vendredi 19 avril 2024
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Cyber-harcèlement — Mathilde Le Clerc : « Il faut aussi libérer la parole »

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Face au cyber-harcèlement, la présidente de la commission de l’éducation, de la jeunesse et des sports du Conseil national, Mathilde Le Clerc, évoque l’encadrement législatif, et notamment la loi sur le harcèlement et la violence en milieu scolaire. Interview.

Votée à l’unanimité, le 24 novembre 2021, la loi sur le harcèlement et la violence en milieu scolaire nécessite-t-elle une mise à jour pour mieux s’adapter encore aux problèmes de cyber-harcèlement ?

La loi votée en novembre 2021 par le Conseil national est déjà très complète. En effet, ce texte a tout d’abord défini précisément ce qu’est le harcèlement scolaire. Mais il ne s’est pas cantonné à cela, car son objectif était bien de prévenir et de sanctionner au mieux ces comportements aux conséquences désastreuses. Dans un monde idéal, la prévention aurait été suffisante. Malheureusement, les faits démontrent que, bien souvent, cela ne suffit pas. C’est pourquoi ce texte prévoit des mesures répressives, qui ont assurément une vocation dissuasive. Aujourd’hui, le développement progressif et continu du digital et des réseaux sociaux voit l’augmentation des comportements répréhensibles, tels que le “revenge porn”, c’est-à-dire la divulgation publique, sans le consentement de la personne concernée, d’éléments liés à l’intimité des victimes, et le cyber-harcèlement, du harcèlement via les réseaux sociaux, les messageries, ou d’autres plateformes.

Dans un contexte aussi évolutif, que faire ?

A titre personnel, je pense que la meilleure solution, qui reste aussi la plus souple, consiste en une prévention accrue des risques de cyber-harcèlement auprès des plus jeunes, mais également auprès des parents. C’est aujourd’hui un véritable enjeu de société, qu’il convient d’aborder de manière véritablement transverse. J’entends par là une sensibilisation dès le plus jeune âge, avec un développement des moyens de pédagogie et d’information : jeux, apprentissage des bons comportements à adopter dans l’utilisation des outils numériques, témoignages, campagnes de sensibilisation, etc. Et qui vise le plus grand nombre de personnes possible, toutes catégories et générations confondues.

Que vous inspirent les mesures prises en France ?

En France, l’Assemblée nationale a voté le 2 mars 2023 une proposition de loi visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Elle prévoit d’instaurer une majorité numérique à 15 ans pour s’inscrire sur les réseaux sociaux, sauf accord des parents. Elle contient aussi des dispositions pour mieux poursuivre et prévenir les délits en ligne. La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a mené une enquête en 2021, selon laquelle la première inscription sur un réseau social interviendrait environ à l’âge de 8 ans et demi. C’est très jeune, et les parents n’ont parfois pas connaissance de l’utilisation qui peut être faite par leur enfant de ces outils. Une fois encore, cette initiative dans le pays voisin s’inscrit davantage dans un objectif de prévention que de répression. Protéger les jeunes par la prévention c’est essentiel. Mais s’il faut entrer dans des dispositifs répressifs et restrictifs, je pense qu’il ne faudra pas hésiter une seconde. Nous demanderons au gouvernement qu’il mène une étude qui recense le nombre de cas de cyber-harcèlement en principauté.

Comment veiller à ce que ces mesures prévues par cette loi soient bien appliquées en principauté ?

Les textes d’application relatifs à cette loi ont été pris récemment, plus précisément le 10 juin 2022. Deux ordonnances souveraines ont pour objet la formation et la prévention contre le harcèlement et la violence en milieu scolaire, l’une pour les personnels des établissements d’enseignement, et l’autre à destination des élèves. Un arrêté ministériel vient quant à lui définir l’étendue du plan de prévention et de lutte contre le harcèlement et la violence dans les établissements d’enseignement. Enfin, une ordonnance définit les missions du délégué à la prévention et à la lutte contre ces comportements. Le déploiement de ce plan d’action est une première étape importante, et il faudra analyser la portée de ces mesures de sensibilisation. Le Conseil national sera attentif à la bonne application et au suivi de ces dispositifs. Et j’espère que le gouvernement sera en mesure de nous présenter, dès le prochain budget rectificatif, un premier bilan de leur mise en œuvre.

En France, selon un sondage publié par l’association e-Enfance en 2022 (1), plus d’un jeune adulte sur deux a déjà été cyber-harcelé, ce qui a conduit la moitié de ces victimes à penser au suicide : comment endiguer ce phénomène ?

Le harcèlement, sous toutes ses formes, et à tous les âges, peut avoir des conséquences dramatiques, qu’il s’agisse notamment de troubles de l’appétit ou du sommeil, de difficultés de concentration et scolaires, voire même de plus grosses conséquences psychologiques ou physiques, qui peuvent mener jusqu’à la mutilation ou au suicide. C’est d’ailleurs un sujet dont s’emparent aujourd’hui tous les responsables politiques, aux côtés de nombreuses associations. A ce titre, je salue l’engagement de l’association Action Innocence [à ce sujet, lire l’interview de la secrétaire générale de l’association Action Innocence, Frédérique de Chambure, publiée dans ce dossier spécial — NDLR], qui effectue un travail remarquable de sensibilisation et d’accompagnement, des enfants, des parents, mais aussi des professionnels, s’agissant des dérives liées à l’usage d’Internet. La prévention et la répression sont certes nécessaires, mais je pense que de la même manière qu’en matière de violences faites aux femmes, il faut aussi libérer la parole. Ces actes ne sont pas anodins. Il faut mettre en place des dispositifs d’écoute accrus, et accompagner au mieux les victimes. La communication est déterminante. Les victimes ne doivent plus avoir peur de parler, de dénoncer les faits qu’elles subissent, et ne doivent pas rester seules dans leur souffrance.

1) L’étude en question est consultable en suivant ce lien Internet.

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