jeudi 28 mars 2024
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Monaco Age Oncologie : le cancer se soigne à tout âge

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Les 23 et 24 mars 2023, l’hôtel Fairmont a accueilli la neuvième édition du Monaco Age Oncologie. À cette occasion, plus de 600 spécialistes francophones de l’oncogériatrie ont pu échanger et débattre sur les traitements et l’accompagnement des patients âgés atteints du cancer. Mais aussi pour faire le point sur les progrès de la recherche, alors que cette frange de la population reste encore trop souvent exclue des essais cliniques.

Les 23 et 24 mars 2023, la principauté a été durant deux jours la capitale de l’oncogériatrie, qui allie deux disciplines : celle de la cancérologie et de la gériatrie. Organisé cette année à l’hôtel Fairmont, le Monaco Age Oncologie (MAO) a rassemblé 600 spécialistes venus de toute l’Hexagone, mais aussi de Suisse et de nombreux pays francophones, pour partager leurs savoirs et débattre autour des cancers de la personne âgée. Traitements, accompagnement, recherche, innovations… les discussions ont été riches et variées alors que le nombre de cancers n’a jamais semblé aussi élevé chez les personnes âgées. Au point, aujourd’hui, de devenir un problème de santé publique majeur.

Monaco Age Oncologie
© Photo Studio4k

Des personnes âgées vulnérables face au cancer

Selon les estimations, sur les 380 000 nouveaux cas de cancer dépistés chaque année en France, 50 % affectent des personnes âgées de 65 ans et plus. Pire, 30 à 40 % surviennent même au-delà de 70 ans. C’est le cas notamment du cancer colorectal et du cancer du sein, pour lesquels les médianes de survenue se situent aux alentours de 70-75 ans.

Lire aussi : Les personnes âgées, oubliées de la recherche : « Une marque d’âgisme et de discrimination qui n’est pas normale »

Cette augmentation de l’incidence des cancers au sein de cette population s’explique à la fois par l’évolution de l’espérance de vie et par une fragilité « prégnante dès 65 ans » comme l’explique le docteur Etienne Brain, oncologue médical à l’Institut Curie : « Les personnes âgées sont plus sujets à développer des cancers, parce que leur espérance de vie a considérablement augmenté. La temporalité de l’étendue de la vie fait que les pathologies ont le temps de survenir, alors qu’elles n’y arrivaient pas auparavant, car on mourrait beaucoup plus jeune. C’est vrai pour les pathologies cardiovasculaires et neurodégénératives, mais c’est aussi très clair pour le cancer ».

Etienne Brain Monaco Age Oncologie
« Il n’est pas raisonnable de vouloir donner l’adjuvant en complément d’une chirurgie, pour donner moins de risque de rechute sur cinq ans ou dix ans, si le patient traité, parce qu’il est très âgé, a deux ou trois ans devant lui. » Etienne Brain. Oncologue médical à l’Institut Curie. © Photo Nicolas Gehin / Monaco Hebdo

« Les personnes âgées peuvent répondre de la même manière que les plus jeunes. Elles peuvent en tirer les mêmes bénéfices et avoir le même résultat utile sur le contrôle de la maladie. La différence, c’est qu’elles ont pratiquement tout le temps besoin d’ajustement »

Etienne Brain. Oncologue médical à l’Institut Curie

Résultat, on assiste aujourd’hui à une « transformation du paysage et de l’épidémiologie du cancer » souligne ce spécialiste, lauréat cette année du prix Michel Hery décerné par le Monaco Age Oncologie. « Les mécanismes de défenses immunitaires et de contrôle de l’organisme flanchent un peu en fonction de l’âge. Les choses se détraquent inévitablement, parce qu’on a plus de fragilité », ajoute-t-il. Les cancers les plus fréquents chez la personne âgée sont, peu ou prou, les mêmes que pour le reste de la population. « Certaines tumeurs ont leur spectre pleinement étendu chez le sujet âgé. Je pense notamment au cancer colorectal pour lequel l’âge médian est de 75 ans. Mais, globalement, nous avons des choses très similaires », observe le docteur Brain.

Monaco Age Oncologie
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Éviter le surtraitement

D’un point de vue médical, l’âge avancé n’a pas d’incidence majeure sur la mise en place ou l’efficacité d’un traitement, mais il réclame toutefois une attention et une adaptation permanentes. « Les personnes âgées peuvent répondre de la même manière que les plus jeunes. Elles peuvent en tirer les mêmes bénéfices et avoir le même résultat utile sur le contrôle de la maladie. La différence, c’est qu’elles ont pratiquement tout le temps besoin d’ajustement, avance l’oncologue de l’Institut Curie. Cela signifie changer la dose, la nuancer, démarrer plus doucement, être plus attentif aux effets secondaires, parfois changer le schéma d’administration. Les adaptations sont très fréquentes et l’intensité des doses est la plupart du temps très différente. Mais ce n’est pas à perte d’efficacité. Ce n’est pas parce que l’on baisse une dose que l’on perd en efficacité, insiste-t-il. C’est quelque chose qui est très difficile pour changer les attitudes en oncologie, car cette spécialité est bâtie sur le concept de dose-intensité, c’est-à-dire donner le plus fort, toujours aller jusqu’au bout, jusqu’à l’extrême. Chez le sujet âgé, il faudrait presque commencer plus bas et augmenter prudemment, doucement ».

Monaco Age Oncologie
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« Nous sommes obligés d’intégrer la notion d’espérance de vie, mais aussi l’impact du vieillissement et de la temporalité sur le corps. Tout peut donc s’utiliser, sous réserve que l’on ajuste. Mais le sens de l’utilisation doit nous faire quand même bien réfléchir si c’est utile ou pas. Car à mon avis, on surtraite très souvent »

Etienne Brain. Oncologue médical à l’Institut Curie

D’autre part, il convient de prendre en considération le phénomène de vieillissement chez le patient, et en particulier les problématiques liées à son âge et à son état de santé global. « Tous les traitements sont possibles, mais leur intérêt doit être mesuré par rapport à la temporalité qui est inscrite chez le patient. Le temps qui s’est écoulé, la vieillesse qui s’est installée, les paramètres organiques qui sont détériorés… conditionnent les possibilités d’utiliser les nouveaux traitements. Nous ne pouvons pas les utiliser de la même manière. Il n’est pas raisonnable de vouloir donner l’adjuvant en complément d’une chirurgie, pour donner moins de risque de rechute sur cinq ans ou dix ans, si le patient traité, parce qu’il est très âgé, a deux ou trois ans devant lui ». Le praticien s’interroge donc sur l’intérêt de prescrire un tel traitement ? « Nous sommes obligés d’intégrer la notion d’espérance de vie, mais aussi l’impact du vieillissement et de la temporalité sur le corps. Tout peut donc s’utiliser, sous réserve que l’on ajuste. Mais le sens de l’utilisation doit nous faire quand même bien réfléchir si c’est utile ou pas. Car à mon avis, on surtraite très souvent ».

L’amélioration des prises en charge des patients passera nécessairement par des études et des essais cliniques, dont les personnes âgées sont encore trop souvent exclues aujourd’hui

Les personnes âgées, parents pauvres de la recherche

Un autre enjeu consiste à s’assurer de l’information et de l’acceptation du traitement par le patient. Car l’agressivité de certains traitements, et les effets secondaires qui leur sont associés, peuvent parfois s’avérer rebutants pour des malades âgés. Ce spécialiste estime qu’il faut pouvoir réduire les symptômes et améliorer le confort du sujet. « Ne pas traiter, ce n’est pas normal. Ne pas savoir ajuster, ce n’est pas normal », tranche-t-il. Toutes ces questions essentielles ont été longuement abordées lors de la neuvième édition du Monaco Age Oncologie. Une manifestation incontournable à laquelle assiste le docteur Brain depuis de nombreuses années : « Ces rendez-vous sont importants pour faire du relais et consolider le travail réalisé par chacun d’entre nous. Chacun a son rôle. Le fait de pouvoir s’épauler pour faire changer les choses est absolument essentiel. Le MAO en est un très bel exemple parce qu’il persiste avec courage depuis pratiquement 15 ans et réussit à rassembler le monde francophone de l’oncogériatrie ». Cette année, un accent particulier a été mis sur « la préparation des patients aux étapes de traitement qu’elles soient chirurgicales, de chimiothérapie ou de radiothérapie », ce que l’on appelle dans le jargon médical : la pré-habilitation. « Montrer que ça a du sens, que ça augmente les chances de faire le traitement correctement, d’aller jusqu’au bout et de tirer le bénéfice utile… Cette notion est fondamentale », souligne ce spécialiste. La résilience et la capacité intrinsèque de réagir à la fragilité qui a été ébranlée ont également alimenté les discussions, tout comme les avancées de la recherche. Car l’amélioration des prises en charge des patients passera nécessairement par des études et des essais cliniques, dont les personnes âgées sont encore trop souvent exclues aujourd’hui.