mardi 23 avril 2024
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Michel Carles : « La vaccination ne nous exonère pas des mesures barrières »

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« Sans une augmentation significative du taux de vaccination, nous ne pourrons pas retrouver une vie économique et sociale normale », a indiqué le ministre d’État, Pierre Dartout, devant les élus du Conseil national, le 8 octobre 2021. Encore loin d’un taux de vaccination d’au moins 90 % pour espérer approcher une immunité collective, Monaco semble avoir atteint un plafond de verre. Pour quelles raisons ? Quels sont les autres scénarios possibles ? Les explications du professeur Michel Carles, infectiologue au CHU de Nice.

Comment expliquer que, malgré l’avancée de la vaccination à Monaco et dans les Alpes-Maritimes, l’épidémie de Covid-19 se poursuit ?

Le taux d’incidence (1) est monté jusqu’à plus de 750 sur le territoire des Alpes-Maritimes. Aujourd’hui, ce taux d’incidence est autour de 60 [Monaco Hebdo a bouclé ce numéro le 26 octobre 2021 — NDLR]. Il y a donc une baisse de l’incidence qui a été très rapide. Et ceci, malgré le fait que le variant Delta génère une charge virale beaucoup plus élevée que le variant anglais précédent. Avec une incidence près de deux fois supérieure à la vague précédente, nous avons eu un nombre de patients hospitalisés et de patients en réanimation très nettement inférieur. On voit bien que la sévérité de cette épidémie est bien moindre. La vaccination permet donc de diminuer les cas graves.

Quel pourcentage de personnes vaccinées ont été malgré tout contaminées par le Covid-19 (2) ?

Les premières études publiées sur les soignants vaccinés ont montré que la survenue de la maladie dans la semaine ou les deux semaines qui suivaient la vaccination était de l’ordre d’un test PCR positif pour 10 000 vaccinés. Des chiffres plus précis sont en cours d’analyse. Mais on sait que la vaccination n’empêche pas complètement l’acquisition du virus, et même la survenue de la maladie. Probablement parce qu’il y a une différence entre avoir une immunité au niveau de l’organisme générée par une vaccination et des anticorps circulants, et une immunité au niveau de la porte d’entrée du virus, qui est la muqueuse aérienne, plus particulièrement au niveau des fosses nasales. Là, il faut une immunité locale qui est moins stimulée par la vaccination, et qui sera possiblement mieux simulée par un vaccin à administration locale, comme c’est déjà le cas pour un certain nombre de vaccins. Par exemple, si la porte d’entrée est digestive, on utilise des vaccins oraux, qui stimulent l’immunité des muqueuses locales.

« La plupart du temps, si on attrape le Covid-19 malgré un schéma vaccinal complet, on développe des formes moins sévères. Ce qui se traduit par une proportion de patients vaccinés hospitalisés qui est extrêmement faible par rapport aux non-vaccinés »

Que se passe-t-il lorsque qu’on attrape le Covid-19, malgré un schéma vaccinal complet ?

La plupart du temps, si on attrape le Covid-19 malgré un schéma vaccinal complet, on développe des formes moins sévères. Ce qui se traduit par une proportion de patients vaccinés hospitalisés qui est extrêmement faible par rapport aux non-vaccinés.

Des formes sévères de la maladie ont été observées après l’injection de deux doses de vaccin ?

Quelques patients ont fait des formes sévères du Covid-19 malgré deux doses de vaccin. Ce sont toujours des patients qui avaient des facteurs de risque majeurs associés à la maladie. Il y a probablement aussi des facteurs génétiques qui entrent en ligne de compte.

Est-on davantage protégé du Covid-19 si on a été malade et que l’on a donc reçu une seule dose de vaccin ?

Plusieurs études montrent que lorsqu’on a été malade du Covid, on dispose d’une immunité solide qui dure probablement au moins un an. Quand on ajoute un “booster”, c’est-à-dire une injection de vaccin, ça renforce encore l’immunité. Cette combinaison maladie et une dose vaccinale permet d’avoir une réponse immune la meilleure possible. Ce qui protège au mieux de variants potentiellement moins sensibles à la production des anticorps.

Beaucoup d’antivax remettent en cause l’intérêt de la vaccination, dans la mesure où elle ne permet pas de stopper complètement les contaminations ?

Dire cela, c’est avoir une posture approximative. Oui, le vaccin n’empêche pas le portage du Covid-19. Mais cela ne signifie pas que l’efficacité du vaccin à prévenir le portage est de 0 %. Cela veut dire qu’il est possible d’avoir des gens vaccinés et qui sont porteurs de virus. La proportion de ces gens est relativement faible sur les soignants vaccinés, qui sont les plus exposés au virus. Cette proportion est infiniment plus faible que la probabilité de contaminer les autres quand on est sujet contact et que l’on a aucune immunité.

« Plusieurs études montrent que lorsqu’on a été malade du Covid, on dispose d’une immunité solide qui dure probablement au moins un an. Quand on ajoute un “booster”, c’est-à-dire une injection de vaccin, ça renforce encore l’immunité. » Professeur Michel Carles. Infectiologue au CHU de Nice. © Photo DR

« Face au Covid-19, la vaccination fait partie d’un arsenal de mesures. Il est juste de dire qu’on ne sortira pas de cette épidémie sans la vaccination. Mais il est faux de dire qu’à elle seule, la vaccination sera suffisante pour nous faire sortir de cette épidémie »

Vous comprenez les craintes face au vaccin ?

Les inquiétudes, les questionnements, les peurs par rapport au Covid-19 et au vaccin sont toutes légitimes. Personne ne veut blâmer quiconque par rapport à tout ça. Le rôle des médecins, c’est d’accompagner les gens, pour essayer de leur proposer la meilleure voie de protection, ainsi qu’aux groupes humains. Quant aux décisions politiques qui sont prises, si elles sont issues d’un pouvoir démocratique, elles doivent être contestées par des voies démocratiques.

Après deux doses de vaccin, si on tombe malade, on est moins contagieux ?

Les données préliminaires que l’on a semblent montrer que le fait d’être vacciné ne modifie pas significativement la charge virale présente quand le virus contamine la personne. Si on peut tomber malade malgré la vaccination, cela signifie très vraisemblablement qu’il y a un défaut d’immunité locale, alors même qu’une immunité systémique est en place. Ce défaut d’immunité locale se traduit par le fait que, localement, la personne vaccinée ne peut pas limiter la prolifération du virus. Du coup, il n’est pas très étonnant que les personnes vaccinées aient une contagiosité qui est potentiellement la même que chez les personnes non vaccinées. Ce qui signifie que, contrairement à ce qui a été dit par nos gouvernants, la vaccination ne nous exonère pas des mesures barrières.

Mais une partie de la population estime pourtant qu’après deux doses de vaccin, il est possible de reprendre “la vie d’avant” ?

On ne pourra reprendre “la vie d’avant” que si le taux d’incidence est très bas. L’arrêt des mesures barrières sera possible quand le taux d’incidence sera à zéro, ou quasiment. Quand il n’y a plus de circulation virale, la vaccination permet d’arrêter les mesures barrières. Mais dès que l’incidence remonte, il faut remettre en place les mesures barrières.

La vaccination n’empêchant pas les contaminations, des personnes vaccinées tombant malades s’estiment « déçues », et parfois même « trompées » : ne craignez-vous pas que cela génère un désintérêt pour ce vaccin, notamment si une troisième dose de vaccin est nécessaire ?

Évidemment, je comprends la déception des personnes vaccinées qui sont tombées malades. Mais une étude publiée il y a quelques mois dans le New England Journal of Medicine, montre que l’efficacité du vaccin au sixième mois après la vaccination est probablement plus de l’ordre de 60 % que de 90 %. Ce qui signifie que quatre personnes sur dix ont une protection vis-à-vis du virus qui est moins bonne, ce qui les expose à la maladie. Mais c’est aussi le cas pour le vaccin de la grippe saisonnière et un grand nombre d’autres vaccins. Aucun vaccin n’est efficace à 100 %. Je ne sais pas pourquoi on a laissé croire ça aux gens. Laisser penser que ce vaccin anti-Covid-19 est la réponse absolue, totale et imparable à cette pandémie, est une grosse erreur de communication. Donc les gens ont raison d’être déçus, parce qu’on leur a faussement laissé penser que le vaccin était la solution unique et complète face à la pandémie de Covid.

Quelle est la solution, alors ?

Face au Covid-19, la vaccination fait partie d’un arsenal de mesures. Il est juste de dire qu’on ne sortira pas de cette épidémie sans la vaccination. Mais il est faux de dire qu’à elle seule, la vaccination sera suffisante pour nous faire sortir de cette épidémie. De la même façon, on fait baisser la mortalité routière parce qu’on associe le port de la ceinture de sécurité avec une limitation de vitesse. Ce n’est pas l’un ou l’autre qui résout le problème, c’est la combinaison des deux. Donc en plus de la vaccination, il faut maintenir les mesures barrières tant que le taux d’incidence est élevé.

À quel moment la vaccination et les mesures barrières permettront de sortir enfin de cette crise sanitaire ?

Le Covid-19 est en train de s’installer dans le paysage. Avec le vaccin, ce virus aura le même effet que la grippe saisonnière, qui conduit tous les ans certaines personnes en réanimation, pendant que d’autres meurent. Jusque-là, ça n’a ému personne. Parce qu’entre la vaccination et le fait que c’est une pathologie pour laquelle une certaine immunité est installée dans la population, la grippe n’a jamais pris l’ampleur du Covid. Pourtant, jusqu’en 2019, il y avait chaque année environ 10 000 morts à cause de la grippe. Pour le Covid-19, si la population est très largement vaccinée et que dans les zones où le taux d’incidence est fort on maintient les mesures barrières, on va contrôler cette épidémie. Et on en fera une infection comme une autre, qui survient de manière limitée dans la population, et qui entraîne, de temps en temps, quelques formes graves. Mais ce ne sera plus un problème de santé publique majeur.

« Si la question est de dire : « Est-ce qu’on va pouvoir ne plus entendre parler du Covid, et voir le virus disparaître grâce à l’immunité collective ? », personne ne peut répondre à cette question aujourd’hui. Nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour y répondre de manière formelle »

Comment parvenir à cette situation ?

Il ne faut pas abandonner les mesures barrières tant que les taux d’incidence ne le permettent pas. Ensuite, il faut être très large dans la vaccination. Pour cela, il faut arriver à définir, ce qui n’est pas encore le cas pour l’instant, un calendrier vaccinal adapté à la performance des vaccins actuels. Tout en gardant à l’esprit que de nouveaux vaccins vont arriver, et que l’on espère qu’ils auront une capacité immunogène supérieure aux vaccins actuels. Ce qui procurerait une immunité de meilleure qualité et de plus longue durée.

Peut-on réellement espérer atteindre l’immunité de groupe ?

Si la question est de dire : « Est-ce qu’on va pouvoir ne plus entendre parler du Covid, et voir le virus disparaître grâce à l’immunité collective ? », personne ne peut répondre à cette question aujourd’hui. Nous n’avons pas suffisamment d’éléments pour y répondre de manière formelle. De plus, à ce jour, les infections virales évoluent de manière imprévisible, donc il n’est pas exclu que cette infection puisse régresser à un moment donné, sans que l’on puisse corréler cela à une immunité collective. Cela pourrait aussi être lié au champ naturel de la pathologie. Enfin, si l’infection persiste au sein de la population, ce ne sera pas la même chose si ça reste une pathologie grave avec des variants qui génèrent beaucoup de formes qui conduisent les patients à l’hôpital et en réanimation, ou si c’est une infection persistante qui génère des maladies peu graves. Ce qui pose problème, c’est d’avoir des coronavirus qui génèrent des centaines de milliers de morts, comme on a vu en France. Donc avec les mesures barrières, avec la vaccination, avec une immunogénicité plus importante des vaccins, et avec un certain degré d’immunité collective, si on arrive à transformer ce virus en une maladie moins sévère et moins impactante pour notre société, le Covid sera moins un problème, même s’il persiste dans la communauté des humains. Peut-être que le Covid-19 persistera parmi nous, mais que l’on parviendra à en faire un événement de santé publique moins traumatisant et moins grave qu’il n’a été depuis deux ans.

Des effets indésirables peuvent-ils se manifester des années après la vaccination ?

Cette question n’a pas beaucoup de sens en termes de santé publique, ni en termes de santé individuelle. Parce qu’on ne sait pas répondre à cette question, comme on ne sait pas répondre à beaucoup de questions sur beaucoup de médicaments que l’on prend. Lorsqu’on a installé des antennes pour les relais téléphoniques, il y a eu des interrogations pour savoir si elles impacteraient à long terme la santé des gens. On ne sait pas répondre à cette question, mais on continue néanmoins à installer des antennes téléphoniques. Alors, si on commence à faire l’hypothèse que toute situation que l’on vit, ou que tout médicament que l’on prend pourrait avoir des effets à long terme… Sur quels arguments pense-t-on ça ? Il n’y a aucun argument pour le dire.

Les peurs entourant certains vaccins et médicaments restent très ancrées à Monaco et en France ?

Les suspicions qu’il y avait avec d’autres vaccins sur des effets à long terme n’ont jamais pu être démontrées. Le plus marquant a été le vaccin de l’hépatite B pour lequel on a parlé de suspicion de sclérose en plaques liée à ce vaccin. À ce jour, on n’a jamais pu démontrer qu’un lien de causalité existait. Ce qui n’empêche pas des gens vaccinés contre l’hépatite B et qui font une sclérose en plaques de dire que c’est à cause du vaccin. On est dans un domaine qui n’est ni rationnel, ni médical.

« On peut toujours tout imaginer, y compris que ce virus se transforme en un “pseudo Ebola”. Mais, pour l’instant, on n’a pas d’arguments pour le penser. Le virus a essentiellement besoin de se reproduire, mais il n’a pas nécessairement besoin de tuer l’hôte qui l’accueille, et qui lui permet de se reproduire »

Autre question qui revient très souvent : est-ce que l’on a assez de recul sur les vaccins contre le Covid-19 ?

Qui va définir ce que signifie avoir « assez recul » sur un vaccin ? Si on parle de science, je pense que personne n’est capable de dire quel est le « bon recul ». Est-ce que c’est six mois ? Est-ce que c’est un an ? Est-ce que c’est dix ans qui sont nécessaires pour avoir un « bon recul » sur un vaccin ou sur un médicament ? Le recul qui est admis pour un médicament qui amène un bénéfice majeur de santé publique peut être très court. On le voit avec les chimiothérapies qui sont maintenant proposées, et qui amènent des effets rapides sur certains cancers. Les délais de mise sur le marché ont été bien raccourcis. Pour le Covid-19, on a administré dans le monde plus de cinq milliards de doses de vaccins. Aucun médicament n’a bénéficié d’une telle diffusion, et aussi rapidement, au sein de la population mondiale. Donc, s’il y avait un phénomène de santé publique qui apparaisse avec ce vaccin, on le saurait depuis fort longtemps.

Vraiment ?

Il faut beaucoup moins d’administrations d’un médicament, quel qu’il soit, pour dépister des effets secondaires graves. Environ 80 % de la population israélienne, islandaise, et irlandaise a été vaccinée contre le Covid-19. Si les autorités sanitaires et les médecins de ces pays avaient été confrontées à des problématiques significatives avec ce vaccin anti-Covid, on imagine mal que personne ne l’ait dit. Ce vaccin est un vaccin comme les autres, avec un pourcentage d’évènements graves qui tourne autour, quel que soit le vaccin, de 30 par million de doses. Ce qui étonne le plus les spécialistes des maladies infectieuses ou les spécialistes des vaccins, c’est que l’inquiétude autour de ce vaccin a été construite de toutes pièces. Ce vaccin ne présente aucune particularité de dangerosité, d’effets secondaires, ou d’intolérances différentes de n’importe quel autre vaccin. Donc l’inquiétude autour de ce vaccin est une construction non scientifique.

Mais des effets secondaires graves ont été identifiés et rapportés ?

Pour la majeure partie d’entre eux, les effets secondaires graves suite à un vaccin anti-Covid représentent des réactions dites allergiques. Il y a eu un émoi autour d’un certain nombre de cas de péricardites et de myocardites associées à la vaccination. Ces cas sont bien réels. À notre connaissance, les cas connus et rapportés ont une évolution qui est identique aux myocardites et aux péricardites virales bénignes, donc avec des évolutions bénignes. À ce jour, un seul cas de décès post-vaccinal a été rapporté suite à un phénomène allergique grave pour lequel l’imputabilité du vaccin n’a jamais pu être mise en évidence. C’est survenu quinze jours après la vaccination chez un jeune, qui était porteur d’allergies multiples, et pour lequel la probabilité que ce soit une réaction allergique au vaccin lui-même est nulle. Ce jeune homme a été confronté à un allergène que l’on n’a pas identifié. Mais la probabilité qu’il rencontre un allergène qui entraîne une réaction allergique majeure est l’hypothèse la plus vraisemblable. En dehors de ce cas-là, on n’a pas connaissance que le vaccin ait entraîné des décès qui lui ont été directement imputés. La plupart des rapports concernent des gens de 90 ans polymorbides qui meurent une semaine après la vaccination. En termes de probabilité, la possibilité que leur décès soit lié à tout autre chose que le vaccin est beaucoup plus élevée.

L’obligation vaccinale chez les soignants était une nécessité ?

Sur un plan politique, je n’en pense rien. Les positions politiques regardent chaque citoyen. D’une manière générale, j’aurais tendance à dire que si on considère que l’on est dans un État démocratique, nul n’est censé s’affranchir de la loi, qui est elle-même légitime, puisqu’elle est le fruit d’un pouvoir démocratique. Si les gens ne sont pas contents, le meilleur moyen d’expression, c’est le bulletin de vote. Sur un plan purement médical, je relève que depuis que les vaccins existent, c’est-à-dire plus d’un siècle, les personnels soignants sont soumis à des obligations vaccinales dont le double but est de les protéger et de protéger leurs patients. La vaccination contre le Covid-19 s’inscrit dans ce cadre-là, comme la vaccination contre l’hépatite B, ou comme avec le vaccin bilié de Calmette et Guérin (BCG) contre la tuberculose, même si ça n’est plus le cas aujourd’hui. Je ne trouve pas choquant que, face à une épidémie mondiale, on demande aux soignants d’avoir un niveau d’immunité satisfaisant vis-à-vis de cette maladie, avec un vaccin d’une extrême banalité en termes de tolérance par rapport à tous les autres vaccins. Nous sommes en démocratie, donc chacun a le droit de s’exprimer. Mais on sait que l’efficacité de la santé publique repose sur l’adhésion de la majorité à des procédures de prévention du risque. Sur le plan sanitaire, cela me semble cohérent, logique et souhaitable pour la majorité des soignants.

Pour éviter de bloquer l’économie, des politiques estiment qu’il serait envisageable de ne plus isoler les cas contacts qui ont été vaccinés : cette stratégie est-elle scientifiquement défendable ?

On sait qu’une personne vaccinée peut acquérir le virus, mais la probabilité de l’acquérir est faible. Donc le support de cette proposition réglementaire, qui n’a donc rien de scientifique, est de dire : « Est-ce que les mesures de santé publiques doivent être d’amener à un risque zéro ou de limiter le risque ? ». S’il s’agit de limiter le risque, on peut entendre que, si le risque est faible, on ne le prenne pas en compte dans les mesures de prévention. L’isolement des cas contacts vaccinés va toucher tellement de monde que cela peut devenir un problème dans le fonctionnement de la société. Il y a donc une balance entre le risque qui n’est pas nul, mais qui est faible, et les conséquences de prévenir ce risque qui sont extrêmement délétères pour la société. Donc les décisions qui sont prises sont toujours des décisions qui relativisent la notion de risque par rapport au bénéfice qu’on en retire.

« Il faut arriver à définir, ce qui, pour l’instant n’est pas encore le cas, un calendrier vaccinal adapté à la performance des vaccins actuels. Tout en gardant à l’esprit que de nouveaux vaccins vont arriver, et que l’on espère qu’ils auront une capacité immunogène supérieure aux vaccins actuels. Ce qui procurerait une immunité de meilleure qualité et de plus longue durée. » Professeur Michel Carles. Infectiologue au CHU de Nice. © Photo Michael Alesi / Direction de la Communication

« Qui va définir ce que signifie avoir « assez recul » sur un vaccin ? Si on parle de science, je pense que personne n’est capable de dire quel est le « bon recul ». Est-ce que c’est six mois ? Est-ce que c’est un an ? Est-ce que c’est dix ans ? »

Certains évoquent l’apparition future de nouveaux variants toujours plus virulents et dangereux : cette hypothèse est-elle crédible ?

Il faut partir de ce que l’on constate. Il y a de nouveaux variants qui sont vraisemblablement plus contagieux. La variation se fait au bénéfice de la contagiosité du virus. Certaines études suggèrent que le variant anglais, ou Alpha, est potentiellement un petit peu plus grave que la souche précédente. Le variant Delta serait, potentiellement, un peu moins agressif en termes de gravité que le variant Alpha, même s’il est un peu plus contagieux.

Début septembre 2021, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le variant Mu comme « variant à suivre » [à ce sujet, lire notre article Coronavirus : le variant Mu attentivement suivi par l’OMS, publié dans Monaco Hebdo n° 1208 — NDLR], et l’Agence européenne des médicaments l’a identifié comme « potentiellement préoccupant », car il résisterait aux vaccins ?

Le variant Mu et le variant sud-africain ou Beta ont une moins bonne réponse aux anticorps générés par les vaccins actuels. Mais, pendant l’automne 2021 de nouveaux vaccins vont sortir. De plus, en termes de gravité, la mortalité dans des pays qui n’ont pas le même système de soins, et pas le même niveau de prise en charge, ni la même réactivité par rapport aux malades, ne permet pas d’avoir le même état de santé de base de la population. Comme il est difficile de comparer le nombre de décès, il est difficile de parler de la gravité de ces variants. Le Covid-19 est bien plus qu’une simple pandémie. C’est une syndémie, car il traduit aussi l’état de santé d’une société et des systèmes de soins. Dans des systèmes de soins plus performants, les variants sont moins générateurs de morts et de conséquences délétères. L’évolution du virus se fait surtout au profit de la contagiosité, mais ne semble pas se faire de manière majeure ou significative sur la sévérité de la maladie, pour l’instant. Après, on peut toujours tout imaginer, y compris que ce virus se transforme en un « pseudo Ebola ». Mais, pour l’instant, on n’a pas d’arguments pour le penser. Le virus a essentiellement besoin de se reproduire, mais il n’a pas nécessairement besoin de tuer l’hôte qui l’accueille, et qui lui permet de se reproduire. Non pas que le virus pense, mais c’est l’évolution presque mécanique de la biologie. Donc il y a des variants potentiellement plus contagieux, mais pas nécessairement plus graves.

Les personnes vaccinées avec deux doses doivent donc s’attendre à se faire vacciner chaque année contre le Covid, c’est inéluctable ?

La notion de calendrier vaccinal est très débattue. C’est un vrai sujet. On ne sait pas. Pour les plus de 60 ans, on propose une troisième dose de vaccin, parce que des données, notamment israéliennes, montrent qu’après 60 ans il y a un vrai bénéfice à le faire. Après deux doses de vaccin, on observe une baisse des anticorps au bout de 6 mois, particulièrement chez les personnes les plus âgées.

« Ce vaccin est un vaccin comme les autres, avec un pourcentage d’évènements graves qui tourne autour, quel que soit le vaccin, de 30 par million de doses. Ce qui étonne le plus les spécialistes des maladies infectieuses ou les spécialistes des vaccins, c’est que l’inquiétude autour de ce vaccin a été construite de toutes pièces »

Et pour les moins de 60 ans ?

Avant 60 ans, c’est moins clair. La tranche 45-60 ans a été plus impactée par la dernière vague, donc il est possible qu’il existe aussi un bénéfice dans cette tranche d’âge. Même si les 20-40 ans ne seront pas nécessairement concernés par une troisième dose. Mais, pour l’instant, tout ça ne sont que des hypothèses. Après avoir été infecté par le Covid-19, on dispose d’une immunité solide d’au moins un an. Donc le vaccin pourrait n’être indiqué qu’après 12 mois. Pour l’instant, on vaccine entre 3 et 6 mois, car on manque encore de données. Mais cela pourrait peut-être évoluer.

Les vaccins par voie nasale, c’est un espoir ?

Les vaccins par voie nasale font sens par rapport à la stimulation d’une immunité locale que le vaccin administré par voie générale ne permet pas d’obtenir. Peut-être qu’un simple vaccin nasal pourrait être une voie d’administration mieux acceptée par un certain nombre de gens.

« Les vaccins par voie nasale font sens par rapport à la stimulation d’une immunité locale que le vaccin administré par voie générale ne permet pas d’obtenir. Peut-être qu’un simple vaccin nasal pourrait être une voie d’administration mieux acceptée par un certain nombre de gens »

Un retour à “la vie d’avant” est-il possible ?

Vu mon âge, je fais partie de la population qui a connu les années 1980 où il n’y avait plus vraiment de risque identifié en termes de santé publique ou en termes de fonctionnement de la société. Donc on laissait les portes ouvertes, on ne mettait pas de préservatifs et on ne se préoccupait de rien. Et puis, le Sida nous a poussés à mettre des préservatifs quand on avait des relations sexuelles, ce qui, pour une certaine génération, était inconcevable. Ensuite, on nous a appris à se soumettre à des contrôles quand on prend l’avion, parce qu’il y a eu des attentats à New York, en septembre 2001. Puis, on nous a appris à être attentifs à nos voisins, puisque certains se sont fait exploser avec des ceintures explosives ou ont massacré des journalistes. Et enfin, on s’est mis à porter un masque en public, parce qu’il y a des pathologies aériennes, alors qu’on pensait que ça n’existait pas. Du coup, je ne pense pas que l’on va revenir à la vie des années 1980.

C’est une certitude ?

Les MST restent une réalité de notre société contre lesquelles il faut se prémunir, ce qui passe par de la prévention à adopter dans nos comportements. La sécurité publique intègre aussi certains comportements, et je pense que plus jamais on ne pénètrera dans un avion sans passer par un scanner et par la révision de nos bagages. Plus jamais on ne roulera en voiture sans ceinture de sécurité. Et plus jamais on sera dans une société où, quand il y a un risque épidémique aérien identifié, on ne met pas en place des mesures de protection. Dans une société de plusieurs milliards d’individus, avec des densités urbaines fortes, l’objectif qui consiste à adopter des mesures de santé publique pour prévenir un certain nombre d’infections et de risques associés à cette concentration d’êtres humains, va faire partie de notre paysage pour toujours. Ce qui ne veut pas dire que le confinement, ou l’interdiction d’embrasser les autres, vont persister. Ça veut dire que, selon les moments, il y aura des mesures de santé publique adaptées aux problématiques que notre société génère. Quand ces risques seront maîtrisés, ou qu’ils n’existeront plus, ces mesures de protection disparaîtront.

1) Le taux d’incidence correspond au nombre de cas positifs enregistrés sur les 7 derniers jours, rapporté à 100 000 habitants.

2) En France, selon la direction des études statistiques, « 87 % des admissions en soins critiques et 83 % des admissions en hospitalisation conventionnelle sont le fait de personnes non-vaccinées, tandis que les patients complètement vaccinés représentent 6 % des admissions en soins critiques et 11 % des admissions en hospitalisation conventionnelle », sur la base des effectifs entrés à l’hôpital entre le 19 et le 25 juillet 2021.