, à un moment donné, on fait le parallèle avec la matière vierge. Alors, quand on a le choix d’utiliser la matière vierge, même si on sait que ce n’est pas très vertueux, et quand on voit que le prix est deux fois moins cher qu’une matière recyclée… Sans incitation fiscale ou d’obligation par une loi ou par un décret, on finit forcément par regarder son porte-monnaie.

Il faudrait donc subventionner le CSR ?

Il y a aussi le crédit d’impôt, ou des « bons verts »… Mais s’il y avait déjà une obligation de consommation… Je n’aime pas le terme « énergie verte », parce que le CSR est fabriqué à partir de déchets, mais il ne faut pas oublier que le CSR vient en substitution d’une autre matière.

Comment doper la consommation de CSR, alors ?

Il existe une obligation de réduction des déchets. Pourquoi ne pas imaginer une obligation de consommation de CSR ? Ça pourrait aider à la réduction de l’enfouissement. Il faudrait en tout cas mettre en place une politique d’accompagnement. C’est ce que nous demandons dans le projet de loi anti-gaspillage économie circulaire. Car la vocation des entreprises de recyclage, ce n’est pas de produire des déchets, c’est de produire des matières premières. La trajectoire de la TGAP va être exponentielle d’ici 2025 pour nous inciter et nous contraindre à produire moins de déchets d’accord, mais il faut aussi des solutions alternatives.

La consommation de CSR n’est pas polluante ?

Non, parce qu’aujourd’hui les installations et les traitements avec des filtres sont efficaces. De plus, l’usine qui produit le CSR, le produit dans des conditions où il peut être consommé. C’est cette usine qui a des contraintes.

Vous rencontrez les mêmes problèmes dans votre filière qui traite les métaux ferreux ?

Quand on traite les métaux ferreux et non ferreux, par exemple avec les carcasses de voiture, il y a, au final, des résidus de broyage qui sont des déchets ultimes. Quand on est passé par tous les traitements de broyage et de post-broyage, il reste une espèce de poussière ultra-fine qui va contenir deux ou trois résidus, un peu de textile et de plastique, mais avec une granulométrie qui ne permet plus aucun traitement. Je préfèrerais faire du CSR avec, plutôt que de l’enfouir.

Mais ça n’est pas le cas ?

Sans solution pour ces déchets ultimes, parce que nous sommes tous soumis notamment à des arrêtés préfectoraux, on se tourne vers des pays comme l’Espagne, où la législation est différente, et où il n’y a pas encore ces problèmes liés à l’enfouissement. Donc des carcasses de voitures partent directement en Espagne. Mais on n’exporte pas le déchet ultime, on exporte le déchet complet, dont une partie peut être valorisée, et l’autre non. Parce que la petite fraction ultime pas valorisable trouvera alors là-bas une solution, peut-être à moindre coût.

1) Alors que 37 000 tonnes de déchets sont produits annuellement en principauté, le gouvernement souhaite ramener ce chiffre à 30 000 tonnes, en accentuant le tri des déchets et leur valorisation. Le lancement du tri sélectif des déchets a eu lieu en 2009 en principauté. Monaco recycle annuellement 3 256 tonnes de déchets : 830 tonnes de cartons, 532 tonnes de papiers, 255 tonnes d’emballages ménagers et 1 639 tonnes de verre, selon le rapport 2017 de la Société Monégasque d’Assainissement (SMA). Pour plus d’informations, lire notre article publié dans Monaco Hebdo n° 1102, Pourquoi Monaco recycle ses déchets triés à Cannes.

2) Contactée par Monaco Hebdo, la ville de Cannes n’a pas répondu à nos questions avant le bouclage de ce numéro, le 19 novembre 2019. Lire l’interview de Stéphane Leterrier, directeur général adjoint du groupe Paprec, par ailleurs.

Lire l’interview de Stéphane Leterrier, directeur général adjoint du groupe Paprec, par ailleurs.