mercredi 24 avril 2024
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Coronavirus :
« Il n’y a pas de raison de s’affoler »

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Depuis début janvier 2020, la peur du coronavirus s’est installée.

En Chine, les cas de coronavirus ne cessent d’augmenter : 17 200 selon le dernier bilan fourni par Pékin lundi 3 février, et 362 morts, dont un aux Philippines. Pourtant, le 3 février, seulement 23 malades avaient été confirmés sur le continent européen. Pour y voir plus clair, Olivier Terrier, chercheur CNRS au sein de l’équipe VirPath, qui fait partie du Centre international de recherche en infectiologie (Ciri) de Lyon, a accepté de répondre aux questions de Monaco Hebdo.

Qu’est-ce que ce coronavirus 2019-nCov ?

Ce coronavirus fait partie d’une famille de virus qu’on connaît plutôt bien. Il existe plusieurs coronavirus qui infectent l’homme, et qui sont responsables de maladies plutôt bénignes, qui s’apparentent plutôt à des rhumes. Certains sont un peu plus pathogènes. Le plus connu c’est le SRAS coronavirus, avec une épidémie qui a été très médiatisée en 2002-2003. C’est le premier événement marquant pour un coronavirus, avec une diffusion très rapide, au-delà de son centre d’émergence.

L’origine de ce nouveau coronavirus ?

Ce virus est ce que l’on appelle une zoonose, c’est-à-dire qu’il a été transmis à partir d’un réservoir animal. Mais la source précise de ce nouveau coronavirus n’est pas connue. On sait qu’il est généralement présent chez les chauves-souris, et qu’il peut éventuellement être transmis à d’autres animaux. C’est vraisemblablement via un animal que ce coronavirus a été transmis à l’homme. L’épicentre de cette épidémie semble être lié à un marché aux poissons à Wuhan, une grande ville située au centre de la Chine. Mais il n’y a pas que des poissons vendus dans ce genre de marché. Et il est possible que ce soit à travers des animaux vendus dans ce marché que ce coronavirus se soit répandu. Mais l’origine exacte est très difficile à identifier.

Comment se transmet-il ?

Ce nouveau coronavirus se diffuse de manière assez similaire au virus de la grippe. Il se transmet via de petites gouttelettes émises par le nez et la bouche quand on éternue ou que l’on tousse. D’où le port d’un masque pour les personnes qui sont infectées, pour éviter de disséminer le virus dans leur entourage. En revanche, il n’y a pas de transmission par la nourriture qui est cuite.

Et la nourriture qui vient de Chine ?

Il n’y a pas lieu de s’inquiéter. En effet, par rapport à d’autres familles de virus, ces virus sont relativement fragiles. Ces virus sont protégés par le mucus. Mais leur durée de vie est très courte. En l’espace de quelques heures, ces virus sont inactivés naturellement. Donc une personne infectée en Chine qui éternuerait, par exemple, sur un colis à destination de la France ou de Monaco, présente un risque qui existe théoriquement, mais qui, en réalité, est nul.

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Olivier Terrier, chercheur CNRS au sein de l’équipe VirPath.

Quelle est la période d’incubation et qui sont les personnes à risque ?

D’après l’Institut Pasteur, la période d’incubation serait de 7 jours, mais elle pourrait aller jusqu’à 14 jours. Les personnes à risque ont souvent plus de 60 ans, souffrent d’hypertension, sont fumeurs, sont porteurs d’infections bactériennes préexistantes ou encore souffrent de lymphopénie, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas assez de lymphocytes dans le sang.

Quels sont les symptômes de la maladie ?

Les principaux symptômes se rapprochent de ceux de la grippe : fièvre, difficultés respiratoires, fatigue, maux de tête…

Quel est le taux de mortalité de ce nouveau coronavirus ?

Ce matin (1), on est à 360 morts, dont un seul en dehors de la Chine. Ce qui est un peu plus que les morts dénombrés en 2002-2003 pour le SRAS. Sur un ensemble de 17 200 cas confirmés en Chine, cela fait un taux de mortalité d’environ 2 %. Mais ce taux est probablement beaucoup plus bas, car il est calculé sur ces cas confirmés en Chine. Or, il y a sans doute énormément de gens infectés qui n’ont pas de symptômes et qui n’ont pas été diagnostiqués. Du coup, la communauté scientifique pense que ce taux de mortalité est beaucoup plus faible, bien en dessous des 2 %. Ce qui amène ce virus vers un taux de mortalité peu dangereux pour les populations. Même s’il faut toujours se méfier.

Pourquoi ?

Si on prend le virus de la grippe, le taux de mortalité est du même ordre, moins de 2 %. Mais la grippe tue tout de même entre 300 000 et 600 000 personnes dans le monde chaque année, et environ 10 000 personnes chaque année en France.

Ce nouveau coronavirus est plus contagieux que le SRAS ?

Pour l’instant, avec les données dont on dispose, et elles évoluent tous les jours, on estime qu’une personne contaminée peut en contaminer de nombreuses autres. Les premiers cas décrits suggèrent que la contagiosité est supérieure à celle du SRAS. C’est la proximité avec les malades qui rend la contagiosité importante.

Cette mortalité pourrait évoluer au fil du temps ?

C’est l’un des sujets de préoccupation de la communauté scientifique. Ces virus ont un génome constitué d’acide ribonucléique (ARN), ce qui leur donne la particularité de pouvoir assez vite muter. Plus le virus se propage, plus il dispose de cette capacité à évoluer. Ce virus est passé de l’animal à l’homme. Les mutations qui sont apparues lui ont donc permis de s’adapter à l’homme. Du coup, l’un des risques, et il est difficile à anticiper, concerne les mutations qui pourraient augmenter la virulence et la pathogénicité de ce virus.

Dans la mesure où il n’existe, pour le moment, aucun traitement antiviral efficace, comment sont soignés les malades ?

On soigne essentiellement les symptômes de ces malades. Les patients souffrent de fièvre, notamment. Mais il n’existe pas de traitement spécifique et adapté à cette pathologie. Un mouvement général de la recherche s’est donc mis en place pour rapidement pouvoir proposer des solutions.

Quelles solutions ?

Certains médecins tentent d’utiliser un médicament qui avait été jusque là proposé pour le traitement du HIV. D’autres équipes, et la nôtre en fait partie, essaient de proposer des solutions pour traiter ces patients de manière plus spécifique. Nous travaillons sur du repositionnement de médicaments. Cela consiste à essayer de trouver dans la pharmacopée existante des médicaments qui sont sur le marché pour traiter tout un tas de maladies différentes, et qui pourraient être utilisés pour traiter cette infection au coronavirus.

Et ça marche ?

C’est une méthode que l’on a déjà utilisée avec succès pour la grippe. On utilise donc la même approche pour tenter de traiter ce nouveau coronavirus. Pour cela, on travaille étroitement avec l’un des deux grands laboratoires français qui recueille les diagnostics sur les 6 patients infectés en France. On cherche à isoler les virus à partir des échantillons de ces patients. L’Institut Pasteur est parvenu à isoler des virus en culture. En parallèle, nous travaillons aussi à ça, à partir d’autres échantillons de patients.

Avec quel objectif ?

L’objectif, c’est de pouvoir produire in vitro, dans les laboratoires, ce virus, de le faire « pousser » sur des cellules. Ce qui est l’étape indispensable avant de pouvoir tester des molécules anti-virales, et travailler ensuite pour produire des vaccins.

De son côté, l’Académie des sciences chinoise affirme qu’un remède traditionnel à base de chèvrefeuille, le « Shuanghuanglian » pourrait inhiber ce nouveau coronavirus ?

Chaque fois qu’un nouveau virus émerge, on voit énormément de solutions qui sont proposées. Mais il faut rester très méfiant, car il y a un effet de « scoop » et de « pub » très important dans les périodes telles que celle que nous vivons aujourd’hui. Car, souvent, ces annonces de résultats n’ont pas été validées par la communauté scientifique. Il faut donc attendre d’avoir une démonstration scientifique sérieuse, reproduite ensuite par d’autres laboratoires.

La solution ne viendra donc pas du chèvrefeuille ?

Cela ne veut pas dire qu’il n’existerait pas de produit naturel qui pourrait avoir des propriétés anti-virales. Mais parfois, même la communauté scientifique est prise dans cette logique de « scoop » et de course pour être le premier. Je serai plus enclin à croire ces résultats de l’Académie des sciences chinoise lorsque plusieurs laboratoires, de manière indépendante, auront pu prouver cette efficacité.

Comment se protéger de ce nouveau coronavirus ?

Ce sont les mêmes que pour la grippe. C’est-à-dire éternuer ou tousser dans son coude. Il faut éviter de trop souvent porter sa main à son visage et à son nez. Il faut se moucher dans un mouchoir propre, que l’on jette ensuite. Mais la mesure principale, qui est prouvée scientifiquement, c’est le lavage des mains avec du savon.

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« Sur la Côte d’Azur et en région parisienne, énormément de touristes viennent de Chine. Il se pourrait donc qu’il y ait d’autres cas, car on est encore dans un “timing” possible en termes d’incubation et de diffusion du virus »

Pourquoi l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a attendu le 30 janvier 2020 pour décréter l’urgence internationale ?

Je ne suis que scientifique, et il y a sans doute des aspects politiques qui m’échappent. Mais si le rôle de l’OMS c’est effectivement de prévenir, c’est aussi de ne pas crier au loup trop vite. On voit les chiffres augmenter tous les jours, et c’est vrai que ça peut être anxiogène. Mais il faut les relativiser. Aujourd’hui, le nombre de morts est de 360, ce qui est peu en termes de mortalité, à l’échelle de la population chinoise. C’est très en dessous de la mortalité de la grippe. Et un peu plus de 17 000 cas à l’échelle de la planète, c’est vraiment très peu.

Pourquoi l’OMS a fini par décréter l’urgence internationale, alors ?

Mais le fait que ce nouveau coronavirus se diffuse aujourd’hui dans de nombreux pays, dont des pays émergents avec des systèmes de santé pas aussi solides et préparés pour faire face à cette situation, a pesé dans la décision de l’OMS. Notamment la Corée du Nord, mais aussi aux Philippines, où il y a eu un premier cas. De plus, beaucoup de Chinois travaillent dans une grande partie de l’Afrique. Cela induit un risque de propagation et, éventuellement, que cette épidémie reparte de plus belle, mais d’un autre endroit dans le monde. C’est surtout pour ça que l’OMS a décrété l’urgence internationale, pour essayer d’homogénéiser la réponse des Etats. Avec une conscience collective autour de la nécessité de limiter les transports, notamment les transports aériens, depuis la Chine vers d’autres pays.

Certains spécialistes, comme le professeur Didier Raoult, directeur de l’institut hospitalier universitaire Méditerranée à Marseille, jugent « délirant » l’importance donnée à ce nouveau coronavirus, alors qu’en Europe, d’autres virus tuent beaucoup plus, et dans une quasi-indifférence médiatique ?

Effectivement, il faut savoir relativiser les choses. De ce point de vue là, Didier Raoult a raison. Si on considère les chiffres, il n’y a pas de raison d’être trop vite alarmiste et, sur ce point, je le rejoins. En revanche, je nuancerais ses propos, car nous sommes quand même dans une situation inédite. Nous sommes face à un nouveau virus qu’on ne connaît pas, sur lequel il y a des inconnues, notamment avec la mutation. On doit donc rester très vigilant et suivre l’évolution de cette épidémie. Il ne faut pas crier au loup, mais il faut se mobiliser pour suivre cette épidémie, prendre en charge au mieux les patients et limiter à tout prix la dissémination de ce virus.

Avec plus de 360 morts, le bilan en Chine dépasse celui de l’épidémie de SRAS en 2002-2003 : est-ce un signe inquiétant, alors qu’en Chine près de 17 200 personnes ont été contaminées, selon les chiffres officiels ?

D’un point de vue purement numérique, le chiffre a été dépassé, avec 360 morts pour ce nouveau coronavirus et 349 morts pour le SRAS. Mais à l’échelle de la planète, l’écart est dérisoire. Pour l’instant, il n’y a pas lieu de s’alarmer. Cette comparaison est peut-être un peu illusoire, car, même s’ils sont de la même famille, ces virus ont l’air d’être relativement différents de par leurs propagations. De plus, entre 2003 et 2020, le monde a beaucoup changé. Aujourd’hui, les transports aériens sont décuplés par rapport à 2003, et il est encore plus facile de se rendre à l’autre bout de la planète. On le voit bien si on prend une carte du monde et qu’on observe la diffusion de ce nouveau coronavirus. Pour le virologue que je suis, c’est très impressionnant que de voir qu’en quelques jours il peut y avoir des cas dans toute la planète. C’est quelque chose sur lequel on doit méditer pour préparer le futur de la prévention contre les infections respiratoires.

Selon un modèle mathématique développé par des chercheurs de l’université de Hong Kong, le nombre de malades aurait déjà dû atteindre 44 000 le 27 janvier 2020, et pourrait ensuite doubler chaque semaine, jusqu’en avril ou mai 2020 : c’est une prévision réaliste ?

Il y a de nombreuses équipes qui parviennent à faire de la modélisation. Ces chiffres sont valables avec les données qui ont été entrées au départ dans le modèle. Mais les modèles n’anticipent pas forcément des décisions qui pourraient être prises dans les jours ou les semaines à venir par différents pays, par exemple en termes de cordons sanitaires, de quarantaines, de limitations de transports aériens… Du coup, il est difficile d’extrapoler et d’imaginer le nombre de cas et le nombre de morts dans 15 jours ou dans un mois, même si ces modèles servent à imaginer des tendances. En fait, ces modélisations sont plutôt des indicateurs que des prédictions. Ils permettent aux pouvoirs publics de savoir si la situation est meilleure, ou moins bonne que ce que l’indicateur ne prévoyait.

Comment va évoluer ce virus ?

Un effort international très impressionnant est réalisé pour suivre ce virus. Très rapidement, de nombreux laboratoires ont pu séquencer le génome de ce virus, notamment l’équipe de l’Institut Pasteur à Paris. Cela représente un travail considérable, mais cela a été fait avec une grande rapidité. Il y a quelques années de ça, pour faire le même travail il aurait fallu plusieurs semaines. En comparant toutes les données accumulées au fur et à mesure, on aura peut-être une idée de la manière dont ce virus évolue.

Peut-on avoir confiance dans les déclarations des autorités chinoises ?

Sur les informations scientifiques, on n’a aucune raison de ne pas croire ce qui est dit par les autorités chinoises. Très vite, les chercheurs chinois ont communiqué les résultats de leurs recherches pour le monde entier, notamment dans des publications prestigieuses, comme The Lancet ou le New England Journal of Medicine. Après, il y a un volet politique qui est très important. Pour des raisons politiques, l’information ne sort peut-être pas aussi facilement de Chine que d’un pays européen par exemple. Du coup, beaucoup de gens s’interrogent et se demandent si ces données qui sortent ne sont pas filtrées. Aujourd’hui, il est difficile de le savoir.

Faut-il s’attendre à d’autres cas en France, et peut-être à Monaco ?

La France, comme Monaco, sont des destinations touristiques importantes. Sur la Côte d’Azur et en région parisienne, énormément de touristes viennent de Chine. Il se pourrait donc qu’il y ait d’autres cas, car on est encore dans un “timing” possible en termes d’incubation et de diffusion du virus.

La stratégie de crise des autorités françaises est-elle suffisante et efficace face à ce nouveau coronavirus ?

Oui, elle est plutôt efficace et bien rodée. Grâce à une bonne coordination et une bonne organisation, les patients à risque sont très vite aiguillés vers des structures dédiées, avec un diagnostic qui est fait dans la foulée. C’est la clé : dans ce genre de situation, il faut être capable d’isoler très vite les gens pour éviter toute propagation du virus, et faire ensuite un diagnostic très rapidement.

Avec des cas signalés dans plus de vingt pays, peut-on considérer que cette épidémie a pris à présent les proportions d’une urgence sanitaire mondiale ?

Aujourd’hui, d’un point de vue diffusion et nombre de pays touchés, on peut vraiment parler d’un cas d’urgence sanitaire international. Les chiffres plaident pour une épidémie large, mais on n’en est pas au stade de pandémie. Mais l’évolution est suivie de très près. Les mesures qui ont été prises en termes de restriction de transports aériens, de cordons sanitaires dans des villes en Chine, ont été mises en place pour réduire la diffusion de ce virus et contenir ce phénomène au stade d’épidémie.

Combien de temps peut durer cette épidémie et comment en venir à bout ?

Pour l’instant, il n’y a pas de réponse. Tout laisse à penser que ce coronavirus poursuive sa diffusion a minima pendant plusieurs semaines. Même si les mesures qui ont été prises vont considérablement réduire cette durée de diffusion.

Quels sont les conseils que vous pouvez donner face aux craintes que suscite ce coronavirus ?

Il faut garder en tête qu’on est en pleine épidémie de grippe. Les symptômes de la grippe sont très proches des symptômes des patients infectés par le coronavirus. Je recommande donc d’utiliser l’hygiène de prévention pour se protéger de la grippe, à commencer par le lavage des mains. Aujourd’hui, il n’y a pas de raison de s’affoler. Nous sommes dans des pays avec des systèmes de santé de grande qualité, avec un plan prêt à faire face à l’émergence de nouveaux pathogènes. Il n’y a donc pas lieu de s’inquiéter.

1) Cette interview a été réalisée le 3 février 2020.

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